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samedi 21 octobre 2017

Back to roots : Terijoki alias Zelenogorsk




Zelenogorsk est une agglomération située à 50km au nord-ouest de Saint-Pétersbourg, sur l’isthme de Carélie, au bord de la mer Baltique. Avant la Seconde Guerre mondiale, ce village s’appelait Terijoki et faisait partie de la Finlande. Pour suivre et comprendre les mouvements de frontières au fil des siècles, voir ICI.

Voyant arriver les troupes soviétique à l’automne 1939, tous les Caréliens finlandais ont fait leur baluchon et sont devenus des personnes déplacées, c-à-d des réfugiés à l’intérieur de leur propre pays. Selon Wikipedia, cela représentait 10% de la population de l’époque, le plus important mouvement de population de ce pays. Les exilés encore en vie sont de moins en moins nombreux; ma mère, 88 ans, en est une. Elle avait 10 ans lorsqu’elle et sa famille ont dû tout abandonner (ferme, terres, bétail) pour partir sur les routes et ne jamais revenir. La perte de cette province a été un véritable traumatisme pour les Finlandais et, lors de la chute de l’Empire soviétique, d’aucuns ont commencé à rêver de pouvoir récupérer leur terre tant aimée. Cela ne s’est pas fait et ne se fera jamais, car on ne peut pas constamment redessiner les frontières et déplacer des populations. Toutefois, la nostalgie parmi les anciens Caréliens ne s’éteint pas et ils sont nombreux - en réalité de moins en moins nombreux - à retourner au village, même soviétique, même russe, pour essayer de retrouver une maison, un puits ou constater que les bouleaux ont terriblement poussé.


Ma mère y est allée en 1979, avec un voyage organisé au départ de la Finlande. A l’époque soviétique, c’était la seule façon possible d’y aller. Le prétexte était sans doute d’aller prendre les eaux dans ce lieu de villégiature au bord de la Baltique, mais le groupe était entièrement constitué d’anciens exilés. Cela a dû être traumatisant de confronter ses rêves, ses souvenirs d’enfance et ses fantasmes à la réalité, de constater que les Soviétiques avaient soit cassé soit laissé à l’abandon ces maisons auxquelles les Finlandais de Carélie avaient été si attachés. Ma mère n’a plus jamais voulu y retourner. Un jour, elle a reçu un beau livre de photos historiques sur Terijoki, son village, mais elle m’a dit qu’elle n’arrivait pas à le regarder.


Ayant eu l’occasion de me rendre à Saint-Petersbourg, j’ai décidé de faire ce pèlerinage à la place de ma mère, qui non seulement ne le veut plus, mais ne le peut tout simplement plus, vu son grand âge. C’était une excursion très simple, il m’a suffi de prendre un train régional au départ de la Gare de Finlande (Finlyandsky Vokzal); le voyage dure une heure et l’aller-retour coûte moins cher que deux tickets de bus genevois. Il était intéressant d’observer des Russes ordinaires dans leur vie quotidienne. Des bonimenteurs profitaient de ce public captif pour distribuer des calendriers orthodoxes 2018 ou vendre des ampoules super-puissantes. À noter que la gare - comme le métro, l’opéra ou certaines boutiques de souvenirs - est équipée de portiques détecteurs de métaux.


Une fois arrivée à Zelenogorsk, je suis allée demander mon chemin dans un centre commercial. Les Russes ne parlant que le russe et vraiment très peu l’anglais, il a fallu se débrouiller avec des gestes et des mimiques. J’ai demandé le vieux village, mais il n’y en a pas - ou plus. Ma mère connaissait le nouveau nom de sa rue, Krasnaïa Komandirov, qui n’a pas changé après 1989. Pour y parvenir, il suffit de suivre Prospekt Lenina (avenue Lénine) puis bifurquer. C’est une rue résidentielle bien tranquille, où se côtoient de vieilles maisons en bois, qui ont connu des jours meilleurs et de grandes villas appartenant visiblement à des gens qui font de très belles carrières. S’il y a un village, il doit être de l’autre côté des rails, car de ce côté-ci, il n’y a aucune activité commerciale. Au bord de la mer, on trouve un yacht-club, ainsi qu’un parc avec un petit zoo et des carrousels pour les enfants. Un peu plus loin, deux églises, l’une orthodoxe et l’autre Finlandaise.

Tout au long de la rue du Commandant Rouge on voit de belles grandes maisons en bois, qui semblent témoigner d’une certaine prospérité. Elles ont probablement été habitées et entretenues pendant les années soviétiques, mais elles sont maintenant à l’abandon, à moitié brûlées, effondrées, moisies, remplies de détritus…. L’avantage paradoxal des régimes communistes, c’est que leur incurie contribue à préserver le passé : tout ce qui n’a pas été détruit a simplement été oublié et négligé. Ces maisons sont sans doute vides depuis une vingtaine d’années. Vu leur année de construction, elles n’ont ni l’eau courante, ni le chauffage central et les toilettes sont/étaient au fond du jardin. Quiconque voudrait construire sur ces parcelles doit commencer par débarrasser une vieille épave, bien trop abîmée pour être rénovée.


Il est intéressant de constater que le yacht club s’appelle Terijoki (l’ancien nom finlandais) et que l’église finlandaise propose des cours de finnois. Qui peuvent bien être les élèves ? Qui donc, en Carélie désormais russe, veut apprendre le finnois ? Et pourquoi ai-je voulu voir le lieu d’origine de ma mère et de mes grands-parents, qui n’a plus rien à voir avec ce qu’il était autrefois ? La sœur et le frère de ma mère ont quitté cette vallée de larmes, la tombe de son père à Zelenogorsk n’existe plus. Quant à moi, qui ai perdu mes racines finlandaises, je sais bien qu’elles ne sont pas non plus en Carélie. Je suis souvent retournée voir les lieux où j’ai vécu, sachant que ça n’apporte pas grand-chose, si ce n’est la confirmation du temps passé. J’ai néanmoins l’impression d’avoir maintenant bouclé la boucle. Les années qu’il me reste à vivre sont devant moi et non pas derrière.

La plage de Zelenogorsk/Terijoki


Terijoki sur Wikipedia

Galerie de photos sur Wikimedia Commons

Le gouvernement populaire de Finlande (marionnette de l’URSS), discours de propagande soviétique

Un blog - en finnois - qui parle, entre autres, de Terijoki

Un autre blog - en anglais avec des photos de lieux que je n'ai pas vus. Un deuxième voyage s'impose!




dimanche 22 décembre 2013

Le front de libération du mois de décembre



"Tu fais quoi à Noël? Tu rentres en Finlande?"
Qui ose répondre: Rien! à la première question? Et combien de fois dois-je expliquer que si je rentre quelque part, c’est à Genève?

Joulupukki

Bien des tabous sont tombés et bien des traditions sont mortes depuis les lointaines années de mon enfance, mais Noël semble être absolument inébranlable et indéracinable. Au contraire, non content d’obliger le monde chrétien à célébrer la naissance du petit Jésus, on est en train d’exporter cette fête païenne et mercantile aux quatre coins du monde. C’est ainsi que la Finlande veut faire du Père Noël une marque déposée et s’en arroger l’exclusivité, afin d’en faire un produit commercialisable toute l’année et sur toute la planète. Le Joulupukki finlandais est svelte et ne dit pas Ho-Ho-Ho! comme son homologue américain. Il défend des valeurs telles que la générosité et la solidarité et il va rendre visite aux enfants malades de Fukushima. Difficile toutefois d’enregistrer ce bonhomme barbu comme marque déposée, étant donné qu’il est devenu un concept universel. Difficile aussi, en ces temps de paranoïa pédophile, de défendre un monsieur qui prend les petits enfants sur ses genoux pour leur donner des cadeaux et des bonbons. Comment apprendre aux petits à faire la différence et à ne pas croire à n’importe quel Père Noël?


Alors comment échapper à Noël? Aller en vacances en Israël ou dans des pays musulmans? Dans le monde occidental, c’est tout simplement impossible. Même les détenus ne peuvent y échapper, coincés qu’ils sont dans leurs cellules, puisqu’on leur sert un menu de Noël, que cela fasse partie de leur culture ou pas. En Finlande, on leur servira sans doute du jambon à l’os, de gré ou de force, puisque c’est le repas traditionnel. Cela fait plusieurs années que je n’en n’ai plus mangé, étant donné que ce plat me sort littéralement par les oreilles, ce qui n’est pas commode pour la digestion, vous en conviendrez. Un tuyau: grâce à IKEA, on trouve du Julskinka dans le monde entier, mais uniquement en fin d'année.


Dans le roman About a Boy de Nick Hornby, le personnage principal vit dans l’oisiveté depuis et pour toujours, grâce aux royalties d’une chanson de Noël inoxydable, composée par son père. Lui aussi déteste cette période de Fêtes, même si c’est ce qui le fait vivre confortablement, car les mélodies douceâtres - plus particulièrement celle de son père - lui donnent la nausée. Certaines localités (Divonne-les-Bains ou La Valette par exemple) vous obligent à écouter en boucle des White Christmas et des Jingle Bells auxquels vous ne pourrez échapper qu’en vous enfermant chez vous - et encore: priez pour qu’un haut-parleur n’ait pas été placé juste sous vos fenêtres!


Les fêtes sont une période à déprime pour beaucoup de gens. Tous ceux qui sont seuls et à qui tout le monde dit: "Oh! ma/mon pauvre! Tu es tout(e) seul(e) pour Noël, ça doit être terrible!" Des repas caritatifs sont organisés en cette occasion, où tous ceux qui sont seuls peuvent se réunir pour déprimer tous ensemble. Le reste de l’année, ils n’ont qu’à avoir faim et broyer du noir tout seuls chez eux, ce qui est peut-être légèrement moins bluesy. Ayant fait une fois un séjour de ski au Club Med la semaine de Noël, j’ai pu constater que l’hôtel était rempli de gens qui détestaient Les Fêtes, parce que depuis que leurs parents sont morts, ces jours les remplissent de tristesse, par exemple. Nous avons, malgré tout, eu un repas spécial le 25 décembre (servi à table au lieu du buffet habituel), il y avait une crèche sans le petit Jésus pour les enfants et une descente aux flambeaux, avec des personnages habillés de rouge, mais sans aucune connotation religieuse, pour ne froisser aucun client. Mais Noël était bien là, pas possible d’y échapper.


Certains préféreraient passer Noël peinards chez eux, puisque les repas de famille sont l'occasion de nombreuses tensions et disputes. C'est l'occasion où tout le monde fait le poing dans sa poche et fait de son mieux pour que la fête soit belle. Il faut aller réveillonner chez les deux beaux-parents pour que personne ne soit fâché, faire des cadeaux à tous les frères et soeurs, beaux-frères et belles-soeurs, à mamy, à papounet, aux quinze cousins et neveux...

D'où la consommation effrénée, les magasins bondés, les journaux et les magazines qui ne parlent plus que d’idées de cadeaux et les gens qui stressent parce qu’ils n’ont pas encore acheté tout ce qu’il leur faut. Faut-il offrir quelque chose à son patron et, si oui, de quelle valeur? Trop cheap, ça fait cheap et trop cher, ça fait fayot. La frénésie de l’après-Noël, où il faut aller échanger le pull trop petit ou le roman qu’on a déjà ou alors carrément les revendre sur eBay ou Ricardo. Pourquoi est-on obligé de trop manger et pourquoi est- il impossible de trouver un restaurant qui serve une carte normale? Manger des spaghettis carbonara à Noël: l’acte anarchiste extrême!


Le mois de décembre se termine en beauté sur le réveillon du 31 décembre, autre obligation incontournable, à laquelle on ne peut pas échapper, même en partant à l’autre bout du monde. Comment fuir les cotillons et les feux d’artifice? Comment échapper aux huîtres et aux repas pantagruéliques? Comment éviter d’ajouter des kilos à ceux qu’on a déjà en trop - et qu’on ne peut pas revendre sur internet? Ce jour-là aussi, des milliers et des millions de personnes se morfondent de ne pas savoir que faire ni où aller. Une solution sympa est de faire bénévole à l’occasion de l’Opération Nez Rouge  : vous serez parmi des gens qui, comme vous, détestent le Nouvel An et qui veulent passer le cap autrement. On vous servira quand même du Rimuss et tout le monde se fera la bise à minuit, sauf les veinards qui sont déjà partis en mission.
Champagne halal


A partir du lendemain, tout commence à aller mieux. Les journées sont déjà plus longues et on entame quelque chose de nouveau. Il faudra tout de même souhaiter la Bonne Année à tous les gens qu’on croise. C’est évidemment fort sympathique et cela permet d’avoir des contacts avec tous ceux avec qui on ne bavarde pas forcément le reste de l’année.

Alors à vous tous, chers lecteurs et lectrices fidèles, je vous souhaite un très joyeux Noël, entourés de tous ceux qui vous sont chers, et je vous présente tous mes meilleurs voeux pour que 2014 soit une année remplie de joie, de prospérité, d’amour et de bonne santé! 


Le Père Noël est-il blanc? A lire ICI



mercredi 30 octobre 2013

Viens chez moi, j’habite chez une mamie!



La délinquance, le vol, l’abus de faiblesse peuvent revêtir de nombreuses formes. On connaissait déjà l’arnaque du faux neveu: une personne, généralement d’Europe de l’est, parlant l’allemand, contacte une personne âgée, seule et isolée et joue la comédie du lointain neveu perdu de vue. La langue allemande sert ici de preuve de parenté et renforce l’illusion du lien de famille. Mais il apparaît bien vite que ce pauvre parent lointain a des soucis d’argent, qu’il est malade, qu’il a besoin d’acheter une villa et la pauvre mamie ou le pauvre pépé qui a le cœur sur la main vole immédiatement au secours de son cher neveu, qu’il n’a jamais vu et qu’il ne reverra bien évidemment jamais. En effet, aussitôt l’argent liquide encaissé - souvent des montants considérables - le neveu retourne dans sa pampa imaginaire et ciao bonsoir! Et voilà les économies de toute une vie envolées en quelques secondes.

Une variante de la fausse familiarité se fait jour et il semble à nouveau que ce soit une spécialité qui nous vient d’Europe de l’est. Des personnes faussement bienveillantes offrent leurs services à des personnes âgées, à nouveau seules, isolées et idéalement souffrant de solitude, en échange d’un toit sur leur tête d’hypocrite. Il peut s’agir de menus travaux, de faire les courses ou le ménage, voire simplement de tenir compagnie. La personne âgée est ravie, elle n’est plus seule et cette personne serviable est si gentille!

Mais il faut bien vite déchanter. L’invité devient petit à petit envahissant, prend des libertés, achète pour quatre en allant faire les courses, utilise le téléphone pour des appels à l’étranger, installe de plus en plus de meubles et de fourbi, commence à inviter ses amis.... La pauvre mamie n’est plus chez elle, mais elle est trop polie et trop gentille pour oser se plaindre. Elle commence à avoir peur de son invité(e) et ne parvient plus à reconquérir son espace. L’incruste utilise la voiture de son hôte, lui emprunte de l’argent, voire se sert carrément dans le portemonnaie. 

La Tribune de Genève a déjà consacré deux articles à ce phénomène (26.9 et 24.10.2013). Une dame de 88 ans a fini par se jeter par la fenêtre de désespoir. Une autre octogénaire a hébergé une femme et son fils pendant cinq ans, à ses frais, bien entendu.


En règle générale, il faut se méfier des inconnus qui sont gentils et qui vous offrent spontanément leur aide sans prétendument rien demander en retour. Les personnes qui vous aident à porter votre valise à la gare vous feront les poches. D’autres, qui aident les personnes âgées à porter leurs courses à la maison, les agresseront aussitôt la porte de l’appartement ouverte. Adieu liquidités et bijoux de famille! La pauvre victime se retrouve souvent frappée et bâillonnée et décède quelques mois plus tard.

Il faut se méfier d’une personne dont on ne sait rien. Quelqu’un que personne d’autre que vous ne connaît. Quelqu’un qui refuse de vous donner le numéro de téléphone d’un proche, au cas où... Quelqu’un dont rien n’est vérifiable, quelqu’un qui vous raconte avoir travaillé ici ou avoir une maison quelque part. Quelqu’un qui a une Jaguar ou un manteau de fourrure, alors qu’elle pleure misère.

Apprendre à vivre seul(e) est difficile à tout âge, mais dans ses vieux jours, ça l’est tout particulièrement. Comment concilier le désir d’avoir de la compagnie et la nécessité impérieuse de se protéger? Comme le veut la sagesse populaire, mieux vaut être seul que mal accompagné. Et comme disent les Américains: You’ve gotta learn to be your own best friend.


A noter qu’il n’est pas nécessaire pour la victime de porter plainte. En effet, elle craint généralement les représailles et reste enfermée dans sa peur. Un voisin, un travailleur social et, bien sûr, les proches, les membres de la famille peuvent alerter la police.

vendredi 19 avril 2013

Vivre seule au troisième âge



Ma mère est maintenant veuve depuis bientôt trois ans et demie et, bien qu’elle ait fini par s’adapter, la solitude lui pèse. L’automne dernier, un scénario idéal s’est mis en place tout seul: ma mère a offert une chambre à une dame d’Europe de l’est dans la soixantaine - appelons-la Mirjana - qui traversait une mauvaise passe et que ça arrangeait de faire l’économie du loyer qu’elle payait pour son studio. Maman la connaissait déjà depuis plusieurs années, étant donné que cette personne travaille pour une agence immobilière tout près de chez elle.

Mirjana s’est donc installée dans ses nouveaux quartiers en septembre dernier. Après 50 ans de vie de couple, ma mère découvrait la cohabitation avec une copine. En échange d'un toit, son invitée faisait le ménage et la cuisine. Maman a retrouvé son entrain, la vie lui souriait à nouveau. Le zèle et le dévouement infini de Mirjana, sa patience sans bornes ainsi que son plaisir ostentatoire de vivre avec notre mère nous laissaient certes un peu perplexes, ma soeur et moi, mais finalement, cela nous ôtait aussi un souci, puisqu’on savait qu’en cas de pépin, un ange gardien était là, qui pouvait toujours nous appeler.


Puis ma mère a fait une mauvaise chute la nuit. Mirjana a appelé l’ambulance, sa logeuse a été hospitalisée avec une vilaine phlébite. Ma soeur et moi allions bien sûr voir notre maman et nous lui achetions tout ce dont elle avait besoin, mais Mirjana pouvait lui apporter des choses de la maison: tel cardigan, tel réveil, telle boîte de médicaments. Elle a sans doute sauvé la vie de notre mère et cela a dissipé tout doute que nous aurions pu avoir à son sujet. Puis vint Noël, que Mirjana a fêté avec nous, en toute simplicité.

Mirjana nous avait dit dans un premier temps qu’elle partirait début 2013, puis c’est devenu mars. A l’automne 2012, elle avait demandé à ma soeur si elle ne pourrait pas lui établir une attestation de domicile, dont elle avait prétendument besoin pour des démarches auprès des prud’hommes. Cela m’a paru un peu bizarre. En effet, elle nous a toujours dit qu’elle avait une maison dans le midi, donc forcément une adresse, un domicile. Renseignements pris, nous nous sommes rendu compte qu’un tel document comportait le risque que nous soyions obligées de loger Mirjana ad vitam eternam, le droit au logement en France étant très bien protégé. Nous n’avions cependant aucune intention de la mettre à la porte, tout se passant très bien, mais nous ne voulions pas non plus avoir les mains liées. Et nous avons eu raison d’être prudentes.

Pour des raisons que nous n’avons pas encore réussi à élucider, la relation entre les deux femmes s’est détériorée très rapidement après Nouvel an. Notre mère ne supportait plus son invitée, elle lui reprochait de prendre toute la place et de parler sans arrêt. Il est vrai que Mirjana prenait des libertés, se croyait tout permis, manquait de respect vis-à-vis de celle qui l’accueillait, prenait possession des lieux, finissait les restes dans le frigo... Ma mère a commencé à penser qu’elle cherchait à l’envoyer à l’hôpital à nouveau ou, encore mieux, dans une maison de retraite et ainsi, elle aurait eu l’appartement pour elle toute seule. La relation de confiance était rompue et ma mère a commencé à se méfier et même à avoir peur. A tort ou à raison, on ne le sait pas encore, mais quoi qu’il en soit, la situation devenait invivable. De la part de quelqu’un qui n’a ni logement ni argent - elle dit ne rien gagner dans l’agence immobilière où elle travaille - son comportement, qui a fini par mettre un terme à la cohabitation amicale, est tout simplement incompréhensible.


Ma soeur et moi avons une attitude totalement différente vis-à-vis de cette personne. Ma soeur prend sa défense, lui accorde le bénéfice du doute et préfère croire sa version des choses que celle de ma mère. Quant à moi, je reconnais que maman peut avoir tendance à déformer les faits, mais, dans le doute, je me méfie plutôt de Mirjana. Nous savons certes qu’elle travaille dans ladite agence mais c’est la seule certitude que nous ayions. Elle possède une Jaguar, un manteau en renard, un sac de golf entreposé dans le garage, mais elle n’a pas un rond. Sans doute a-t-elle connu des jours meilleurs, mais alors, pourquoi saboter la chance qu’elle avait de loger gratuitement à 50 mètres de son lieu de travail? Elle dit avoir une maison dans le midi, elle aurait travaillé chez Lufthansa, elle aurait été gouvernante pour des célébrités à Gstaad.... mais tout cela est peut-être du vent.

Ses signes extérieurs de richesse ne font que renforcer ma méfiance. Fait-on fortune en étant nounou, fût-ce à Gstaad, ou encore en étant hôtesse chez Lufthansa? Elle vient d’ex-Yougoslavie et n’a jamais prétendu avoir fait d’études. Agent immobilier dans la région genevoise est certainement un métier lucratif, mais ses collègues lui piqueraient toutes ses commissions. Etant dans l’immobilier, elle connaît en revanche parfaitement la valeur de l’appartement de notre mère et je ne peux m’empêcher de trouver des motivations intéressées à son dévouement, qui n’a d’ailleurs été que de courte durée. Notre mère payait les courses et donc ses repas, une véritable aubaine pour quelqu’un dans la dèche. Mais au lieu d’apprécier cette générosité, elle a commencé à estimer que ça lui était dû et à se comporter en terrain conquis.



Selon maman, Mirjana essayait de la faire passer pour gaga et sénile, ce qu’elle n’est certainement pas. Notre mère s’est réveillée d’un cauchemar et elle est convaincue qu’elle a failli se faire dépouiller par cette bonne âme qui lui a sauvé la vie l’automne dernier. Comme pour les enfants en bas âge, il est très difficile de trouver une personne à qui on osera confier la garde d’une personne âgée. Si notre mère avait été sénile ou tout simplement un peu plus crédule... dieu seul sait ce qui aurait pu arriver. Les personnes qui souffrent de solitude fondent volontiers pour ceux qui sont gentils avec elles.

Peut-être que Mirjana est une personne formidable et que nous avons tort de nous méfier. L’avenir nous le dira peut-être... ou pas.

Il faudrait maintenant retrouver une femme de ménage, bien que ma mère ne veuille plus laisser entrer personne sur son territoire. Il lui faudra aussi une télé-alarme ou un téléphone mobile. Cette deuxième mésaventure*) permettra peut-être à notre maman de mieux apprécier la solitude. Vivre seul n’est pas rigolo, mais c’est toujours mieux que de vivre dans la peur et la paranoïa. La solitude signifie aussi avoir la paix et ne pas se faire parasiter ni phagocyter par une personne malintentionnée. Toutefois, quand on atteint le soir de sa vie, cela signifie aussi n’avoir personne à ses côtés au moment de mourir. Visiblement, ma mère préfère franchir le pas seule que mal accompagnée.



“Nowadays people know the price of everything and the value of nothing.”  Oscar Wilde, The Picture of Dorian Gray
*) voir aussi Fêlures