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lundi 27 mars 2023

Plats voyageurs

Nous avons la chance, dans notre monde occidental, d’avoir une immense variété culinaire. De nos jours, peu de repas sont composés de chou et de patates, nous avons l’embarras du choix entre les currys, les empanadas, les pâtes en toutes sortes, les fruits du monde entier…. Parfois, les routes culinaires se croisent et se rencontrent, permettant d’intéressantes fusions et hybridations, pour notre plus grand plaisir. Voici quelques exemples :


Le döner kebab

Roi du fast food, ayant sans doute même détrôné le hamburger, le kebab a conquis la planète. Ce plat est turc ou grec, selon …. un peu comme le café turc, qui, en Grèce, s’appelle café grec. Il faudrait sans doute parler de café ottoman, car il se consomme ainsi dans tout le proche orient.  Döner signifie « tournant » en turc, en grec, cela donne « gyros ». Kebab signifie « grillade » et vient de « kepa » la façon typiquement turque de cuire la viande. Le kebab serait arrivé en Grèce grâce à des immigrants hellènes revenant d’Anatolie. La diaspora grecque a ensuite rendu ce plat populaire aux Etats-Unis. A noter toutefois que les gyros peuvent être composés de viande de porc. En France, on parle de « sandwich grec ». 


Les brochettes turques s’appellent « chiche-kebab », şiş signifiant « broche ». En 1830, un dénommé Amid Oustaz a eu l’idée de placer ce şiş à la verticale, plutôt que de faire griller la viande au-dessus du feu. Puis, dans les années 1970, un Turc émigré à Berlin, Kadir Nordmann, a pensé à placer ces grillades dans du pain, accompagnées d’oignons, de tomates, de salade et de sauces (blanche et/ou piquante). Abracadabra ! Le kebab européen était né !



Les boulettes de viande

Restons un peu dans la gastronomie turque. Les célèbres boulettes de viande suédoises - köttbullar pour les fans d’IKEA - sont le fruit d’une mondialisation avant l’heure. C’est le roi Charles XII qui les a ramenées de son exil dans l’empire Ottoman au XVIIIème siècle. Il aurait, par la même occasion, ramené le café et le chou farci. Les kebbes libanais ne leur ressemblent pas vraiment, étant donné que la viande est alors entourée d’une croûte au boulgour et pignons passée à la friteuse. Ce seraient plutôt les keftas qui en seraient l’ancêtre, « kefta » signifiant « hacher » en farsi (persan). On trouve toutefois des variantes sous diverses formes dans de nombreux pays : les fricadelles en Belgique et dans le nord de la France, les polpette al sugo en Calabre, les nem nuong au Vietnam, les meat balls aux USA, les Königsberger Klopse en Allemagne, etc …


Les Suédois sont probablement les seuls à les manger accompagnées de confiture d’airelles. Voilà qui rend ce plat unique !



Le tacos français

A noter que le tacos français (à base de blé) n’a pas grand chose à voir avec l’original mexicain (à base de maïs), notamment parce qu’il prend un « s » même au singulier. Ces tacos-là sont le résultat d’une véritable hybridation mondialiste, puisqu’il s’agit d’une sorte de croisement entre un panini, un wrap, un taco, un shawarma, un kebab, un burrito … et plus si entente ! Le résultat est un rectangle de pâte, également appelé « matelas », farci de viande (halal), de poulet, de merguez ou autre, accompagné d’une sauce à base de fromage industriel et parfois de crudités. Le tout est ensuite grillé tel un panini et accompagné de frites (aussi à l’intérieur du tacos !). C’est un mets tendance, bon marché, roboratif, hypercalorique et connoté djeun, il est même évoqué dans certains hits rap - français, cela va sans dire. En un mot: un plat aux antipodes du quinoa bio et du tofu bouilli. 


Le tacos français aurait été inventé dans les années 2000 à Lyon, plus précisément à Vaulx-en-Velin par Mohamed Soualhi. Toutefois, le père de cette invention culinaire pourrait également s’appeler Salah Dardouri ou encore Abdelhadi et Mohammed Moubarek de Grenoble. Comme souvent, on peut se demander si plusieurs personnes n’ont pas eu la même idée quasi simultanément. Le tacos français a maintenant trouvé ses marques à l’étranger également, il va probablement bientôt conquérir la planète ! 




Le poulet tikka masala

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce plat phare des restaurants indiens n’est pas indien. Son inventeur serait un certain Ali Ahmed Aslam à Glasgow, d’origine pakistano-écossaise. Mais tout comme pour le tacos français, plusieurs versions circulent : le chicken tikka masala aurait été lancé par des tenanciers originaires du Bangladesh ou, de façon générale, du sous-continent indien, mais néanmoins tous établis en Grande-Bretagne. Selon d’autres sources, ce mets aurait déjà existé en Inde dès les années 1960, mais compte tenu de ses innombrables avatars, on peut se demander s’il s'agit réellement de la même chose. 


Ce plat est une variation du chicken tikka, visant à l’adapter aux palais britanniques, qui apprécient d’avoir de la sauce (gravy) dans leur assiette. En effet, le créateur du poulet tikka masala aurait eu la bonne idée d’ajouter des tomates, sous forme de sauce ou de soupe, mélangées à du yaourt et à des épices (masala), après qu’un client s’est plaint que ce qu’on lui avait servi était trop sec. Le lieu de naissance de cette création culinaire serait le restaurant Shish Mahal à Glasgow. Il existe de très nombreuses variations de cette recette, d’autant plus qu’elle est dorénavant servie dans le monde entier. Son seul dénominateur commun est le poulet. 


Le poulet tikka masala est devenu si populaire auprès des Anglais qu’ils le considèrent comme un plat national ! 


Ingrédients de la pizza hawaïenne

La pizza hawaïenne

Cette célèbre spécialité n’a d’hawaïen que le nom. En effet, elle a vu le jour au Canada en 1962, dans le restaurant de Sam Panopoulos dans l’Ontario. C’est l’expérience de la cuisine chinoise, où l’aigre-doux est monnaie courante, qui serait à l’origine de cette audacieuse invention. En résumé : un immigré grec au Canada s’inspire de la cuisine chinoise pour introduire un fruit sud-américain sur un mets italien, devenu extrêmement populaire en Australie. Quoi de plus cosmopolite ? Rien de plus efficace pour promouvoir l’amitié entre les peuples et la paix dans le monde. 



Un président islandais dénommé Johannesson a déclaré en plaisantant qu’il adopterait volontiers une loi interdisant l’ananas sur les pizzas, alors que Justin Trudeau en a pris la défense (par nationalisme ?). Que l’on aime la pizza hawaïenne ou qu’on la déteste, il n’en demeure pas moins qu’on la trouve partout sur cette planète - et peut-être au-delà - en dépit de débats animés « pour ou contre » sur les réseaux sociaux. Pour ceux qui détestent cette recette, l’ananas est au coude à coude avec les anchois ou les aubergines. A noter qu’en Islande, on peut même trouver de la banane sur la pizza et en Russie du caviar. Il existerait même des versions sucrées (chocolat, guimauve-fraise ….) ailleurs dans le monde. Etant donné que ce plat n’est protégé par aucune AOC, chaque pays, chaque cuisinier est libre d’y mettre ce qu’il veut. Alors vogue la galère …. !



La pizza au kebab

Voici un autre exemple de fusion turco-suédoise, en faisant un crochet par l’Italie. Ce repas jouit d’une popularité sans pareille en Suède, au point d’être considéré comme un plat national. Tout comme le tacos français ou le döner kebab, il s’agit à nouveau d’une trouvaille d’immigrés venus du proche orient. La pizza au kebab fait dorénavant partie intégrante de la culture suédoise, à tel point qu’à l’occasion d’une prise d’otages dans une prison de Hällby, les conditions posées par les détenus étaient d’obtenir un hélicoptère et vingt pizzas au kebab - qu’ils ont obtenues.

La première pizzeria a vu le jour en Suède en 1947 à Västerås, suite à l’arrivée de 300 travailleurs italiens. Mais peu à peu, c’est la communauté moyen orientale qui a repris ce créneau, ce qui explique la naissance inéluctable de la pizza au kebab, vers 1982. Il est toutefois impossible de nommer un inventeur précis de ce délicat mets, arrosé d’une sauce au yaourt et épices, un peu comme le chicken tikka masala. Ces pizzas peuvent être agrémentées de frites, comme le tacos français. La pizza kebab « Viking » est pliée en deux, de sorte à ressembler à un drakkar. 


Cette création a essaimé un peu partout dans le monde, au point qu’il existe même des pizza au kebab surgelées. On pourrait peut-être envisager d’y ajouter quelques rondelles d’ananas ? Et pourquoi pas un peu de sirop d’érable pour agrémenter le tout ! A noter que la Suède tout entière mange de la pizza chaque année au 1er janvier, une spécialité dorénavant bien ancrée dans ce pays. 


Peut-on breveter une recette ? La réponse est non, mais peut-être oui quand même. Tout dépend des circonstances, notamment la difficulté d’identifier l’inventeur. 


https://www.nzz.ch/panorama/doener-kebap-ein-deutsch-tuerkisches-kulturgut-ld.1827698


Des producteurs turcs ont déposé une demande à Bruxelles pour que le kebab soit reconnu comme étant turc (Tribune de Genève, le 17.7.2024)

"Les Allemands veulent sauver leur plat national: le döner kebab. Ils en dévorent plus de 2,5 millions par jour! Aucun plat n’est plus vendu en Allemagne que ce sandwich né à Berlin dans les années 70. Le döner kebab, dont on a fêté les 50 ans en 2022, se mange plus que le Sauerkraut (choucroute), le Eisbein (jarret de porc) ou le Kartoffelsalat (salade de pommes de terre). ... Pour la «Fédération internationale de producteurs de kebab» (Udofed), qui a fait la demande de labellisation, cela a toujours été un plat turc. Elle prétend même détenir la «recette traditionnelle». .... 

Pour les Allemands, c’est une plaisanterie. «Le kebab existait avant 1923, date de la création de la Turquie». ... «C’est un produit de l’Empire ottoman, où les Turcs, les Grecs, les Albanais, les Juifs, les Arméniens, les Kurdes et les Arabes apprenaient les uns des autres pour leur cuisine. Le kebab, le gyros et le shawarma sont issus de cette culture», explique Eberhard Seidel. ... La Fédération des fabricants d’Europe (ATDiD), dont le siège est à Berlin, attribue l’origine de cette création à Kadir Nurman. C’est lui qui a vendu en 1972 le premier döner kebab au Zoologischer Garten, l’ancien terminus des trains grandes lignes de Berlin-Ouest.

.... En Allemagne, le sandwich représente plus de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 80’000 emplois. Car le german kebab est servi partout dans le monde, jusqu’en Chine. À New York, il est célébré comme une «spécialité berlinoise».

... Car le german kebab est servi partout dans le monde, jusqu’en Chine. À New York, il est célébré comme une «spécialité berlinoise».


vendredi 24 mars 2023

Les rats, nos amis, nos héros

Rat démineur recevant une récompense

Le rat est un animal qui suscite la peur et le dégoût, sans doute parce qu’il est connu pour vivre et proliférer dans les égouts et autres lieux peu ragoûtants, également parce qu’il est associé à la propagation de la peste et d’autres maladies. Ce sont toutefois des animaux très intelligents - comme le sont les corneilles qui ont, elles aussi, mauvaise presse - capables d’apprendre à exécuter toutes sortes de tâches. 


C’est ainsi que Bart Weetjens a eu l’idée de former des cricétomes des savanes (Gambian pouched rat ou giant pouched rats en anglais) pour leur apprendre à déceler des odeurs qui échappent aux narines humaines, notamment celles de la tuberculose et des mines anti-personnel (TNT). Il a fondé APOPO, une ONG qui se consacre au déminage et au dépistage de la tuberculose, grâce au flair de ces rats géants, les HeroRATS - qui n’appartiennent toutefois pas à la famille des rattus. Les cricétomes étant suffisamment légers, ils ne déclenchent pas d’explosion, mais savent indiquer la présence d’une mine-antipersonnel. APOPO est présente dans plusieurs pays, notamment au Cambodge, en Angola, au Zimbabwe et au Mozambique, ce dernier pays ayant été entièrement nettoyé des mines meurtrières disséminées partout pendant la guerre civile. En outre, APOPO forme des chiens qui sont capables dinspecter des terrains préalablement déminés par les rats, afin de confirmer quils sont dorénavant sûrs. Les HeroDOGS travaillent au Cambodge, en Angola, au Sud Soudan, en Turquie et en Azerbaïdjan. 


Les HeroRATS sont également capables de dépister des cas de tuberculose, une des maladies infectieuses les plus mortelles (1,5 millions de morts en 2020, année d’apparition de la Covid-19, source OMS). Nous avons tendance à penser que cette maladie n’existe plus, mais elle fait des ravages dans les pays pauvres. APOPO collabore avec les gouvernements de Tanzanie, du Mozambique et d’Ethiopie. Les rats parviennent à identifier un grand nombre d’échantillons très rapidement pour un coût qui revient à 1€/pièce. 


Les rats géants sont aussi capables de retrouver des corps enfouis sous des décombres, non seulement grâce à leur odorat, mais parce qu’ils parviennent à se faufiler partout et qu’ils sont très curieux. Ils sont équipés de mini-baudriers munis de caméras et de micros : les équipes de sauveteurs peuvent ainsi communiquer avec les personnes retrouvées.


Les possibilités étant infinies, les cricétomes des savanes sont capables de lutter contre la contrebande d’espèces menacées, notamment les pangolins, ou d’essences d’arbres rares et précieux. Cela prend neuf mois pour apprendre à un HeroRAT à reconnaître une odeur - que ce soit celle du TNT, du pangolin ou de la tuberculose - et ils sont formés avec la technique du clicker utilisée pour éduquer les chiens ou n’importe quel autre animal : chaque fois que l’individu démontre le comportement attendu, il entend un déclic et reçoit une récompense, en l’occurence de la banane ou tout autre friandise dont il se régalera. 




Les éléphants sont eux aussi dotés d’un flair exceptionnel, ils ont plus du double de gènes associés à l’olfaction que les chiens. Il a été observé qu’ils évitaient les champs de mines en Angola. On ne sait trop comment, mais ils ont appris à associer l’odeur du TNT avec la mort de leurs congénères ayant explosé. Les éléphants sont évidemment bien trop lourds pour travailler comme le font les cricétomes, mais ils indiquent la présence de TNT à distance : des échantillons sont prélevés par des drones. Par ailleurs, des chercheurs tentent de comprendre leur flair, afin de développer des outils de détection. Les pachydermes sont probablement encore plus efficaces que les chiens, ils ont une mémoire d’éléphant - haha - et vivent très longtemps. 

Eléphant démineur

APOPO est l’acronyme de « Anti-Persoonsmijnen Ontmijnende Product Ontwikkeling » (en français : Développement d'un produit de détection anti-mines terrestres). Cette ONG a été enregistrée comme organisation à but non lucratif en Belgique en 1998, puis elle a reçu divers soutiens et titres de reconnaissance. En 2018, elle s’est associée à l’Université de Manchester, afin de poursuivre la recherche autour de la détection de maladies en se fondant sur l’odeur. Le centre de recherche et de formation d’APOPO se trouve en Tanzanie. 


En 2015, une Fondation APOPO a ouvert ses portes à Genève, afin de profiter des synergies à tirer avec le Centre international de déminage humanitaire (GICHD) et les centres de recherche sur la tuberculose (OMS et FIND, Foundation for Innovative New Diagnostics) basés dans cette ville. Cette Fondation a pu voir le jour grâce aux contacts noués par le biais de Ashoka, un « accélérateur mondial pour promouvoir des initiatives sociales ». 

APOPO fête actuellement ses 25 ans d’existence, le même âge que le traité d’Ottawa pour l’élimination des mines antipersonnel (1997). A l’heure actuelle, il y a encore 100 millions de mines dans 60 pays. Cela prendra encore du temps - surtout que des mines continuent d’être dispersées, notamment en Ukraine - mais on pourra sans doute compter sur ces adorables rats de Gambie et leur engagement inlassable pour les retrouver. 


www.apopo.org
https://www.youtube.com/c/apopovideos 
https://www.bbc.co.uk/newsround/63388395
https://theconversation.com/how-african-elephants-amazing-sense-of-smell-could-save-lives-85626