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lundi 12 février 2024

Malte, quel étrange pays !

La Valette

Malte est une sorte d’ornithorynque parmi les nations. L’animal est un mammifère qui pond des œufs, qui a un bec de canard, une queue de castor, des pattes palmées et un pelage de taupe fluorescent. Quant à Malte, c’est un archipel composé de huit îles, mais essentiellement deux - Malte et Gozo - d’une superficie (316 km2) inférieure à celle d’Andorre (464 km2), mais faisant tout de même le double du Liechtenstein (160 km2). C’est le seul pays de l’Union européenne où l’on parle une langue sémitique écrite en caractères latins, le maltais. Le pays a acquis son indépendance vis-à-vis de l’Angleterre en 1964, est devenu une république en 1974 et a gardé d’excellentes relations avec son ancien colonisateur. On y utilise des prises électriques anglaises, on y conduit à gauche et Malte est un fier membre du Commonwealth. Les cabines téléphoniques étaient identiques à celles de la métropole britannique. Le pays a rejoint l’UE et la zone Schengen en 2004, c’est-à-dire 40 ans seulement après son indépendance et quatre ans plus tard, il a rejoint la zone euro. Avec une population d’environ 500.000 habitants, l’archipel est le 10ème plus petit Etat et le 4ème pays le plus densément peuplé du monde. C’est un pays extrêmement catholique, malgré son étroite proximité avec le sud de la Méditerranée. Quelque 93km séparent Malte de la Sicile, environ 300km de la Tunisie, 355km de la Libye (à vol d’oiseau). L’eau y est très rare, il ne pleut quasiment jamais. Les nappes phréatiques ne suffisant pas à couvrir les besoins, l’eau potable est acquise grâce au dessalement d’eau de mer par un procédé d’osmose inverse. 



La langue maltaise dérive essentiellement de l’arabe sicilien, avec une petite proportion d’influence italienne et un chouïa de français. La langue est très proche du tunisien et les arabophones l’apprennent très facilement. Sa grammaire et son orthographe ont été codifiés et officialisés en 1934, en alphabet latin, avec quelques signes diacritiques particuliers. Le maltais devient langue officielle en 1964, à l’occasion de l’indépendance et c’est également une langue officielle au sein de l’UE. Toutefois, il est possible de suivre des stages et cours d’anglais, cette langue étant la deuxième langue officielle du pays. Il existe également le « maltish », à savoir un sabir entre le maltais et l’anglais. Parmi les mots français qui sont restés sur l’île, on trouve, entre autres, « bondjou » pour bonjour, « bonswa » pour bonsoir, «  xarabank » pour autobus (char-à-bancs). Merci se dit : Grazzi ! Toute la toponymie maltaise, à l'exception du nom des îles de Malte et de Gozo, est d'origine arabe, par exemple Mdina et Rabat, medina signifiant ville et rabat étant le lieu où on attache les chevaux.



La population maltaise est catholique à 98%. Selon la légende, ce serait l’apôtre Paul de Tarse qui aurait christianisé l’île, après y avoir fait naufrage en l’an 60. Les Ottomans ont occupé Malte pendant environ trois siècles, mais c’est une terre chrétienne et même très chrétienne depuis. Malte servait de camp de base pour les croisés en route pour la Terre Sainte. Elle est devenue la patrie de l’Ordre souverain militaire des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Rhodes et Malte, un ordre laïc catholique, dont le rôle était d’apporter soins et secours aux croisés et aux pèlerins. Voilà un autre ornithorynque, qui mériterait un article à part : un ordre catholique laïc, militaire et hospitalier, un quasi-État, puisque leur siège, sis actuellement à Rome, jouit de l’extraterritorialité. Car oui : l’ordre des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem existe encore aujourd’hui, il est même reconnu par de nombreux États et participe comme observateur aux réunions internationales. 



La capitale du pays et de la plus grande des îles est La Valette (un seul « l » en français, deux en anglais : Valletta), nommée d’après le 49ème Grand Maître de l’Ordre des Chevaliers de Malte, le Français Jean Parisot de la Valette (1494-1568). Elle est classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Sur l’île de Gozo, la grande ville s’appelle à la fois Victoria - comme la reine d’Angleterre - et Rabat, alors qu’il y a déjà une ville portant ce nom sur Malte ! Il y a deux opéras pour les 31.000 habitants de Gozo, et deux autres sur Malte, le théâtre Manoel, lui aussi nommé après un Grand Maître et l’ancien opéra royal, réduit en miettes lors de Seconde guerre mondiale, désormais un théâtre en plein air. Voilà sans doute la plus forte densité lyrique au monde. La Valette est une véritable ville fortifiée : non seulement elle a été bâtie sur une péninsule, mais elle comporte des bastions face à la mer et plusieurs hautes murailles séparées de fossés, de quoi décourager les plus hardis conquérants. On trouve des tours de guet sur tout le pourtour de l’île, qui a été conquise et envahie par quasiment la planète entière : les Phéniciens, les Carthaginois, l’Empire romain d’orient (vers 500), puis les Arabes (870), chassés par les Normands en 1090. En 1282, ce sera au tour du royaume d’Aragon d’occuper Malte. En 1530, le roi Charles Quint fait don de l’île aux Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, après que ceux-ci furent chassés de Rhodes par Soliman le Magnifique. La France de Napoléon s’est emparée de l’île en 1798, mais n’a tenu que deux ans, chassée par les Britanniques, qui y ont pris pied en 1800.



Malte a connu deux sièges difficiles et éprouvants. Tout d’abord le siège ottoman de 1565, qui a duré trois mois. Les Turcs furent finalement repoussés grâce aux efforts des chevaliers, soutenus par la population maltaise. Acclamés comme les sauveurs de l'Europe, les chevaliers furent récompensés par la construction d'une nouvelle ville fortifiée : La Valette. Plusieurs siècles plus tard, Malte est à nouveau assiégée, cette fois-ci par les forces de l’Axe, de juin 1940 à novembre 1942. Ce petit confetti de pays a été une des régions les plus lourdement bombardées pendant la Seconde guerre mondiale, il a reçu plus de bombes que l’Angleterre pendant le Blitz : 3343 raids aériens, d’une durée de 2357 heures, 15.000 tonnes de bombes larguées sur les îles, 6700 tonnes rien que sur le grand port. A nouveau, les îles représentaient une base stratégique pour les opérations militaires en Afrique du Nord, tant pour l’Axe que pour les Alliés, dont la victoire à Malte a marqué un tournant important dans l’issue du conflit. La population maltaise s’est vu décerner la Croix de George (distinction britannique) pour sa bravoure et son endurance pendant le conflit, croix qu’on retrouve encore sur leur drapeau national. 




Malte a fait preuve d’une résilience extraordinaire, parvenant à se relever après les dures épreuves du conflit mondial. C’est aujourd’hui un pays paisible et moderne, participant pleinement à la construction européenne, même si on a pu leur reprocher leur générosité dans la distribution de passeports bleu étoilés. L’actuelle présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, est Maltaise, même si son patronyme est finlandais, comme l’est son mari. Malte était autrefois connue également pour ses pavillons de complaisance pour la marine marchande, mais depuis le naufrage de l’Erika (1999), ils sont devenus un peu plus circonspects et réservés sur ce créneau-là. Un marin maltais célèbre dans le monde entier est le héros de Hugo Pratt, Corto Maltese, qui serait né à La Valette en 1887, d’une mère gitane et d’un père britannique. Toujours dans le domaine de la fiction, tout le monde a entendu parler du « Faucon maltais », mais qu’est-ce donc ? C’était le tribut que devaient payer les Chevaliers de Malte au roi d’Espagne en échange de leur droit de séjourner sur l’île. Il s’agissait sans doute de véritables oiseaux vivants, alors que dans le roman de Dashiell Hammett et le film éponyme de John Houston, c’est une statuette précieuse que tout le monde convoite. Malte a donné son nom à une fièvre, qui s’appelait aussi fièvre de Chypre, de Gibraltar ou de Crimée, et qui circule dorénavant sous le nom de brucellose. Enfin, ces petits chiens si mignons, les bichons maltais, n’ont aucun rapport avec ce pays, c'est simplement une race méditerranéenne. Les billes de chocolat malté, les Maltesers, n’ont aucun rapport non plus, si ce n’est que ce terme désigne les Chevaliers de Malte en allemand. 




Une quantité invraisemblable de films ont été tournés à Malte, dont le récent Napoléon de Ridley Scott. Il y a une bonne raison à cela : il n’est pas nécessaire de construire de décors historiques, tout est déjà là ! Y compris le beau temps et une belle lumière ensoleillée. Bref, que vous vous intéressiez au cinéma, à l’histoire, aux relations internationales, aux religions, au mélange des langues, des peuples et des cultures ou que vous recherchiez tout simplement des vacances à la mer et au soleil, Malte est là pour vous ! Vous pourrez même vous prendre pour Ulysse et faire de la plongée dans la grotte de Calypso (à Gozo). Pas besoin de vaccins ni de visas, vous êtes dans l’espace Schengen, sans décalage horaire et n’aurez pas besoin d’autres devises que des euros. Alors … qu’attendez-vous ?




Le Figaro, 23 juin 2024

[...] le plus petit des États de l’Union européenne (UE), 316 km², soit trois fois la superficie de Paris intra-muros, est soumis au défi de l’acceptation de l’autre. Les étrangers étaient environ 12.000 en 2004, lors de l’entrée de Malte dans l’UE. Ils sont aujourd’hui plus de 140.000, sur une population de 542.000 habitants (2022). La jeune République maltaise accepte un ailleurs hétéroclite : des retraités, des jeunes Européens venus apprendre l’anglais, des télétravailleurs, des personnels hautement qualifiés et une importante main-d’œuvre issue des pays sous-développés.
« Des Indiens, des Pakistanais, des Népalais… Ils viennent de partout. Il y a désormais trop d’immigrants, mais aussi trop de touristes »

... Les relations entre les communautés ethniques venues de pays du tiers-monde sont tout sauf harmonieuses. « C’est la guerre des pauvres. Les Indiens contre les Philippins. Les Philippins contre les Pakistanais. Ils se battent pour le même bout de pain » ... 
Il y a deux millions de touristes l’été. Les Maltais ne veulent pas travailler dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration ou du bâtiment. Ce sont les migrants qui effectuent ces travaux, alors que le pays reçoit toujours plus de voyageurs chaque année et ne pourrait pas fonctionner sans ces personnels. » Dans tous les grands centres de l’île, de La Valette à Marsaxlokk, les serveurs et les cuisiniers sont presque tous issus du sous-continent indien, parfois de Serbie et de Bulgarie.
...
Et le surtourisme ? « Quel autre choix ont les Maltais ? », répondent souvent ces derniers. L’île n’a guère plus d’habitants que Toulouse, mais elle a su en vingt ans se spécialiser dans les casinos en ligne - il y en a plus de 300 - et dans la vente de passeports dorés à 1 million d’euros. Plus de 25% de ces derniers ont été vendus à des Russes, dans un environnement où la corruption fait régulièrement la une des journaux locaux.

... En l’état actuel des choses, La Valette semble condamnée à poursuivre son modèle actuel de développement du tourisme de masse biberonné par les charters. Dans cette course à la croissance débridée, le risque pour Malte est bien de perdre son identité.
... Exception faite de quelques villages et lieux patrimoniaux, les villes maltaises ont perdu leur âme au profit de chaînes et de restaurants proposant des saveurs gastronomiques que l’on retrouverait à Little Rock ou à Calgary. Cette dilution de l’identité maltaise est aussi démographique, puisque les Maltais ne constituent plus que 77% de la population contre 95% en 2011.  ...

Entre le choix de beaux chiffres de croissance grâce à une immigration riche ou pauvre et celui de garder son identité, le défi pour Malte sera bien de ne pas devenir le nouveau Dubaï de la Méditerranée.



mardi 12 décembre 2023

Bild Lilli, la mère de toutes les Barbie

Bild Lilli  (Hong Kong)

Les poupées existent depuis toujours, dans toutes les cultures du monde. Chez nous, elles ont longtemps représenté des bébés, des poupons, puisque les fillettes pré-pubères devaient forcément s’identifier à leur futur rôle de mère. L’avènement de Barbie est venu bouleverser ce paradigme, comme le démontrent les premières minutes du récent blockbuster de Greta Gerwig, où l’on reconnaît aisément les premières images de 2001 Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick: de sages petites filles jouent à la maman avec des poupées traditionnelles, jusqu’à ce qu’un monolithe surgi de nulle part leur adresse un sourire charmeur et un clin d’œil. A partir de ce moment-là, ces mini-femmes en devenir démolissent le destin traditionnel qui leur est assigné avant même qu’elles ne sachent lire et écrire, pour s’identifier à une irrésistible séductrice portant des escarpins assortis à une garde-robe illimitée. 

Mais revenons au commencement. Dans les années -50, le journal allemand Bild a lancé une caricature coquine en guise de Page 3 Girl : une secrétaire avenante, blonde et coquine, pas bégueule, plutôt dévêtue et croqueuse d’homme, qui s’appelait Lilli. Elle est rapidement devenue populaire, au point qu’une poupée à son effigie a été créée. Ce qui est étonnant est que ladite poupée s’adressait à un public d’hommes adultes. Elle était vendue dans des bars, des boîtes de nuit et des bureaux de tabac. C’était un jouet gag qu’on offrait, par exemple, lors d’enterrements de vie de garçon.


1965 Barbie originale, photo : Nelson Tiffany, Los Angeles Times


L’été 1956, Ruth Handler, co-fondatrice de Mattel, passe devant la vitrine d’un magasin de jouets à Lucerne avec sa fille et toutes deux restent scotchées devant une poupée Lilli. Cela faisait des années qu’elle tentait de convaincre ses collègues masculins de créer un jouet représentant une femme adulte plutôt qu’un bébé. L’idée était de permettre à sa fille, Barbara, de se projeter dans l’avenir, comme pouvaient le faire les garçons qui s’imaginent volontiers pompier ou astronaute, mais certainement pas papa. Grâce à la figurine Lilli existante, Ruth Handler a enfin réussi à convaincre l’équipe de Mattel de se lancer dans cette aventure. La poupée a été légèrement adaptée pour la rendre légèrement moins vulgaire et sexuelle ; les boucles d’oreilles et les escarpins de Lilli étaient peints, alors que Barbie a des orteils et une kyrielle d’escarpins - qui se perdent et qu’il faut racheter, voilà qui est bien commode ! Lilli portait une queue de cheval, Barbie aussi, mais par la suite, ses longs cheveux libres flottaient librement. Toutes deux ont une silhouette en sablier et de longues jambes dénuées de cellulite. 

Barbara Millicent Roberts, alias Barbie, est officiellement née le 9 mars 1959, lorsqu’elle a été présentée à la New York Toy Fair par Ruth Handler en tant que « Teenage Fashion Model ». Greiner et Hausser, créateurs de Bild Lilli, ont intenté un procès contre Handler pour plagiat en 1961. Le litige a pu être réglé à l’amiable et c’est ainsi que Mattel a pu acheter les droits sur Lilli en 1964 pour 21.600 USD. A partir de ce moment-là, Lilli quitte la scène et disparaît à tout jamais. Un tel jouet pour hommes ne pourrait de toute manière plus exister de nos jours, ce serait bien trop sexiste. 


éditions Assouline

Toutes les fillettes du monde occidental - ou presque - ont eu une Barbie, certaines en ont des dizaines, ainsi que tous les habits et accessoires qui vont avec (maison, voiture, cheval ….). Toute femme normalement constituée a également un partenaire masculin et c’est ainsi que Ken a vu le jour en 1961. Mais comme il s’agit d’un joujou pour fillettes, celui-ci est évidemment dépourvu de tout attribut viril. On a amplement critiqué le physique impossible de Barbie, mais personne ne semble s’offusquer du corps glabre et non-binaire de son petit ami. 


Aujourd’hui, Barbie est décriée comme étant le stéréotype sexiste de la femme objet, mais on oublie qu’au départ, elle offrait une perspective nouvelle de la femme, libérée des fourneaux, des bébés et du ménage. Le slogan de Barbie n’est-il pas : You can be anything you want ? Cette poupée a représenté une hôtesse de l’air, une astronaute, une policière, une zoologiste, une candidate aux élections présidentielles, une chimiste, une joueuse de baseball, une chirurgienne ….. liste non-exhaustive. Oui, mais toutes ces représentations sont toujours jeunes, belles et minces. Certes, mais est-ce bien différent dans les magazines féminins, les publicités, les films ? Barbie et tous ses avatars ont un physique impossible, aucune femme qui leur ressemblerait ne pourrait ni marcher ni tenir debout. De nos jours, Photoshop et les filtres glamour des réseaux sociaux ont pris le relais pour ce qui est de proposer des idéaux inatteignables aux jeunes filles et aux femmes, Barbie est finalement assez inoffensive de ce point de vue-là. Qui donc s’imagine ne mesurer que 29 centimètres ?




L’existence des Barbies dans le monde n’a en rien empêché de nombreuses femmes de devenir médecin, avocat, premier ministre ou lauréate du Prix Nobel. Les stéréotypes ont la vie dure et perdureront tels des cafards, même si toutes les Barbies devaient disparaître demain. Les religions et les traditions y veilleront. Dans le monde de Barbie tel que décrit dans le film éponyme, ce sont les Kens qui occupent la place des femmes : ils n’ont aucun pouvoir et ils consacrent tous leurs efforts à plaire au sexe opposé, ils ne sont que des faire-valoir. Le film aura au moins le mérite de nous faire rêver à un monde où les stéréotypes de genre auront disparu et où chacun et chacune sera libre d’être qui il ou elle souhaite être, en toute sincérité. 


https://bild-lilli.com/ 






lundi 11 décembre 2023

L’engagement personnel pour atteindre ses objectifs



Prof. Steve Alban Tineo et Martin Perrier, ont eu l’occasion de présenter le concept de COACHFERENCE® devant une centaine de personnes à l’occasion de la foire d’automne de Genève, Les Automnales, qui s’est tenue à Palexpo en novembre 2023. Ils sont tous les deux actifs - entre autres - dans le coaching ou l’enseignement et leur présentation portait sur l’engagement personnel, la motivation, l’estime de soi et la ténacité dans la poursuite de ses objectifs. Comment aller jusqu’au bout, comment ne pas baisser les bras, comment croire en soi… Tous deux ont une vaste expérience dans ces thématiques et ont l’habitude de présenter leurs méthodes face à un public - qui était nombreux et très varié en cette occasion, parrainée par l’Etat de Genève et plus particulièrement par le programme Level Plus, dont le but est d’aider les chômeurs de plus de 50 ans à retrouver un travail. 

Martin Perrier est un athlète d’élite en ultra-trail et participe régulièrement à des courses d’endurance extrêmement dures, plusieurs centaines de kilomètres sur plusieurs jours. Il sait ce que cela signifie que de surmonter la douleur, la fatigue et la peur de l’échec. Il sait comment programmer son mental pour ne pas abandonner, pour y croire envers et contre tout et aller jusqu’au bout. Il ne demande certes pas au public de se mettre au triathlon, mais il l’encourage à tenter l’expérience de l’engagement total. Il nous a suggéré de choisir une habitude de vie que nous aimerions changer en y consacrant au maximum 15 minutes par jour pendant un mois. Cet engagement à changer sa vie - qu’il s’agisse d’arrêter de fumer, faire du sport, de lire un livre, de passer plus de temps avec ses enfants ou de se lever plus tôt - doit être concret et tangible, il doit être réaliste, il doit avoir du sens pour vous et, idéalement, cela devrait être une bonne résolution dans laquelle vous avez déjà échoué. Il nous a ensuite expliqué la différence entre une intention et un engagement, en ajoutant à l’intention de changer son habitude de vie la volonté d’en faire une priorité et le refus catégorique de se chercher des excuses. Ne dites pas que vous n’avez pas le temps, pas l’énergie, que vous manquez de discipline ou que vous avez oublié. Si vous êtes vraiment engagé, aucune excuse ne tiendra la route. Pour nous faire intégrer encore davantage la notion d’engagement, il nous a présenté sa méthode Q3 No Limit™, qui repose sur trois questions simples, mais essentielles pour (re)découvrir le pouvoir virtuellement infini de l’engagement personnel. 

Steve Alban Tineo est négociateur, expert en gestion de crises et enseigne la négociation et la gestion de conflits dans des universités en Ukraine et en Hollande. Au moyen d’exemples tirés notamment de la Formule1, où il a collaboré et accompagné une dizaine de pilotes, Steve explique l’importance de bien se connaître soi-même. Nos croyances, nos peurs, nos conditionnements nous entraînent dans des comportements inconscients de soumission, de peur ou d’abandon. Et c’est en prenant conscience de ces limitations, que nous pouvons les dépasser afin de créer pour soi, une réalité positive. Ainsi, des études américaines ont démontré que, parmi les femmes agressées, celles qui étaient accompagnées de leur enfant s’en sortaient bien mieux que les autres, alors qu’elles ne parviennent pas, dans 95% des cas, à le faire pour elles-mêmes. Autrement dit, l'amour et la responsabilité qu’elles portent envers leur enfant est plus fort que leur conviction qu’elles ne peuvent pas se défendre. En dépassant nos croyances, nous accédons à notre propre pouvoir intrinsèque. Les universités américaines de Stanford, Harvard et Carnegie sont toutes parvenues à la conclusion que le succès dépendait à 15% de l’aptitude et à 85% de l’attitude. Il est bien sûr important d’avoir une formation, de l’expérience, des aptitudes, mais quelqu’un qui n’aurait que cela et qui manquerait totalement de sensibilité, d’introspection, d’ouverture à autrui, d’instinct, de feeling de résilience, d’intelligence émotionnelle et de compréhension de ses propres comportements destructeurs ne peut pas être quelqu’un de complètement fonctionnel et intégré. L’intelligence interpersonnelle étant un prérequis à l’intégration sociale et au succès. Les cours de formation sont essentiels lors d’une recherche d’emploi, mais le développement personnel est encore plus important. Il ne faut pas négliger son pouvoir personnel. Tous les chefs devraient apprendre à être à l’écoute de leurs subordonnés, ils doivent savoir prêter l’oreille même aux collaborateurs qu’ils pourraient considérer les plus insignifiants. Il faut aussi avoir l’humilité d’accepter de ne pas toujours avoir raison. Les chômeurs doivent miser sur leurs 85% d’aptitudes personnelles, leurs qualités humaines et surtout garder la motivation. Comment voulez-vous qu’un employeur croie en vous, si vous-mêmes ne le faites pas ? Comment voulez-vous trouver un emploi, si tout en vous vibre le rejet et l’échec ? 

Le public était très attentif et a également participé de façon très active et interactive à cette leçon de vie. Il est difficile, mais possible, de garder la tête haute lorsqu’on reçoit des centaines de réponses négatives à des postulations auprès d’entreprises et de conserver une bonne estime de soi. Espérons que les participants auront quitté Palexpo plus sages et plus engagés. Steve et Martin se sont engagés, eux, à offrir un debrief personnalisé à chaque participant qui a pris un engagement pour un mois. Espérons surtout que le programme Level Plus permettra aux chômeurs senior de faire valoir et de faire apprécier leur expérience et leurs compétences. 

mercredi 27 septembre 2023

Leçons de chimie - La brillante destinée d’Elizabeth Zott par Bonnie Garmus


Your ability to change everything, including yourself, starts here !


Quel bonheur que de lire un livre aussi intelligent ! Et quel plaisir que de lire un livre aussi drôle ! Il s’agit du premier roman de Bonnie Garmus (66 ans), rédactrice dans les domaines technologique, médical et pédagogique. On jurerait qu’elle est elle-même chimiste, mais non : elle s’est simplement documentée en lisant un vieux manuel de chimie du siècle dernier, afin d’être certaine d’éviter les anachronismes. Ce livre est né de sa « colère constructive » comme elle l’appelle, après qu’un collègue s’était approprié une de ses idées et que personne ne l’ait prise au sérieux. Elle a réussi a transformer cette énergie destructrice en quelque chose de créatif, mais aussi amusant et instructif. 

L’intrigue narre la destinée non pas tant brillante que freinée, frustrée, bloquée et entravée d’une chimiste américaine dans les années 1950-60. Elle est super intelligente, compétente, efficace, elle dépasse tous ses collègues, mais personne ne la prend au sérieux, puisque c’est une femme et que les femmes qui travaillent hors de la maison sont des secrétaires. Elle rencontre et tombe amoureuse de Calvin Evans, un HPI rancunier à tendance Asperger que nul ne supporte. Lui, tombe sous le charme du cerveau d’Elizabeth Zott, ils sont tous deux seuls sur la même planète, isolés du reste du monde. Personne ne comprend la chimie magique qui lie le crapaud misanthrope et cette belle plante si brillante, tout le monde les jalouse, personne ne veut leur succès, tout le monde ne rêve que de leur échec. Quand Elizabeth Zott tombe enceinte sans être mariée, un couperet tombe sur sa carrière, sa vie et sa personne ne se résument plus qu’à son statut scandaleux de fille mère. Elle avait refusé d’épouser l’homme qu’elle aimait tant, car elle savait qu’elle ne serait alors plus que Mme Evans et que tous ses travaux seraient alors attribués à son mari. 



Elle finit par retrouver un travail bien féminin, à savoir l’animation d’un programme culinaire à la télévision. Mais voilà : la cuisine, c’est de la chimie et, contre vents et marées, elle arrive à mitonner de bonnes petites recettes tout en expliquant les phénomènes chimiques qui lient les sauces ou qui découlent de la chaleur du four. Dans son émission, le vinaigre s’appelle acide acétique et le sel chlorure de sodium. Faire de la mayonnaise ou battre des blancs d’œuf en neige tient réellement de la magie ! Son émission devient immensément populaire dans tous les Etats-Unis, notamment parce qu’elle prend son public au sérieux et qu’elle s’adresse aux femmes comme à des personnes douées de raison, au lieu de les considérer comme de simples épouses et mères. Elle profite d’avoir l’attention de milliers de femmes au foyer pour faire passer des messages d’émancipation et de liberté de penser, tout en encourageant ses congénères à découvrir qui elles sont vraiment et à vivre pleinement la vie qui leur correspond.


Bonnie Garmus a écrit ce roman en hommage à sa propre mère, une infirmière qui aurait voulu être chirurgienne et qui a dû arrêter de travailler lorsqu’elle est tombée enceinte. Elle s’est rendu compte à quel point elle n’avait pas su apprécier ni comprendre les sacrifices qu’avait faits sa mère et combien la vie pouvait être dure et insatisfaisante pour les femmes. C’est la raison pour laquelle elle a situé l’action de son roman à une époque où sa propre maman était une maman.


Ce roman est devenu un best-seller traduit en 40 langues, une adaptation au format série télé (Apple TV) est en cours. C’est bien la preuve que, aujourd’hui encore, bien des personnes se reconnaissent dans ces vieux schémas qu’on croyait dépassés depuis longtemps. Bonnie Garmus dit que de nombreux lecteurs et lectrices sont retournés à l’école, ont divorcé, ont décidé de prendre leur destin en main, au lieu de se plier aux préjugés et convictions que d’autres tentent de leur imposer - parfois sans s’en rendre compte. Il est vraiment intéressant de constater à quel point le message, très rigolo et sarcastique, de l’auteur a trouvé un écho auprès d’un vaste public, tant féminin que masculin. 



Children, set the table. Your mother needs a moment to herself.

Lessons in Chemistry, Bonnie Garmus. Doubleday 2022

Leçons de chimie - La brillante destinée d’Elizabeth Zott par Bonnie Garmus. Editions Pocket. Les révélations, juin 2023


Note : ayant vu quelques minutes de la série télé, elle n'a pas grand chose à voir avec le roman. Les réalisateurs semblent n'avoir rien compris.... En effet, on y voit Elizabeth Zott séduire Calvin Evans grâce à ses petits plats si délicieux. Oh mon dieu, les clichés ont décidément la vie dure ! 







mercredi 9 août 2023

La plus belle femme du monde

Hedy Lamarr (1914-2000)

Any girl can be glamorous. All you have to do is stand still and look stupid.”


Nous avons tous des préjugés. Plus ou moins conscients, plus ou moins avouables, difficilement maîtrisables. Pendant des siècles, parmi les préjugés les plus courants on trouvait : a) les femmes ne peuvent pas être intelligentes ; b) les jolies femmes sont forcément des bécasses ; c) il est impossible qu’une starlette de Hollywood puisse breveter une invention qui aurait sans doute pu changer le cours de la deuxième Guerre mondiale. Et pourtant …. Voici l’histoire de Hedwig Kiesler, mieux connue sous le nom de Hedy Lamarr.

Cette future star est née en 1914 à Vienne, à l’époque encore en Autriche-Hongrie. Elle mourra en Floride en 2000, seule, ruinée et recluse, alors que son invention révolutionnaire a changé la face du monde sans qu’elle n’ait jamais touché le moindre sou. Compte tenu des bruits de bottes qui commencent à se faire entendre dans les années 30, Hedwig Kiesler, d’origine juive, fuit l’Europe et fera carrière aux Etats-Unis, comme tant dautres exilés européens. A 12 ans, elle gagne un concours de beauté et à 19 ans, elle tourne dans le premier film érotique de l’histoire du cinéma, Extase (Gustav Machatý, 1933). Cette œuvre, qui dévoile une femme nue, ainsi qu’un orgasme féminin, fera sensation, choquera les esprits et marquera la vie et la carrière de Hedy Lamarr de façon irréversible, telle une tache impossible à laver. Elle fera néanmoins une brillante carrière à Hollywood, côtoyant les plus grandes stars du grand écran, ainsi que tous les grands noms ayant, comme elle, fui le nazisme. Elle dira plus tard que sa beauté était une malédiction, car personne ne voyait qui elle était, au-delà de la surface.



Dès l’enfance, elle s’est intéressée à la science et à la technique, notamment grâce à son père qui a su éveiller son intérêt pour les mystères du monde. Elle a également appris plusieurs langues, ainsi que le piano et l’équitation, comme la jeune fille de bonne famille qu’elle était. Le premier de ses six maris était Friedrich Mandl, un marchand d’armes qui faisait de juteuses affaires avec les forces de l’Axe. En tant qu’épouse et hôtesse aussi discrète qu’élégante, Hedwig a entendu et compris beaucoup de choses, sans que personne ne soupçonne qu’une si jolie femme puisse y comprendre quoi que ce soit. Quelques années plus tard, rongée par le remords et la culpabilité sous le soleil de Californie, elle tenait absolument à agir contre la guerre. C’est lors d’une soirée que Hedwig, qui s’appelle dorénavant Hedy Lamarr, rencontre le compositeur George Antheil, pianiste moderniste et inventeur à ses heures, lui aussi un émigré des années 30. La rencontre de leurs deux esprits exceptionnellement curieux et novateurs débouchera sur une idée permettant d’empêcher le brouillage de la communication radio-téléguidée des torpilles, moyennant l’étalement de spectre par saut de fréquence, ce qui permettrait alors à ces munitions de mieux atteindre leurs cibles, tout en empêchant l’ennemi d’accéder aux fréquences du téléguidage. L’idée consistait à constamment modifier, de façon simultanée, la fréquence à laquelle communiquaient le sous-marin et la torpille. Il devenait ainsi impossible de brouiller ce lien, puisqu’il changeait sans cesse. 




L’invention a été déposée et brevetée par le US Patent Office en août 1942, mais totalement négligée par l’armée américaine - qui ne l’a tout simplement pas comprise - tout en étant classée Secret Défense. A noter que les torpilles américaines étaient particulièrement inefficaces à l’époque. Ce système a pourtant été exploité par la US Army lors de la crise des missiles à Cuba (1962), sans que les inventeurs n’aient jamais été rémunérés, ni même remerciés. Le brevet ne ressortira des tiroirs qu’en 1997, permettant alors le lancement des systèmes satellites modernes, de la WiFi, des téléphones sans fil et cellulaires, du Bluetooth et des systèmes GPS. Hedy Lamarr n’a jamais tiré le moindre bénéfice de ce brevet, échu au bout de 20 ans. Antheil quant à lui est décédé en 1959. La valeur globale de toutes les inventions qui en sont dérivées est aujourd’hui estimée à 30 milliards USD. Hedy Lamarr a toutefois été honorée, des années plus tard, par le Pioneer Award of the Electronic Frontier Foundation, ainsi que le Invention Convention's Bulbie Gnass Spirit of Achievement Award.

Ni Hedwig Kiesler ni George Antheil n’ont fait d’études universitaires ou techniques, ayant tous deux abandonné leur scolarité avant le baccalauréat. Hedy Lamarr avait constamment toutes sortes d’idées très créatives et originales. Elle a inventé un petit cube effervescent permettant de produire une boisson gazeuse. C’est également elle qui a suggéré à son petit ami Howard Hugues, aviateur et constructeur aéronautique, de placer les ailes des avions à l’oblique, plutôt qu’à angle droit, pour leur permettre de voler plus vite. Pour cela, il lui avait suffi d’observer les oiseaux et les poissons. Elle a eu l’idée d’un siège tournant permettant d’entrer et de sortir de la douche ou encore d’un collier fluorescent pour chien. Enfin, c’est encore elle, nostalgique de ses Alpes autrichiennes, qui a fait construire une Villa Lamarr à Aspen, contribuant ainsi à faire de ce bled perdu une station de ski à la mode. Lorsque sa beauté a commencé à se faner, elle a eu recours à la chirurgie esthétique, avec des résultats plutôt calamiteux à l’époque, en suggérant toutefois au chirurgien de faire en sorte à placer les cicatrices derrière ses oreilles. Sa carrière déclinant inexorablement, elle est finalement devenue une des nombreuses patientes-victimes du Dr Feelgood, Max Jacobson de son vrai nom, qui requinquait les stars en leur injectant des « vitamines », en réalité de la méthamphétamine (crystal meth). Droguée, has been et abîmée par de multiples interventions esthétiques, elle finira sa vie en recluse et mourra en 2000, à l’âge de 85 ans. 

picture alliance / Everett Collection

Elle est en train d’être redécouverte, plus de 20 ans après sa mort - mieux vaut tard que jamais ! On trouve désormais des t-shirts à son effigie, Johnny Depp et Jeff Beck lui ont consacré une chanson. Quand on pense qu’elle a servi de modèle à la Blanche-Neige de Disney, ainsi qu’à Catwoman et qu’elle a tourné des films avec tous les grands noms de Hollywood, il est difficile de comprendre comment elle a pu ainsi tomber dans l’oubli. Sa nudité dans Extase l’a empêchée d’être jamais prise au sérieux. Son autobiographie apocryphe a encore enfoncé le clou, en la réduisant à une chaudasse et à une bombasse…. Le livre ne mentionne aucune de ses inventions et efface totalement son esprit brillant.

Alors ayons une pensée pour Hedwig Kiesler chaque fois que nous consultons notre téléphone mobile et évitons de présumer de l’intelligence d’une personne en nous basant uniquement sur son aspect physique. Tenons-nous prêts à prendre au sérieux même les idées les plus folles et ouvrons nos oreilles avec bienveillance à ceux qui ne pensent pas comme nous. Finalement, c’est peut-être nous qui avons tort !

My face has been my misfortune, it’s a mask I cannot remove. I must live with it. I curse it.

The brains of people are more interesting than their looks
All creative people want to do the unexpected




https://hedylamarr.com/
https://leaders.com/articles/leaders-stories/hedy-lamarr-inventions/
https://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2018/02/article_0002.html 

Marie Benedict : La femme qui en savait trop (roman), 2021, éditions 10718
Alexandra Dean : Bombshell (documentaire), 2017