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jeudi 24 février 2022

Le Musée africain de Tervuren (Bruxelles, Belgique)


Le musée africain (dorénavant AfricaMuseum) a vu le jour en 1897, afin de présenter la section coloniale de l’exposition universelle de Bruxelles. Léopold II a fait construire un palais colonial sur les ruines d’un ancien château, dans le domaine de Tervuren. Aujourd’hui encore, le musée est entouré d’un immense parc et d’une forêt. L’exposition universelle permettait aux visiteurs de voir des objets ethniques, des animaux naturalisés, des produits africains à une époque où, rappelons-le, personne ne voyageait plus loin que le village voisin. Au vu de l’immense succès de cette exposition, le roi des Belges a fait construire un nouveau palais, l’actuel Musée africain, qui s’est d’abord appelé le Musée du Congo Belge (1908), puis Musée Royal d’Afrique Centrale à l’indépendance du Congo. L’AfricaMuseum a rouvert ses portes récemment (2019), après cinq années de travaux de rénovation et de décolonisation. 



Il faut être assez motivé pour aller visiter ce lieu, car il faut compter une petite heure pour y arriver, en prenant le tram 44 à la station de métro Montgomery. Rien ne vous indique que vous êtes sur le bon chemin, le site web du musée ne vous dit pas non plus à quel arrêt il faut descendre (le terminus). Il y a pourtant une halte qui s’appelle Musée du Tramway, après un autre arrêt qui s’appelle Léopold II. A l’arrivée, il faut avoir de bons yeux pour arriver à lire, en tout petit, AfricaMuseum sur une petite pancarte. Une fois dans le parc, à nouveau quasiment aucune indication quant à la direction à prendre. Voyant le pavillon de verre qui sert d’entrée au musée, j’ai tout d’abord cru qu’ils avaient poussé la décolonisation jusqu’à fermer le grand bâtiment néo-classique, j’ai même failli rebrousser chemin…. Mais non : un brillant architecte a eu l’idée originale de construire un long escalier très raide, très long et très blanc pour vous faire descendre de deux étages dans un long corridor qui évoque soit un hôpital soit un abri anti-atomique. Il faut évidemment remonter un escalier identique, très raide, très long et très blanc pour arriver au musée proprement dit, situé dans l’ancien palais. Le café et les toilettes se trouvant dans le pavillon moderne, cela décourage carrément de faire une pause pendant la visite. Une magnifique pirogue taillée dans un immense tronc en bois trône toute seule et sans la moindre explication ou mise en contexte dans ce hall aseptisé, morne et vide. Quelle tristesse !


L'Esclavage
Le reste est à l’avenant. Des objets africains sont certes exposés dans des vitrines, avec des explications sommaires écrites en petit, en blanc sur beige, sur des panneaux situés à la hauteur de vos cuisses. Quand on s’est accroupi environ 15 fois pour lire, en cherchant la version française, des textes peu intéressants, on y renonce assez rapidement. Une salle consacrée à la musique nous présente des musiciens congolais, avec leur photo, leur nom, le nom de leur groupe, sans doute pour nous apprendre qu’il y a des musiciens en Afrique. Scoop ! Une autre vitrine consacrée à l’indépendance du Congo, expose des photos d’Africains prenant la pose, en citant leurs noms.  Qu’est-ce que cela nous apprend ? Rien. Aucune information quant aux événements entourant l’indépendance, les muséographes se sont sans doute dit que tout le monde les connaissait ou alors que ce serait trop colonial d’en parler. Ailleurs on voit des bocaux de formol contenant des insectes, des araignées, des souris, un pangolin, des bébés tigres ou encore des papillons épinglés dans des cadres…. sans aucune explication. On devine qu’il s’agit là d’études scientifiques réalisées par les méchants blancs, donc : on n’en parle pas, parce que ce serait colonial. Les animaux empaillés datant de l’exposition universelle sont toujours là, heureusement, ainsi, ils ne seront pas morts pour rien. Le clou de la visite, selon moi, ce sont les statues qui décorent les murs de la rotonde, représentant soit l’Esclavage (un mauresque debout, un Africain à ses pieds) ou La Belgique apportant la Sécurité au Congo, mais dissimulées par des tentures. Autrement dit, ces statues sont visibles, ainsi que les panneaux indiquant leur titre, mais pas vraiment, puisqu’il faut aller les guigner sous le tissu qui les cache, en se tordant le cou.  


C’est au Musée Royal d’Afrique centrale qu’Hergé est allé trouver le matériel nécessaire à la création de Tintin au Congo. Mais évidemment, cette bande dessinée étant raciste et coloniale, il a été décidé que les statues et objets qui avaient permis cette abomination devaient être écartés de la vue des visiteurs. Peu importe qu’il s’agisse d’artefacts africains authentiques. Les objets considérés comme inappropriés sont regroupés dans une salle intitulée « Hors-jeu » , avec la mention « Les statues que l'on voit ici faisaient autrefois partie de l'exposition permanente mais n'y ont plus leur place aujourd'hui ».


Bien des visiteurs ayant écrit un avis sur Tripadvisor sont repartis déçus de leur visite. J’étais même un peu perturbée et cette sensation ne m’a pas quittée avant un bon moment. Je n’ai certainement pas tout vu, mais il me semble que le musée occulte l’histoire coloniale et on le quitte sans avoir appris quoi que ce soit. A quoi sert-il de censurer Tintin au Congo, si Léopold II continue de trôner en ville de Bruxelles et même dans le parc de Tervuren ? Comme le suggère un commentateur sur Tripadvisor, pour avoir un petit aperçu de l’Afrique à Bruxelles, il vaut mieux aller regarder les vitrines des marchands d’art africain à la place du Sablon ou alors aller se balader dans le quartier du Matongué (porte de Namur, chaussée de Wavre), où on trouve des commerces et des bistrots congolais, du manioc et du poisson séché ou encore des tissus wax et des postiches pour cheveux africains. 


Fresque dans le Matongué

Voir aussi : Tintin au Tribunal 

https://www.lepoint.fr/afrique/au-musee-tervuren-fenetre-d-afriques-a-bruxelles-05-08-2021-2437981_3826.php 


https://vivreabruxelles.be/africa-museum-musee-d-afrique-tervuren.html 


https://theconversation.com/a-tervuren-le-destin-contrarie-des-statues-de-leopold-ii-en-son-musee-141813


Monument à Léopold II dans le parc de Tervuren
The Congo I Presume


dimanche 6 février 2022

Journal de bord d’un isolement

Covid par-ci, Covid par-là, gardez vos distances, portez un masque, lavez-vous les mains ….. Oui, oui, on a compris !

Et voila que boum patatras : mon test PCR obligatoire au retour d’un voyage s’est révélé positif. Le laboratoire m’a envoyé un SMS quelques heures seulement après le frottis nasal, à croire que ma séropositivité était parfaitement claire et nette. Je suis passée par différentes phases, un peu comme suite à un deuil : l’incrédulité, lagacement, la recherche de la cause et enfin l’acceptation. 


Voilà bientôt deux ans que je suis d’une extrême prudence, à tel point que certaines personnes trouvent que j’en fais trop et cela n’a même pas suffi, le virus a malgré tout réussi à m’attraper. S’agirait-il d’Omicron, réellement très contagieux ? Ou alors serait-ce un faux positif ? Il est vrai que j’ai eu ce que d’aucuns aiment qualifier de « grippette », vaguement mal à la gorge, la voix un peu enrouée, un petit rhume…. mais ni fièvre, ni courbatures, ni perte de goût ou d’odorat. Ma double vaccination m’a certainement aidée sur ce coup-là. Je n’ose imaginer quels tourments ni quelles angoisses m'auraient torturée si je n’étais pas vaccinée ou si j’avais eu une forme grave de la maladie. En effet, que faire si on commence à étouffer au milieu de la nuit ? On préfère ne pas devoir y penser. J’avais même imaginé le scénario d’un test qui serait positif alors que j’étais encore à l’étranger (il fallait faire un test PCR avant son retour en Suisse) : cela aurait signifié dix jours voire davantage d’isolement dans une chambre d’hôtel. 


« Heureusement », ma période de pénitence est tombée sur les vacances de Noël, une période où il ne se passe de toute façon pas grand-chose. La dernière phase de mon deuil, l’acceptation, m’a permis de voir le bon côté des choses, j’allais enfin avoir le temps de rattraper toutes mes lectures en retard, de faire du rangement ou coudre mes nouveaux rideaux de cuisine … Ce genre de tuile permet également d’observer le comportement de ses amis et de son entourage : la copine qui est positive elle aussi, mais n’a rien voulu dire, ne voulant pas m’inquiéter (nous ne nous sommes pas contaminées réciproquement) ; la copine coronasceptique, anti-mesures sanitaires, qui a une dérogation médicale pour ne pas porter de masque et qui soudainement « en a marre de tout », comme si mon statut positif venait de renverser son magnifique château de cartes ; la copine qui propose de me faire des courses, 2-3 bricoles, et qui arrive avec deux sacs pleins ; et tous ceux qui sont trop occupés à préparer Noël pour me demander de mes nouvelles. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles !


Il a ensuite fallu avertir toutes les personnes que j’avais croisées, vues ou fréquentées un peu plus longuement, sachant que ça allait sans doute mettre des bâtons dans les roues de leurs célébrations de fin d’année. Cela a été l’occasion de tester l’application Swiss Covid qui, ma foi, fonctionne très bien ! Quelques heures après que le laboratoire m’a communiqué mon résultat positif par SMS, Swiss Covid m’a, à son tour, informée de mon statut. J’ai ensuite reçu un code à saisir dans l’appli et c’est moi qui ai dû activer l’envoi de notifications à toutes les personnes qui se seraient trouvées près de moi pendant 15 minutes ou plus. Une de celles-ci a pu me dire qu’elle a bien été notifiée, mais 36 heures plus tard. C’est bien, c’est mieux que rien, même si c’est un peu tardif.
 

Le laboratoire m’a encore envoyé mon résultat par e-mail, ainsi qu’un certificat de guérison (dont la validité commence dix jours plus tard) avec un QR-code, parfaitement identique à celui d'un certificat de vaccination. J’ai évidemment annulé mon rendez-vous de la semaine suivante pour ma troisième dose. J’aurai ainsi des anticorps naturels (pas de puce 5G pour Bill Gates !), ainsi qu’un certificat Covid prorogé. J’ai également reçu un mail me demandant l’autorisation d’utiliser mes données à des fins de recherche. C’est ensuite la Médecin cantonale qui m’a écrit, me signifiant officiellement sa décision de me placer en isolement. Ce courrier s’accompagnait d’un certificat médical, permettant de justifier mon absence de mon lieu de travail ou de toute autre obligation. Il comportait toutes les références légales, m’informant notamment que j’encourais des sanctions, conformément à l’art 83 al 1 let h LEp, en cas de non-respect des mesures prescrites. On m’avertissait en outre que les services de l’Etat étaient susceptibles de m’appeler à mon domicile pour prendre de mes nouvelles, s’enquérir de mon état de santé et, accessoirement, vérifier que je n’étais pas en goguette quelque part. Les gens craignent que Swiss Covid ou le certificat Covid ne les fliquent et les suivent à la trace, eh bien non, le bon vieux téléphone de papa fera très bien l’affaire. 



Ne restait plus qu’à organiser ma petite vie quotidienne selon les nouvelles circonstances : essayer de garder une certaine structure, manger aux heures normales, bien dormir mais pas trop, éviter de grignoter, faire un peu de gymnastique entre ses quatre murs, ne pas passer 16h devant l’ordinateur ni 8h à lire…. Ce qui change, c’est qu’on peut vivre sans masque ni gel hydroalcoolique pendant dix jours - à condition de vivre seul donc, ça n’a pas que des inconvénients …. ! 


Mon application de traçage Swiss Covid est restée en mode « positif » jusqu’à ce que je désactive la notification moi-même. En revanche, mon certificat Covid est parfaitement vert et affiche fièrement 3G 2G, ainsi qu’une validité automatiquement prolongée jusqu’en mai 2022, alors que mon certificat de guérison n’entre en vigueur que dix jours après le résultat positif : j’aurais très bien pu aller au bistrot pendant ma période d’isolement. En outre, il est intéressant de savoir qu’un test PCR reste positif un mois (voire au-delà ?), ce qui peut poser problème en cas de voyage ou de toute autre nécessité de présenter un test négatif.


Contrairement au joueur d’échecs de Stefan Zweig, je n’ai pas eu besoin d’apprendre des parties entières par cœur. J’ai été bien occupée, je n’ai même pas réussi à entamer ma pile de DVD non visionnés. En revanche, j’avais un peu mal aux jambes, sans doute du fait de mon immobilité inhabituelle. L’expérience n’était pas du tout traumatisante, mais elle me permet d’apprécier dorénavant l’immense bonheur d’avoir la liberté de sortir faire un petit tour …

vendredi 17 décembre 2021

Aux Grands Hommes la Patrie reconnaissante


John Cockerill

Il y a quelque chose de désolant à toutes ces statues, noms de rues ou plaques commémoratives célébrant des personnes - généralement des hommes - qui ont fait ou découvert quelque chose de formidable, mais que tout le monde a oubliés. Les villes regorgent de souvenirs de grandeurs passées, mais surtout passées aux oubliettes de l’Histoire, seuls Google et Wikipedia savent encore de qui ou de quoi il s’agit. Actuellement, une vague de purification cherche à faire le ménage et à éliminer tous ceux qui se sont mal comportés, en renommant des rues ou en déboulonnant des statues. L’effet pervers de ce type d’Inquisition est qu’elle ramène à la vie des personnages dont plus personne ne se souvient. Ces condamnés ont beau avoir fait des découvertes scientifiques ou créé des œuvres d’art extraordinaires, s’ils ont été racistes ou misogynes - à leur époque, on ne savait pas penser autrement - on leur coupe la tête, au propre comme au figuré. 

Lors d’un récent séjour à Bruxelles, deux exemples de ce type de grandeur devenue obsolète m’ont frappée. Le premier : la statue ornant la place du Luxembourg, une place très animée devant le Parlement européen, comportant de nombreux bars et restaurants, ainsi qu’une circulation intense. Une statue verdâtre, un peu sale, d’un homme plutôt chétif vêtu d’une redingote, debout sur son piédestal devant une enclume, alors que quatre ouvriers l’entourent un mètre plus bas. Inutile de demander à qui que ce soit qui est cet homme que l’on honore ainsi sur une place relativement stratégique, aujourd’hui en plein quartier européen. Pour m’approcher de l’œuvre, j’ai franchi une pelouse anémique et boueuse, ornée de nombreuses capsules de bière et j’ai pu lire - à peine lisible ni visible - le nom de John Cockerill, le Père des Ouvriers. Fort bien….. mais encore ? De qui pouvait-il bien s’agir ?



Ayant fait quelques recherches, je découvre qu’il s’agit réellement de quelqu’un d’important, qui a considérablement façonné la destinée de la Belgique et même du monde. C’était un industriel né Anglais en 1790, mais mort Belge en 1840. Il a contribué à mécaniser l’industrie du textile sur le continent européen et il a fondé une société portant son nom, qui finira par être absorbée, bien plus tard, par le groupe ArcelorMittal. En 1842, il ouvre un chantier naval à Anvers, Cockerill Yards, après avoir construit des haut-fourneaux à coke. Ce seront ses ateliers qui fourniront les premiers rails, wagons et locomotives à la Belgique, sa société exploitera la première liaison ferroviaire du continent, Bruxelles-Malines, en 1843. Sa production permettra la construction du Transsibérien et même du pont sur la rivière Kwaï (cf le film du même nom) à Kanchanaburi, en Thaïlande. Il fondera un complexe industriel - nous sommes au milieu du XIXème siècle - qui prospérera pendant plus d’un siècle. Son groupe comptera 60 sites dans le monde entier, une des premières multinationales. Aujourd’hui, le groupe John Cockerill a créé une fondation, dont le but est de faire connaître l’important héritage de cet industriel.


Antoine Wiertz
L’autre exemple qui m’a frappée est le monument à la mémoire de Antoine Wiertz, peintre, sculpteur et lithographe belge (1806-1865). L’adresse du Parlement européen à Bruxelles porte son nom, mais qui donc se soucie de savoir de qui il s’agit ? Sa statue est particulière en cela qu’elle représente deux femmes, des muses, une colonne gréco-romaine brisée et le profil de l’artiste en bas-relief, qu’on aperçoit à peine.  Voilà enfin une statue qui met en avant des femmes ! Le piédestal nous apprend qu’on honore ici WIERTZ, mais sans donner d’autres précisions, on pensait sans doute à l’époque que c’était évident et que ça le resterait à jamais. Mais non ! Les années passent et l’oubli fait son travail de sape …. A voir ses œuvres, on pourrait penser qu’il était un disciple de Goya, mais les deux hommes ne se sont sans doute jamais rencontrés. Certaines de ses toiles font penser à Rubens, dans d’autres, on distingue des traits symbolistes, qui annoncent James Ensor. Il devait être un artiste apprécié, étant donné qu’il a réussi à se faire offrir un atelier - aujourd’hui son musée - par l’État belge, en échange de ses œuvres à son décès. Il refusait de vendre ses tableaux, dont certains sont monumentaux (8m de large) et ne peignait des portraits que dans un but purement alimentaire. Aujourd’hui, son musée n’attire plus que 5000 visiteurs par an, sic transit gloria mundi. 

Détail de "Patrocle"
La Belgique nous a donné de nombreuses personnalités : Raymond Devos, Django Reinhardt, Adamo, Johnny Hallyday et Stromae, Jean-Claude van Damme et Benoît Poelvoorde, Simenon et Amélie Nothomb, Gaston Lagaffe et Tintin…. enfin Hergé, plutôt. Jacques Brel a une avenue, une station de métro, un parc zoologique à son nom et même une auberge de jeunesse. Mais se souviendra-t-on encore de lui dans cent ans ? Dans un effort de féminisation et de décolonisation, le tunnel Léopold II a été rebaptisé tout récemment Tunnel Anny Cordy - à se demander si c’est vraiment flatteur et si cela fera avancer la cause des femmes, mais ceci est un autre débat. Nos petits-enfants écouteront-ils encore un jour La bonne du curé ?


Quoi qu’il en soit, il vaut la peine de prendre un peu de temps pour découvrir qui sont tous ces personnages qui ornent nos rues. Jour après jour, nous nous promenons dans des encyclopédies à ciel ouvert sans même nous en rendre compte.


« Aux Grands Hommes la Patrie reconnaissante » est une phrase qui orne le fronton du Panthéon de Paris 


https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Cockerill 

https://www.fondationjohncockerill.com/heritage/saviez-vous-que 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cockerill-Sambre 


https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Wiertz 

https://www.artiststudiomuseum.org/blog/conference-antoine-wiertz-sublime-or-ridiculous/ 

https://www.fine-arts-museum.be/fr/les-musees/le-musee-antoine-wiertz 

lundi 20 septembre 2021

Comment prévenir la maladie d’Alzheimer

Buchstabensalat, artiste inconnu du XIXème siècle

The HUG Hospitals in Geneva are participating in a study on how to prevent the onset of Alzheimers disease. I answered their call for volunteers and served as a guinea pig for various tests and measurements. So far, everything seems to be rather normal……


Les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) ont lancé, sous l’égide du Professeur Frisoni, une étude intitulée « Connectivité cérébrale et métacognition chez les personnes présentant un déclin cognitif subjectif (COSCODE): corrélation avec les caractéristiques cliniques et la neuropathologie in vivo ». J’ai répondu à leur invitation à participer à cette étude en tant que sujet (a priori) sain, alors que deux autres groupes de patients présentent des troubles cognitifs modérés pour l’un et un déclin cognitif subjectif pour l’autre. L’étude se déroule au Centre de la mémoire des HUG, sur une période de quatre ans. Son but est d’observer le vieillissement cognitif normal ou pathologique, afin de parvenir à prédire la survenue et l’évolution de maladies de type Alzheimer.  


Une première étape, facile, consistait en un examen clinique, avec les mesures classiques telles que taille et poids (IMC), tension artérielle, prise de sang, circonférence du bras, échantillon de selles (pas si facile que ça….!) ; un questionnaire sur les habitudes de vie, l’alimentation, le sommeil, travail ou non, vie sociale/ familiale ou non, niveau d’études, pratique sportive etc ; deux séances de test neuropsychologiques, crispants et amusants à la fois : il fallait mémoriser une liste de 15 mots, lire le mot VERT écrit en rouge (test de Stroop), compter à rebours en partant de 100 en soustrayant 7 en série, recopier un dessin (la figure complexe de Rey), dessiner les aiguilles d’une montre pour indiquer une heure donnée (le test de l’horloge), regarder une série de photos de portes en observant tous les détails, puis reconnaître la bonne porte parmi quatre photos quasiment identiques (test des portes), mettre des petits bâtonnets dans des trous avec la main droite, puis la gauche (grooved pegboard test). J’ai également dû remplir un questionnaire me demandant si j’avais de la peine à tenir ma place dans une conversation, si j’estimais que c’était plutôt les autres qui avaient tort, si j’aimais ou si je craignais d’être seule, si j’appréciais la poésie, ainsi que des questions concernant mes habitudes alimentaires. Ce tableau, déjà fort complet de ma personne, a ensuite été complété par deux IRM de puissances différentes, 3 Tesla et 7 Tesla (IRM ultra-haut champ, à l’EPFL).


La figure complexe de Rey

Il serait possible de participer à des examens complémentaires, par exemple une tomographie par émission de positrons (TEP) permettant de mettre en évidence des plaques d’amyloïdes ou de protéines tau, responsables de la maladie d’Alzheimer ; un prélèvement de salive ; une ponction lombaire, parfaitement facultative, étant donné que c’est un examen invasif d’une durée de quatre heures et comportant certains risques ; un EEG ; une évaluation de la marche et une mesure de l’activité globale, à l’aide d’une montre mesurant l’activité du sujet 24h/24 (sommeil, nombre de pas, rythme cardiaque, etc.). J’attends qu’on me convoque …


La participation à cette étude est non seulement gratuite, mais également bénévole. Le seul bénéfice pour nous, les cobayes, est l’éventuel dépistage d’un problème de santé, une tumeur au cerveau ou un déclin préoccupant de nos capacités mentales. Par ailleurs, les visites de suivi sur une durée de quatre ans permettront de se faire une idée de l’évolution des capacités cognitives du sujet. Les HUG ont créé un registre pour la santé du cerveau, où il est possible de se porter volontaire pour participer aux futurs travaux de recherche : www.bhr-suisse.org. Ce site propose également de nombreuses informations relatives à la recherche sur les maladies neurodégénératives, ainsi que des conseils pour bien prendre soin de son cerveau. 



Nous sommes tous très fiers de notre matière grise, même si, selon certaines théories, sa seule utilité est de nous pousser à nous déplacer. Ma foi, c’est un point de vue ! Accessoirement, notre cerveau nous permet de faire des calculs, de peindre, de faire de la musique, d’apprendre des langues ou d’écrire des textes. Il nous permet également, contrairement aux arbres et aux carottes, dépourvus de cerveau, d’évaluer l’effort à réaliser pour sauter d’un point A à un point B, pour éviter un obstacle ou trouver la sortie dans un escape game. Mais sommes-nous conscients du fait que notre deuxième cerveau se trouve dans notre intestin, un organe qui peut atteindre 8m de long et une surface de 500m
2 ? Le lien entre nos tripes et notre cerveau a été démontré - une carence ou un déséquilibre de la flore intestinale auront une influence sur notre comportement - et les chercheurs affirment qu’il y a un lien avéré entre le microbiote et les maladies neurodégénératives de type Alzheimer. 

Le test de l'horloge
Pour protéger ce précieux organe de la déchéance, nous pouvons déjà nous efforcer de manger sainement et de façon équilibrée, à l’abri de tout stress. Mais il faut aussi l’entraîner sans relâche, en le stimulant et en le faisant travailler (musique, lecture, jeux et puzzles…). Depuis peu, il est aussi permis d’espérer la prochaine mise sur le marché d’un nouveau médicament, l’Aduhelm (Aducanumab), qui permet d’éliminer l’amyloïde du cerveau. La Food and Drug Administration (FDA) aux Etats-Unis vient de l’approuver (juin 2021), l’Agence européenne des médicaments (EMA) et Swissmedic sont en train de l’évaluer. 


Je suis très heureuse de pouvoir contribuer à l’avancement de la science et aux efforts de prévention des maladies neurodégénératives. Cela ne me demande pas énormément d’effort, c’est même amusant et intéressant. Qui sait, je pourrai sans doute même en profiter de façon très directe, dans une vingtaine d’année, quand ma matière grise commencera à s’épuiser.




Portail de la recherche HUG : https://recherche.hug.ch

Registre suisse pour la santé du cerveau : www.bhr-suisse.org 


https://www.unige.ch/communication/communiques/2020/lien-confirme-entre-la-maladie-dalzheimer-et-le-microbiote-intestinal/

https://content.iospress.com/articles/journal-of-alzheimers-disease/jad200306 

https://www.fondation-alzheimer.org/maladie-dalzheimer-et-si-cela-provenait-de-notre-intestin/

https://www.biocodexmicrobiotainstitute.com/publications/alzheimer-comment-notre-intestin-nous-fait-perdre-la-tete


lundi 2 août 2021

Suisse-Luxembourg : match nul !


Le Luxembourg est une sorte de frère jumeau de la Suisse : ce sont deux petits pays sans ressources naturelles, mais qui sont bien plus prospères que tous les pays qui les entourent, grâce à une économie qui repose essentiellement sur le secteur tertiaire, plus précisément bancaire. Certains hôteliers luxembourgeois étaient très inquiets lorsque l’UE a introduit l’échange automatique des données, car ils voyaient s’écrouler tout leur secteur financer et, partant, toute leur clientèle. En effet, le secteur hôtelier du Grand-Duché dépend lourdement des hommes d’affaires et des institutions européennes. Néanmoins, tout comme la Suisse, le Luxembourg est insubmersible et reste d’une insolente prospérité. Le Luxembourg compte actuellement 43.000 millionnaires1), pas mal, pour un pays de 635.000 habitants. Lorsque le Conseil fédéral a mis un terme aux discussions autour de l’accord institutionnel avec l’UE, d’aucuns ont fait remarquer que le Luxembourg, membre de l’UE, ne semblait pas souffrir plus que ça des règles et des législations européennes.



Les deux pays sont multilingues, avec un dialecte germanophone parlé par la majorité de la population autochtone : le
schwytzertütsch pour les uns, le luxembourgeois pour les autres. Ces deux dialectes restent relativement hermétiques même pour quiconque maîtrise le Hochdeutsch. Les deux pays ont tous deux connu une forte immigration italienne dans les années -50-60 et cette population s’est totalement intégrée et fondue dans le paysage. Tous les jours, de nombreux frontaliers traversent les frontières des deux pays pour venir travailler et les Portugais sont représentés en grand nombre. Le niveau de vie est très élevé, les prix de l’immobilier n’ont rien à envier à ceux des grandes villes de Suisse, mais il suffit d’aller s’établir de l’autre côté de la frontière pour se loger moins cher. Toutefois, le Luxembourg a les moyens d’offrir les transports publics, qui sont gratuits partout pour tout le monde, même les trajets en train, dans tout le Grand-Duché. Il est vrai qu’ils n’ont pas de montagnes, donc pas de tunnels à creuser, pas de réseau à entretenir face à la glace et à la neige et le pays est très petit - par conséquent, les distances sont courtes ! Ils ont dû estimer que les économies faites sur les automates et leur entretien, les billets, les calculs mathématiques pour les différents tarifs et abonnements, ainsi que les salaires des contrôleurs et les frais administratifs pour les amendes en valaient la peine. A méditer…. surtout si on veut encourager les gens à renoncer à la voiture. 



A Genève, nous avons de nombreux expats qui travaillent pour de grandes sociétés multinationales ou pour les organisations internationales. Au Luxembourg, ils ont les fonctionnaires européens, ainsi que tous les stagiaires et autres personnels qui gravitent autour de ces institutions. Ces univers cosmopolites ne se mêlent que très peu à la population locale, d’autant plus qu’au Luxembourg, les enfants peuvent aller à l’école européenne, chacun dans sa langue, et vivre ainsi dans une bulle parfaitement isolée du pays hôte. De leur côté, les Luxembourgeois aiment aussi rester entre eux et la maîtrise du luxembourgeois joue assez efficacement le rôle de shibboleth2), c’est-à-dire de filtre qui exclut ceux qui n’appartiennent pas au clan. 


La ville de Luxembourg comporte trois zones, très différentes les unes des autres. Tout d’abord le Kirchberg, qui regroupe les institutions européennes et les sociétés de type bancaire, consulting et consorts, et qui est un univers froid de buildings en verre et en acier. Ensuite, il y a le vieux centre, son quadrillage de rues avec des boutiques chic, ainsi qu’un dédale de ruelles animées d’innombrables bars et restaurants, ainsi que la pittoresque basse ville, Grund. Enfin, le quartier de la gare, qui est … un quartier de gare, en voie de gentrification, surtout depuis qu’il est desservi par un magnifique tram (gratuit ! et qui passe toutes les 4 minutes !). Comme Genève, qui a créé un concept d’agglomération franco-valdo-genevoise, autrement dit « le Grand Genève », le Luxembourg a sa « Grande Région », qui englobe la Sarre, la Rhénanie-Palatinat, la Wallonie belge, la Lorraine ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg, dans un esprit de coopération politique et économique. 



Nos deux pays sont situés au cœur du continent européen, mais ils sont si petits et discrets qu’on les oublierait presque (sauf lors de huitièmes de finale à l’Euro de football - mais ceci est une autre histoire). La Suisse est réputée pour ses montres, son chocolat et Roger Federer, le Luxembourg… hm… est connu pour nous avoir donné Jean-Claude Junker et Stéphane Bern. Les touristes venus d’Extrême-Orient qui visitent l’Europe en 72 heures monteront au Jungfraujoch, mais ne s’arrêteront certainement pas au Luxembourg. Nous n’avons sans doute pas d’aristocrates, mais nous avons de magnifiques paysages. Qui donc irait passer ses vacances au Grand-Duché de Luxembourg3) ?


Prospérité, tranquillité et sécurité, qualité de vie, atmosphère propre en ordre, situation centrale et entourée de plusieurs grand pays européens, entre la Suisse et le Luxembourg, c’est véritablement match nul !



  1. http://www.lessentiel.lu/fr/economie/dossier/ecolux/news/story/pres-de-43-000-millionnaires-au-luxembourg-11249727
  2. Un schibboleth, en hébreu : שִׁבֹּלֶת1, prononcé [ ʃibɔlɛt] en français, est une phrase ou un mot qui ne peut être utilisé – ou prononcé – correctement que par les membres d'un groupe. Il révèle l'appartenance d'une personne à un groupe national, social, professionnel ou autre. Autrement dit, un schibboleth représente un signe de reconnaissance verbal  https://fr.wikipedia.org/wiki/Schibboleth
  3. https://www.visitluxembourg.com/fr 



Suisse


Population totale :  8 603 900

Superficie  :  41 285 km2

Densité  :  208 hab./km2 


PIB par habitant en parité de pouvoir dachat  :

58 086,211 USD

Indice de développement humain  (IDH) :  0,944

2ème pays dans le classement IDH du PNUD


Source : Wikipedia


Travailleurs frontaliers : 112.000


OECD PIB  2016-2020

71.298 USD per capita

https://data.oecd.org/fr/gdp/produit-interieur-brut-pib.htm

Luxembourg


Population totale :   634 730 hab.

Superficie :     2 586,4 km2

Densité :   245 hab./km2 


PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat  :  

114,825 USD

Indice de développement humain  (IDH)  :  0,904

21ème pays dans le classement IDH du PNUD


Source : Wikipedia


Travailleurs frontaliers à Genève : 100.000 (2022


OECD PIB  2016-2020

118.582 USD per capita

https://data.oecd.org/fr/gdp/produit-interieur-brut-pib.htm




2023



Points communs entre la Suisse et Luxembourg, selon des extraits d'un article paru dans Le Figaoro le 14 novembre 2021


Salaires plus élevés, allocations familiales généreuses… Le Luxembourg aspire les compétences et les contributions sociales de 112.000 travailleurs frontaliers résidant dans le Grand Est et qui vont « bosser au Lux ». Sans donner de compensation fiscale aux communes françaises, pénalisées par ce qu’elles qualifient d’«un pillage».

D’ici vingt ans, ce territoire pourrait compter 160.000 travailleurs frontaliers .… L’accès à cet eldorado a bien souvent un coût, celui du temps passé dans les bouchons. 

La mobilité des frontaliers français était un des principaux points au menu de la sixième commission intergouvernementale pour le renforcement de la coopération transfrontalière … L’enjeu est de taille car les Français, mais aussi les Belges et les Allemands, représentent presque la moitié de sa main-d’œuvre salariée, soit 213.000 emplois. ….. le Luxembourg apparaît comme un pays de cocagne. Plus de la moitié des actifs de la communauté d’agglomération de Longwy, en Meurthe-et-Moselle, y travaillent. ….

Elle [une infirmière] a dû encaisser les quarante heures de travail hebdomadaires, mais son exercice en horaires décalés lui épargne les problématiques de transports. Passée à 80 %, cette célibataire gagne deux fois plus qu’auparavant et trouve légitime de payer ses impôts au Grand-Duché. …. Notre tissu économique est quasi inexistant, les artisans préférant ouvrir leurs entreprises côté luxembourgeois.

Elle [une agence d’urbanisme] parle de rapport «gagnant-perdant», citant en exemple le cofinancement par le Luxembourg d’un parking relais destiné au covoiturage aménagé à Metzange, dans l’aire urbaine de Thionville. L’agence juge que l’investissement est réalisé au seul bénéfice du développement économique du Luxembourg, puisque ses 750 usagers devraient lui rapporter 154 millions d’euros en impôts, cotisations et taxes sur dix ans, alors que sa construction et son exploitation coûteront 4,8 millions d’euros au contribuable français. (A Genève, le financement par la Suisse de parking-relais en France a été refusé en votation populaire - ce qui a provoqué moult cris d’orfraie et accusations de racisme anti-frontaliers).

Le chef du gouvernement [luxembourgeois] a admis que, sans la libre circulation des travailleurs frontaliers pendant les périodes de confinement, «notre système de santé se serait effondré». … Le Grand-Duché recrute un tiers des 350 infirmiers qui sortent chaque année de nos instituts de formation. C’est une logique de pillage, pas de partenariat intelligent. 

Vincent Hein, économiste au sein de la Fondation Idea, un think-tank de la Chambre de commerce de Luxembourg, estime cependant que «le Luxembourg n’a pas d’autres choix que d’investir dans les territoires frontaliers pour qu’ils restent attractifs dans l’intérêt de son propre développement. Si un habitant de Montpellier n’a pas envie d’habiter à Thionville, ce n’est pas un problème pour la France, c’est un problème pour le Luxembourg».








jeudi 13 mai 2021

Is This Real Life ? - Philip K. Dick (1928-1982)

 


Nobody remembers Philip K. Dick, although everybody knows the many films that were made after his novels. He has had a lasting impact on popular culture for the past decades and his heritage still pervades our everyday lives, today more than ever before.


Philip Kindred Dick est un auteur américain injustement tombé dans l’oubli, seuls les boomers savent encore qui il était. Et pourtant, tout le monde le connaît sans en être conscient. Il a écrit de nombreuses nouvelles parues dans des revues de science fiction (pulps), puis des romans, sans vraiment rencontrer d’immense succès de son vivant, si ce n’est avec son roman Le Maître du Haut Château (The Man in the High Castle, récemment adapté en série télé). La science-fiction était alors considérée comme un genre mineur et il aurait aimé être reconnu comme auteur « généraliste » . Il est mort d’un AVC quelques mois avant la sortie au cinéma de Blade Runner, adaptation de Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Do Androids Dream of Electric Sheep ?). Il fait ainsi partie de ces génies incompris, qui vivotent malheureux et frustrés et dont l’œuvre finit par avoir un impact énorme sur un monde auquel ils n’appartiennent plus. 


Sa vie était loin d’être un fleuve tranquille. Sa sœur jumelle est décédée quelques semaines après leur naissance, un événement qui l’a fortement marqué. C’était un enfant calme, aimant la musique et qui était capable de reconnaître de nombreuses œuvres, rien qu’en écoutant les premières mesures. Il passait beaucoup de temps seul, à se raconter des histoires, il lisait Poe et Lovecraft. Jeune, il souffre de troubles psychiques - crises d’angoisse et introversion - et sa mère l’enverra consulter un psychiatre dès l’âge de 14 ans. S’étant bien renseigné sur les mille et une facettes de la psychologie, Dick finira par devenir maître de la manipulation, parvenant à mener les psys par le bout du nez. Il savait exactement comment il fallait répondre aux tests pour qu’on le juge normalement anormal ou anormalement normal. Il suivait des cours spéciaux pour HPI et se vantait d’avoir triché aux tests. Selon lui, un imposteur parvenant à se faire passer pour un génie était encore plus malin qu’un génie véritable. En outre, il a su exploiter l’incroyable effet dramatique que provoquait la mort de sa sœur jumelle, tout en faisant d’elle une compagne imaginaire. Agoraphobe, chétif, souffrant de vertiges et d’angoisses, aimant les arts et la musique, il pensait être homosexuel. Par amour de la musique et de Schubert, Schumann et Brahms, il s’est mis à apprendre l’allemand. Il a d’abord travaillé dans un magasin de musique, pensant en faire sa carrière, mais sa deuxième femme (il a été marié cinq fois) l’a encouragé à écrire, ce qu’il a fait et fera toute sa vie. 



Sa vie intérieure était intense, tourmentée, animée d’une riche imagination, alimentée par ses phobies, ainsi que par une palette de drogues et de médicaments, qui lui permettront d’entrevoir l’avenir tel un visionnaire particulièrement perspicace. Il a en effet deviné et pressenti l’intelligence artificielle, la société de surveillance, les réseaux sociaux, le Big Data et les univers virtuels qui parcourent tous ses romans. Sa paranoïa et ses délires lui ont permis de décrire des réalités distordues, des mondes parallèles, des mirages quasi palpables et des univers dystopiques. Il est devenu l’écrivain le plus adapté au cinéma, avec des films connus de tous : Blade Runner, Minority Report, Total Recall, A Scanner Darkly, le Maître du Haut Château (série télé). D’autres films ont clairement été inspirés des œuvres de Dick : Matrix, Ghost in the Shell, The Truman Show, Eternal Sunshine of the Spotless Mind, eXistenZ, Inception …


Autour de 1974, il commencera à avoir des hallucinations et tombera dans des élucubrations mystiques. Il était persuadé de vivre simultanément au XXème siècle et à l’époque de Jésus Christ. Etant très populaire en France, il sera invité à un congrès de science-fiction à Metz en 1977. De très nombreux fans attendaient avec impatience de boire les paroles de leur idole. Au lieu de leur parler de ses œuvres, de sa vision du réel et de l’irréel ou encore de l’avenir du futur, il les a assommés avec des péroraisons théologiques fumeuses. Son discours était intitulé : Si vous trouvez ce monde mauvais, vous devriez en voir quelques autres. Le public avait tout d’abord pensé qu’il s’agissait d’une astuce dickienne, qu’il allait y avoir un retournement de situation, la révélation de l’ironie d’un deuxième degré, mais non : Philip K. Dick était tout ce qu’il y a de plus sérieux. C’était une erreur de casting totale, l’orateur ne correspondant plus du tout à son public. L’interprète avait cessé de traduire et ceux qui comprenaient l’anglais ne pouvaient que constater que Dick était devenu non seulement fou mais bigot. Au retour de cette expérience humiliante, il se mettra à rédiger son Exégèse, un pavé contenant des réflexions philosophico-religieuses. Il écrira encore quelques romans teintés de mysticisme, avant de s’éteindre en 1982.




Le destin est cruel et la vie profondément injuste. Dick est aujourd’hui tombé dans l’oubli, alors que le monde dans lequel nous vivons pourrait parfaitement servir de décor à un de ses romans : chacun vit dans sa bulle, le regard vissé sur son téléphone mobile déverrouillé à l'aide d'une empreinte digitale ; nous communiquons par le biais de messages WhatsApp ou des réseaux sociaux; certains ont recours à la chirurgie esthétique pour correspondre à l’idéal artificiel des filtres Instagram ou pour avoir un meilleur aspect sur Zoom; un tweet écrit à l’autre bout de la planète peut provoquer des réactions violentes partout ailleurs, alors qu’un DJ sud-africain parvient à faire danser toute la planète sur Jerusalema. Et que dire de l’actuelle pandémie de la Covid-19 : nous circulons masqués, séparés les uns des autres par des parois en plexiglas, nous scannons des codes barres pour qu’on puisse nous suivre à la trace et nous nous faisons implanter des puces 5G pour que Bill Gates…. ah non, ça, ça reste encore de la fiction. A moins que … comme dans un roman de Dick, la réalité ne soit pas vraiment la réalité, que la fiction dépasse la fiction et que, dans la vraie vie, nous soyons tous des androïdes qui ne savent pas qu’ils le sont.



Emmanuel Carrère : Je suis vivant, vous êtes tous morts (biographie de Philip K. Dick) Éditions Seuil, Collection Points N° P258


France Culture, Regards sur Philip K. Dick  https://www.franceculture.fr/emissions/series/regards-sur-philip-k-dick 


If you find this world bad, you should see some of the othershttp://empslocal.ex.ac.uk/people/staff/mrwatkin/PKDick.htm 


https://www.eklecty-city.fr/cinema/jane-alfonso-cuaron-et-charlize-theron-vont-explorer-la-vie-et-limaginaire-de-philip-k-dick/