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samedi 22 mai 2010

Tintin au tribunal



Monsieur Bienvenu Mbutu Mondondo, un Congolais résidant en Belgique, porte plainte contre Tintin au Congo (probablement plutôt contre la Société Moulinsart) pour racisme. Pour savoir s’il faut en rire ou en pleurer, je suis allée me procurer cette œuvre, créée en 1931 et encore en vente libre à la fnac.

A la 2ème case, on voit Milou converser, en français, avec ses copains chiens. A la page 2, Milou se fait mordre la queue par un perroquet et Tintin lui dit : « Milou, malheureux ! As-tu songé à la psittacose ? » Et Milou de lui répondre : « Dis, Tintin, crois-tu que je pourrais attraper la psittacose ? » Et voilà qu’il faudrait mettre un avertissement sur cette bande dessinée, pour que le lecteur comprenne bien qu’il s’agit d’une œuvre de fiction. Un peu comme les mises en garde sur les gobelets contenant du café : « Attention, le contenu peut être chaud ». Un homme averti en vaut deux. Et une femme aussi, bien évidemment...

Alors bien sûr que c’est colonialiste, mais pouvait-il en être autrement en 1931 ? Quelle aurait dû être la description faite par Hergé à l’époque ? Les autochtones parlaient sans doute mal le français, mais on semble oublier qu’il s’agissait pour eux d’une langue étrangère. Si on parle mal le français, on est forcément idiot. C’est en tout cas l’interprétation que font ceux qui attaquent Tintin. Une case à la page 20 où Milou dit : « Allons, tas de paresseux, à l’ouvrage ! » fait polémique également. Le fait qu’un chien affirme cela semble confirmer que les Africains sont paresseux. A la page 12 cependant, le même Milou dit, en parlant de Tintin : « Eh bien ! Où est-il, ce paresseux ? » Reporters Sans Frontières devrait porter plainte. Et à la page 14, Tintin traîte Milou de poltron. Que fait la SPA ?

En réalité, on devrait s’étonner que le WWF, la CITES et Brigitte Bardot n’aient pas encore intenté de procédure judiciaire, car les animaux sont allégrement massacrés et maltraités dans cette BD. D’abord Milou qui attrape la psittacose ; ensuite, un crocodile à qui on laisse une carabine en travers de la gueule ; 15 antilopes abattues par erreur (Tintin croit toujours tirer sur la même) ; un chimpanzé abattu froidement, Tintin le dépèce, enfile sa peau pour se déguiser, l’autre chimpanzé n’y voit que du feu (pour rappel : ceci est une œuvre de fiction) ; un lion se fait arracher la queue par Milou ; une demi-douzaine de crocodiles se fait abattre par un missionnaire ; un boa se fait ouvrir le ventre, mais n’en meurt pas ; un léopard apprivoisé attrape une indigestion après avoir avalé une éponge et bu de l’eau ; un éléphant se fait abattre par un singe (ceci est une œuvre de fiction) et Tintin emporte fièrement ses deux défenses ; et enfin, un rhinocéros est détruit à l’explosif.

Mais tout est bien qui finit bien, Tintin rentre en Europe et une maman africaine dit à son enfant : « Si toi pas sage, toi y en sera jamais comme Tintin ». N’oublions pas que ce livre s’adressait aux petits Belges et que cette phrase s’adressait plus à eux qu’aux petits Congolais.

Ce qui est certain, c’est que Tintin au Congo est un ouvrage très dangereux, à ne pas mettre entre les mains d’un public non averti.

Et maintenant, je m’en vais relire Les Malheurs de Sophie.



Voir aussi : Le Musée africain de Tervuren


Tintin acquitté - le 10 février 2012

Décembre 2023 : Tintin au Congo a dorénavant une nouvelle couverture, de laquelle le personnage africain a disparu. Voilà comment on résoud le problème du racisme : il suffit de faire disparaître les noirs !! https://www.rts.ch/info/culture/livres/14549171-tintin-au-congo-muni-dune-preface-contextuelle-et-dune-nouvelle-couverture.html 
La revue Jeune Afrique trouve elle aussi que les éditions Moulinsart et Casterman invisibilisent les Africains en pensant déracialiser la bande dessinée : https://www.jeuneafrique.com/1513559/culture/tintin-au-congo-preface-et-revisite-une-fausse-bonne-idee/


jeudi 20 mai 2010

A chacun ses écouteurs

Depuis quelques années, les collègues succombent, les uns après les autres, à la mode des écouteurs Bang & Olufsen, high-tech, gracieux, chers et fragiles mais offrant – paraît-il – un son d’une qualité exceptionnelle.



Depuis que cette mode fait rage, l’interprète qui refuse de suivre le mouvement s’énerve, jour après jour, de devoir chercher les écouteurs en arrivant en cabine et, une fois qu’elle (en l’occurrence, l’auteur de ces lignes) les a trouvés, de devoir désemberlificoter le câble qui a parfois été enroulé 8 fois autour de l’objet, le tout bouclé par un nœud hermétique. C’est ce que font les disciples de B&O lorsqu’ils enlèvent les écouteurs de papy pour mettre les leurs à la place.

Autrefois, il suffisait d’essuyer les écouteurs avec une lingette pour les nettoyer du fond de teint, crème de jour, poudre et pellicules du collègue précédent. Maintenant, il faut commencer par retrouver son outil de travail, chercher où le brancher et enfin, sortir sa lingette. Et prévoir d’arriver au travail suffisamment tôt…

En ayant finalement eu marre de toute cette petite cuisine, j’ai décidé de m’affranchir de la chasse aux écouteurs et de la petite lingette en achetant, enfin, mes propres écouteurs hi-tech. Plutôt réticente à l’idée d’avoir le son trop directement contre mes tympans, j’ai opté pour un modèle Sennheiser, dont je suis très contente. Ils sont pliables, ce qui est très pratique.



Mon modèle est conçu pour écouter de la musique sur un lecteur mp3 et comporte des coussinets isolants anti-bruit, ce qui n’est toutefois pas idéal pour le travail d’interprète. En effet, nous préférons pouvoir bien nous écouter en travaillant, on évite ainsi de hurler dans le micro.

Reste maintenant à ne pas les oublier en cabine. Ce serait dommage. Je les aime bien, mes nouveaux écouteurs, ils me servent aussi à écouter de la musique sur mon iPod. La musique adoucit mes mœurs et apaise mes nerfs, parfois un peu mis à mal par nos chers délégués.

mercredi 19 mai 2010

Origines & Racines

Combien de fois ai-je dû expliquer pourquoi il y a deux ii à mon prénom ; pourquoi je parle si bien le français alors que j’ai un nom finlandais ; mon mari est-il Finlandais ; mon père était-il diplomate ; est-ce que je « rentre » souvent en Finlande ; la Finlande me manque-t-elle, etc…

Mes collègues ont pourtant l’habitude que les noms de famille ne correspondent pas forcément à la langue de la cabine, mais je dois malgré tout leur expliquer le pourquoi du comment et non, je ne fais pas la cabine finlandaise et mon français n’est pas un retour du finnois, mais un aller-simple, un français A, comme on dit.
Personne ne s’étonne qu’une personne qui s’appelle Nunes de Souza ou Panzerotti parle couramment le français. En revanche, les Finlandais assimilés à d’autres cultures se comptent apparamment sur les doigts d’une seule main et je commence à comprendre pourquoi.

Depuis le décès de mon père, ma mère se sent isolée parmi les Français, alors qu’elle vit en France depuis depuis 1981 et qu’elle a quitté la Finlande en 1964. Elle envisage de rentrer au pays, bien qu’elle sache que le pays de ses racines n’a plus rien en commun aujourd’hui avec celui de sa jeunesse. Elle a vécu dans une bulle avec son mari, sur une île de fennitude, bien au chaud, bien en sécurité. Elle a deux filles parfaitement intégrées et francophones, mais à ses yeux nous restons sans doutes Finlandaises, donc buena gente, comme disent les gitans andalous.

Les collègues finlandais qui ont dû s’établir à Bruxelles ou à Luxembourg pour des raisons professionnelles mettent leurs enfants à l’école européenne, en section finlandaise. Ainsi, ils vont à l’école en finnois, ont des camarades finlandais, les parents se fréquentent entre eux et évitent ainsi tout contact avec la population locale. Les enfants apprennent le français comme langue étrangère à l’école et le parlent mal. Et les parents semblent trouver cela très bien. La pire des choses qui puisse arriver, c’est qu’ils se rendent soudain compte qu’ils hébergent un petit Belge à la maison. Une collègue m’a même dit : « Le français ? Mais pour quoi faire ? Ma fille est avec moi, elle n’a pas besoin de savoir le français ».

Je suis curieuse de savoir ce qu’il adviendra de ces enfants, qui seront des étrangers dans le pays qui les a vus grandir mais aussi dans leur patrie, dans laquelle ils n’auront passé que des vacances. Ils ne deviendront en tous cas pas interprètes, mon avenir professionnel est assuré…


dimanche 16 mai 2010

Rendez-vous manqués

... ou Mission Impossible

Avez-vous déjà essayé de fixer un rendez-vous avec un interprète (1) ? Y êtes-vous parvenus? C’est un véritable casse-tête. Quand deux interprètes essaient de se rencontrer pour boire un café, c’est déjà compliqué, mais à partir de trois ou plus, mieux vaut laisser tomber.

Les interprètes ont des horaires et des jours de travail irréguliers et imprévisibles. Ils savent qu’ils travaillent le 15 mars, mais s’ils savent à quelle heure ils commencent – et ce n’est pas toujours le cas – ils ne savent généralement pas à quelle heure ils terminent. L’heure de la pause-déjeuner dépend des délégués. Il est par conséquent impossible de rencontrer un ami à midi un jour où on travaille. Si l’ami est flexible et qu’il se trouve à proximité du lieu de la conférence, ça peut à la rigueur se faire.

Prendre rendez-vous chez le dentiste ou se faire livrer un nouveau frigo : mieux vaut attendre l’été ou la période des fêtes de fin d’année, périodes creuses où les contrats se font rares. Si nous disons à l’électricien qui doit venir chez nous que nous sommes absents la semaine prochaine, il nous répondra « Alors, bonnes vacances ! ». Ça ne rate jamais. Chez le commun des terriens, les voyages, ce sont forcément des vacances.

Si un interprète décline une rencontre avec vous parce qu’il travaille, mais que vous le croisez malgré tout dans la rue, ne vous offusquez surtout pas ! Sa réunion s’est tout simplement terminée plus tôt. Il aurait pu prendre ce rendez-vous chez le gynécologue, si seulement il avait su, cinq semaines plus tôt, qu’il serait libre à 11h ce jour-là. Peut-être même qu’il avait pris rendez-vous précisément ce jour-là et qu’il a dû annuler parce qu’on lui a offert un contrat qui tombait justement à cette date.

Mais ce qu’il y a de pire, ce sont les séances du soir, la relève. On vous dit de rappeler le répondeur (2), qui vous confirmera si vous travaillez à 18h ou à 20h. Dans ce cas-là, vous annulez la soirée au restaurant avec les copines, vous dites à vos enfants de réchauffer le repas au micro-ondes, vous programmez l’enregistrement de votre émission préférée. Je ne sais pas vraiment quel est le pire des scénarios : la réunion qui se termine à 18h45 et vous avez tout annulé pour rien ; l’ami à qui vous avez posé un lapin vous croise ensuite dans la rue et pense que vous n’êtes vraiment pas sympa. Ou alors, la séance qui s’éternise jusqu’à 21h et vous tenez le coup grâce au dernier sandwich que vous avez réussi à attraper au bar, juste avant qu’il ne ferme, ou grâce au Bounty acheté à l’automate. Encore mieux : grâce au sandwich longue conservation acheté à l’automate (encore faut-il avoir de la monnaie). Troisième option : la relève de 21h à 24h, le cauchemar… impossible de s’endormir avant 2h du matin, à cause du cerveau qui continue de carburer. Il est vrai qu’en échange, on aura eu l’après-midi de libre (Vite ! chez le coiffeur !)

Entre interprètes, on s’entend à demi-mot. On comprend parfaitement que le collègue et néanmoins ami ne peut rien promettre avant d’avoir écouté le répondeur. On évite d’acheter des billets pour un spectacle en semaine, à cause du maudit risque de séance du soir. Car c’est en général précisément le soir pour lequel on a un billet pour les Rolling Stones qu’on vous colle une relève à 19h. Qui se terminera à 19h05 et vous aurez déjà refilé votre billet à quelqu’un d’autre. I can’t get no… satisfaction !



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(1) Il va de soi que le masculin représente les interprètes des deux sexes
(2) Dans les organisations internationales, nous appelons un répondeur qui nous donne notre programme, une demi-journée à la fois. Cela fera l’objet d’un prochain article.

Texte à paraître dans Hieronymus (juin 2010), http://www.astti.ch/

samedi 15 mai 2010

Le phénomène Millénium

Le succès phénoménal de la trilogie Millénium de Stieg Larsson, me laisse perplexe. A la demande pressante de ma mère, qui a avalé les trois tomes et qui les a même relus plusieurs fois, j’ai fini par me lancer dans le premier tome, Les hommes qui n’aimaient pas les femmes. Et comme c’est un phénomène de société, un peu comme facebook, j’ai essayé, juste pour savoir de quoi qu’ils causent, tous, là… Ma foi, les deux autres tomes attendront.

J’ai tendance à me méfier des best-sellers, pas par préjugé mais par expérience : je n’aime pas Marc Lévy, je n’aime pas Douglas Kennedy, pas même en VO…

Au bout de 50, 100, 150 pages, je commençais à me demander ce qui clochait chez moi, parce que je ne ressentais pas l’effet "pot de nutella", rien à faire. Et puis, j’ai commencé à me rendre compte que c’était terriblement mal écrit. Ou plutôt, terriblement mal traduit. Une bonne traduction sait se faire oublier; la mauvaise ne cesse d’attirer l’attention sur elle. Et ça, c’était avant de découvrir l’article assassin du NouvelObs *), qui m’a rassurée, car je n’étais pas la seule à trouver le texte franchement mauvais. Pour tout dire, vers le milieu, je suis passée à une traduction allemande et c’est le jour et la nuit ! L’allemand est certainement plus proche du suédois, mais ce n’est pas une excuse.

Quelques perles:
"Il fait un peu fonction de l'obligatoire original du village" (à propos d'un peintre) p. 141
"Sa dernière pensée avant de s'endormir fut que le danger était grand et imminent que l'isolement le rende fou" p. 149
"le demeuré local" (l'idiot du village, sans doute...) p. 151
"elle la salua d'un mouvement poli de la nuque" p. 112
"Le signal ne pourrait aussi être que clairement perçu: on amenait le pavillon de la peste flottant au-dessus de la rédaction de Millénium et le journal avait des protecteurs qui n'étaient pas près de céder" p.217
"Les entreprises Vanger... formaient toujours un groupement industriel de poids et capable de jouer sur la place publique si nécessaire" p. 217
"Une conclusion s'imposait progressivement: la seule voie carrossable qu'il pouvait emprunter était d'essayer de trouver les motivations psychologiques des personnes impliquées" p. 225
"Je ne veux pas me réveiller demain matin avec toi ici, avant que j'aie mis de l'ordre dans mes muscles et mon visage" p. 237
"La réceptionniste de l'hôtel perdu des lointains nordiques... n'en n'avait jamais entendu parler" p.356

Les bras m'en tombent et je reste sans voix...
Et puis évidemment, "définitivement" et "éventuellement" utilisés dans le sens anglais, à tout bout de champ.
"... elle s'était éventuellement ... intéressée de loin à un garçon..."
Peut-on tomber éventuellement amoureux ?

Cette traduction d’anthologie a été commise par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain, directeur de la série actes noirs chez Actes Sud, donc pas le premier venu. Cette maison d’édition a toutefois fait ses choux gras avec Millenium, en dépit de sa VF calamiteuse.

En fait, la vie de Stieg Larsson donnerait matière à un roman : sa copine/concubine n’a hérité de rien, étant donné qu’ils n’étaient pas mariés et n’avaient pas d’enfant. Le père et le frère de Larsson, avec qui il n’était pas particulièrement proche, ont tout raflé (un peu comme Henrik Vanger qui ne tient pas à ce que sa fortune aille forcément aux membres de sa famille….).

« Lundi soir, à sa demande, Eva, la veuve de Stieg Larsson, le journaliste d'investigation spécialisé dans l'extrême droite suédoise, et auteur du best-seller Millénium n'était pas invitée à l'avant-première mondiale du film. «Tout cela ne me concerne plus, je veux qu'on me laisse tranquille», suppliait-elle, visiblement émue. Depuis le décès brutal de son compagnon en 2004, des suites d'une crise cardiaque, cette Suédoise connaît un double deuil : la perte de son grand amour avec lequel elle a vécu trente-deux ans. Et la douleur de découvrir que, jamais mariée, sans enfant et faute de testament, elle n'a aucun droit sur l'œuvre qu'elle a vu écrire. La fortune générée par les livres et par le film va au père et au frère de Stieg. » Le Figaro, Culture, 18.2.2009_______________________________
*) L'article du NouvelObs :http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20080417.BIB1139/les-bourdes-de-millenium.html

Voir aussi: http://tiina-gva.blogspot.com/2010/06/le-suedois-est-il-intraduisible.html
et http://tiina-gva.blogspot.com/2012/05/le-suedois-est-intraduisible.html

Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, Millénium 1, de Stieg Larsson, Actes Sud


La longue marche

...pour devenir traductrice-jurée

Il arrive régulièrement qu’on m’appelle pour me demander de faire des traductions « officielles », c’est-à-dire de traduire des actes de naissance ou des certificats de décès, de finnois en français, avec le sceau prouvant que la traduction est fidèle et qu’elle a la même valeur juridique que l’original. Jusqu’à présent, ça m’a toujours cassé les pieds mais j’ai finalement décidé de franchir le pas. Finalement, pourquoi pas ? On ne sait jamais, ça peut déboucher sur des expériences intéressantes.

La fonction de traducteur-juré n'existe que dans les cantons de Genève et de Neuchâtel. Il doit y avoir des raisons historiques à cela, certainement liées à la France, car les TJ existent bel et bien dans le pays voisin.

La porte est étroite et le chemin ardu pour parvenir à cet immense privilège. Il faut montrer patte blanche et surtout, faire preuve d’une détermination sans faille. En sus du curriculum vitae, lettre de motivation, photocopie d’une pièce d’identité et des diplômes de traducteur ou de tout autre titre universitaire, il faut fournir :

- une attestation de non-poursuites (17,-)
- un extrait du casier judiciaire fédéral (20,-)
- un certificat de bonnes vies et mœurs, document cantonal (50,-). Pour l’obtenir, il faut présenter l’extrait de casier judiciaire. Il vous en coûte donc 70,- pour prouver que vous n’avez commis aucun délit
- une attestation de domicile (25,-), car il faut obligatoirement résider dans le canton de Genève. Pourquoi … ? Mystère et boule de gomme.

Ayant rassemblé tout un dossier, je me suis mise à attendre…. Mais voilà, mon dossier était incomplet. La Chancellerie d’Etat veut une lettre de motivation en finnois, qu’ils devront faire traduire par quelqu’un d’autre, même si je ne veux traduire que vers le français. Il fallait aussi que je présente des traductions, 3 par an pour les 5 années écoulées, pour prouver ma pratique du métier de traductrice, mes diplômes et lettres de recommandation ne suffisant visiblement pas. Le fait que je sois interprète depuis bientôt 20 ans compte pour beurre. Visiblement, le style compte pour beaucoup dans la traduction de jugements de divorce.

Fort heureusement, j’avais de quoi leur fournir 15 textes, que j’ai dû sérieusement caviarder, vu la nature hautement confidentielle de ces documents (une affaire pénale encore en cours). Cela dit, je me demande si les traducteurs-jurés du serbo-croate ou du farsi ont des diplômes de traducteur et 3 textes de nature juridique par an à présenter.

Je ne suis toutefois pas encore au bout de mes peines. Mon dossier sera instruit, enquête de police & C°, puis je devrai passer un examen et payer un émolument de 300,-, renouvelable tous les cinq ans. Après quoi, je devrai prêter serment et j’obtiendrai le sceau magique faisant de moi une traductrice assermentée.

Il ne me restera plus qu’à attendre les mandats, pour amortir tout cet investissement… !

www.ge.ch/traducteurs



PS: je viens de recevoir (15.7.2010) une lettre m'annonçant que mon dossier est complet et qu'il sera soumis au Département de la sécurité, police et environnement pour l'enquête de police; de là, il sera transmis à la Commission d'examen des traducteurs-jurés.

PPS: A compter d'aujourd'hui, 10 mars 2011, c'est-à-dire un an après avoir entamé les démarches, me voilà traductrice-jurée. J'ai prêté serment et, en échange, j'ai reçu un tampon portant mon nom me permettant d'officialiser mes traductions.

vendredi 14 mai 2010

Trivial Pursuit

Un interprète doit tout savoir. Ou du moins, il doit savoir un peu de tout. Ou alors, faire semblant. La Slovaquie fait-elle partie de la zone euro ? La Norvège de l’espace Schengen ? Le Swaziland est-il un royaume ? Quelle est la capitale du Guatemala ? Comment s’appelle le premier ministre du Japon ? Allez, je vais vous donner la réponse : Yukio Hatoyama. On ne sait jamais, ça peut servir un jour. En effet, nos orateurs peuvent parler de tout et de n’importe quoi. A l’OMC, ils vont parler de commerce et de droits de douane, pensez-vous naïvement. Dans une réunion d’une confédération syndicale internationale, ils vont forcément parler de conditions de travail et de grèves de solidarité. Certes, mais il y a justement la campagne de soutien aux travailleurs des plantations de canne à sucre au Guatemala ou le dernier sommet de l’ANASE, qui s’est tenu, comme chacun le sait, à Hua Hin, en Thaïlande. Et ces noms propres, lorsqu’ils sont prononcés, par exemple, par un hispanophone, on ne les reconnaît pas forcément.

C’est pourquoi les interprètes s’accrochent avec l’énergie du désespoir à tous les documents dont ils peuvent s’emparer. Mais qui diable est Lansana Conté ? Ah ! feu le président de la Guinée. Quand les interventions vont très vite, il est parfois difficile de distinguer les morts des vivants ou les persécuteurs des persécutés. Penser à dire CEDEAO (1) et ne pas retraduire par ECOWAS, même si ce sigle est prononcé en français par un italien s’exprimant en anglais. Dans ces cas-là, il est beaucoup plus facile de lire bêtement ce qu’on a sous les yeux, ce qui permet de débrancher le cerveau pour ce petit élément-là et garder ses précieuses provisions intellectuelles pour le reste : un discours prononcé à bride abattue et à Toute Grande Vitesse (TGV pour les intimes), comme si la vie de l’orateur en dépendait.

Ainsi, prenant la relève de l’équipe précédente, je suis tombée sur ces gribouillages, laissés par le collègue qui m’a précédée : « protocole de pêche, suspension, Conakry, exécution, Mahmoud Ahmadinejad, art 10, bourreaux, pendaison, combustible nucléaire, peine de mort, Lansana Conté, CPI, ayatollah, mollah, Cotonou, 250.000 (morts ? dollars ? années-lumière ?), réconciliation, militaire » En effet, l’ordre du jour comportait un point « droits de l’homme : Guinée, Iran, Sri Lanka ». Le point de la situation de ce dernier pays a été interprété par mon équipe et nous avons eu droit au LTTE, à 90.000 morts (voir ce chiffre écrit évite de dire des bêtises dans le feu de l’action), à l’article 122 paragraphe 5, ainsi qu’aux résolutions du 18 mai 2000, du 14 mars 2002, du 20 novembre 2003 et du 18 mai, ainsi qu’au journaliste sri-lankais J.S. Tissaininayagam.

En l’absence de tout document, on fait comme on peut… On répète phonétiquement ou on dit pudiquement « le journaliste », les délégués sauront bien de qui on parle, sinon, ma foi, qu’ils se renseignent ! Nous ne pouvons bien évidemment pas tout savoir, mais honte à celui qui ne connaîtrait pas Aung San Suu Kyi (heureusement qu’on ne nous demande pas de l’écrire) ou Barack Obama, ce qui est tout de même peu probable. Mais si la bouche n’arrive pas à suivre les ordres du cerveau, il peut arriver qu’on dise Oklahoma au lieu de Yokohama. Et là, il vaut mieux que les délégués aient les documents de la conférence, afin qu’ils réservent un vol pour le bon continent.

(texte rédigé en octobre 2009, les noms et les lieux varieront forcément avec le temps qui passe)
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(1) Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest ; Economic Community Of West African States

Texte paru dans la revue Hieronymus (mars 2010), www.astti.ch