lundi 27 décembre 2010
Opération Nez Rouge
Depuis quatre ans maintenant, je participe chaque année en décembre, au moins une fois, à l’Opération Nez Rouge, qui consiste à reconduire chez eux des personnes qui ne se sentent plus capables de conduire, que ce soit à cause de l’alcool, de médicaments, de fatigue ou pour toute autre raison. Chaque année, je revois des visages connus, car l’Opération Nez Rouge finit par devenir une sorte de grande famille et, pour certains, une véritable drogue. La règle veut qu’on ne fasse pas plus de trois nuits consécutives, mais certains font le maximum admis, quitte à devenir téléphoniste ou aide-cuisinier 1). Cette année, un participant avait le pied gauche dans le plâtre. Pas de problème : il conduit une automatique !
Il est vrai que cette Opération a un certain charme, un certain parfum d’aventure et de découverte, qu’il s’agisse de ses camarades d’équipes, des "clients" 2) que l’on reconduit chez eux ou des coins perdus du canton ou de France voisine dont on ne soupçonnait pas l’existence. Une équipe Nez Rouge est formée de trois personnes : l’accompagnateur (secrétaire), le conducteur Nez Rouge, qui nous conduit vers les clients et le conducteur-utilisateur, c-à-d celui qui se met au volant de la voiture du client. Ce microcosme forme une cellule qui, étonnamment, fonctionne très bien, malgré des personnalités forcément différentes et une collaboration entre parfaits inconnus. Il y a les maniaques de la carte qui rechignent à utiliser le GPS ou ceux qui connaissent le canton comme leur poche, mais il n’y a jamais de flemmards ou de personnes totalement désorganisées. En effet, les caractériels dépressifs, égoïstes et agressifs ne sont généralement pas prêts à passer une nuit blanche à se mettre bénévolement au service d’autrui. Et surtout : tout le monde est parfaitement honnête, il y a une ambiance immédiate et évidente de confiance mutuelle, un pacte de non-agression tacite, on se tutoie, on ne se moque pas d’autrui, peu importe sa dégaine, sa tronche, son embonpoint ou son Q.I. et, mon dieu, comme c’est agréable !
On trouve autant d’hommes que de femmes parmi les bénévoles et de tous les âges. Ce qui me frappe toutefois, c’est une très nette majorité de Genevois ou du moins de Suisses. Si vous vous demandez où trouver l'homo genevensis, eh bien venez donc faire Nez Rouge ! L’ambiance est plutôt popu, mais toutes les professions et tous les looks sont représentés. Personnellement, ce qui me plaît tant dans cette expérience, c’est de rencontrer des gens que je ne croiserais jamais autrement, qu’il s’agisse de mes partenaires d’équipe ou des clients, mais aussi de découvrir des itinéraires ou des lieux inconnus. Combien de fois ai-je décidé de retourner, de jour et de ma propre initiative, dans ces coins de campagne ou ces restaurants où nous nous rendons!
Il fait souvent bien froid pendant les nuits de décembre, nous avons à affronter la neige et le verglas, mais jamais de clients agressifs ou désagréables. Les gens qui font appel à Nez Rouge ont plutôt le vin gai et ne cessent de nous remercier et de nous dire à quel point nous sommes formidables. Commes ces jeunes que nous avons reconduits vers un village du Mandement; l’un d’entre eux disait qu’il allait faire comme nous l’année prochaine, à quoi son copain a rétorqué : oui, mais alors faut pas être fils de vigneron – hips !
Les courses sont gratuites et bénévoles, mais les usagers donnent généralement un pourboire qui est reversé à une bonne cause 3). L’Opération, quant à elle, est sponsorisée par différentes entreprises, assurances etc… et les voitures sont mises à disposition par l’UPSA 4). A ma connaissance, il n’y a jamais eu d’accident alors que personne ne vérifie nos compétences en matière de conduite. Nous devons toutefois présenter notre permis chaque fois que nous venons.
Cette année, je n'ai pu faire que la nuit de Noël, mais qu’importe, Nez Rouge revient toujours fidèlement en décembre. J’apprends plein de choses à chaque fois et c’est une façon originale de passer le réveillon, loin des convenances et de l’obligation de faire la fête.
http://www.nezrouge-geneve.ch/
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1) Il n’est pas permis d’être au volant plus de deux nuits consécutives
2) L’opération est bénévole
3) www.hopiclowns.ch et www.sport-for-life.ch
4) Union Professionnelle Suisse de l’Automobile
samedi 25 décembre 2010
La Veuve Joyeuse de Franz Lehár
Quelle merveilleuse soirée que cette représentation de la Veuve Joyeuse au Grand Théâtre de Genève ! On m’avait dit pis que pendre de la mise en scène – "ils sont dans un bunker tout le long" – alors que les décors représentent un lieu monumental qui n’est pas sans rappeler le Palais des Nations. Une architecture fasciste, certes, mais n’oublions pas que nous sommes au Ponténégro et que le pays va très mal…
L’œuvre ressemble quelque peu à la Belle Hélène, je me sentais donc en terrain connu : un pays au sud-est de l’Europe, au bord de la banqueroute; il y est beaucoup question d’adultère et de stratagèmes plus ou moins foireux pour sauver la patrie. L’air Femmes ! Femmes ! Femmes ! se prête très bien à un french cancan et on sent qu’Offenbach n’est pas bien loin. La veuve chante l’air de Vilja en nuisette – les metteurs en scène adorent déshabiller les sopranos – mais cela se justifie dans la mesure où elle vient de se substituer à une épouse infidèle. Enfin, les grisettes de chez Maxim’s sont en guêpière et remuent leur popotin. L’intrigue se déroulant dans un pays imaginaire mais néanmoins vaguement balkanique, les personnages parlent parfois en une sorte de sabir slave et s’interpellent par des Gospodin ! Gospodina ! ce qui signifie "seigneur" ou "monsieur" en russe. Tout le spectacle était d’ailleurs multilingue, un mélange entre les versions allemande, française et anglaise. Valencienne, l’épouse du baron Mirko Zeta (José van Dam) était chantée par Jennifer Larmore. Américaine à l’extrême, elle chante, moulée dans une longue robe argentée qui scintillait de mille feux, un air dans le style de Broadway, A Foolish Heart de Kurt Weill, au début du bal. Il s’agit d’un rajout à l’œuvre, mais qui s’y intégrait très bien.
La soirée a été marquée par un de ces contes de fées qui se produisent parfois à l’opéra : le rôle-titre était souffrante et a été remplacée in extemis par une Veuve importée de Vienne, la merveilleuse Elisabeth Flechl. Elle connaissait bien évidemment la partition, mais elle a dû apprendre la mise en scène au grand galop et il a sans doute aussi fallu lui coudre fissa des costumes à ses mesures, fort généreuses au demeurant. Elle doit toutefois assurer la première d’un autre opéra à Vienne le 27 décembre et le Grand Théâtre a dû dénicher une deuxième Veuve de secours, qui aura à peine le temps de répéter ses mouvements. On m’a dit qu’elle apprenait son rôle à l’aide d’une vidéo. Voilà encore un métier qui ne se repose pas pendant les Fêtes de fin d’année !
La Veuve Joyeuse de Franz Lehár a été créée à Vienne en décembre 1905 et connaît un succès inoxydable depuis. Il existe cinq adaptations au cinéma, notamment par Ernst Lubitsch et Eric von Stroheim. La Veuve, Hanna Glawari, ayant hérité de vingt millions au décès de son mari, le baron Mirko Zeta cherche à la pousser dans les bras d’un Ponténégrin, pour que cette fortune reste au pays et le sauve de la faillite. Gospodina Glawari choisira évidemment celui qu’elle cherche à éviter pendant deux heures, Danilo Danilovitch, dont la devise est "aime beaucoup, fiance toi un peu, mais ne te marie jamais !" On devine qu’ils se sont connus autrefois et Danilo l’aime malgré ses millions. Ah ! c’est beau, l’amour ! Surtout à l'opéra...
http://www.geneveopera.ch/
jeudi 23 décembre 2010
L’envers du décor
Depuis la rentrée de septembre, mes semaines sont cadencées par une alternance de répétitions chorales. Je me suis plongée dans différentes œuvres, Dvorak, Poulenc, mais celle qui prend désormais tout mon temps, qui me remplit la tête et les oreilles, c’est la Belle Hélène d’Offenbach. Un des chœurs auxquels je participe s’est lancé dans cette folle aventure. Nous n’avions aucune idée de l’engagement que cela allait demander ni du temps que ça allait prendre. Nous sommes maintenant à un mois du spectacle et à la veille d’une dangereuse pause de fin d’année, au cours de laquelle nous risquons d’oublier tout ce que nous avons assimilé. En janvier, nous allons devoir répéter tous les soirs, puis assurer quatre représentations, ce qui représente deux semaines et demie de travail intense.
L’apprentissage de l’œuvre se fait en plusieurs étapes et selon différentes formules. D’abord celle de la répétition classique: assis par voix, la partition sous les yeux et avec le chef au piano. On chante ensuite mélangés, avec puis sans partition, en marchant, en bougeant les bras. Puis, la mise en scène vient compliquer le tableau: il faut maintenant chanter par cœur, mélangés, en faisant des déplacements et des chorégraphies, tout en faisant des mimiques (l’étonnement, la colère), en agitant éventuellement des objets, en faisant semblant de boire ou encore de jouer aux cartes. Evidemment, le jour où on répète avec l’orchestre, le château de cartes s’écroule et il faut tout recommencer: on se rassied par voix, avec la partition sous les yeux. Selon l’acoustique du lieu, on ne reconnaît pas les départs, on ne trouve plus nos notes, on n’entend plus l’harmonie.
C’est l’occasion aussi d’apprendre quelques ficelles du métier de comédien : toujours regarder le public, ne jamais rester en carafe, c’est-à-dire bêtement debout, les bras ballants, l’air de ne pas savoir ce qu’on doit faire. En cas d’erreur ou d’oubli, assumer à mort et faire croire que c’était écrit dans le scénario. Toujours vivre la situation, quitte à se la raconter mentalement, pour faire croire qu’on est un citoyen grec ulcéré ou un noble en train de faire ripaille. Garder un œil sur l’ensemble de la troupe, afin d’éviter de laisser des trous sur la scène ; dans ce cas-là, se déplacer discrètement pour mieux répartir la foule. Et je vais enfin me rappeler de quel côté sont Cour ou Jardin.
Nous avons reçu nos costumes : une simple tunique qui sera agrémentée de différents accessoires (ceinture, voile) selon le rôle que nous représenterons. Il reste encore à apprendre la discipline en coulisses, c’est-à-dire sortir de scène rapidement, en incarnant son personnage jusqu’au bout, se taire et changer de costume à la vitesse grand V, sans mettre sa culotte à l’envers. Nous serons bien sûr maquillés, les femmes porteront du rouge à lèvres rouge vif, je me réjouis déjà !
Avec tous les éléments qui se mettent lentement en place, l’œuvre commence à prendre forme, à prendre vie. A force d’entendre la musique, les solistes, les interventions du chœur, le tout commence à avoir un sens, même si nous répétons les différents passages dans le désordre et avec de grands trous dans la narration. En effet, nous ne découvrirons l’œuvre dans sa totalité et dans son déroulement chronologique que dans les derniers jours avant la première.
Nul ne sait encore à quoi ressemblera le produit fini. Ce sera peut-être un succès qui cassera la baraque ou alors une triste parodie au comique involontaire. Je vote bien sûr pour la première option. Quoi qu’il en soit, je m’amuse beaucoup avec cette expérience nouvelle. Je viens sans doute d’ajouter une nouvelle corde à mon arc, une plume à mon chapeau et, qui sait, peut-être vais-je être piquée par le virus de la scène. Ce ne sont pas les occasions qui manqueront de brûler les planches à nouveau.
La Belle Hélène de Jacques Offenbach, à l’Alhambra de Genève, du 20 au 23 janvier 2011
samedi 11 décembre 2010
Relais, pivots et retours (2)
En 1995, l’Union européenne a accueilli trois nouveaux Etats membres, l’Autriche, la Suède et la Finlande, passant ainsi de douze à quinze membres. Le régime linguistique est, quant à lui, passé de neuf à onze langues, l’Autriche partageant la même langue que l’Allemagne. Quoique… l’autrichien mériterait presque d’avoir sa propre cabine (voir ci-dessous). En 2004, ce sont dix nouveaux Etats qui ont rejoint le giron de l’UE, apportant par la même occasion dix nouvelles langues à cette véritable tour de Babel.
On pensait que ça ne marcherait jamais, que ce serait ingérable et pourtant…. Ça tourne ! Evidemment, le lituanien passif 1) ne courant pas les rues, ce sera la cabine lituanienne qui "fera le retour" 2), en général vers l’anglais, souvent vers l’allemand, parfois vers le français. Un nombre tout à fait respectable de collègues a fait l’effort d’apprendre le polonais ou le hongrois, ce qui n’est pas une mince affaire. On trouve donc souvent un pivot 3) pour le polonais ou le hongrois en cabine allemande, anglaise voire espagnole. D’autres courageux s’attaquent hardiment au tchèque ou à l’estonien. Les free lance investissent leur temps et leur argent pour acquérir ces langues, sans avoir la moindre garantie de recrutement en retour. Dans les faits toutefois, celui qui maîtrise une ou plusieurs langues dites "de l’élargissement" peut compter sur des engagements réguliers dans les institutions européennes. Le salaire quotidien est le même pour tous, indépendamment du nombre de langues.
Les interprètes de l’UE ont quasiment tous quatre langues passives. Certains en ont six ou sept, voire davantage. Ce sont souvent des langues proches (italien, espagnol, portugais), mais pas forcément. Certains ont, en plus du français et de l’anglais, le néerlandais, le grec et le danois, par exemple ; ou encore le polonais, le suédois et l’italien. Etrangement, tous les collègues de cabine tchèque ont le slovaque et tous les Slovaques ont le tchèque. D’autres ont des combinaisons linguistiques impressionnantes, avec le serbe, le bosniaque, le croate et le serbo-croate 4) (en sus de l’anglais etc…)! C’est pourquoi l’autrichien pourrait parfaitement avoir sa propre cabine. D’ailleurs, le luxembourgeois est dorénavant une langue de travail au Comité des régions. On trouve aussi du catalan ou du galicien, langues qui acquerront sans doute bientôt un statut officiel.
Le gaélique est une des langues officielles, mais uniquement en séance plénière du Parlement européen et uniquement en « passif » (pas de cabine gaélique). Il y aura ainsi deux interprètes – en règle générale, des Irlandais – qui attendent patiemment qu’un député européen prononce quelques mots dans cette langue qu’ils sont bien les seuls à comprendre. Ce qui arrive environ une fois par semaine et ils sont alors dans un tel état de stupeur dû à l’attente interminable qu’ils ne réagissent pas à temps et l’intervention passe à la trappe. De toute façon, les discours en gaélique se limitent en général à Bonjour et Merci, étant donné que c’est quasiment une langue morte ; le délégué passe ensuite à l’anglais. On n’entend pas souvent le maltais non plus. La Commission européenne a eu toutes les peines du monde à trouver des interprètes anglais-maltais et retour, étant donné que Malte est une destination pour des cours d’anglais. Ces collègues-là n’ont, en général, que l’anglais dans leur combinaison linguistique. Tout ceci est dû à des considérations politiques, qui n’ont rien à voir avec une bonne gestion économique. Idem pour les cabines tchèques et slovaques. Lorsque les pays de l’ex-Yougoslavie adhéreront à l’Union européenne, il y aura bien sûr une cabine pour chacun des avatars du serbo-croate.
Parmi les langues passives à l’UE, on trouve aussi le russe, l’arabe, le turc ou le serbo-croate (et tous ses dérivés), car il arrive parfois que ces langues-là soient utilisées dans les réunions des institutions européennes lorsqu’il s’agit de relations avec les pays correspondants.
Les vingt-deux langues actives utilisées lors des séances plénières du Parlement européen sont : l’allemand, l’anglais, le bulgare, le danois, l’espagnol, l’estonien, le finnois, le français, le grec, le hongrois, l’italien, le letton, le lituanien, le maltais, le polonais, le portugais, le néerlandais, le roumain, le slovaque, le slovène, le suédois, le tchèque – plus le gaélique passif. A raison de trois personnes par cabine, cela fait soixante-six interprètes par tranche de travail. Les séances plénières étant très stressantes, la relève se fait au bout de deux heures. Deux équipes le matin, les mêmes deux équipes l’après-midi, une troisième pour la soirée, voire encore une quatrième, si la séance se prolonge jusqu’à minuit, ce qui n’est pas rare. Ce qui vous fait quatre fois soixante-six5) interprètes par jour de session et le catalan et le galicien viendront bientôt étoffer les rangs. Il y a de quoi avoir le vertige !
Dans les autres réunions (commissions parlementaires, groupes de travail, etc…) le nombre de langues représentées dépendra des délégués qui y participant.
Au début d’une réunion de l’Union européenne, nous commençons par repérer quels sont les retours et les pivots. Si la cabine roumaine fait un retour vers le français, nous devons nous taire et éviter d’occuper ce canal en allant chercher le roumain en relais sur une autre cabine.
Vous me suivez toujours ?
Eh oui, les conférences hyper-multilingues sont rocket science !
NB : la composition des équipes est assistée par ordinateur, mais il faut malgré tout tenir compte du facteur humain. Un véritable travail de titan, comparable au Rubik’s Cube.
Texte paru dans la revue Hieronymus (décembre 2010) www.astti.ch
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1) Langue que l’interprète comprend et qu’il traduit vers sa langue maternelle
2) Voir Relais, pivots et retours (1); l’interprète traduit de sa langue maternelle vers une langue étrangère qu’il maîtrise parfaitement.
http://tiina-gva.blogspot.com/2010/09/relais-pivots-et-retours-1.html
3) Voir Relais, pivots et retours (1); interprète qui comprend une langue donnée et sur lequel les autres interprètes se branchent s’ils ne comprennent pas ladite langue. Ainsi, si je ne comprends pas le polonais, j’écouterai alors le canal de la cabine – par exemple – allemande pour suivre l’interprétation que fait mon collègue à partir du polonais. Cela s’appelle "prendre le polonais en relais sur la cabine allemande".
4) Ces langues ne sont pas encore des langues officielles, mais elles figurent néanmoins au palmarès des interprètes qui les ont.
5) 68, si on compte les deux pivots pour le gaélique
lundi 6 décembre 2010
Les forces de la nature
En avril dernier, on a redécouvert la slow-motion et le rythme du bon vieux temps avec l’éruption de l’Eyjafjallajökull, mieux connu sous le petit nom de "volcan islandais", tellement plus facile à retenir et à prononcer. Les avions sont restés cloués au sol, des réunions ont été annulées les unes après les autres et chacun avait un récit d’aventures rocambolesques à raconter. D’aucuns prenaient le taxi de Stockholm à Naples, d’autres passaient par Madrid pour aller de Londres à Varsovie et nul ne savait combien de temps cela allait durer. Et quand ça a été fini, tout le monde a poussé un immense soupir de soulagement avant de remonter aussitôt dans un avion.
Et voilà que c’est la neige qui est venue nous rappeler qu’il vaut mieux rester humble face aux forces de la nature. Un peu partout en Europe, la neige a réussi à tout paralyser. Elle a fait encore plus fort que l’éruption volcanique : cette fois-ci, il n’y avait pas que les avions qui étaient bloqués, mais aussi les routes et les voies ferrées. La seule façon d’aller de A à B était la bonne vieille marche à pied, à petits pas prudents pour ne pas se casser le poignet ou le col du fémur. On voyait bien quelques hardis inconscients rouler à vélo ou en scooter, mais ils n’étaient pas bien nombreux. Les voitures non-équipées de pneus neige n’allaient pas très loin sans froisser de la tôle. Quant aux transports publics, quel désastre ! Les trams circulaient dans une certaine mesure, mais les bus ont mis environ 48h pour s’adapter à la nouvelle donne. Et tout comme dans le cas du volcan, il était difficile d’estimer combien de temps ce petchi allait durer.
A nouveau, chacun y allait de sa petite anecdote ou de son récit d’aventures : ceux qui se sont levés à 4h du matin pour attrapper l’avion de 7 :00, celui de la veille ayant été annulé ; ceux qui sont allés travailler à pied, quitte à marcher 5 ou 10 km ; ceux qui ont choisi de passer la nuit chez des amis, sachant qu'ils ne pourraient pas rentrer chez eux ni en ressortir ; ceux qui renonçaient à aller là où ils devaient aller, sachant que ce qu’ils allaient faire allait être annulé de toutes façons ; la peur de réussir l’aller mais de rater le retour en restant bloqué ; réunions et conférences reportées, faute de participants ; et le courrier postal qui est resté en rade quelque part en rase campagne.
Le redoux est enfin arrivé, mais une journée à 8° n’est pas encore parvenue à faire fondre toute la neige accumulée. Pendant une semaine, nous avons tous été contraints de revoir notre rythme de vie, de renoncer au superflu et de nous concentrer sur l’essentiel ; ralentir les compteurs, ne plus croire que l’immédiat doit fonctionner sans heurts ni retards ; échafauder des plans B pour se passer de ce dont la neige nous a privés et se débrouiller sans.
Quel sera le prochain cataclysme à nous tomber sur la tête ? On nous annonce des inondations, la pluie ayant maintenant succédé à la neige. Pourquoi pas une tempête de sable ? Ou une tornade ? Un nuage de criquets pélerins ? Pendant une semaine, nous sommes tous devenus des Anglais, à ne parler que du temps qu’il fait. Eh oui ! Dans nos logements et nos bureaux chauffés l’hiver et climatisés l’été, on a tendance à oublier qu’on est bien peu de choses sans nos bottes, nos parapluies, nos doudounes ou, à l’inverse, sans nos lunettes de soleil et nos crèmes solaires.
C’est à se demander ce qui est moins pire (ou pire grave comme diraient les djeuns): les grosses chaleurs ou les grands froids. Un peu comme si on devait choisir entre la cécité et la surdité. Il semblerait que le froid et la cécité soient moins durs à supporter que la canicule et la surdité. Il vaut la peine d’y réfléchir, des fois qu’on vous placerait devant ce choix cornélien au Jugement Dernier.
Grosses chutes de neige à Genève et partout en Europe, du 27 novembre au 5 décembre 2010. L’aéroport est resté fermé du mardi soir au jeudi matin ; mardi soir encore, les bus sont rentrés au dépôt, leur circulation ne pouvant plus être assurée sans danger. Des trains ont été annulés et des branches d’arbre se sont brisées sous le poids de la neige. L’hôpital a dû réquisitionner trois salles d’opération supplémentaires et faire des heures supplémentaires pour soigner les fractures. Mais fort heureusement, la Course de l’Escalade n’a pas dû être annulée : la voirie a travaillé une bonne partie de la nuit pour dégager le parcours. Comme quoi, on arrive à déblayer quand c’est vraiment important !
Enfin quelques conseils de bon sens : ne sortir que si c’est nécessaire, ne pas téléphoner en marchant, éviter les escarpins (j’en ai vus !) et regarder où on met les pieds. C’est pourtant simple…
http://www.courrierinternational.com/depeche/newsmlmmd.840d7a82567a8477c9a79365af5a5ac7.291.xml