Les films nous racontent des histoires selon un langage codé que nous avons tous appris à décrypter. Le style de narration a changé au fil des ans, le rythme aussi, mais certains clichés sont inoxydables, je pense même que cela nous manquerait s’ils venaient à disparaître. Dans les vieux films, on voyait toujours des unes de journaux qui défilent dans les rotatives ou alors qui s’affichent après avoir effectué plusieurs tours, comme pris dans un tourbillon. C’est sans doute Orson Welles et Citizen Kane qui ont lancé cette mode. De nos jours, on ne voit plus des pages de calendrier qui s’effeuillent, une à une, pour signifier le temps qui passe, on a trouvé d’autres astuces, comme l’arbre qui perd ses feuilles puis reverdit en accéléré. Imaginons ce que donnerait un film entièrement constitué de clichés et de codes bien connus :
Une ville, une rue, au loin, la Tour Eiffel : nous sommes à Paris. Une voiture s’avance, le pare-brise absolument nickel, les frondaisons des arbres s’y reflètent si bien qu’on voit à peine les personnages qui se trouvent dans l’habitacle. Ladite voiture parvient à se garer, du premier coup, exactement devant la bonne porte. Un inspecteur de police, gros (donc sympathique) et afro-américain s’il s’agit d’un film américain, sonne à la porte. Les personnages officiels sonnent à la porte, les amis quant à eux frappent, même si la sonnette a déjà été inventée et qu’elle fonctionne. A l’intérieur, un écrivain au travail, soit sur une machine à écrire mécanique, soit sur un Apple (avez-vous remarqué que les ordinateurs sont toujours et ostensiblement des Mac ?). Il ôte ses lunettes, dont les verres sont parfaitement plats et d’une propreté chirurgicale, ouvre la porte tout grand, sans regarder par le judas, des fois que ce serait un tueur à la tronçonneuse. Il fait entrer le flic, personne ne referme la porte. Ils boivent du café dans des tasses vides, d’ailleurs ils n’avalent même pas.
Breakfast at Tiffany's |
Ils vont chez la femme et font l’amour, debout dans la cuisine ou ailleurs, mais tout habillés et en coup de vent, surtout sans préliminaires. La femme confie a) une liasse de lettre reliées par un ruban (franchement : qui fait ça ???) ou b) une mallette contenant des billets de 1000 bien rangés. A ce moment-là, le téléphone sonne, le répondeur s’enclenche tout de suite et tout le monde, spectateurs inclus, entend le message. Ce n’est jamais la maman qui appelle pour demander si tu viens manger dimanche. Il doit partir d’urgence avec a) la liasse de lettres ou b) la mallette pleine de billets. Les deux personnages se séparent sur le quai d’une gare, ils se font tremper par une pluie diluvienne, mais peu importe, ils s’embrassent langoureusement. La femme dira peut-être I love you Daddy, figure obligée de tout film américain.
Décor de western à Almeria (1982) |
Et cætera…. Vous avez sûrement, vous aussi, un téléphone sur votre table de chevet, pour les occasions où il sonne au milieu de la nuit, juste après votre orgasme. Aux Etats-Unis, ils n’ont toujours pas inventé les sacs de courses qui auraient des anses, non, ce seront toujours des sacs en papier kraft, toujours au nombre de deux et pleins à craquer, qui vous remplissent les mains et vous rendent complètement handicapé. Dans les films jusqu'aux années -60, quand un homme et une femme se détestent au début du film, on peut être relativement certain qu’ils vont tomber amoureux l’un de l’autre. Le héros peut recevoir 250 balles et rester en vie, à peine égratigné, à peine décoiffé. Dans les postes de police ou les bureaux de presse, on explique la mission à accomplir en marchant à toute berzingue dans des corridors bondés.
Le Magnifique de Philippe de Broca (1973) |
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Tous les clichés du cinéma
: Répertoire malicieux des poncifs et invraisemblances du 7e Art, par Philippe
Mignaval.
Editions
Fetjaine, 2012, ISBN-10: 2354253338