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jeudi 2 février 2023

La véritable Ile au Trésor


Connaissez-vous Robert Louis Stevenson ? Ses romans L’Étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde, ainsi que L’Ile au Trésor sont entrés dans l’histoire et ont été adaptés moult fois. Mais combien de personnes savent que cet Écossais, né en 1850 à Edimbourg, a choisi d’aller s’installer aux îles Samoa, dans le Pacifique Sud, où il est mort en 1894, à l’âge de 44 ans ? Ce choix peut paraître étrange aujourd’hui encore, mais au XIXème siècle ? L’auteur suisse, Alex Capus, a décidé d’aller creuser ce mystère.


Stevenson était un dandy plutôt chétif, aux poumons fragiles, fils et petit-fils d’ingénieurs ayant inventé et mis au point les phares portuaires. Il sera toutefois davantage attiré par l’écriture et mènera une vie de bohème, athéiste et dissolue, qui le détournera des métiers techniques liés à la sécurité maritime. Ayant été très souvent cloué au lit, enfant, pour cause de diverses maladies pulmonaires (fièvres, bronchites, pneumonies, croup), il a été bercé de nombreux contes, histoires et récits d’aventures que lui narrait sa nourrice. 

Robert Louis Stevenson
En 1879, Stevenson se trouve à San Francisco, où il attend patiemment que sa bien-aimée, Fanny Osbourne, parvienne à divorcer de son mari volage. C’est également cette année-là que deux navires reviennent bredouilles de l’Ile Cocos, alors que leurs équipages pensaient y trouver un immense trésor, caché par des pirates. En effet, une rumeur persistante laissait croire que le trésor ecclésiastique de Lima1) y aurait été enterré, en un lieu décrit sur d’innombrables cartes à l’authenticité plus ou moins douteuse, qui circulaient de main en main, de tripot en saloon, de marin à aventurier… Stevenson serait entré en possession d’un exemplaire. La recherche de coffres remplis d’or et de pierres précieuses, cachés ou perdus par des pirates semble avoir occupé pas mal de monde au cours du XIXème siècle. D’innombrables chasseurs de trésor ont retourné chaque caillou et exploré chaque crevasse de cette île particulièrement inhospitalière, entourée d’écueils de basalte fatals pour les embarcations. Un Allemand du nom de August Gissler y aura même consacré 17 ans de sa vie avec sa femme, en vain. Non seulement l’île est arrosée de pluies tropicales dix mois sur douze, mais elle est recouverte d’une épaisse jungle tropicale infranchissable, ainsi que de nombreux cocotiers. Pour agrémenter le tout, elle n’est habitée que d’innombrables oiseaux, papillons, sauterelles, cigales, guêpes, cafards, moustiques, fourmis rouges et lézards. Une population de cochons y a prospéré, ayant été importée par des explorateurs. Alex Capus parvient à la sage conclusion qu’après tant d’années à passer Cocos au peigne fin, à la pelle, à la pioche ou à la dynamite, il est plus que vraisemblable que le butin se trouve ailleurs. 



En 1881, Stevenson est à nouveau alité, malade des poumons. C’est alors qu’il se met à rédiger L’Ile au Trésor, tout d’abord pour distraire son neveu, puis sous forme de feuilleton à paraître dans la presse. Il terminera son roman à Davos, où il se trouve en cure. Avec le succès rencontré par L’Étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde (1886), Stevenson est devenu une vedette aux Etats-Unis, où il effectuera une énième cure pour soigner son emphysème pulmonaire. De là, il décidera de partir naviguer dans les mers du Sud, afin de fournir des articles et récits de voyage à la presse américaine. Malgré un certain succès littéraire, Stevenson n’était toutefois pas particulièrement riche et devait compter sur le soutien financier de son père. Alors cherchait-il l’île au trésor, suivait-il la carte qu’il aurait obtenue à San Francisco ?


Il était impossible pour les pirates qui s’étaient emparés des richesses des colons espagnols de revenir sur les côtes du continent américain, où ils étaient recherchés. Ne restait plus que l’immensité de l’Océan Pacifique. Les courants marins et les alizés auront vraisemblablement mené leurs navires vers les îles Samoa et Tonga, en passant par les Galapagos et la Polynésie. Un anthropologue et navigateur norvégien, Thor Heyerdahl, en a d’ailleurs fait l’expérience en 1947, lorsqu’il a rallié la Polynésie sur un simple radeau, le Kon Tiki. Selon Capus, une autre île, également nommée Cocos, perdue dans le vaste océan mais située à 267 km au sud de Samoa, est le seul lieu plausible et sûr où les pirates ont pu cacher leur trésor. Les Hollandais l’avaient dénommée Cocos Eylandt au début du XVIIème siècle, comme il ressort des cartes navales de l’époque. C’est au début du XIXème siècle qu’elle a été appelée Tafahi, sans doute pour la distinguer des nombreuses îles Coco sur la planète. 



Mais revenons à Stevenson… Il a parcouru le Pacifique et ses innombrables îles, dont les Samoa. C’est après avoir fait un petit tour exploratoire en direction du sud-ouest d’Upolu qu’il décide, de façon aussi soudaine que surprenante de s’y installer et d’acheter un morceau de jungle qui sera dénommé Vailima. La raison affichée de ce choix était le climat tropical, prétendument favorable à sa mauvaise santé, mais Stevenson a continué à cracher ses poumons, alité et fiévreux. Il n’avait alors plus que cinq ans à vivre. Capus observe que le clan Stevenson a fait d’innombrables voyages à Sydney, en Nouvelle-Zélande, en Californie et ailleurs et suppose que c’était une façon discrète de convertir les richesse qu’il aurait pu découvrir, du blanchiment de biens mal acquis. En effet, dévoiler des pierreries et des doublons d’or en trop grandes quantités risquait d’éveiller la curiosité, voire des soupçons. 


Il se peut que l’Ile Cocos au large du Costa Rica ait servi d’inspiration pour l’Ile au Trésor, à moins que Stevenson ne s’en soit servi pour lancer tout le monde sur une fausse piste. Parmi les nombreux textes, récits et articles qu’il a rédigés sur toutes les îles du Pacifique, jamais il ne mentionne Cocos Eylandt alias Tafahi… serait-ce parce que cette île est particulièrement anodine ? Stevenson a vécu dans l’opulence dans son domaine samoan, vénéré par les autochtones, reconnaissants pour ses prises de position contre la colonisation française, anglaise, allemande et américaine dans la région. « Tusitala » - celui qui raconte des histoires - a demandé à être enterré face à la mer, sur le mont Vaea, où il repose à ce jour. Sa maison est aujourd’hui un musée.

RL Stevenson, entouré de son clan, à Vailima

Après avoir effectué plusieurs voyages à Samoa, après s’être même obstiné à retrouver la fameuse grotte (aujourd’hui plus que vide) au-dessus de la fameuse plage, sable fin et cocotiers, de Tafahi, Alex Capus coule maintenant des jours tranquilles à Olten, où il exploite le Galicia Bar. L’observation de ses clients a débouché sur un nouveau roman intitulé Au Sevilla Bar (Das Leben ist Gut). Capus est derrière le comptoir de son bar tous les lundi soirs … à bon entendeur !


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Alex Capus, Reisender unter den Sternen. Première parution 2005, © Carl Hanser Verlag München 2015 ; dtv Verlag 2016.

Voyageur sous les étoiles, traduction Emanuel Güntzburger, Arles, Actes Sud, 2017; éditions Babel, 2019


1) Sentant le vent de l’indépendance se lever sur le continent américain (Simon Bolivar), les colons espagnols ont voulu sauver et mettre à l’abri les montagnes d’or et de joyaux amassées dans la cathédrale de Lima (1821). Ils ont chargé le capitaine Thomson de prendre le large avec le trésor, en attendant que la situation se calme. Thomson n’a pas pu résister à la tentation… et les richesses ont disparu à tout jamais. Avant de mourir, Thomson aurait confié une carte à un dénommé Keating. A partir de là, les copies et fac simile se sont multipliés, entraînant d’innombrables expéditions aux Iles Cocos. 


https://www.letemps.ch/culture/veritable-etonnante-histoire-lile-tresor