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vendredi 24 mars 2023

Les rats, nos amis, nos héros

Rat démineur recevant une récompense

Le rat est un animal qui suscite la peur et le dégoût, sans doute parce qu’il est connu pour vivre et proliférer dans les égouts et autres lieux peu ragoûtants, également parce qu’il est associé à la propagation de la peste et d’autres maladies. Ce sont toutefois des animaux très intelligents - comme le sont les corneilles qui ont, elles aussi, mauvaise presse - capables d’apprendre à exécuter toutes sortes de tâches. 


C’est ainsi que Bart Weetjens a eu l’idée de former des cricétomes des savanes (Gambian pouched rat ou giant pouched rats en anglais) pour leur apprendre à déceler des odeurs qui échappent aux narines humaines, notamment celles de la tuberculose et des mines anti-personnel (TNT). Il a fondé APOPO, une ONG qui se consacre au déminage et au dépistage de la tuberculose, grâce au flair de ces rats géants, les HeroRATS - qui n’appartiennent toutefois pas à la famille des rattus. Les cricétomes étant suffisamment légers, ils ne déclenchent pas d’explosion, mais savent indiquer la présence d’une mine-antipersonnel. APOPO est présente dans plusieurs pays, notamment au Cambodge, en Angola, au Zimbabwe et au Mozambique, ce dernier pays ayant été entièrement nettoyé des mines meurtrières disséminées partout pendant la guerre civile. En outre, APOPO forme des chiens qui sont capables dinspecter des terrains préalablement déminés par les rats, afin de confirmer quils sont dorénavant sûrs. Les HeroDOGS travaillent au Cambodge, en Angola, au Sud Soudan, en Turquie et en Azerbaïdjan. 


Les HeroRATS sont également capables de dépister des cas de tuberculose, une des maladies infectieuses les plus mortelles (1,5 millions de morts en 2020, année d’apparition de la Covid-19, source OMS). Nous avons tendance à penser que cette maladie n’existe plus, mais elle fait des ravages dans les pays pauvres. APOPO collabore avec les gouvernements de Tanzanie, du Mozambique et d’Ethiopie. Les rats parviennent à identifier un grand nombre d’échantillons très rapidement pour un coût qui revient à 1€/pièce. 


Les rats géants sont aussi capables de retrouver des corps enfouis sous des décombres, non seulement grâce à leur odorat, mais parce qu’ils parviennent à se faufiler partout et qu’ils sont très curieux. Ils sont équipés de mini-baudriers munis de caméras et de micros : les équipes de sauveteurs peuvent ainsi communiquer avec les personnes retrouvées.


Les possibilités étant infinies, les cricétomes des savanes sont capables de lutter contre la contrebande d’espèces menacées, notamment les pangolins, ou d’essences d’arbres rares et précieux. Cela prend neuf mois pour apprendre à un HeroRAT à reconnaître une odeur - que ce soit celle du TNT, du pangolin ou de la tuberculose - et ils sont formés avec la technique du clicker utilisée pour éduquer les chiens ou n’importe quel autre animal : chaque fois que l’individu démontre le comportement attendu, il entend un déclic et reçoit une récompense, en l’occurence de la banane ou tout autre friandise dont il se régalera. 




Les éléphants sont eux aussi dotés d’un flair exceptionnel, ils ont plus du double de gènes associés à l’olfaction que les chiens. Il a été observé qu’ils évitaient les champs de mines en Angola. On ne sait trop comment, mais ils ont appris à associer l’odeur du TNT avec la mort de leurs congénères ayant explosé. Les éléphants sont évidemment bien trop lourds pour travailler comme le font les cricétomes, mais ils indiquent la présence de TNT à distance : des échantillons sont prélevés par des drones. Par ailleurs, des chercheurs tentent de comprendre leur flair, afin de développer des outils de détection. Les pachydermes sont probablement encore plus efficaces que les chiens, ils ont une mémoire d’éléphant - haha - et vivent très longtemps. 

Eléphant démineur

APOPO est l’acronyme de « Anti-Persoonsmijnen Ontmijnende Product Ontwikkeling » (en français : Développement d'un produit de détection anti-mines terrestres). Cette ONG a été enregistrée comme organisation à but non lucratif en Belgique en 1998, puis elle a reçu divers soutiens et titres de reconnaissance. En 2018, elle s’est associée à l’Université de Manchester, afin de poursuivre la recherche autour de la détection de maladies en se fondant sur l’odeur. Le centre de recherche et de formation d’APOPO se trouve en Tanzanie. 


En 2015, une Fondation APOPO a ouvert ses portes à Genève, afin de profiter des synergies à tirer avec le Centre international de déminage humanitaire (GICHD) et les centres de recherche sur la tuberculose (OMS et FIND, Foundation for Innovative New Diagnostics) basés dans cette ville. Cette Fondation a pu voir le jour grâce aux contacts noués par le biais de Ashoka, un « accélérateur mondial pour promouvoir des initiatives sociales ». 

APOPO fête actuellement ses 25 ans d’existence, le même âge que le traité d’Ottawa pour l’élimination des mines antipersonnel (1997). A l’heure actuelle, il y a encore 100 millions de mines dans 60 pays. Cela prendra encore du temps - surtout que des mines continuent d’être dispersées, notamment en Ukraine - mais on pourra sans doute compter sur ces adorables rats de Gambie et leur engagement inlassable pour les retrouver. 


www.apopo.org
https://www.youtube.com/c/apopovideos 
https://www.bbc.co.uk/newsround/63388395
https://theconversation.com/how-african-elephants-amazing-sense-of-smell-could-save-lives-85626 

  

jeudi 2 février 2023

La véritable Ile au Trésor


Connaissez-vous Robert Louis Stevenson ? Ses romans L’Étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde, ainsi que L’Ile au Trésor sont entrés dans l’histoire et ont été adaptés moult fois. Mais combien de personnes savent que cet Écossais, né en 1850 à Edimbourg, a choisi d’aller s’installer aux îles Samoa, dans le Pacifique Sud, où il est mort en 1894, à l’âge de 44 ans ? Ce choix peut paraître étrange aujourd’hui encore, mais au XIXème siècle ? L’auteur suisse, Alex Capus, a décidé d’aller creuser ce mystère.


Stevenson était un dandy plutôt chétif, aux poumons fragiles, fils et petit-fils d’ingénieurs ayant inventé et mis au point les phares portuaires. Il sera toutefois davantage attiré par l’écriture et mènera une vie de bohème, athéiste et dissolue, qui le détournera des métiers techniques liés à la sécurité maritime. Ayant été très souvent cloué au lit, enfant, pour cause de diverses maladies pulmonaires (fièvres, bronchites, pneumonies, croup), il a été bercé de nombreux contes, histoires et récits d’aventures que lui narrait sa nourrice. 

Robert Louis Stevenson
En 1879, Stevenson se trouve à San Francisco, où il attend patiemment que sa bien-aimée, Fanny Osbourne, parvienne à divorcer de son mari volage. C’est également cette année-là que deux navires reviennent bredouilles de l’Ile Cocos, alors que leurs équipages pensaient y trouver un immense trésor, caché par des pirates. En effet, une rumeur persistante laissait croire que le trésor ecclésiastique de Lima1) y aurait été enterré, en un lieu décrit sur d’innombrables cartes à l’authenticité plus ou moins douteuse, qui circulaient de main en main, de tripot en saloon, de marin à aventurier… Stevenson serait entré en possession d’un exemplaire. La recherche de coffres remplis d’or et de pierres précieuses, cachés ou perdus par des pirates semble avoir occupé pas mal de monde au cours du XIXème siècle. D’innombrables chasseurs de trésor ont retourné chaque caillou et exploré chaque crevasse de cette île particulièrement inhospitalière, entourée d’écueils de basalte fatals pour les embarcations. Un Allemand du nom de August Gissler y aura même consacré 17 ans de sa vie avec sa femme, en vain. Non seulement l’île est arrosée de pluies tropicales dix mois sur douze, mais elle est recouverte d’une épaisse jungle infranchissable, ainsi que de nombreux cocotiers. Pour agrémenter le tout, elle n’est habitée que d’innombrables oiseaux, papillons, sauterelles, cigales, guêpes, cafards, moustiques, fourmis rouges et lézards. Une population de cochons y a prospéré, ayant été importée par des explorateurs. Alex Capus parvient à la sage conclusion qu’après tant d’années à passer Cocos au peigne fin, à la pelle, à la pioche ou à la dynamite, il est plus que vraisemblable que le butin se trouve ailleurs. 



En 1881, Stevenson est à nouveau alité, malade des poumons. C’est alors qu’il se met à rédiger L’Ile au Trésor, tout d’abord pour distraire son neveu, puis sous forme de feuilleton à paraître dans la presse. Il terminera son roman à Davos, où il se trouve en cure. Avec le succès rencontré par L’Étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde (1886), Stevenson est devenu une vedette aux Etats-Unis, où il effectuera une énième cure pour soigner son emphysème pulmonaire. De là, il décidera de partir naviguer dans les mers du Sud, afin de fournir des articles et récits de voyage à la presse américaine. Malgré un certain succès littéraire, Stevenson n’était toutefois pas particulièrement riche et devait compter sur le soutien financier de son père. Alors cherchait-il l’île au trésor, suivait-il la carte qu’il aurait obtenue à San Francisco ?


Il était impossible pour les pirates qui s’étaient emparés des richesses des colons espagnols de revenir sur les côtes du continent américain, où ils étaient recherchés. Ne restait plus que l’immensité de l’Océan Pacifique. Les courants marins et les alizés auront vraisemblablement mené leurs navires vers les îles Samoa et Tonga, en passant par les Galapagos et la Polynésie. Un anthropologue et navigateur norvégien, Thor Heyerdahl, en a d’ailleurs fait l’expérience en 1947, lorsqu’il a rallié la Polynésie sur un simple radeau, le Kon Tiki. Selon Capus, une autre île, également nommée Cocos, perdue dans le vaste océan mais située à 267 km au sud de Samoa, est le seul lieu plausible et sûr où les pirates ont pu cacher leur trésor. Les Hollandais l’avaient dénommée Cocos Eylandt au début du XVIIème siècle, comme il ressort des cartes navales de l’époque. C’est au début du XIXème siècle qu’elle a été appelée Tafahi, sans doute pour la distinguer des nombreuses îles Coco sur la planète. 



Mais revenons à Stevenson… Il a parcouru le Pacifique et ses innombrables îles, dont les Samoa. C’est après avoir fait un petit tour exploratoire en direction du sud-ouest d’Upolu qu’il décide, de façon aussi soudaine que surprenante de s’y installer et d’acheter un morceau de jungle qui sera dénommé Vailima. La raison affichée de ce choix était le climat tropical, prétendument favorable à sa mauvaise santé, mais Stevenson a continué à cracher ses poumons, alité et fiévreux. Il n’avait alors plus que cinq ans à vivre. Capus observe que le clan Stevenson a fait d’innombrables voyages à Sydney, en Nouvelle-Zélande, en Californie et ailleurs et suppose que c’était une façon discrète de convertir les richesse qu’il aurait pu découvrir, du blanchiment de biens mal acquis. En effet, dévoiler des pierreries et des doublons d’or en trop grandes quantités risquait d’éveiller la curiosité, voire des soupçons. 


Il se peut que l’Ile Cocos au large du Costa Rica ait servi d’inspiration pour l’Ile au Trésor, à moins que Stevenson ne s’en soit servi pour lancer tout le monde sur une fausse piste. Parmi les nombreux textes, récits et articles qu’il a rédigés sur toutes les îles du Pacifique, jamais il ne mentionne Cocos Eylandt alias Tafahi… serait-ce parce que cette île est particulièrement anodine ? Stevenson a vécu dans l’opulence dans son domaine samoan, vénéré par les autochtones, reconnaissants pour ses prises de position contre la colonisation française, anglaise, allemande et américaine dans la région. « Tusitala » - celui qui raconte des histoires - a demandé à être enterré face à la mer, sur le mont Vaea, où il repose à ce jour. Sa maison est aujourd’hui un musée.

RL Stevenson, entouré de son clan, à Vailima

Après avoir effectué plusieurs voyages à Samoa, après s’être même obstiné à retrouver la fameuse grotte (aujourd’hui plus que vide) au-dessus de la fameuse plage, sable fin et cocotiers, de Tafahi, Alex Capus coule maintenant des jours tranquilles à Olten, où il exploite le Galicia Bar. L’observation de ses clients a débouché sur un nouveau roman intitulé Au Sevilla Bar (Das Leben ist Gut). Capus est derrière le comptoir de son bar tous les lundi soirs … à bon entendeur !


* * * * * * *

Alex Capus, Reisender unter den Sternen. Première parution 2005, © Carl Hanser Verlag München 2015 ; dtv Verlag 2016.

Voyageur sous les étoiles, traduction Emanuel Güntzburger, Arles, Actes Sud, 2017; éditions Babel, 2019


1) Sentant le vent de l’indépendance se lever sur le continent américain (Simon Bolivar), les colons espagnols ont voulu sauver et mettre à l’abri les montagnes d’or et de joyaux amassées dans la cathédrale de Lima (1821). Ils ont chargé le capitaine Thomson de prendre le large avec le trésor, en attendant que la situation se calme. Thomson n’a pas pu résister à la tentation… et les richesses ont disparu à tout jamais. Avant de mourir, Thomson aurait confié une carte à un dénommé Keating. A partir de là, les copies et fac simile se sont multipliés, entraînant d’innombrables expéditions aux Iles Cocos. 


https://www.letemps.ch/culture/veritable-etonnante-histoire-lile-tresor



vendredi 9 décembre 2022

Heavy Metal : que se passe-t-il dans la tête des métalleux ?

Mustasch

Brutality now becomes my appetite
Violence is now a way of life
The sledge my tool to torture
As it pounds down on your forehead.  

In: Hammer Smashed Face by Cannibal Corpse

Pourquoi diable les gens écoutent-ils volontairement de la musique hurlante et violente ? Le rock dit « Métal » est devenu populaire autour des années 1970 et n’a jamais perdu de sa popularité depuis, bien au contraire. Metallica, le groupe le plus influent dans ce genre de musique, est le champion toutes catégories, battant tous les records de succès, que ce soit en tournée, dans les studios ou en streaming, depuis maintenant 40 ans ininterrompus. Ces ensembles ont généralement des noms sinistres, de type Black Sabbath, Megadeth, Slayer, Judas Priest, Anthrax, Rage Against the Machine, Napalm Death …. et les paroles parlent de mort, de souffrance et de destruction.

Comme c’est le cas pour tous les styles de musique, le Metal s’accompagne de codes, d’un style vestimentaire, d’une esthétique de type viking, avec des crânes et des épées, des bagues en forme de tête de mort, des vêtements en cuir ; les hommes portent les cheveux longs, qu’il convient de secouer en rythme (headbanging). Il existe de nombreux sous-genres, tels que heavy metal, black metal, death metal, metalcore,  gothic, thrash, doom, latin, power, Christian (si! si!), symphonic metal, glam, power, speed, industrial metal…..




Les adeptes de ce type de musique ne sont pas des vampires assoiffés de sang, ce ne sont pas eux qui dégomment des gens dans des centres commerciaux avec des armes semi-automatiques ou des couteaux. Bien au contraire, ce sont souvent des gens très doux, calmes et intelligents. Il arrive même que des musiciens de rock Metal finissent par se tourner vers l’opéra. Plusieurs études se sont penchées sur le profil psychologique des fans de Metal et sont parvenues à la conclusion que les décibels à donf, les rythmes rapides et saccadés, les riffs agressifs à la guitare et les hurlées gutturales avaient un effet apaisant sur les âmes tourmentées. Le Metal offre un exutoire à des émotions et à des angoisses qui n’arrivent pas à s’extérioriser autrement, c’est une véritable thérapie. Les fans trouvent leur catharsis dans ces rugissements d’outre-tombe, ils n’ont plus besoin de hurler eux-mêmes. En outre, le fait d’aller à des concerts ou à des festivals de Metal (Wacken en Allemagne, Hellfest en France) permet d’appartenir à une communauté qui vibre à l’unisson. Le public qui assiste à ces rassemblements de métalleux est gai et joyeux, on se croirait plutôt à un carnaval ou à une fête populaire. 

Number of metal bands per capita in Europe

Alors que les musiciens classiques sont valorisés et qualifiés de petits prodiges, le Heavy Metal est quant à lui souvent associé à l’échec, qu’il soit scolaire ou social. Toutefois, aimer le Metal ne signifie pas qu’on soit forcément malheureux. En 2021, la Finlande a été classée « Pays le plus heureux au monde », suivie du Danemark, de la Suisse, de l’Islande, des Pays-Bas et de la Norvège. Par ailleurs, la Finlande est le pays qui a la plus forte proportion de groupes de Metal par habitant au monde : 42,6/100.000 habitants en 2021, suivie de l’Islande (32), la Suède (22), les Iles Féroé (21), Saint-Pierre et Miquelon (19) et la Norvège (18). On distingue clairement un schéma : de petits pays froids où il fait nuit la moitié de l’année. Selon Bloomberg City Lab, le nombre de groupes de Metal dans un pays donné correspond à son niveau de prospérité et suit également sa courbe de productivité par habitant, son degré de créativité, d’entreprenariat, de développement humain, de bien-être et de satisfaction vis-à-vis de la vie. On ne saurait affirmer que le Metal en soit la seule source, mais il est néanmoins avéré que ce genre musical est une source de bonheur. Toujours selon Bloomberg, cette observation a poussé le gouvernement finlandais à inscrire l’apprentissage de la musique comme branche obligatoire dans les écoles, car cela permet d’améliorer le bien-être des élèves.  On peut affirmer que le Metal a contribué au niveau exceptionnellement élevé de bonheur de tous ces pays d’Europe du Nord. 

Metallica



En 2018, William Forde Thompson et al. ont réalisé trois études sur le profil psychologique des adeptes de Metal, d’autres sont en cours. Un autre chercheur, Tuomas Eerola, a quant à lui étudié l’attrait de la musique triste. Ils parviennent effectivement à la conclusion que le Metal est une soupape permettant d’évacuer tout ce qui encombre et épuise la psyché, mais uniquement pour ceux qui aiment ce type de musique. Des expériences faites sur des souris dans un labyrinthe ont pu démontrer que le groupe qui avait dû écouter du Mozart s’en sortait mieux que celui qui avait été soumis à du Metal; une autre étude démontrait que les souris qui avaient écouté du Metal avaient envie de s’entretuer ….. mais c’est sans doute parce qu’elles n’ont pas l’appareil critique permettant d’analyser et de trier ces sons extrêmement agressifs. 

La plupart des musiciens Metal ont commencé à un âge très jeune et se sont distingués, dès tout petits, par leurs aptitudes cognitives particulières. Les jeunes dont le QI se situe autour de 140 sont souvent piégés par ce cadeau empoisonné, ils se sentent très isolés et sont souvent très malheureux. Malgré leur jeune âge, ils comprennent parfaitement bien le monde adulte qui les entoure. Ils sont très conscients du risque d’échec, de tous les dangers qu’ils encourent, ce qui peut provoquer chez eux une paralysie émotionnelle. Leur état de frustration tourne ensuite à l’angoisse, à la perte d’estime de soi, voire à la dépression. Comme réaction de défense, l’enfant se repliera sur lui-même et évitera les interactions sociales. Inversément, ils reconnaissent leurs pairs et se retrouvent dans la communauté des métalleux, une tribu au sein de laquelle ils se sentent chez eux, apaisés.

Les fans de Metal sont une petite communauté d’initiés qui parviennent à comprendre et à décoder les vibrations secrètes diffusées par ce type de musique. Ils ne sont pas mainstream, leur musique n’est pas commerciale et ils ont des affinités entre eux, un peu comme s’ils étaient membres de la même secte. Leur signe de ralliement est le symbole des cornes du diable formé par un main dont l’index et l’annulaire sont levés. Des métalleux des quatre coins du monde peuvent devenir amis en se retrouvant au culte d’un concert ou d’un festival. Serait-ce là la solution pour parvenir à la paix dans le monde ?

Comfort doesn’t always come in a hug, sometimes it comes in a scream.




Et si Stranger Things rajeunissait le métal ?


https://cognitiontoday.com/the-social-psychology-of-heavy-metal-rock-music-research-on-metalheads


https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1158149/musique-death-metal-joie-violence-etude-universite


Musique classique et Métal : des univers pas si éloignés que ça


Why metalheads are happier people


jeudi 16 juin 2022

Un voisin bien encombrant

Février 1940, à 100 mètres des troupes soviétiques


Un Russe restera toujours un Russe, même si on le fait frire dans du beurre

Ryssä on ryssä vaikka voissa paistaisi -dicton finlandais


Le 24 février 2022, la Russie envoie ses troupes attaquer l’Ukraine, pour la libérer, la dénazifier. Le 30 novembre 1939, l’Union soviétique lance son attaque contre la Finlande, afin d’avancer ses lignes de défense contre l’Allemagne nazie, en dépit d’un pacte de non-agression signé en 1932. Ces deux événements parfaitement parallèles sont distants de 83 ans, mais l’histoire se répète d’une façon absolument effrayante. Les Nations Unies et l’Union européenne ont vu le jour au lendemain de la Seconde guerre mondiale dans l’espoir de faire régner la paix dans le monde et dire Plus jamais ça !. Ce projet aura tenu un peu moins d’un siècle dans le monde occidental, la guerre faisant rage partout ailleurs dans le monde ou presque.


L’opération spéciale russe en Ukraine est tout aussi illégale et injustifiée que l’était l’invasion soviétique en 1939. Dans les deux cas, une énorme puissance militaire attaque son frêle voisin, au prétexte de vouloir protéger sa sécurité et son intégrité territoriale. Les Finlandais ont résisté à des troupes quatre fois plus nombreuses que les leurs, l’asymétrie est certainement encore plus marquée pour les Ukrainiens, qui jouissent toutefois d’un énorme soutien occidental, ce n’était certainement pas le cas pour leurs frères nordiques. Ces petits pays ont l’avantage stratégique de connaître leur terrain, ils sont en outre animés d’une flamme patriotique et du besoin de défendre leur terre, leur famille, leur avenir, autrement dit leur survie en tant que peuple. Le courage et la ténacité des Ukrainiens ressemblent à ce qu’on appelle le « sisu » en Finlande, c’est-à-dire une force mentale d’airain, une détermination inébranlable et une persévérance tenace qui leur permettront de se tremper dans un lac gelé, d’affronter un ours ou de combattre les troupes soviétiques. Les Ukrainiens retranchés à Marioupol résistent encore et toujours à l’envahisseur … mais quelle est donc leur potion magique ?


Molotov bread basket
Au début de l’invasion russe, les Ukrainiens préparaient des cocktails Molotov pour accueillir ces invités indésirables. Cette arme du pauvre a été inventée pendant la Guerre civile d’Espagne, mais ce sont les Finlandais qui lui ont donné ce nom. En effet, Molotov était le Ministre des affaires étrangères soviétiques, qui prétendait venir en aide au peuple voisin en leur apportant de l’aide alimentaire - sous forme de blindés et de bombes. Déjà à l’époque, les Russes avaient cette étrange manie de déformer les faits. 

Dans les deux cas, les Russes/Soviétiques pensaient ne faire qu’une bouchée du petit pays à leur frontière. Dans les deux cas, ils se sont heurtés à un peuple uni comme un seul homme, femmes, grand-mères, enfants montant tous aux barricades. L’envahisseur a subi de lourdes pertes, aggravées par l’humiliation de l’échec. Les Ukrainiens reçoivent une aide massive de l’occident et les troupes du Troisième Reich sont venues secourir les Finlandais - de façon intéressée, cela va de soi. Les Russes obtiendront le résultat parfaitement opposé à celui escompté, comme aujourd’hui en Ukraine. Malheureusement pour la Finlande, leur alliance avec les forces nazies les mettra dans le camp des perdants au terme de la guerre. Non seulement ils ne bénéficieront pas du Plan Marshall, mais ils devront payer des réparations de guerre à l’Union soviétique. Ils devront également rester neutres et faire profil bas, ne jamais voter contre l’URSS à l’ONU, ne pas collaborer avec quoi que ce soit d’occidental. Cette indépendance-soumission portait le nom de finlandisation. Or la Finlande envisage maintenant de rejoindre l’OTAN, c’est bien la preuve qu’une page historique est en train de se tourner. 


Évacuation de civils de Carélie - mars 1940
Au lendemain du conflit, les Finlandais ont perdu 10% de leur territoire à l’URSS. Les populations vivant dans l’isthme de Carélie ont été évacuées vers le centre de la Finlande, ma mère était une de ces personnes déplacées. Toute sa vie, elle a gardé la nostalgie de son village, perdu à jamais. Terijoki, aujourd’hui Zelenogorsk, était - est toujours - un lieu de villégiature au bord de la Baltique, à une heure de train de Saint-Petersbourg (Léningrad à l’époque). A la chute de l’URSS, les Finlandais ont caressé l’espoir de récupérer leurs terres, mais en vain. Maintenant, ils craignent que leur gros voisin encombrant ne décide que le moment soit venu pour eux de retourner dans le giron de Mère Russie.


A l’heure où ces lignes sont écrites, nul ne peut prévoir l’issue de l’affrontement qui se déroule à nos portes, aux frontières de l’Union européenne. L’Ukraine perdra-t-elle, comme la Finlande, 10% de son territoire à l’est, sera-t-elle contrainte de céder le Donbass aux appétits insatiables de la Russie ? La Moldavie sera-t-elle la prochaine conquête de Poutine ? Prions pour que le conflit ne dure pas des décennies, comme c’était le cas en Afghanistan. 


L’Ukraine a son héros en la personne de Volodymyr Zelensky, la Finlande avait le maréchal Mannerheim, commandant en chef des forces finlandaises au cours des deux guerres mondiales. C’était un fin stratège militaire, qui a réussi à repousser l’ennemi tout en évitant les pertes humaines. Il est également parvenu à éviter toute persécution des juifs finlandais, malgré les pressions des nazis. Il a ensuite été président du pays de 1944 à 1946. À noter qu’il est décédé à Lausanne et qu’un monument à son honneur a été érigé à Territet, près de Montreux, au parc Mannerheim.


C'est vrai qu'on emporte avec soi son fardeau de soucis et de chagrins qui vous minent, mais s'il y a au monde un endroit pour trouver l'oubli, le calme et le repos, c'est bien la Suisse - Mannerheim

La plage de Terijoki, entre 1917 et 1939

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d'Hiver


https://www.blick.ch/fr/news/monde/lambassadeur-valtteri-hirvonen-pour-la-finlande-la-guerre-froide-na-jamais-pris-fin-id17512345.html 


Voir aussi : Le mémorial Mannerheim à Territet (Montreux)


Neue Zürcher Zeitung - mai 2022


Face à la Russie, la Finlande s’interroge sur son «talon d’Achille» démilitarisé

Tribune de Genève, juin 2022

Ses milliers d’îlots rocheux, ses paysages bucoliques... et sa zone démilitarisée sous l’oeil d’un consulat russe: dans l’archipel finlandais des îles Åland, toute présence militaire est impossible en vertu de traités avec la Russie remontant à plus de 160 ans.

La demande d’adhésion de la Finlande à l’Otan à la suite de l’invasion de l’Ukraine par Moscou a relancé le débat sur le statut militaire de cet archipel autonome de 30.000 habitants, niché en mer Baltique à mi-chemin entre la Suède et la Finlande.

«On a toujours pensé: qui voudrait nous attaquer quand nous n’avons rien qui ne mérite d’être capturé ?", explique à l’AFP Ulf Grüssner, un îlien de 81 ans. «Mais cela a changé avec la guerre de Poutine en Ukraine», confie ce retraité vivant à Mariehamn, le chef-lieu de l’archipel, qui a fêté jeudi un siècle de son autonomie. ….

Des armées se sont ainsi disputé le contrôle d’Åland pendant les deux guerres mondiales. «Pourquoi croire, alors que cela n’a jamais été le cas lorsqu’il y a eu des guerres en mer Baltique, que des troupes ne vont pas se précipiter pour contrôler Åland le plus vite possible?", plaide 

Dans ces îles jadis russes, la démilitarisation se fait au départ au détriment de la Russie tsariste, après un traité de 1856 suivant sa défaite lors de la guerre de Crimée. Après l’indépendance de la Finlande en 1917, l’archipel bien que suédophone tombe dans le giron de la nouvelle nation, avec toutefois un statut d’autonomie toujours en vigueur. Au terme de la Seconde guerre mondiale marquées par des années de guerre sanglante entre l’Union soviétique et la Finlande, la démilitarisation d’Åland se poursuit dans un nouveau traité de 1947, cette fois défavorable à Helsinki.

Emblème de l’oeil de Moscou, l’URSS ouvre en 1940 un consulat dans le bourg de Mariehamn, où flotte toujours le drapeau russe aujourd’hui. Depuis le début de la guerre en Ukraine, c’est là que, chaque jour, des habitants d’Åland viennent crier leur colère contre le président russe Vladimir Poutine et son invasion. … La Russie détient aussi une autre maison sur l’île, saisie à la famille d’Ulf Grüssner: son père était allemand et l’accord de 1947 prévoyait que toutes les biens allemands d’Åland deviennent propriété soviétique. «Ils ont donné trois jours à ma mère pour s’en aller», se souvient l’octogénaire, en montrant la maison délabrée dont l’accès est bloqué par une chaîne. En 2009, une partie de la propriété a été transférée directement au Kremlin. Ulf Grüssner redoute de voir l’ex-maison familiale et la démilitarisation servir de «prétexte» à une augmentation de la présence russe dans l’archipel. «C’est improbable, mais d’un autre côté ce n’est pas impossible», juge-t-il.





jeudi 5 mai 2022

Que faut-il penser de Squid Game ?


Qui n’a pas entendu parler de Squid Game, cette série coréenne qui cartonne sur Netflix ? Elle est si populaire que absolument tout le monde la connaît, même sans l’avoir regardée. Mais pourquoi un tel succès, alors que ce n’est certainement pas le premier film ou série à aborder le thème de la survie, notamment grâce à l’élimination des autres concurrents. C’est le principe de tous les programmes de télé-réalité, Big Brother, le Loft, les Marseillais à Cancún etc… évidemment sans que les participants ne soient froidement abattus sans aucune possibilité de fuite, de négociation ou de recours, comme c’est le cas dans Squid Game. 


La série met en scène une société en miniature, dont chaque membre est lourdement endetté. On y trouve des riches et des pauvres : un banquier qui a fait de brillantes études, un travailleur immigré pakistanais; des jeunes et des vieux : le concurrent N° 001 est un faible vieillard dont personne ne veut dans son équipe;  des personnes ayant réussi dans la vie et des losers : un médecin, un chauffeur qui joue au tiercé avec l’argent de sa maman; ainsi qu’une nord-coréenne qui a réussi à fuir son pays, un gangster ou encore une femme qui offre ses charmes dans l’espoir de trouver un homme fort qui la protège. Il y a les meneurs et les suiveurs, les malins et ceux qui sont trop gentils. Nous suivons une dizaine de protagonistes dont nous devinons qu’ils ne mourront qu’à la fin de la série, les autres candidats n’étant que des figurants qui se font dézinguer sans qu’on ne se soucie trop d’eux. Les participants aux jeux sont en majorité masculins. Il peut s’agir d’un choix du réalisateur ou alors on pourrait en déduire que les femmes savent mieux gérer leurs affaires et se retrouvent moins souvent dans une situation qui les contraindrait à participer à ce genre de tombola macabre. Le dernier survivant pourra repartir avec 45,6 milliards de won (environ 38 millions USD), voilà de quoi les motiver tous.


Bien que moins nombreux, les personnages féminins sont intéressants. Le N° 067, une jeune réfugiée nord-coréenne froide et impitoyable, a appris à ne faire confiance à personne et ne compte que sur elle-même. Elle sera prête à tout pour gagner, pensant que cela permettra à sa famille de la rejoindre au sud. Les 456 participants ne sont que des pions anonymes, mais lorsqu’ils donnent leur nom à un autre joueur, cela crée une relation d’amitié et de confiance entre eux. Le N° 212 est aussi une survivante, une manipulatrice habituée à tirer toutes les ficelles, mensonges, fausses larmes et trahisons. Ces joueuses témoignent de la dure vie des femmes en Corée du Sud, où elles doivent se battre à armes égales avec les hommes dans une société compétitive, tout en étant encore liées par les rôles traditionnels qui veulent qu’elles se marient et se sacrifient pour leur famille. 



L’actuelle pandémie n’est sans doute pas étrangère à l’immense succès de Squid Game. Cet enfermement anxiogène dont la seule issue est la mort semble trouver un écho chez pas mal de gens, même si le virus tue ou rend malade sans qu’il n’y ait de concurrence entre les humains. En effet, avec le virus, tout le monde a sa chance ! Les internautes coréens ont créé le terme Hell Joseon (ou Hell Korea), qui décrit la société coréenne comme un enfer sans espoir, une société de chômage et d’inégalités, où nul ne peut échapper au piège de la pauvreté, malgré des journées de travail interminables, un monde irrationnel où chacun ne défend que ses propres intérêts. Cela aurait même pu être le titre de la série. Il est en effet assez difficile de comprendre où se cache le calamar, que ce soit dans les jeux ou dans le schéma géométrique du logo de la série. 


Les enfants ne sont pas non plus insensibles à la fascination que provoque un tel déluge de violence et de cruauté. Il est effrayant de voir avec quelle joie leurs jeunes cerveaux reproduisent ce jeu de massacre, incapables qu’ils sont de trier et d’analyser les informations qu’ils reçoivent. Dans plusieurs pays, des bambins ne sachant pas encore lire ni écrire ont pourtant compris que celui qui perd mérite d’être roué de coups. Il ne faut pas grand chose pour que le vernis de civilisation de notre société ne s’effrite, avant même qu’on n’ait le temps de compter jusqu’à trois ! Songeons aussi à la violence, au harcèlement et aux menaces de mort qui pleuvent quotidiennement sur ceux qui ont le malheur d’enfoncer des portes ouvertes ou d’affirmer des vérités dérangeantes. Regarder des films violents peut offrir une sorte d’exutoire ou de catharsis à la peur de la douleur et de la mort, mais que faire lorsque la violence est omniprésente ? Comment des enfants peuvent-ils comprendre que la cruauté, c’est mal, si leurs propres parents sont passionnément vissés devant leur écran, à se demander qui sera le dernier survivant dans un camp de prisonniers coréens ? 


Le réalisateur, Hwang Dong-hyeok, avait écrit cette série en 2009 déjà, mais ce n’est que dix ans plus tard qu’il a enfin pu la réaliser, grâce au désir de Netflix d’élargir sa palette avec des productions internationales. Tous les records d’audience ont été dépassés en quelques semaines. Il est vrai que l’histoire est prenante - bien que parfaitement invraisemblable - et les acteurs sont excellents, tout comme les décors, l’ambiance, le suspense…. Au commencement, les participants sont solidaires et s’entraident, jusqu’à ce qu’ils comprennent que chaque élimination augmente leurs chances de remporter la cagnotte, car il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur. A partir de là, cela devient une lutte impitoyable et sans merci. 


Un autre exemple de compétition où l’enjeu était sa propre survie est celui des marathons de danse aux Etats-Unis lors de la Grande Dépression : des couples dansaient jusqu’à l’épuisement, parfois pendant plusieurs jours, dans l’espoir de gagner 100$. Les participants étaient nourris, mais devaient manger sans cesser de danser. C’est ce que décrivent le roman On achève bien les chevaux1), de Horace McCoy (1935), puis le film éponyme de Sidney Pollack (1969). Plusieurs décennies plus tard sont apparus des jeux télévisés où les participants sont placés dans des conditions de vie difficiles sur des îles lointaines, le but étant d’être le dernier survivant, après l’élimination de tous les autres concurrents : p.ex. Survivor, programme de télé-réalité américain créé en 1992 par Charlie Parsons, mais lancé pour la première fois en Suède, en 1997, sous le titre de Expédition Robinson. L’équivalent à la télévision française s’appelle Koh Lanta, d’après l’île thaïlandaise où le programme a démarré. C’est à la même époque (1999) que Kōshun Takami a publié son roman Battle Royale, qui décrit la (sur)vie de quarante lycéens envoyés sur une île,

où ils doivent sentretuer en respectant tout un ensemble de règles.  Cette œuvre a ensuite été adaptée en manga, puis en film par Kinji Fukasaku en 2000. Un nouvel avatar sera Fortnite Battle Royale, où le terrain des joueurs ne cesse de rétrécir, alors qu’ils doivent éliminer tous les autres, afin d’être le dernier survivant et ainsi sortir gagnants. Grâce à ce pitch, Fortnite est devenu un méga-succès planétaire. 



Reste à comprendre pourquoi ces scénarios si cruels, si horribles exercent un tel pouvoir de fascination. Est-ce parce que chacun comprend la métaphore de la survie dans un monde moderne de plus en plus impitoyable, froid, impersonnel, égoïste ? La pandémie aurait-elle rappelé à chacun d’entre nous la fragilité de notre petit confort, de nos certitudes quant à la paix et la prospérité qui semblent aller de soi, jusqu’à la fin des temps ? La mort semble avoir complètement disparu de nos existences, même si on se berce encore dans l’illusion que ça n’arrive qu’aux autres. Les secteurs du tourisme, du spectacle, de l’aviation, de l’hôtellerie, de la restauration tirent la langue, bien des personnes perdent leur travail….. Seraient-ils tous prêts à jouer à Squid Game pour retrouver leur niveau de vie d’avant ? Fort heureusement, il y a encore les soutiens et aides diverses, mais pour combien de temps ? Après la douzième vague et le quinzième variant du coronavirus, il ne sera peut-être plus nécessaire de se battre pour un emploi, pour un logement ou pour une chaise longue au bord de la piscine, car il y aura enfin assez de place et de pain pour tout le monde.
 


  1. They Shoot Horses, Don’t They ? Horace McCoy (1935)

jeudi 24 février 2022

Le Musée africain de Tervuren (Bruxelles, Belgique)


Le musée africain (dorénavant AfricaMuseum) a vu le jour en 1897, afin de présenter la section coloniale de l’exposition universelle de Bruxelles. Léopold II a fait construire un palais colonial sur les ruines d’un ancien château, dans le domaine de Tervuren. Aujourd’hui encore, le musée est entouré d’un immense parc et d’une forêt. L’exposition universelle permettait aux visiteurs de voir des objets ethniques, des animaux naturalisés, des produits africains à une époque où, rappelons-le, personne ne voyageait plus loin que le village voisin. Au vu de l’immense succès de cette exposition, le roi des Belges a fait construire un nouveau palais, l’actuel Musée africain, qui s’est d’abord appelé le Musée du Congo Belge (1908), puis Musée Royal d’Afrique Centrale à l’indépendance du Congo. L’AfricaMuseum a rouvert ses portes récemment (2019), après cinq années de travaux de rénovation et de décolonisation. 



Il faut être assez motivé pour aller visiter ce lieu, car il faut compter une petite heure pour y arriver, en prenant le tram 44 à la station de métro Montgomery. Rien ne vous indique que vous êtes sur le bon chemin, le site web du musée ne vous dit pas non plus à quel arrêt il faut descendre (le terminus). Il y a pourtant une halte qui s’appelle Musée du Tramway, après un autre arrêt qui s’appelle Léopold II. A l’arrivée, il faut avoir de bons yeux pour arriver à lire, en tout petit, AfricaMuseum sur une petite pancarte. Une fois dans le parc, à nouveau quasiment aucune indication quant à la direction à prendre. Voyant le pavillon de verre qui sert d’entrée au musée, j’ai tout d’abord cru qu’ils avaient poussé la décolonisation jusqu’à fermer le grand bâtiment néo-classique, j’ai même failli rebrousser chemin…. Mais non : un brillant architecte a eu l’idée originale de construire un long escalier très raide, très long et très blanc pour vous faire descendre de deux étages dans un long corridor qui évoque soit un hôpital soit un abri anti-atomique. Il faut évidemment remonter un escalier identique, très raide, très long et très blanc pour arriver au musée proprement dit, situé dans l’ancien palais. Le café et les toilettes se trouvant dans le pavillon moderne, cela décourage carrément de faire une pause pendant la visite. Une magnifique pirogue taillée dans un immense tronc en bois trône toute seule et sans la moindre explication ou mise en contexte dans ce hall aseptisé, morne et vide. Quelle tristesse !


L'Esclavage
Le reste est à l’avenant. Des objets africains sont certes exposés dans des vitrines, avec des explications sommaires écrites en petit, en blanc sur beige, sur des panneaux situés à la hauteur de vos cuisses. Quand on s’est accroupi environ 15 fois pour lire, en cherchant la version française, des textes peu intéressants, on y renonce assez rapidement. Une salle consacrée à la musique nous présente des musiciens congolais, avec leur photo, leur nom, le nom de leur groupe, sans doute pour nous apprendre qu’il y a des musiciens en Afrique. Scoop ! Une autre vitrine consacrée à l’indépendance du Congo, expose des photos d’Africains prenant la pose, en citant leurs noms.  Qu’est-ce que cela nous apprend ? Rien. Aucune information quant aux événements entourant l’indépendance, les muséographes se sont sans doute dit que tout le monde les connaissait ou alors que ce serait trop colonial d’en parler. Ailleurs on voit des bocaux de formol contenant des insectes, des araignées, des souris, un pangolin, des bébés tigres ou encore des papillons épinglés dans des cadres…. sans aucune explication. On devine qu’il s’agit là d’études scientifiques réalisées par les méchants blancs, donc : on n’en parle pas, parce que ce serait colonial. Les animaux empaillés datant de l’exposition universelle sont toujours là, heureusement, ainsi, ils ne seront pas morts pour rien. Le clou de la visite, selon moi, ce sont les statues qui décorent les murs de la rotonde, représentant soit l’Esclavage (un mauresque debout, un Africain à ses pieds) ou La Belgique apportant la Sécurité au Congo, mais dissimulées par des tentures. Autrement dit, ces statues sont visibles, ainsi que les panneaux indiquant leur titre, mais pas vraiment, puisqu’il faut aller les guigner sous le tissu qui les cache, en se tordant le cou.  


C’est au Musée Royal d’Afrique centrale qu’Hergé est allé trouver le matériel nécessaire à la création de Tintin au Congo. Mais évidemment, cette bande dessinée étant raciste et coloniale, il a été décidé que les statues et objets qui avaient permis cette abomination devaient être écartés de la vue des visiteurs. Peu importe qu’il s’agisse d’artefacts africains authentiques. Les objets considérés comme inappropriés sont regroupés dans une salle intitulée « Hors-jeu » , avec la mention « Les statues que l'on voit ici faisaient autrefois partie de l'exposition permanente mais n'y ont plus leur place aujourd'hui ».


Bien des visiteurs ayant écrit un avis sur Tripadvisor sont repartis déçus de leur visite. J’étais même un peu perturbée et cette sensation ne m’a pas quittée avant un bon moment. Je n’ai certainement pas tout vu, mais il me semble que le musée occulte l’histoire coloniale et on le quitte sans avoir appris quoi que ce soit. A quoi sert-il de censurer Tintin au Congo, si Léopold II continue de trôner en ville de Bruxelles et même dans le parc de Tervuren ? Comme le suggère un commentateur sur Tripadvisor, pour avoir un petit aperçu de l’Afrique à Bruxelles, il vaut mieux aller regarder les vitrines des marchands d’art africain à la place du Sablon ou alors aller se balader dans le quartier du Matongué (porte de Namur, chaussée de Wavre), où on trouve des commerces et des bistrots congolais, du manioc et du poisson séché ou encore des tissus wax et des postiches pour cheveux africains. 


Fresque dans le Matongué

Voir aussi : Tintin au Tribunal 

https://www.lepoint.fr/afrique/au-musee-tervuren-fenetre-d-afriques-a-bruxelles-05-08-2021-2437981_3826.php 


https://vivreabruxelles.be/africa-museum-musee-d-afrique-tervuren.html 


https://theconversation.com/a-tervuren-le-destin-contrarie-des-statues-de-leopold-ii-en-son-musee-141813


Monument à Léopold II dans le parc de Tervuren
The Congo I Presume


dimanche 6 février 2022

Journal de bord d’un isolement

Covid par-ci, Covid par-là, gardez vos distances, portez un masque, lavez-vous les mains ….. Oui, oui, on a compris !

Et voila que boum patatras : mon test PCR obligatoire au retour d’un voyage s’est révélé positif. Le laboratoire m’a envoyé un SMS quelques heures seulement après le frottis nasal, à croire que ma séropositivité était parfaitement claire et nette. Je suis passée par différentes phases, un peu comme suite à un deuil : l’incrédulité, lagacement, la recherche de la cause et enfin l’acceptation. 


Voilà bientôt deux ans que je suis d’une extrême prudence, à tel point que certaines personnes trouvent que j’en fais trop et cela n’a même pas suffi, le virus a malgré tout réussi à m’attraper. S’agirait-il d’Omicron, réellement très contagieux ? Ou alors serait-ce un faux positif ? Il est vrai que j’ai eu ce que d’aucuns aiment qualifier de « grippette », vaguement mal à la gorge, la voix un peu enrouée, un petit rhume…. mais ni fièvre, ni courbatures, ni perte de goût ou d’odorat. Ma double vaccination m’a certainement aidée sur ce coup-là. Je n’ose imaginer quels tourments ni quelles angoisses m'auraient torturée si je n’étais pas vaccinée ou si j’avais eu une forme grave de la maladie. En effet, que faire si on commence à étouffer au milieu de la nuit ? On préfère ne pas devoir y penser. J’avais même imaginé le scénario d’un test qui serait positif alors que j’étais encore à l’étranger (il fallait faire un test PCR avant son retour en Suisse) : cela aurait signifié dix jours voire davantage d’isolement dans une chambre d’hôtel. 


« Heureusement », ma période de pénitence est tombée sur les vacances de Noël, une période où il ne se passe de toute façon pas grand-chose. La dernière phase de mon deuil, l’acceptation, m’a permis de voir le bon côté des choses, j’allais enfin avoir le temps de rattraper toutes mes lectures en retard, de faire du rangement ou coudre mes nouveaux rideaux de cuisine … Ce genre de tuile permet également d’observer le comportement de ses amis et de son entourage : la copine qui est positive elle aussi, mais n’a rien voulu dire, ne voulant pas m’inquiéter (nous ne nous sommes pas contaminées réciproquement) ; la copine coronasceptique, anti-mesures sanitaires, qui a une dérogation médicale pour ne pas porter de masque et qui soudainement « en a marre de tout », comme si mon statut positif venait de renverser son magnifique château de cartes ; la copine qui propose de me faire des courses, 2-3 bricoles, et qui arrive avec deux sacs pleins ; et tous ceux qui sont trop occupés à préparer Noël pour me demander de mes nouvelles. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles !


Il a ensuite fallu avertir toutes les personnes que j’avais croisées, vues ou fréquentées un peu plus longuement, sachant que ça allait sans doute mettre des bâtons dans les roues de leurs célébrations de fin d’année. Cela a été l’occasion de tester l’application Swiss Covid qui, ma foi, fonctionne très bien ! Quelques heures après que le laboratoire m’a communiqué mon résultat positif par SMS, Swiss Covid m’a, à son tour, informée de mon statut. J’ai ensuite reçu un code à saisir dans l’appli et c’est moi qui ai dû activer l’envoi de notifications à toutes les personnes qui se seraient trouvées près de moi pendant 15 minutes ou plus. Une de celles-ci a pu me dire qu’elle a bien été notifiée, mais 36 heures plus tard. C’est bien, c’est mieux que rien, même si c’est un peu tardif.
 

Le laboratoire m’a encore envoyé mon résultat par e-mail, ainsi qu’un certificat de guérison (dont la validité commence dix jours plus tard) avec un QR-code, parfaitement identique à celui d'un certificat de vaccination. J’ai évidemment annulé mon rendez-vous de la semaine suivante pour ma troisième dose. J’aurai ainsi des anticorps naturels (pas de puce 5G pour Bill Gates !), ainsi qu’un certificat Covid prorogé. J’ai également reçu un mail me demandant l’autorisation d’utiliser mes données à des fins de recherche. C’est ensuite la Médecin cantonale qui m’a écrit, me signifiant officiellement sa décision de me placer en isolement. Ce courrier s’accompagnait d’un certificat médical, permettant de justifier mon absence de mon lieu de travail ou de toute autre obligation. Il comportait toutes les références légales, m’informant notamment que j’encourais des sanctions, conformément à l’art 83 al 1 let h LEp, en cas de non-respect des mesures prescrites. On m’avertissait en outre que les services de l’Etat étaient susceptibles de m’appeler à mon domicile pour prendre de mes nouvelles, s’enquérir de mon état de santé et, accessoirement, vérifier que je n’étais pas en goguette quelque part. Les gens craignent que Swiss Covid ou le certificat Covid ne les fliquent et les suivent à la trace, eh bien non, le bon vieux téléphone de papa fera très bien l’affaire. 



Ne restait plus qu’à organiser ma petite vie quotidienne selon les nouvelles circonstances : essayer de garder une certaine structure, manger aux heures normales, bien dormir mais pas trop, éviter de grignoter, faire un peu de gymnastique entre ses quatre murs, ne pas passer 16h devant l’ordinateur ni 8h à lire…. Ce qui change, c’est qu’on peut vivre sans masque ni gel hydroalcoolique pendant dix jours - à condition de vivre seul donc, ça n’a pas que des inconvénients …. ! 


Mon application de traçage Swiss Covid est restée en mode « positif » jusqu’à ce que je désactive la notification moi-même. En revanche, mon certificat Covid est parfaitement vert et affiche fièrement 3G 2G, ainsi qu’une validité automatiquement prolongée jusqu’en mai 2022, alors que mon certificat de guérison n’entre en vigueur que dix jours après le résultat positif : j’aurais très bien pu aller au bistrot pendant ma période d’isolement. En outre, il est intéressant de savoir qu’un test PCR reste positif un mois (voire au-delà ?), ce qui peut poser problème en cas de voyage ou de toute autre nécessité de présenter un test négatif.


Contrairement au joueur d’échecs de Stefan Zweig, je n’ai pas eu besoin d’apprendre des parties entières par cœur. J’ai été bien occupée, je n’ai même pas réussi à entamer ma pile de DVD non visionnés. En revanche, j’avais un peu mal aux jambes, sans doute du fait de mon immobilité inhabituelle. L’expérience n’était pas du tout traumatisante, mais elle me permet d’apprécier dorénavant l’immense bonheur d’avoir la liberté de sortir faire un petit tour …