Ce texte repose sur mes observations subjectives et mes déductions personnelle à l’occasion d’un séjour d’une petite semaine à Doha, au Qatar en avril 2019. Il ne prétend pas présenter des informations vérifiées ou certifiées.
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Je ne savais pas à quoi m’attendre en allant à Doha. Le Qatar a plutôt mauvaise presse, non seulement à cause des conditions de travail proches de l’esclavage sur les chantiers de la Coupe du monde de football, prévue en 2022, mais aussi à cause des soupçons de collusion avec l’islamisme et le terrorisme. Un ouvrage paru récemment1) a dévoilé l’immense générosité de ce petit pays envers des gens comme Tariq Ramadan. C’est pourquoi je m’attendais à me retrouver dans une ambiance de banlieue française, avec voile obligatoire pour les femmes et des barbus à tous les coins de rue.
Mais voilà que j’ai été agréablement surprise. Tout est très calme, on sent que tout est très policé - mais en douceur. L’immense avantage est qu’on se sent parfaitement en sécurité car personne n’ose faire le moindre pas de travers. L’expulsion du pays ne se ferait pas attendre, comme nous l’a dit un chauffeur de taxi. Les rues de Doha sont bien plus sûres que celles de Genève, où pas une semaine ne passe sans que quelqu’un se fasse agresser, frapper et dévaliser par une bande de jeunes.
On n’a pas vraiment l’impression d’être dans un pays arabe. La population est extrêmement cosmopolite, à tel point que les étrangers représentent 90% de la population2). Ces gens ont tous migré vers le Qatar pour travailler et ils viennent du sous-continent indien, du Kazakhstan, des Philippines, de Malaisie, du Ghana, d’Ukraine..... Ils gagnent leur vie sur les chantiers, ils sont chauffeurs de taxi, serveurs, réceptionnistes, personnel de cabine etc. Dans le lobby de l’hôtel, une pianiste, probablement russe, jouait du piano d’ambiance que personne n’écoutait vraiment; elle accompagnait parfois une violoniste. Alors, quitter le Donbass pour jouer les décorations dans un hôtel à Doha.... ma foi, il n’y a pas de sot métier. La population autochtone, quant à elle, se contente d’être assise dans des fauteuils à regarder son smartphone. Les femmes tout en noir boivent des cafés ou se promènent avec leur enfants, pris en charge par une nounou asiatique ou africaine.
C’est alors qu’on observera que les nounous ont les cheveux couverts, mais pas de la même façon. Elles portent une pashmina de couleur ou l’espèce de calotte malaisienne particulièrement disgracieuse. L’abaya est un marqueur de classe et il serait sans doute très mal vu pour une femme n’appartenant pas à la caste autochtone de porter cette tenue. Elles sont très fières, parfaitement conscientes de leur statut de princesses, elles marchent le tête haute, bien que dissimulée à des degrés divers sous un voile noir, noir et noir allant jusqu’au sol, c’est véritablement un uniforme. Elles ont parfois quelques broderies ou une ligne argentée en guise de fantaisie. C’est pourquoi elles ont toutes des sacs à main griffés Dior ou MK, selon la fortune de leur mari, c’est la seule possibilité qu’elles ont de manifester leur personnalité et leur individualité. On les voit boire des cafés entre copines ou promener leurs enfants, accompagnées de la nounou. Il ne leur viendrait pas à l’idée de vouloir travailler ou de siéger dans un conseil municipal.
De même, les hommes en blanc ne travaillent pas non plus, ils se contentent d’être riches et beaux. On dirait d’ailleurs que si le pays tourne, c’est exclusivement grâce à toute cette population de fourmis industrieuses qui travaillent sans relâche, à des conditions loin d’être idéales. Un chauffeur de taxi m’a dit qu’ils partageaient une chambre à six et qu’il leur était interdit de faire leur propre cuisine. Ils avaient essayé de faire du riz avec des tomates, en cachette, ils se sont fait pincer et la sanction était sévère. Il m’a dit gagner 1200 riyals par mois (300€), il en envoie certainement une partie au pays. Alors quand on voit des Manolo Blahniks dans une galerie marchande imitant Venise et ses gondoles, on se dit qu’il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond.....
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Les tâches nécessitant une formation supérieure, architecture, direction d’entreprises ou de musées, sont le domaine d’occidentaux. Les marques et les magasins dans les galeries marchandes sont occidentaux également : Carrefour et Monoprix, Victoria’s Secret, Body Shop, Häagen Dazs, KFC, Starbucks, Cartier, Marks & Spencer ...... Même l’eau minérale est de l’Evian, de la Badoit ou de la San Pellegrino. Les étrangers qui sont là pour travailler sont habillés à l’occidentale, les femmes sont tête nue et c’est parfaitement normal. Chacun a l’habillement qui correspond à son rang social et à sa fonction, chacun à sa place et tout ira bien. Les différents groupes ne semblent pas se mélanger. Un de mes chauffeurs de taxi m’a dit être chrétien, ils sont nombreux à l’être; ils peuvent se réunir pour pratiquer leur foi et personne ne les embête. Autrement dit, le Qatar est plus cool et tolérant que ses voisins et que certains intégristes européens.
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Ces travailleurs étrangers ne parlent pas l’arabe. Les Qataris doivent alors parler anglais à leur personnel, aux serveurs, à leurs chauffeurs etc. Ce qui fait aussi de l’arabe une langue de caste.
Quid des nounous asiatiques? Parlent-elles malaisien, thaï ou philippin aux enfants? Anglais ? Il sera intéressant de voir comment cette société évoluera, compte tenu également de la fin annoncée du pétrole. Il y a quelque chose de foncièrement artificiel et de déséquilibré au Qatar: le pays est aux mains d’une oligarchie (10%) richissime et inculte, sans aucune formation, entièrement dépendante de l’Occident - et de l’Inde, il semblerait que les Indiens soient très présents dans le monde des affaires et de la gestion d’entreprises -, que ce soit pour les marchandises, la technique ou la connaissance et les compétences professionnelles. De prime abord, il n’y avait pas un seul arabe sur le vol Qatar Airways, ni à l’aller ni au retour - ils voyagent sans doute en jet privé. Le personnel de cabine est indien, asiatique, les pilotes ne sont certainement pas qataris. Les annonces étaient faites en anglais, pas en arabe, sauf par écrit sur les écrans. Doha servant de hub pour des destinations lointaines, les passagers continuent vers l’Asie ou l’Afrique. A part Dubaï, la seule véritable destination touristique dans la région est Oman.
Autre bizarrerie socio-démographique: la plupart des travailleurs sont probablement logés et transportés par leur employeur, un peu comme les saisonniers autrefois en Suisse, car il n’y a pour ainsi dire pas de transports publics. J’imagine alors que les seuls habitants du pays qui peuvent avoir une famille et des enfants sont la classe régnante; les autres, les masses laborieuses, restent célibataires et abstinents, étant donné que les rapports hors mariage sont strictement interdits et lourdement punis par la charia. Je vois mal les travailleurs immigrés déposant leur enfant dans une crèche. Il y a 3 hommes pour 1 femme (Wikipedia) et tout ce petit monde doit sans doute rester strictement chaste, en partageant des chambres à plusieurs.
A noter aussi que je n’ai jamais entendu le chant du muezzin et je n’ai jamais vu qui que ce soit prier. Il y a des salles de prière un peu partout, à l’hôtel, dans les musées ou les centres commerciaux, séparées pour les hommes et les femmes, mais la pratique de l’islam est extrêmement discrète.
Au cours de la semaine, j’ai surtout mangé libanais, qui semble être la cuisine universelle de toute la région. Cela a aussi été l’occasion de faire une semaine sans alcool..... et de constater que je dors nettement mieux. Il faudra poursuivre l’expérience ! Cela dit, il est parfaitement possible de boire du vin ou de la bière sans risquer le fouet sur la place publique, contrairement à l’Arabie Séoudite, où il est même interdit d’en consommer chez soi derrière des portes fermées.
Il est difficile de lire dans le jeu du Qatar. Ils sont connus pour être des tenants d’un islam pur et dur, qui en promeuvent la progression en Europe et ailleurs dans le monde, y compris de façon violente. Mais chez eux, on se trouve dans une sorte de Disneyland avec tour de Babel, où toutes les nations du monde cohabitent harmonieusement. Combien de temps cela va-t-il durer avant qu’il n’y ait un coup d’Etat ou un soulèvement de type Gilets Jaunes, qui serait évidemment réprimé dans un bain de sang? Combien de temps avant que le blocus des pays voisins ne les mette à genoux ? La Coupe du Monde de football (2022) va être leur heure de gloire, mais les gratte-ciels qui ont poussé comme des champignons risquent fort de dégringoler aussi rapidement qu’ils sont apparus.
Il y a un siècle encore, le Qatar était un pays de bédouins et de pêcheurs de perles. Ils sont devenus indépendants en 1971. Tout est allé terriblement vite, trop vite sans doute. Quoi qu’il en soit, j’ai passé une excellente semaine dans un lieu vraiment assez particulier. Je suis curieuse de suivre ce que l’avenir réserve à cette région du monde.
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- Qatar Papers, comment l’émirat finance l’islam de France et d’Europe , de Christian Chesnot et Georges Malbrunot
- Source: Le Petit Futé, guide de voyage sur le Qatar, édition 2019-2020
A noter que le Qatar tolère les autres religions:
- Il permet aussi aux non-musulmans de consommer de l’alcool.
- 65% de la population travaille dans la construction; dans la population le ratio hommes/femmes est de 3 hommes pour 1 femme.
- L’anglais est devenu la langue véhiculaire, du fait de l’immense variété de la population.
- Le taux de chômage du Qatar est presque nul puisqu'il avoisine les 0,1 % en 2017. En 2015, les Qataris occupent moins de 2 % de l'ensemble des emplois.
- Le Qatar demeure une société patriarcale où l'homme décide de tout. Ainsi, dans certaines familles, les femmes ne sont pas encore autorisées à sortir seules. Les mariages restent souvent arrangés.
- L'armée comporte une bonne proportion de mercenaires, essentiellement turcs et pakistanais.
Doha en 2001 |
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