"Mais
comment faites-vous?" C’est l’éternelle question que l’on adresse aux
interprètes. En effet, il semble tout à fait surhumain, voire magique d’être
capable d’écouter une langue étrangère et d’en parler une autre (généralement
sa langue maternelle) en même temps. Mais voilà. De nos jours, les interprètes
font bien plus que cela. Ils lisent aussi des textes, qui ne correspondent pas forcément
à ce qu’ils entendent dans leurs écouteurs. Et en plus, ils manipulent leur
ordinateur ou leur tablette à la Recherche du Discours Perdu… et parfois
retrouvé.
Les délégués lisent
quasiment tous leur intervention. L’expression orale est en voie de disparition,
car trop spontanée. C’est trop risqué. Le message doit être parfaitement
contrôlé, encadré, à l’abri du moindre lapsus ou dérapage. Et pourtant, on
laisse les interprètes se débrouiller pour traduire oralement des discours
extrêmement écrits, où chaque mot a été soigneusement pesé et scruté avant
d’être couché noir sur blanc.
…. notes that
the Government has repealed the Essential National Industries Decree in July
this year, has agreed to reinstate mechanisms for managing employment grievances
which had been discontinued by the Decree, has agreed to restore the check off
facilities and arrangements for the deduction of union dues, and has agreed to
refer to the Committee of Arbitration the current legislative definition and
breadth of what should constitute an essential industry ….
Pourtant, les organisations qui ont recours à des interprètes commencent à se rendre compte à quel point il est absurde de faire se déplacer des participants venus des cinq continents, parmi lesquels il y a parfois des ambassadeurs et des ministres, pour leur faire écouter les bribes que les interprètes arrivent à attraper. Car les discours sont non seulement lus, mais ils sont lus vite, et même très vite parfois.
C’est pourquoi différents
systèmes ont été mis au point pour éviter qu’on ne doive regarder le délégué
lire l’écran de son iPad. La communication véritable, c’est quand le délégué
partage son texte avec ses truchements, car c’est ainsi que son message passera
le mieux. Et de nos jours, avec la WiFi, rien de plus facile!
A l’heure actuelle, il
existe deux systèmes qu’on pourrait qualifier de Push ou Pull. Soit
l’interprète va consulter un site sur lequel il aura quelque chance de trouver
un discours qui lui soit utile (Pull),
soit il les reçoit par dans sa messagerie électronique (Push). Pour cela, il doit:
- Dévérouiller l'écran de son iPad ou de son ordinateur
- Faire ou refaire le log-in pour accéder au réseau WiFi, pour la 23ème fois de la journée
- Aller sur le site de l’organisation/de la conférence pour laquelle il travaille
- Ensuite, il n’y a plus qu’à chercher le bon discours parmi les 58 discours qui sont arrivés au cours des six dernières heures
Tout
en continuant à interpréter et tout en manipulant son ordinateur/tablette pour
l'empêcher de se mettre en veille.
The report also points out that each
aspect of the Action Plan has been addressed. We understand that some
challenges remain, particularly in terms of awareness raising and the
behavioural change needed in the public. However, we believe that progress can
be sustained and the ultimate objective of total elimination of FGM can be best
achieved by adopting a much broader and comprehensive approach that focuses on
increasing opportunities for the empowerment of women and girls, promoting rapid
rural development and addressing socio-economic factors such as poverty.
Bien
souvent, les discours sont envoyés au moment où ils sont prononcés. Parfois,
ils sont envoyés après avoir été prononcés, ce qui signifie qu’ils viennent s’ajouter
à la masse des discours reçus, sans pour autant servir à quoi que ce soit. En effet,
le discours déjà prononcé n’a aucun intérêt pour les interprètes, car – c’est
un scoop – nous ne les lisons pas une fois notre journée de travail terminée.
Parmi
les discours que nous recevons, il y a ceux de la veille, ceux qui sont dans
des langues que l’interprète n’a pas, il y a ceux qui ont été modifiés depuis
et il y a ceux qui atterissent parmi les spams et qu’on retrouve une semaine
trop tard. Dans le tas, il y a aussi des invitations à rejoindre un parfait
inconnu sur LinkedIn.
With the Millenium Action agenda we have already committed to develop and operationalize a global strategy for vocational training in developing countries. In this regard, we recommend the Organization for drawing a well-balanced strike among various dimensions of its work programme for capacity building while approaching SDGs. We believe there is more to offer in our efforts towards achieving these goals with particular focus to productive employment for young people.Mais voilà que notre gobelet à eau est vide! Il faut sortir de cabine et faire 50 ou 100 mètres dans le corridor jusqu’à la fontaine. Au retour, il faut dévérouiller son écran, refaire son log-in…. (voir ci-dessus).
Une chose est certaine:
les textes des interventions devraient absolument être classés par séance,
c-à-d qu’on sache exactement à quelle réunion ils correspondent et être
libellés en conséquence. Si la mention sous «Objet» se contente de dire «Intervención de Guatemala» ou «PPP» ou encore «Réfugiés» alors que le texte est en anglais, on perd un temps et
une énergie folle. On ouvre le mail pour constater que le discours correspond
au point 11 qui sera traité demain (par une autre équipe) ou qu’il s’agissait
du point 5, qui a été examiné hier. Etant donné que nous ne connaissons notre
programme qu’une demi-journée à l’avance, il est impossible de savoir quels
sont les discours qui risquent éventuellement de nous concerner.
Lorsqu’il y a deux pièces
jointes dans un même mail intitulé « Speeches for
tomorrow », c’est
parfaitement ingérable. Si les cinq pièces jointes concernent cinq séances
différentes, autant laisser tomber. Ou alors, il faudrait essayer d’organiser
les textes dans différents dossiers, dans l’espoir de les retrouver quand on en
aura besoin. Sachant qu’il y a plusieurs équipes qui travaillent par rotation
et que, sur le volume global, chaque interprète n’utilisera, à vue de nez, que
10% des discours reçus.
Il arrive aussi que les
délégués ou le secrétariat de la conférence ne retrouvent plus le Power Point
dont ils ont besoin, parmi les 15 exposés qui s’affichent sur leur écran.
Specifically,
we have conducted a needs assessment survey for proper employment, surveys
related to expansion of unemployment insurance and other aspects of the social
security system, and surveys related to vocational training. We are also
planning to continue to provide various types of technical assistance.
Dans ce métier, il faut
non seulement bien connaître ses langues, mais il est absolument essentiel de
maîtriser l’informatique et de bien savoir naviguer sur internet. Les documents
des conférences nous arrivent de plus en plus souvent sous forme de liens et
nous devons nous préparer sur nos écrans, sans possibilité de faire des
annotations. Un PDF de 50 pages est parfaitement décourageant, tout comme le
sont quinze liens vers une pléthore d’information, qu’il faudrait consulter en
plusieurs langues. Mettre deux versions linguistiques en parallèle sur un écran
est souvent difficile. A moins d’avoir deux ordinateurs, évidemment.
A
mes débuts dans la profession, il n’y avait pas encore internet et tout était
beaucoup plus lent. Plus concret, aussi. A l’arrivée des nouvelles
technologies, les collègues dans la quarantaine et plus étaient très inquiets
et déstabilisés, mais tout le monde a bien dû s’y mettre (il y a bien quelques
vétérans qui résistent encore….). De nos jours, tout passe par internet : notre
programme de travail, nos contrats, les demandes d’avances et de rétribution, les
disponibilités, selon les organisations. On y trouve souvent aussi des
glossaires et toutes sortes d’informations pratiques ou administratives (niveau
de sécurité, accès aux bâtiments, renouvellement des badges [voir ICI] etc.)
Il
arrivait autrefois que le délégué vienne nous voir en cabine en brandissant une
clé USB (cinq minutes avant de faire son exposé sur son étude en psychiatrie
clinique). C’était le bon vieux temps… maintenant, tout passe par le Cloud,
Dropbox, un groupe Google ou encore l'appli Teamwork ou e-room, dont les interprètes sont bien sûr exclus. Dans une organisation internationale à Genève, ce
que prononce la cabine anglaise est sous-titré automatiquement. D’ici que je
prenne ma retraite, ce seront sans doute ce genre de logiciels qui traduiront
les textes des délégués. Et finalement, tout le monde pourra rester chez lui,
la communication se faisant toute seule par robots interposés. La couche
d’ozone vous dira merci !
Paru sur aiic.net: ICI
Why Fast-Talking MEP's are not just Bad News for Interpreters
Some of my best friends are interpreters
"European Parliament procedures bring some interesting challenges however, and a key one is that when you have limited speaking time ... people, rather predictably, try to maximise it and carefully write speeches to get as much into their 1 or 2 allotted minutes. As a result, what people are confronted with is not so much a minute of spoken language, but a minute of densely packed written language, read out."