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lundi 12 février 2024

Malte, quel étrange pays !

La Valette

Malte est une sorte d’ornithorynque parmi les nations. L’animal est un mammifère qui pond des œufs, qui a un bec de canard, une queue de castor, des pattes palmées et un pelage de taupe fluorescent. Quant à Malte, c’est un archipel composé de huit îles, mais essentiellement deux - Malte et Gozo - d’une superficie (316 km2) inférieure à celle d’Andorre (464 km2), mais faisant tout de même le double du Liechtenstein (160 km2). C’est le seul pays de l’Union européenne où l’on parle une langue sémitique écrite en caractères latins, le maltais. Le pays a acquis son indépendance vis-à-vis de l’Angleterre en 1964, est devenu une république en 1974 et a gardé d’excellentes relations avec son ancien colonisateur. On y utilise des prises électriques anglaises, on y conduit à gauche et Malte est un fier membre du Commonwealth. Les cabines téléphoniques étaient identiques à celles de la métropole britannique. Le pays a rejoint l’UE et la zone Schengen en 2004, c’est-à-dire 40 ans seulement après son indépendance et quatre ans plus tard, il a rejoint la zone euro. Avec une population d’environ 500.000 habitants, l’archipel est le 10ème plus petit Etat et le 4ème pays le plus densément peuplé du monde. C’est un pays extrêmement catholique, malgré son étroite proximité avec le sud de la Méditerranée. Quelque 93km séparent Malte de la Sicile, environ 300km de la Tunisie, 355km de la Libye (à vol d’oiseau). L’eau y est très rare, il ne pleut quasiment jamais. Les nappes phréatiques ne suffisant pas à couvrir les besoins, l’eau potable est acquise grâce au dessalement d’eau de mer par un procédé d’osmose inverse. 



La langue maltaise dérive essentiellement de l’arabe sicilien, avec une petite proportion d’influence italienne et un chouïa de français. La langue est très proche du tunisien et les arabophones l’apprennent très facilement. Sa grammaire et son orthographe ont été codifiés et officialisés en 1934, en alphabet latin, avec quelques signes diacritiques particuliers. Le maltais devient langue officielle en 1964, à l’occasion de l’indépendance et c’est également une langue officielle au sein de l’UE. Toutefois, il est possible de suivre des stages et cours d’anglais, cette langue étant la deuxième langue officielle du pays. Il existe également le « maltish », à savoir un sabir entre le maltais et l’anglais. Parmi les mots français qui sont restés sur l’île, on trouve, entre autres, « bondjou » pour bonjour, « bonswa » pour bonsoir, «  xarabank » pour autobus (char-à-bancs). Merci se dit : Grazzi ! Toute la toponymie maltaise, à l'exception du nom des îles de Malte et de Gozo, est d'origine arabe, par exemple Mdina et Rabat, medina signifiant ville et rabat étant le lieu où on attache les chevaux.



La population maltaise est catholique à 98%. Selon la légende, ce serait l’apôtre Paul de Tarse qui aurait christianisé l’île, après y avoir fait naufrage en l’an 60. Les Ottomans ont occupé Malte pendant environ trois siècles, mais c’est une terre chrétienne et même très chrétienne depuis. Malte servait de camp de base pour les croisés en route pour la Terre Sainte. Elle est devenue la patrie de l’Ordre souverain militaire des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Rhodes et Malte, un ordre laïc catholique, dont le rôle était d’apporter soins et secours aux croisés et aux pèlerins. Voilà un autre ornithorynque, qui mériterait un article à part : un ordre catholique laïc, militaire et hospitalier, un quasi-État, puisque leur siège, sis actuellement à Rome, jouit de l’extraterritorialité. Car oui : l’ordre des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem existe encore aujourd’hui, il est même reconnu par de nombreux États et participe comme observateur aux réunions internationales. 



La capitale du pays et de la plus grande des îles est La Valette (un seul « l » en français, deux en anglais : Valletta), nommée d’après le 49ème Grand Maître de l’Ordre des Chevaliers de Malte, le Français Jean Parisot de la Valette (1494-1568). Elle est classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Sur l’île de Gozo, la grande ville s’appelle à la fois Victoria - comme la reine d’Angleterre - et Rabat, alors qu’il y a déjà une ville portant ce nom sur Malte ! Il y a deux opéras pour les 31.000 habitants de Gozo, et deux autres sur Malte, le théâtre Manoel, lui aussi nommé après un Grand Maître et l’ancien opéra royal, réduit en miettes lors de Seconde guerre mondiale, désormais un théâtre en plein air. Voilà sans doute la plus forte densité lyrique au monde. La Valette est une véritable ville fortifiée : non seulement elle a été bâtie sur une péninsule, mais elle comporte des bastions face à la mer et plusieurs hautes murailles séparées de fossés, de quoi décourager les plus hardis conquérants. On trouve des tours de guet sur tout le pourtour de l’île, qui a été conquise et envahie par quasiment la planète entière : les Phéniciens, les Carthaginois, l’Empire romain d’orient (vers 500), puis les Arabes (870), chassés par les Normands en 1090. En 1282, ce sera au tour du royaume d’Aragon d’occuper Malte. En 1530, le roi Charles Quint fait don de l’île aux Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, après que ceux-ci furent chassés de Rhodes par Soliman le Magnifique. La France de Napoléon s’est emparée de l’île en 1798, mais n’a tenu que deux ans, chassée par les Britanniques, qui y ont pris pied en 1800.



Malte a connu deux sièges difficiles et éprouvants. Tout d’abord le siège ottoman de 1565, qui a duré trois mois. Les Turcs furent finalement repoussés grâce aux efforts des chevaliers, soutenus par la population maltaise. Acclamés comme les sauveurs de l'Europe, les chevaliers furent récompensés par la construction d'une nouvelle ville fortifiée : La Valette. Plusieurs siècles plus tard, Malte est à nouveau assiégée, cette fois-ci par les forces de l’Axe, de juin 1940 à novembre 1942. Ce petit confetti de pays a été une des régions les plus lourdement bombardées pendant la Seconde guerre mondiale, il a reçu plus de bombes que l’Angleterre pendant le Blitz : 3343 raids aériens, d’une durée de 2357 heures, 15.000 tonnes de bombes larguées sur les îles, 6700 tonnes rien que sur le grand port. A nouveau, les îles représentaient une base stratégique pour les opérations militaires en Afrique du Nord, tant pour l’Axe que pour les Alliés, dont la victoire à Malte a marqué un tournant important dans l’issue du conflit. La population maltaise s’est vu décerner la Croix de George (distinction britannique) pour sa bravoure et son endurance pendant le conflit, croix qu’on retrouve encore sur leur drapeau national. 




Malte a fait preuve d’une résilience extraordinaire, parvenant à se relever après les dures épreuves du conflit mondial. C’est aujourd’hui un pays paisible et moderne, participant pleinement à la construction européenne, même si on a pu leur reprocher leur générosité dans la distribution de passeports bleu étoilés. L’actuelle présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, est Maltaise, même si son patronyme est finlandais, comme l’est son mari. Malte était autrefois connue également pour ses pavillons de complaisance pour la marine marchande, mais depuis le naufrage de l’Erika (1999), ils sont devenus un peu plus circonspects et réservés sur ce créneau-là. Un marin maltais célèbre dans le monde entier est le héros de Hugo Pratt, Corto Maltese, qui serait né à La Valette en 1887, d’une mère gitane et d’un père britannique. Toujours dans le domaine de la fiction, tout le monde a entendu parler du « Faucon maltais », mais qu’est-ce donc ? C’était le tribut que devaient payer les Chevaliers de Malte au roi d’Espagne en échange de leur droit de séjourner sur l’île. Il s’agissait sans doute de véritables oiseaux vivants, alors que dans le roman de Dashiell Hammett et le film éponyme de John Houston, c’est une statuette précieuse que tout le monde convoite. Malte a donné son nom à une fièvre, qui s’appelait aussi fièvre de Chypre, de Gibraltar ou de Crimée, et qui circule dorénavant sous le nom de brucellose. Enfin, ces petits chiens si mignons, les bichons maltais, n’ont aucun rapport avec ce pays, c'est simplement une race méditerranéenne. Les billes de chocolat malté, les Maltesers, n’ont aucun rapport non plus, si ce n’est que ce terme désigne les Chevaliers de Malte en allemand. 




Une quantité invraisemblable de films ont été tournés à Malte, dont le récent Napoléon de Ridley Scott. Il y a une bonne raison à cela : il n’est pas nécessaire de construire de décors historiques, tout est déjà là ! Y compris le beau temps et une belle lumière ensoleillée. Bref, que vous vous intéressiez au cinéma, à l’histoire, aux relations internationales, aux religions, au mélange des langues, des peuples et des cultures ou que vous recherchiez tout simplement des vacances à la mer et au soleil, Malte est là pour vous ! Vous pourrez même vous prendre pour Ulysse et faire de la plongée dans la grotte de Calypso (à Gozo). Pas besoin de vaccins ni de visas, vous êtes dans l’espace Schengen, sans décalage horaire et n’aurez pas besoin d’autres devises que des euros. Alors … qu’attendez-vous ?




Le Figaro, 23 juin 2024

[...] le plus petit des États de l’Union européenne (UE), 316 km², soit trois fois la superficie de Paris intra-muros, est soumis au défi de l’acceptation de l’autre. Les étrangers étaient environ 12.000 en 2004, lors de l’entrée de Malte dans l’UE. Ils sont aujourd’hui plus de 140.000, sur une population de 542.000 habitants (2022). La jeune République maltaise accepte un ailleurs hétéroclite : des retraités, des jeunes Européens venus apprendre l’anglais, des télétravailleurs, des personnels hautement qualifiés et une importante main-d’œuvre issue des pays sous-développés.
« Des Indiens, des Pakistanais, des Népalais… Ils viennent de partout. Il y a désormais trop d’immigrants, mais aussi trop de touristes »

... Les relations entre les communautés ethniques venues de pays du tiers-monde sont tout sauf harmonieuses. « C’est la guerre des pauvres. Les Indiens contre les Philippins. Les Philippins contre les Pakistanais. Ils se battent pour le même bout de pain » ... 
Il y a deux millions de touristes l’été. Les Maltais ne veulent pas travailler dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration ou du bâtiment. Ce sont les migrants qui effectuent ces travaux, alors que le pays reçoit toujours plus de voyageurs chaque année et ne pourrait pas fonctionner sans ces personnels. » Dans tous les grands centres de l’île, de La Valette à Marsaxlokk, les serveurs et les cuisiniers sont presque tous issus du sous-continent indien, parfois de Serbie et de Bulgarie.
...
Et le surtourisme ? « Quel autre choix ont les Maltais ? », répondent souvent ces derniers. L’île n’a guère plus d’habitants que Toulouse, mais elle a su en vingt ans se spécialiser dans les casinos en ligne - il y en a plus de 300 - et dans la vente de passeports dorés à 1 million d’euros. Plus de 25% de ces derniers ont été vendus à des Russes, dans un environnement où la corruption fait régulièrement la une des journaux locaux.

... En l’état actuel des choses, La Valette semble condamnée à poursuivre son modèle actuel de développement du tourisme de masse biberonné par les charters. Dans cette course à la croissance débridée, le risque pour Malte est bien de perdre son identité.
... Exception faite de quelques villages et lieux patrimoniaux, les villes maltaises ont perdu leur âme au profit de chaînes et de restaurants proposant des saveurs gastronomiques que l’on retrouverait à Little Rock ou à Calgary. Cette dilution de l’identité maltaise est aussi démographique, puisque les Maltais ne constituent plus que 77% de la population contre 95% en 2011.  ...

Entre le choix de beaux chiffres de croissance grâce à une immigration riche ou pauvre et celui de garder son identité, le défi pour Malte sera bien de ne pas devenir le nouveau Dubaï de la Méditerranée.



lundi 27 mars 2023

Plats voyageurs

Nous avons la chance, dans notre monde occidental, d’avoir une immense variété culinaire. De nos jours, peu de repas sont composés de chou et de patates, nous avons l’embarras du choix entre les currys, les empanadas, les pâtes en toutes sortes, les fruits du monde entier…. Parfois, les routes culinaires se croisent et se rencontrent, permettant d’intéressantes fusions et hybridations, pour notre plus grand plaisir. Voici quelques exemples :


Le döner kebab

Roi du fast food, ayant sans doute même détrôné le hamburger, le kebab a conquis la planète. Ce plat est turc ou grec, selon …. un peu comme le café turc, qui, en Grèce, s’appelle café grec. Il faudrait sans doute parler de café ottoman, car il se consomme ainsi dans tout le proche orient.  Döner signifie « tournant » en turc, en grec, cela donne « gyros ». Kebab signifie « grillade » et vient de « kepa » la façon typiquement turque de cuire la viande. Le kebab serait arrivé en Grèce grâce à des immigrants hellènes revenant d’Anatolie. La diaspora grecque a ensuite rendu ce plat populaire aux Etats-Unis. A noter toutefois que les gyros peuvent être composés de viande de porc. En France, on parle de « sandwich grec ». 


Les brochettes turques s’appellent « chiche-kebab », şiş signifiant « broche ». En 1830, un dénommé Amid Oustaz a eu l’idée de placer ce şiş à la verticale, plutôt que de faire griller la viande au-dessus du feu. Puis, dans les années 1970, un Turc émigré à Berlin, Kadir Nordmann, a pensé à placer ces grillades dans du pain, accompagnées d’oignons, de tomates, de salade et de sauces (blanche et/ou piquante). Abracadabra ! Le kebab européen était né !



Les boulettes de viande

Restons un peu dans la gastronomie turque. Les célèbres boulettes de viande suédoises - köttbullar pour les fans d’IKEA - sont le fruit d’une mondialisation avant l’heure. C’est le roi Charles XII qui les a ramenées de son exil dans l’empire Ottoman au XVIIIème siècle. Il aurait, par la même occasion, ramené le café et le chou farci. Les kebbes libanais ne leur ressemblent pas vraiment, étant donné que la viande est alors entourée d’une croûte au boulgour et pignons passée à la friteuse. Ce seraient plutôt les keftas qui en seraient l’ancêtre, « kefta » signifiant « hacher » en farsi (persan). On trouve toutefois des variantes sous diverses formes dans de nombreux pays : les fricadelles en Belgique et dans le nord de la France, les polpette al sugo en Calabre, les nem nuong au Vietnam, les meat balls aux USA, les Königsberger Klopse en Allemagne, etc …


Les Suédois sont probablement les seuls à les manger accompagnées de confiture d’airelles. Voilà qui rend ce plat unique !



Le tacos français

A noter que le tacos français (à base de blé) n’a pas grand chose à voir avec l’original mexicain (à base de maïs), notamment parce qu’il prend un « s » même au singulier. Ces tacos-là sont le résultat d’une véritable hybridation mondialiste, puisqu’il s’agit d’une sorte de croisement entre un panini, un wrap, un taco, un shawarma, un kebab, un burrito … et plus si entente ! Le résultat est un rectangle de pâte, également appelé « matelas », farci de viande (halal), de poulet, de merguez ou autre, accompagné d’une sauce à base de fromage industriel et parfois de crudités. Le tout est ensuite grillé tel un panini et accompagné de frites (aussi à l’intérieur du tacos !). C’est un mets tendance, bon marché, roboratif, hypercalorique et connoté djeun, il est même évoqué dans certains hits rap - français, cela va sans dire. En un mot: un plat aux antipodes du quinoa bio et du tofu bouilli. 


Le tacos français aurait été inventé dans les années 2000 à Lyon, plus précisément à Vaulx-en-Velin par Mohamed Soualhi. Toutefois, le père de cette invention culinaire pourrait également s’appeler Salah Dardouri ou encore Abdelhadi et Mohammed Moubarek de Grenoble. Comme souvent, on peut se demander si plusieurs personnes n’ont pas eu la même idée quasi simultanément. Le tacos français a maintenant trouvé ses marques à l’étranger également, il va probablement bientôt conquérir la planète ! 




Le poulet tikka masala

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce plat phare des restaurants indiens n’est pas indien. Son inventeur serait un certain Ali Ahmed Aslam à Glasgow, d’origine pakistano-écossaise. Mais tout comme pour le tacos français, plusieurs versions circulent : le chicken tikka masala aurait été lancé par des tenanciers originaires du Bangladesh ou, de façon générale, du sous-continent indien, mais néanmoins tous établis en Grande-Bretagne. Selon d’autres sources, ce mets aurait déjà existé en Inde dès les années 1960, mais compte tenu de ses innombrables avatars, on peut se demander s’il s'agit réellement de la même chose. 


Ce plat est une variation du chicken tikka, visant à l’adapter aux palais britanniques, qui apprécient d’avoir de la sauce (gravy) dans leur assiette. En effet, le créateur du poulet tikka masala aurait eu la bonne idée d’ajouter des tomates, sous forme de sauce ou de soupe, mélangées à du yaourt et à des épices (masala), après qu’un client s’est plaint que ce qu’on lui avait servi était trop sec. Le lieu de naissance de cette création culinaire serait le restaurant Shish Mahal à Glasgow. Il existe de très nombreuses variations de cette recette, d’autant plus qu’elle est dorénavant servie dans le monde entier. Son seul dénominateur commun est le poulet. 


Le poulet tikka masala est devenu si populaire auprès des Anglais qu’ils le considèrent comme un plat national ! 


Ingrédients de la pizza hawaïenne

La pizza hawaïenne

Cette célèbre spécialité n’a d’hawaïen que le nom. En effet, elle a vu le jour au Canada en 1962, dans le restaurant de Sam Panopoulos dans l’Ontario. C’est l’expérience de la cuisine chinoise, où l’aigre-doux est monnaie courante, qui serait à l’origine de cette audacieuse invention. En résumé : un immigré grec au Canada s’inspire de la cuisine chinoise pour introduire un fruit sud-américain sur un mets italien, devenu extrêmement populaire en Australie. Quoi de plus cosmopolite ? Rien de plus efficace pour promouvoir l’amitié entre les peuples et la paix dans le monde. 



Un président islandais dénommé Johannesson a déclaré en plaisantant qu’il adopterait volontiers une loi interdisant l’ananas sur les pizzas, alors que Justin Trudeau en a pris la défense (par nationalisme ?). Que l’on aime la pizza hawaïenne ou qu’on la déteste, il n’en demeure pas moins qu’on la trouve partout sur cette planète - et peut-être au-delà - en dépit de débats animés « pour ou contre » sur les réseaux sociaux. Pour ceux qui détestent cette recette, l’ananas est au coude à coude avec les anchois ou les aubergines. A noter qu’en Islande, on peut même trouver de la banane sur la pizza et en Russie du caviar. Il existerait même des versions sucrées (chocolat, guimauve-fraise ….) ailleurs dans le monde. Etant donné que ce plat n’est protégé par aucune AOC, chaque pays, chaque cuisinier est libre d’y mettre ce qu’il veut. Alors vogue la galère …. !



La pizza au kebab

Voici un autre exemple de fusion turco-suédoise, en faisant un crochet par l’Italie. Ce repas jouit d’une popularité sans pareille en Suède, au point d’être considéré comme un plat national. Tout comme le tacos français ou le döner kebab, il s’agit à nouveau d’une trouvaille d’immigrés venus du proche orient. La pizza au kebab fait dorénavant partie intégrante de la culture suédoise, à tel point qu’à l’occasion d’une prise d’otages dans une prison de Hällby, les conditions posées par les détenus étaient d’obtenir un hélicoptère et vingt pizzas au kebab - qu’ils ont obtenues.

La première pizzeria a vu le jour en Suède en 1947 à Västerås, suite à l’arrivée de 300 travailleurs italiens. Mais peu à peu, c’est la communauté moyen orientale qui a repris ce créneau, ce qui explique la naissance inéluctable de la pizza au kebab, vers 1982. Il est toutefois impossible de nommer un inventeur précis de ce délicat mets, arrosé d’une sauce au yaourt et épices, un peu comme le chicken tikka masala. Ces pizzas peuvent être agrémentées de frites, comme le tacos français. La pizza kebab « Viking » est pliée en deux, de sorte à ressembler à un drakkar. 


Cette création a essaimé un peu partout dans le monde, au point qu’il existe même des pizza au kebab surgelées. On pourrait peut-être envisager d’y ajouter quelques rondelles d’ananas ? Et pourquoi pas un peu de sirop d’érable pour agrémenter le tout ! A noter que la Suède tout entière mange de la pizza chaque année au 1er janvier, une spécialité dorénavant bien ancrée dans ce pays. 


Peut-on breveter une recette ? La réponse est non, mais peut-être oui quand même. Tout dépend des circonstances, notamment la difficulté d’identifier l’inventeur. 


https://www.nzz.ch/panorama/doener-kebap-ein-deutsch-tuerkisches-kulturgut-ld.1827698


Des producteurs turcs ont déposé une demande à Bruxelles pour que le kebab soit reconnu comme étant turc (Tribune de Genève, le 17.7.2024)

"Les Allemands veulent sauver leur plat national: le döner kebab. Ils en dévorent plus de 2,5 millions par jour! Aucun plat n’est plus vendu en Allemagne que ce sandwich né à Berlin dans les années 70. Le döner kebab, dont on a fêté les 50 ans en 2022, se mange plus que le Sauerkraut (choucroute), le Eisbein (jarret de porc) ou le Kartoffelsalat (salade de pommes de terre). ... Pour la «Fédération internationale de producteurs de kebab» (Udofed), qui a fait la demande de labellisation, cela a toujours été un plat turc. Elle prétend même détenir la «recette traditionnelle». .... 

Pour les Allemands, c’est une plaisanterie. «Le kebab existait avant 1923, date de la création de la Turquie». ... «C’est un produit de l’Empire ottoman, où les Turcs, les Grecs, les Albanais, les Juifs, les Arméniens, les Kurdes et les Arabes apprenaient les uns des autres pour leur cuisine. Le kebab, le gyros et le shawarma sont issus de cette culture», explique Eberhard Seidel. ... La Fédération des fabricants d’Europe (ATDiD), dont le siège est à Berlin, attribue l’origine de cette création à Kadir Nurman. C’est lui qui a vendu en 1972 le premier döner kebab au Zoologischer Garten, l’ancien terminus des trains grandes lignes de Berlin-Ouest.

.... En Allemagne, le sandwich représente plus de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 80’000 emplois. Car le german kebab est servi partout dans le monde, jusqu’en Chine. À New York, il est célébré comme une «spécialité berlinoise».

... Car le german kebab est servi partout dans le monde, jusqu’en Chine. À New York, il est célébré comme une «spécialité berlinoise».


jeudi 24 février 2022

Le Musée africain de Tervuren (Bruxelles, Belgique)


Le musée africain (dorénavant AfricaMuseum) a vu le jour en 1897, afin de présenter la section coloniale de l’exposition universelle de Bruxelles. Léopold II a fait construire un palais colonial sur les ruines d’un ancien château, dans le domaine de Tervuren. Aujourd’hui encore, le musée est entouré d’un immense parc et d’une forêt. L’exposition universelle permettait aux visiteurs de voir des objets ethniques, des animaux naturalisés, des produits africains à une époque où, rappelons-le, personne ne voyageait plus loin que le village voisin. Au vu de l’immense succès de cette exposition, le roi des Belges a fait construire un nouveau palais, l’actuel Musée africain, qui s’est d’abord appelé le Musée du Congo Belge (1908), puis Musée Royal d’Afrique Centrale à l’indépendance du Congo. L’AfricaMuseum a rouvert ses portes récemment (2019), après cinq années de travaux de rénovation et de décolonisation. 



Il faut être assez motivé pour aller visiter ce lieu, car il faut compter une petite heure pour y arriver, en prenant le tram 44 à la station de métro Montgomery. Rien ne vous indique que vous êtes sur le bon chemin, le site web du musée ne vous dit pas non plus à quel arrêt il faut descendre (le terminus). Il y a pourtant une halte qui s’appelle Musée du Tramway, après un autre arrêt qui s’appelle Léopold II. A l’arrivée, il faut avoir de bons yeux pour arriver à lire, en tout petit, AfricaMuseum sur une petite pancarte. Une fois dans le parc, à nouveau quasiment aucune indication quant à la direction à prendre. Voyant le pavillon de verre qui sert d’entrée au musée, j’ai tout d’abord cru qu’ils avaient poussé la décolonisation jusqu’à fermer le grand bâtiment néo-classique, j’ai même failli rebrousser chemin…. Mais non : un brillant architecte a eu l’idée originale de construire un long escalier très raide, très long et très blanc pour vous faire descendre de deux étages dans un long corridor qui évoque soit un hôpital soit un abri anti-atomique. Il faut évidemment remonter un escalier identique, très raide, très long et très blanc pour arriver au musée proprement dit, situé dans l’ancien palais. Le café et les toilettes se trouvant dans le pavillon moderne, cela décourage carrément de faire une pause pendant la visite. Une magnifique pirogue taillée dans un immense tronc en bois trône toute seule et sans la moindre explication ou mise en contexte dans ce hall aseptisé, morne et vide. Quelle tristesse !


L'Esclavage
Le reste est à l’avenant. Des objets africains sont certes exposés dans des vitrines, avec des explications sommaires écrites en petit, en blanc sur beige, sur des panneaux situés à la hauteur de vos cuisses. Quand on s’est accroupi environ 15 fois pour lire, en cherchant la version française, des textes peu intéressants, on y renonce assez rapidement. Une salle consacrée à la musique nous présente des musiciens congolais, avec leur photo, leur nom, le nom de leur groupe, sans doute pour nous apprendre qu’il y a des musiciens en Afrique. Scoop ! Une autre vitrine consacrée à l’indépendance du Congo, expose des photos d’Africains prenant la pose, en citant leurs noms.  Qu’est-ce que cela nous apprend ? Rien. Aucune information quant aux événements entourant l’indépendance, les muséographes se sont sans doute dit que tout le monde les connaissait ou alors que ce serait trop colonial d’en parler. Ailleurs on voit des bocaux de formol contenant des insectes, des araignées, des souris, un pangolin, des bébés tigres ou encore des papillons épinglés dans des cadres…. sans aucune explication. On devine qu’il s’agit là d’études scientifiques réalisées par les méchants blancs, donc : on n’en parle pas, parce que ce serait colonial. Les animaux empaillés datant de l’exposition universelle sont toujours là, heureusement, ainsi, ils ne seront pas morts pour rien. Le clou de la visite, selon moi, ce sont les statues qui décorent les murs de la rotonde, représentant soit l’Esclavage (un mauresque debout, un Africain à ses pieds) ou La Belgique apportant la Sécurité au Congo, mais dissimulées par des tentures. Autrement dit, ces statues sont visibles, ainsi que les panneaux indiquant leur titre, mais pas vraiment, puisqu’il faut aller les guigner sous le tissu qui les cache, en se tordant le cou.  


C’est au Musée Royal d’Afrique centrale qu’Hergé est allé trouver le matériel nécessaire à la création de Tintin au Congo. Mais évidemment, cette bande dessinée étant raciste et coloniale, il a été décidé que les statues et objets qui avaient permis cette abomination devaient être écartés de la vue des visiteurs. Peu importe qu’il s’agisse d’artefacts africains authentiques. Les objets considérés comme inappropriés sont regroupés dans une salle intitulée « Hors-jeu » , avec la mention « Les statues que l'on voit ici faisaient autrefois partie de l'exposition permanente mais n'y ont plus leur place aujourd'hui ».


Bien des visiteurs ayant écrit un avis sur Tripadvisor sont repartis déçus de leur visite. J’étais même un peu perturbée et cette sensation ne m’a pas quittée avant un bon moment. Je n’ai certainement pas tout vu, mais il me semble que le musée occulte l’histoire coloniale et on le quitte sans avoir appris quoi que ce soit. A quoi sert-il de censurer Tintin au Congo, si Léopold II continue de trôner en ville de Bruxelles et même dans le parc de Tervuren ? Comme le suggère un commentateur sur Tripadvisor, pour avoir un petit aperçu de l’Afrique à Bruxelles, il vaut mieux aller regarder les vitrines des marchands d’art africain à la place du Sablon ou alors aller se balader dans le quartier du Matongué (porte de Namur, chaussée de Wavre), où on trouve des commerces et des bistrots congolais, du manioc et du poisson séché ou encore des tissus wax et des postiches pour cheveux africains. 


Fresque dans le Matongué

Voir aussi : Tintin au Tribunal 

https://www.lepoint.fr/afrique/au-musee-tervuren-fenetre-d-afriques-a-bruxelles-05-08-2021-2437981_3826.php 


https://vivreabruxelles.be/africa-museum-musee-d-afrique-tervuren.html 


https://theconversation.com/a-tervuren-le-destin-contrarie-des-statues-de-leopold-ii-en-son-musee-141813


Monument à Léopold II dans le parc de Tervuren
The Congo I Presume


lundi 2 août 2021

Suisse-Luxembourg : match nul !


Le Luxembourg est une sorte de frère jumeau de la Suisse : ce sont deux petits pays sans ressources naturelles, mais qui sont bien plus prospères que tous les pays qui les entourent, grâce à une économie qui repose essentiellement sur le secteur tertiaire, plus précisément bancaire. Certains hôteliers luxembourgeois étaient très inquiets lorsque l’UE a introduit l’échange automatique des données, car ils voyaient s’écrouler tout leur secteur financer et, partant, toute leur clientèle. En effet, le secteur hôtelier du Grand-Duché dépend lourdement des hommes d’affaires et des institutions européennes. Néanmoins, tout comme la Suisse, le Luxembourg est insubmersible et reste d’une insolente prospérité. Le Luxembourg compte actuellement 43.000 millionnaires1), pas mal, pour un pays de 635.000 habitants. Lorsque le Conseil fédéral a mis un terme aux discussions autour de l’accord institutionnel avec l’UE, d’aucuns ont fait remarquer que le Luxembourg, membre de l’UE, ne semblait pas souffrir plus que ça des règles et des législations européennes.



Les deux pays sont multilingues, avec un dialecte germanophone parlé par la majorité de la population autochtone : le
schwytzertütsch pour les uns, le luxembourgeois pour les autres. Ces deux dialectes restent relativement hermétiques même pour quiconque maîtrise le Hochdeutsch. Les deux pays ont tous deux connu une forte immigration italienne dans les années -50-60 et cette population s’est totalement intégrée et fondue dans le paysage. Tous les jours, de nombreux frontaliers traversent les frontières des deux pays pour venir travailler et les Portugais sont représentés en grand nombre. Le niveau de vie est très élevé, les prix de l’immobilier n’ont rien à envier à ceux des grandes villes de Suisse, mais il suffit d’aller s’établir de l’autre côté de la frontière pour se loger moins cher. Toutefois, le Luxembourg a les moyens d’offrir les transports publics, qui sont gratuits partout pour tout le monde, même les trajets en train, dans tout le Grand-Duché. Il est vrai qu’ils n’ont pas de montagnes, donc pas de tunnels à creuser, pas de réseau à entretenir face à la glace et à la neige et le pays est très petit - par conséquent, les distances sont courtes ! Ils ont dû estimer que les économies faites sur les automates et leur entretien, les billets, les calculs mathématiques pour les différents tarifs et abonnements, ainsi que les salaires des contrôleurs et les frais administratifs pour les amendes en valaient la peine. A méditer…. surtout si on veut encourager les gens à renoncer à la voiture. 



A Genève, nous avons de nombreux expats qui travaillent pour de grandes sociétés multinationales ou pour les organisations internationales. Au Luxembourg, ils ont les fonctionnaires européens, ainsi que tous les stagiaires et autres personnels qui gravitent autour de ces institutions. Ces univers cosmopolites ne se mêlent que très peu à la population locale, d’autant plus qu’au Luxembourg, les enfants peuvent aller à l’école européenne, chacun dans sa langue, et vivre ainsi dans une bulle parfaitement isolée du pays hôte. De leur côté, les Luxembourgeois aiment aussi rester entre eux et la maîtrise du luxembourgeois joue assez efficacement le rôle de shibboleth2), c’est-à-dire de filtre qui exclut ceux qui n’appartiennent pas au clan. 


La ville de Luxembourg comporte trois zones, très différentes les unes des autres. Tout d’abord le Kirchberg, qui regroupe les institutions européennes et les sociétés de type bancaire, consulting et consorts, et qui est un univers froid de buildings en verre et en acier. Ensuite, il y a le vieux centre, son quadrillage de rues avec des boutiques chic, ainsi qu’un dédale de ruelles animées d’innombrables bars et restaurants, ainsi que la pittoresque basse ville, Grund. Enfin, le quartier de la gare, qui est … un quartier de gare, en voie de gentrification, surtout depuis qu’il est desservi par un magnifique tram (gratuit ! et qui passe toutes les 4 minutes !). Comme Genève, qui a créé un concept d’agglomération franco-valdo-genevoise, autrement dit « le Grand Genève », le Luxembourg a sa « Grande Région », qui englobe la Sarre, la Rhénanie-Palatinat, la Wallonie belge, la Lorraine ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg, dans un esprit de coopération politique et économique. 



Nos deux pays sont situés au cœur du continent européen, mais ils sont si petits et discrets qu’on les oublierait presque (sauf lors de huitièmes de finale à l’Euro de football - mais ceci est une autre histoire). La Suisse est réputée pour ses montres, son chocolat et Roger Federer, le Luxembourg… hm… est connu pour nous avoir donné Jean-Claude Junker et Stéphane Bern. Les touristes venus d’Extrême-Orient qui visitent l’Europe en 72 heures monteront au Jungfraujoch, mais ne s’arrêteront certainement pas au Luxembourg. Nous n’avons sans doute pas d’aristocrates, mais nous avons de magnifiques paysages. Qui donc irait passer ses vacances au Grand-Duché de Luxembourg3) ?


Prospérité, tranquillité et sécurité, qualité de vie, atmosphère propre en ordre, situation centrale et entourée de plusieurs grand pays européens, entre la Suisse et le Luxembourg, c’est véritablement match nul !



  1. http://www.lessentiel.lu/fr/economie/dossier/ecolux/news/story/pres-de-43-000-millionnaires-au-luxembourg-11249727
  2. Un schibboleth, en hébreu : שִׁבֹּלֶת1, prononcé [ ʃibɔlɛt] en français, est une phrase ou un mot qui ne peut être utilisé – ou prononcé – correctement que par les membres d'un groupe. Il révèle l'appartenance d'une personne à un groupe national, social, professionnel ou autre. Autrement dit, un schibboleth représente un signe de reconnaissance verbal  https://fr.wikipedia.org/wiki/Schibboleth
  3. https://www.visitluxembourg.com/fr 



Suisse


Population totale :  8 603 900

Superficie  :  41 285 km2

Densité  :  208 hab./km2 


PIB par habitant en parité de pouvoir dachat  :

58 086,211 USD

Indice de développement humain  (IDH) :  0,944

2ème pays dans le classement IDH du PNUD


Source : Wikipedia


Travailleurs frontaliers : 112.000


OECD PIB  2016-2020

71.298 USD per capita

https://data.oecd.org/fr/gdp/produit-interieur-brut-pib.htm

Luxembourg


Population totale :   634 730 hab.

Superficie :     2 586,4 km2

Densité :   245 hab./km2 


PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat  :  

114,825 USD

Indice de développement humain  (IDH)  :  0,904

21ème pays dans le classement IDH du PNUD


Source : Wikipedia


Travailleurs frontaliers à Genève : 100.000 (2022


OECD PIB  2016-2020

118.582 USD per capita

https://data.oecd.org/fr/gdp/produit-interieur-brut-pib.htm




2023



Points communs entre la Suisse et Luxembourg, selon des extraits d'un article paru dans Le Figaoro le 14 novembre 2021


Salaires plus élevés, allocations familiales généreuses… Le Luxembourg aspire les compétences et les contributions sociales de 112.000 travailleurs frontaliers résidant dans le Grand Est et qui vont « bosser au Lux ». Sans donner de compensation fiscale aux communes françaises, pénalisées par ce qu’elles qualifient d’«un pillage».

D’ici vingt ans, ce territoire pourrait compter 160.000 travailleurs frontaliers .… L’accès à cet eldorado a bien souvent un coût, celui du temps passé dans les bouchons. 

La mobilité des frontaliers français était un des principaux points au menu de la sixième commission intergouvernementale pour le renforcement de la coopération transfrontalière … L’enjeu est de taille car les Français, mais aussi les Belges et les Allemands, représentent presque la moitié de sa main-d’œuvre salariée, soit 213.000 emplois. ….. le Luxembourg apparaît comme un pays de cocagne. Plus de la moitié des actifs de la communauté d’agglomération de Longwy, en Meurthe-et-Moselle, y travaillent. ….

Elle [une infirmière] a dû encaisser les quarante heures de travail hebdomadaires, mais son exercice en horaires décalés lui épargne les problématiques de transports. Passée à 80 %, cette célibataire gagne deux fois plus qu’auparavant et trouve légitime de payer ses impôts au Grand-Duché. …. Notre tissu économique est quasi inexistant, les artisans préférant ouvrir leurs entreprises côté luxembourgeois.

Elle [une agence d’urbanisme] parle de rapport «gagnant-perdant», citant en exemple le cofinancement par le Luxembourg d’un parking relais destiné au covoiturage aménagé à Metzange, dans l’aire urbaine de Thionville. L’agence juge que l’investissement est réalisé au seul bénéfice du développement économique du Luxembourg, puisque ses 750 usagers devraient lui rapporter 154 millions d’euros en impôts, cotisations et taxes sur dix ans, alors que sa construction et son exploitation coûteront 4,8 millions d’euros au contribuable français. (A Genève, le financement par la Suisse de parking-relais en France a été refusé en votation populaire - ce qui a provoqué moult cris d’orfraie et accusations de racisme anti-frontaliers).

Le chef du gouvernement [luxembourgeois] a admis que, sans la libre circulation des travailleurs frontaliers pendant les périodes de confinement, «notre système de santé se serait effondré». … Le Grand-Duché recrute un tiers des 350 infirmiers qui sortent chaque année de nos instituts de formation. C’est une logique de pillage, pas de partenariat intelligent. 

Vincent Hein, économiste au sein de la Fondation Idea, un think-tank de la Chambre de commerce de Luxembourg, estime cependant que «le Luxembourg n’a pas d’autres choix que d’investir dans les territoires frontaliers pour qu’ils restent attractifs dans l’intérêt de son propre développement. Si un habitant de Montpellier n’a pas envie d’habiter à Thionville, ce n’est pas un problème pour la France, c’est un problème pour le Luxembourg».