Lâchez-vous! |
La source miraculeuse |
L’atelier se
déroulait au Centre spirituel de Fresneau, sur les hauts de Marsanne. Il s’agit
d’un lieu de pèlerinage car un miracle s’y est déroulé : une fillette
aveugle a retrouvé la vue grâce à la Vierge Marie qui lui est apparue et qui lui a dit de boire l’eau de
la source. Son père a fait construire une petite chapelle pour remercier la
Madonne. La source existe toujours, c’est une fontaine d’où coule une eau d’une
pureté parfaite. Du matin au soir, des gens viennent y remplir des bouteilles
et des jerricans – les participants à l’atelier aussi !
Nous étions
onze participantes*), dix femmes et un homme, de 17 à 71 ans. Avant d’entamer
la journée de travail, nous faisions de petits exercices de qi gong ou de taï
chi sur la terrasse pour nous mettre en état de concentration méditative.
Chacun à son tour proposait un mouvement qui lui revenait à l’esprit, ce qui
contribuait également à créer une belle cohésion dans le groupe.
Nous avons
commencé par de petits exercices simples pour faire connaissance et pour
permettre à l’esprit de se débloquer, de se mettre en mode Ecriture, qui est un mode
de fonctionnement très différent. On doit vraiment puiser à l’intérieur de soi
en s’arrêtant pour écouter ses émotions, ses pensées, au lieu de foncer la tête
baissée comme on le fait trop souvent. Il fallait tout d’abord coucher sur le
papier des choses telles que : « J’aime / je n’aime pas…. Ecrire,
pour moi, c’est…. Lire, pour moi, c’est….. » Il fallait le faire assez rapidement,
de sorte à ne pas avoir trop le temps de réfléchir. D’ailleurs, tous les textes
au cours de la semaine ont été écrits dans un élan spontané, afin que cela
sorte du cœur et des tripes, évitant ainsi des choses trop cérébrales et
contraintes, qui auraient forcément été indigestes. Chacune lit ensuite ce qu’elle
a écrit. Il était strictement interdit de commencer par se justifier en
expliquant pourquoi on n’a pas réussi à écrire quelque chose digne du Prix
Goncourt….. ça n’intéresse personne ! On lit, les autres écoutent,
l’animateur donne un feedback, les participantes peuvent aussi réagir, mais
toujours dans la bienveillance. La critique négative ne sert à rien et ce n’est
vraiment pas le but de l’exercice. D’ailleurs, elle n’aurait pas eu lieu d’être,
les textes étaient toujours une découverte intéressante et amusante, car, qu’on
le veuille ou non, celle qui manie la plume se dévoile forcément.
Il fallait
généralement écrire avec une contrainte et un temps limité, ça évite de
rechercher la perfection stérile. La contrainte pouvait être un thème imposé
(p.ex. les pieds), une liste de mots choisis au hasard par la voisine, un
incipit, un souvenir de voyage….. Il était amusant de voir toute la palette, la
variété de versions différentes, étant donné que chacune interprétait les mots
ou la consigne à sa façon. Les unes se lançaient dans un poème ou une liste,
d’autres écrivaient une lettre à l’être aimé, c’était parfois lyrique ou
concret, amoureux, historique, amusant….. Nous avons également découvert les
haïkus, dans le but de comprendre la beauté de la concision. Less is more, comme le disent les
anglo-saxons. C’est même devenu un fil conducteur, un leitmotiv tout au long de
la semaine.
Le rythme de
travail était soutenu, à tel point que je sentais mon cerveau bourdonner à la
fin de la journée. J’avais un appétit d’ogre, l’effort intellectuel consommant
visiblement beaucoup d’énergie. Les repas étaient simples, mais délicieux et
très sains. Manger en bonne compagnie est un vrai plaisir, surtout quand ça se
passe dehors, l’été, dans un lieu accueillant et imprégné de spiritualité.
Notre groupe
a été une rencontre très réussie de vies et de styles différents. Chacune y a
apporté sa contribution, son aura personnelle, son énergie, son vécu, ses
émotions et son style de narration et d’écriture. Chacune a pu s’exprimer en
toute liberté, à l’abri de tout jugement, le but de la semaine n’étant ni la
productivité ni un résultat matériel, concret. Tous les styles étaient
autorisés et encouragés. On écrivait pour être écoutées des autres, mais on
écrivait aussi pour soi : on doit pouvoir se reconnaître dans son texte,
en écrivant avec son cœur et non pas avec son cerveau. Il est amusant de
constater que l’écriture se déroule quasiment d’elle-même, il suffit d’avoir un
point de départ. J’étais souvent étonnée de trouver un cheminement et une chute
que je n’attendais pas forcément. C’est comme si le texte réclamait que je le
découvre, il était là depuis toujours.
Nous avons
toutes été transformées par cette semaine magique. Ne reste plus qu’à garder vivant
cet esprit d’écoute et de perception au monde qui nous entoure, dans un esprit
positif et constructif. Et y retourner l’année prochaine, pourquoi pas …. ?
*) à dix
contre un, le masculin ne l’emportera pas !
* * * * *
Le haïku de
l’ascenseur, par Béatrice :
Ouverture
des portes
Chanson lassante
L’aveugle passe
Chanson lassante
L’aveugle passe
* * * * *
Charles Juliet - Pourquoi
écrire ?
Ecrire pour
obéir au besoin que j’en ai.
Ecrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler.
Ecrire pour ne plus avoir peur.
Ecrire pour panser mes blessures. Ne pas rester prisonnier de ce qui a fracturé mon enfance.
Ecrire pour ne pas vivre dans l’ignorance.
Ecrire pour surmonter mes inhibitions, me dégager de mes entraves.
Ecrire pour déraciner la haine de soi. Apprendre à m’estimer.
Ecrire pour déterrer ma voix.
Ecrire pour me parcourir, me découvrir. Me révéler à moi-même.
Ecrire pour épurer mon œil de ce qui conditionnait sa vision.
Ecrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m’unifier.
Ecrire pour conquérir ce qui m’a été donné.
Ecrire pour gravir la pente qui mène à la simplicité.
Ecrire pour tenter de réduire, de dissoudre le moi.
Ecrire pour devenir plus conscient de ce que je suis, de ce que je vis.
Ecrire pour affiner et aiguiser mes perceptions.
Ecrire pour savourer ce qui m’est offert. Pour tirer le suc de ce que je vis.
Ecrire pour repousser mes limites, agrandir mon espace intérieur, me rendre toujours plus libre.
Ecrire pour soustraire des instants de vie à l’érosion du temps.
Ecrire pour retrouver – par-delà la lucidité conquise – une naïveté, une spontanéité, une transparence.
Ecrire pour produire la lumière dont j’ai besoin.
Ecrire pour tenter de voir plus loin que mon regard ne porte.
Ecrire pour donner du sens à ma vie. Pour éviter qu’elle ne demeure comme une terre en friche.
Ecrire pour susciter cette mutation qui me fera naître une seconde fois.
Ecrire pour m’inventer, me créer, me faire exister.
Ecrire pour m’employer à devenir meilleur que je ne suis.
Ecrire pour faire droit à l’instance morale qui m’habite.
Ecrire pour affirmer certaines valeurs face aux égarements d’une société malade.
Ecrire pour être moins seul. Pour parler à mon semblable.
Pour chercher les mots susceptibles de le rejoindre en sa part la plus intime. Des mots qui auront peut-être la chance de la révéler à lui-même.
De l’aider à se connaître et à cheminer.
Ecrire pour mieux vivre. Mieux participer à la vie. Apprendre à mieux aimer.
Ecrire pour que me soient donnés ces instants de félicité où le temps se fracture, et où, enfoui dans la source, j’accède à l’intemporel, l’impérissable, le sans-limite.
Ecrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler.
Ecrire pour ne plus avoir peur.
Ecrire pour panser mes blessures. Ne pas rester prisonnier de ce qui a fracturé mon enfance.
Ecrire pour ne pas vivre dans l’ignorance.
Ecrire pour surmonter mes inhibitions, me dégager de mes entraves.
Ecrire pour déraciner la haine de soi. Apprendre à m’estimer.
Ecrire pour déterrer ma voix.
Ecrire pour me parcourir, me découvrir. Me révéler à moi-même.
Ecrire pour épurer mon œil de ce qui conditionnait sa vision.
Ecrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m’unifier.
Ecrire pour conquérir ce qui m’a été donné.
Ecrire pour gravir la pente qui mène à la simplicité.
Ecrire pour tenter de réduire, de dissoudre le moi.
Ecrire pour devenir plus conscient de ce que je suis, de ce que je vis.
Ecrire pour affiner et aiguiser mes perceptions.
Ecrire pour savourer ce qui m’est offert. Pour tirer le suc de ce que je vis.
Ecrire pour repousser mes limites, agrandir mon espace intérieur, me rendre toujours plus libre.
Ecrire pour soustraire des instants de vie à l’érosion du temps.
Ecrire pour retrouver – par-delà la lucidité conquise – une naïveté, une spontanéité, une transparence.
Ecrire pour produire la lumière dont j’ai besoin.
Ecrire pour tenter de voir plus loin que mon regard ne porte.
Ecrire pour donner du sens à ma vie. Pour éviter qu’elle ne demeure comme une terre en friche.
Ecrire pour susciter cette mutation qui me fera naître une seconde fois.
Ecrire pour m’inventer, me créer, me faire exister.
Ecrire pour m’employer à devenir meilleur que je ne suis.
Ecrire pour faire droit à l’instance morale qui m’habite.
Ecrire pour affirmer certaines valeurs face aux égarements d’une société malade.
Ecrire pour être moins seul. Pour parler à mon semblable.
Pour chercher les mots susceptibles de le rejoindre en sa part la plus intime. Des mots qui auront peut-être la chance de la révéler à lui-même.
De l’aider à se connaître et à cheminer.
Ecrire pour mieux vivre. Mieux participer à la vie. Apprendre à mieux aimer.
Ecrire pour que me soient donnés ces instants de félicité où le temps se fracture, et où, enfoui dans la source, j’accède à l’intemporel, l’impérissable, le sans-limite.
Charles Juliet, Lumières d'automne, Journal VI, 1993-1996, P.O.L, 2010, pp. 247-248.
Trouver la source (édition La passe du vent, 2000)
Trouver la source (édition La passe du vent, 2000)
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