On sait bien que les titres de romans ou de films ne doivent pas forcément être traduits à la lettre. On constatera toutefois que les traducteurs des autres langues ont cru déceler une certaine intention stylistique chez l’auteur, qui a délibérément choisi un titre long et compliqué. En français, il reste long et compliqué, alors pourquoi diable l’avoir transformé à ce point? Serait-il impossible d’intituler ce roman: Le centenaire qui sauta par la fenêtre et disparut? Tant qu’à changer, pourquoi pas Un senior en cavale ou La vieille évasion? De plus, «le vieux» est vraiment moche et même pas drôle. Malheureusement, la traductrice a décidé, tout au long du roman, de remplacer le style croustillant de l’original par le sien, fade et plat.
Une erreur de sens apparaît dès la deuxième page et ce n’est certainement pas faute de connaître le vocabulaire. Là où le suédois dit: Allan [...] slog sig ner på en bänk intill några gravstenar, la traduction vous dira que «Allan s’assit sur une tombe...». Pas besoin de savoir le suédois pour constater que le banc à disparu. On peut certes se demander s’il est plausible qu’un centenaire qui a mal aux genoux s’assoie sur une tombe plutôt que sur un banc. Du coup, quand, en suédois, il voit qu’un certain Henning Algotsson est enterré sur la tombe mitt emot (en face) du banc sur lequel il est assis, en français, le même Henning Algotsson est «couché sous la pierre sur laquelle Allan s’était assis». Forcément, puisque le banc a disparu. Ce n’est pas essentiel à la narration, mais c’est une trahison parfaitement gratuite. Une telle métraduction (car on ne peut pas parler de contresens) dès la deuxième page sape immédiatement la confiance qu’on aurait souhaité avoir envers ce tradittore de traduttore.
Il y en a plein d’autres comme ça. La journée de huit heures de travail (åtta -huit - timmars - heures - arbetsdag - jour de travail) devient la semaine de quarante-huit heures. Les Suédois qui se rendent à Stockholm pour exprimer leur désir de défendre la patrie (att betyga [kungen] sin försvarsvilja - en allemand: dem König seine Bereitschaft zur Landesverteidigung zu demonstrieren) devient «pour honorer son roi et demander sa protection». Le socialisme suédois avait prétendument besoin d’un ambassadeur à l’étranger, parce que le changement tardait à venir. L’auteur avait pourtant écrit: Den svenska socialismen behövde en internationell förebild. Les germanisants reconnaîtront sans peine le mot Vorbild. Avoir besoin d’un ambassadeur ou d’un exemple, ce n’est pas du tout la même chose... Le tsar Nicolas est contrarié par les révoltes paysannes contre les bolchéviques. Euh... il devrait plutôt être content, non, s’il y a des gens qui se soulèvent contre les bolchéviques? L’original dit simplement bolsjevikuppror, aucun paysan à l’horizon. La traductrice aurait-elle simplement lu trop vite? Ou alors, elle s’en fout. Le père du protagoniste leur envoie un oeuf, simplement un oeuf, qu’il a gagné au jeu contre son pote Fabe. La version suédoise, tout comme l’allemande, jugent utile toutefois de préciser que c’est un oeuf de Pâques en émail. Le lecteur un tant soit peu cultivé comprend alors immédiatement qu’il s’agit d'un oeuf de Fabergé. Tant pis pour les francophones, qui croient qu’on leur parle bêtement d’un oeuf de poule, à la rigueur décoratif.
Et si ce n’était que cela, ce ne serait pas trop grave. Ce qui est vraiment dommage, en revanche, c’est que tout l’humour et l’ironie de l’auteur disparaîssent complètement dans cette pâle copie. Allan va pisser un coup, mais décide d’abréger les opérations, car il entend du bruit. En français: «Quand Allan se fut soulagé, ...» Les deux croutons ont bu des coups de gnôle pour leurs genoux, pour leurs oreilles, pour faire descendre le steak d’élan et Julius avait encore annoncé un p’tit verre en guise de dessert. Ils ont ensuite été interrompus par une visite indésirable. Après quoi, Allan dit: «Et alors, ce dessert?» qui a été platement traduit par: Et ce schnaps que tu m’as promis, ça tient toujours?
Le premier vieillard (Allan) a volé une valise et en a assommé le propriétaire. Le deuxième (Julius Jonsson) examine l’homme qui git sur le sol et dit: - Jahapp! [...] Jag gissar att det där är resväskans ägare? Frågan var mer ett konstaterade. Une question faussement ingénue: «Ben dis donc! Ça doit être le type qui a perdu sa valise?» devient «- Ce jeune homme est donc le propriétaire de la valise. Allan se devait de fournir des explications.» Forcément, la phrase «ce n’était pas tant une question qu’une constatation» disparaît en français, puisqu’il n’y a plus aucune ironie ni fausse ingénuité. Il n’y a plus de question non plus, puisque l’un des deux croulants constate platement «ce jeune homme est donc le propriétaire de la valise».
Cette scène se déroule dans la gare de Byringe, un lieu qui existe réellement et qui est devenu un lieu de pélerinage depuis l’immense succès de ce roman. Il en va de même avec la petite bourgade d’Ystad, près de Malmö, où les gens veulent voir la maison du commissaire Wallander - qui n’existe évidemment pas, à moins qu’ils n’en n’aient créé une de toutes pièces pour satisfaire à la demande.
Cette traduction n’est pas non plus exempte de perles stylistiques, telles que: « Il ferait beau voir un cadenas capable d’arrêter Julius Jonsson!» Celui qui parle comme Beaumarchais est un vieil asocial qui vit de petites rapines et de braconnages et qui ne crache pas dans les petits verres de fine, que la traductrice appelle schnaps. Les Alsaciens comprendront. L’original est: Sedan när har ett lås hindrat Julius Jonsson? sa Julius Jonsson. L’auteur joue volontiers avec ce genre de répétitions, qui passent systématiquement à la trappe. La traductrice a sans doute estimé que ce sont là des fautes de style. Littéralement, la phrase signifie «depuis quand un cadenas a-t-il entravé Julius Jonsson? dit Julius Jonsson». Pour rester dans un style correspondant au vieux coquin qui parle, on pourrait écrire «Ce n’est pas demain la veille...» ou encore «Il n’est pas encore né, le cadenas qui résistera à Julius Jonsson, dit Julius Jonsson». L’auteur faisant dans le farfelu et l’échevelé, ça pourrait très bien passer.
Une autre phrase bien gratinée: «Puis elle lui mit tendrement les cheveux en désordre et retourna couper du bois». Pourquoi ne peut-on pas écrire qu’elle l’a ébouriffé ou, à la rigueur, caressé la tête?
Comme je suis heureuse d’être dorénavant (presque) capable de lire le suédois de mes propres ailes! J’en suis à la page 48 du français (mon kindle dirait 10%), mais comme béquilles, je donnerai dorénavant ma préférence à la version allemande, forcément plus fidèle, non seulement parce que les Allemands font toujours du bon boulot, mais parce que les deux langues sont beaucoup plus proches. Les Français sont tellement imperméables aux cultures étrangères, tout en étant profondément convaincus de leur supériorité, qu’ils ne savent sans doute pas apprécier le travail du traducteur. On ne peut pas faire ça à la va-vite, par-dessus la jambe et de façon je-m’en-foutiste. Il ne suffit pas de transposer en gros le sens général de l’histoire, il faut respecter le style de l’auteur et ne pas inverser qui fait quoi. Il n’est pas interdit non plus de se relire ou de se faire relire par des amis.
Quand je passerai mon test de suédois pour en faire une langue de travail, je ne pourrai certainement pas me permettre ce genre d’erreurs, de contresens et d’approximations. J’ai été tellement drillée à la fidélité au message et à l’interdiction de dire n’importe quoi, juste pour faire du bruit, que je suis particulièrement intolérante vis-à-vis de ce genre de travail bâclé. Le public francophone n’a toutefois pas l’air de se plaindre et Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire figure toujours en bonne place dans les rayons des libraires. Tant mieux, ma foi, pour Jonas Jonasson!
1) Philippe Bouquet, auteur de plus de 100 traductions du suédois, Docteur honoris causa de l'université de Linköping (Suède), Officier des palmes académiques, Chevalier de l'ordre de l'Etoile polaire, Prix de traduction de l'Académie suédoise (1988), Prix de la Fondation suédoise des écrivains (1994), Prix personnel Ivar Lo-Johansson 1995, Nominé pour le prix Aristeion 1999.
1) Philippe Bouquet, auteur de plus de 100 traductions du suédois, Docteur honoris causa de l'université de Linköping (Suède), Officier des palmes académiques, Chevalier de l'ordre de l'Etoile polaire, Prix de traduction de l'Académie suédoise (1988), Prix de la Fondation suédoise des écrivains (1994), Prix personnel Ivar Lo-Johansson 1995, Nominé pour le prix Aristeion 1999.