Qui n’a pas entendu parler de Squid Game, cette série coréenne qui cartonne sur Netflix ? Elle est si populaire que absolument tout le monde la connaît, même sans l’avoir regardée. Mais pourquoi un tel succès, alors que ce n’est certainement pas le premier film ou série à aborder le thème de la survie, notamment grâce à l’élimination des autres concurrents. C’est le principe de tous les programmes de télé-réalité, Big Brother, le Loft, les Marseillais à Cancún etc… évidemment sans que les participants ne soient froidement abattus sans aucune possibilité de fuite, de négociation ou de recours, comme c’est le cas dans Squid Game.
La série met en scène une société en miniature, dont chaque membre est lourdement endetté. On y trouve des riches et des pauvres : un banquier qui a fait de brillantes études, un travailleur immigré pakistanais; des jeunes et des vieux : le concurrent N° 001 est un faible vieillard dont personne ne veut dans son équipe; des personnes ayant réussi dans la vie et des losers : un médecin, un chauffeur qui joue au tiercé avec l’argent de sa maman; ainsi qu’une nord-coréenne qui a réussi à fuir son pays, un gangster ou encore une femme qui offre ses charmes dans l’espoir de trouver un homme fort qui la protège. Il y a les meneurs et les suiveurs, les malins et ceux qui sont trop gentils. Nous suivons une dizaine de protagonistes dont nous devinons qu’ils ne mourront qu’à la fin de la série, les autres candidats n’étant que des figurants qui se font dézinguer sans qu’on ne se soucie trop d’eux. Les participants aux jeux sont en majorité masculins. Il peut s’agir d’un choix du réalisateur ou alors on pourrait en déduire que les femmes savent mieux gérer leurs affaires et se retrouvent moins souvent dans une situation qui les contraindrait à participer à ce genre de tombola macabre. Le dernier survivant pourra repartir avec 45,6 milliards de won (environ 38 millions USD), voilà de quoi les motiver tous.
Bien que moins nombreux, les personnages féminins sont intéressants. Le N° 067, une jeune réfugiée nord-coréenne froide et impitoyable, a appris à ne faire confiance à personne et ne compte que sur elle-même. Elle sera prête à tout pour gagner, pensant que cela permettra à sa famille de la rejoindre au sud. Les 456 participants ne sont que des pions anonymes, mais lorsqu’ils donnent leur nom à un autre joueur, cela crée une relation d’amitié et de confiance entre eux. Le N° 212 est aussi une survivante, une manipulatrice habituée à tirer toutes les ficelles, mensonges, fausses larmes et trahisons. Ces joueuses témoignent de la dure vie des femmes en Corée du Sud, où elles doivent se battre à armes égales avec les hommes dans une société compétitive, tout en étant encore liées par les rôles traditionnels qui veulent qu’elles se marient et se sacrifient pour leur famille.
L’actuelle pandémie n’est sans doute pas étrangère à l’immense succès de Squid Game. Cet enfermement anxiogène dont la seule issue est la mort semble trouver un écho chez pas mal de gens, même si le virus tue ou rend malade sans qu’il n’y ait de concurrence entre les humains. En effet, avec le virus, tout le monde a sa chance ! Les internautes coréens ont créé le terme Hell Joseon (ou Hell Korea), qui décrit la société coréenne comme un enfer sans espoir, une société de chômage et d’inégalités, où nul ne peut échapper au piège de la pauvreté, malgré des journées de travail interminables, un monde irrationnel où chacun ne défend que ses propres intérêts. Cela aurait même pu être le titre de la série. Il est en effet assez difficile de comprendre où se cache le calamar, que ce soit dans les jeux ou dans le schéma géométrique du logo de la série.
Les enfants ne sont pas non plus insensibles à la fascination que provoque un tel déluge de violence et de cruauté. Il est effrayant de voir avec quelle joie leurs jeunes cerveaux reproduisent ce jeu de massacre, incapables qu’ils sont de trier et d’analyser les informations qu’ils reçoivent. Dans plusieurs pays, des bambins ne sachant pas encore lire ni écrire ont pourtant compris que celui qui perd mérite d’être roué de coups. Il ne faut pas grand chose pour que le vernis de civilisation de notre société ne s’effrite, avant même qu’on n’ait le temps de compter jusqu’à trois ! Songeons aussi à la violence, au harcèlement et aux menaces de mort qui pleuvent quotidiennement sur ceux qui ont le malheur d’enfoncer des portes ouvertes ou d’affirmer des vérités dérangeantes. Regarder des films violents peut offrir une sorte d’exutoire ou de catharsis à la peur de la douleur et de la mort, mais que faire lorsque la violence est omniprésente ? Comment des enfants peuvent-ils comprendre que la cruauté, c’est mal, si leurs propres parents sont passionnément vissés devant leur écran, à se demander qui sera le dernier survivant dans un camp de prisonniers coréens ?
Le réalisateur, Hwang Dong-hyeok, avait écrit cette série en 2009 déjà, mais ce n’est que dix ans plus tard qu’il a enfin pu la réaliser, grâce au désir de Netflix d’élargir sa palette avec des productions internationales. Tous les records d’audience ont été dépassés en quelques semaines. Il est vrai que l’histoire est prenante - bien que parfaitement invraisemblable - et les acteurs sont excellents, tout comme les décors, l’ambiance, le suspense…. Au commencement, les participants sont solidaires et s’entraident, jusqu’à ce qu’ils comprennent que chaque élimination augmente leurs chances de remporter la cagnotte, car il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur. A partir de là, cela devient une lutte impitoyable et sans merci.
Un autre exemple de compétition où l’enjeu était sa propre survie est celui des marathons de danse aux Etats-Unis lors de la Grande Dépression : des couples dansaient jusqu’à l’épuisement, parfois pendant plusieurs jours, dans l’espoir de gagner 100$. Les participants étaient nourris, mais devaient manger sans cesser de danser. C’est ce que décrivent le roman On achève bien les chevaux1), de Horace McCoy (1935), puis le film éponyme de Sidney Pollack (1969). Plusieurs décennies plus tard sont apparus des jeux télévisés où les participants sont placés dans des conditions de vie difficiles sur des îles lointaines, le but étant d’être le dernier survivant, après l’élimination de tous les autres concurrents : p.ex. Survivor, programme de télé-réalité américain créé en 1992 par Charlie Parsons, mais lancé pour la première fois en Suède, en 1997, sous le titre de Expédition Robinson. L’équivalent à la télévision française s’appelle Koh Lanta, d’après l’île thaïlandaise où le programme a démarré. C’est à la même époque (1999) que Kōshun Takami a publié son roman Battle Royale, qui décrit la (sur)vie de quarante lycéens envoyés sur une île,
où ils doivent s’entretuer en respectant tout un ensemble de règles. Cette œuvre a ensuite été adaptée en manga, puis en film par Kinji Fukasaku en 2000. Un nouvel avatar sera Fortnite Battle Royale, où le terrain des joueurs ne cesse de rétrécir, alors qu’ils doivent éliminer tous les autres, afin d’être le dernier survivant et ainsi sortir gagnants. Grâce à ce pitch, Fortnite est devenu un méga-succès planétaire.
- They Shoot Horses, Don’t They ? Horace McCoy (1935)
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