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vendredi 1 juillet 2011

Infernale bavarde


«- Alors comment ça va?
Attends un peu... donne-moi mon appareil acoustique, là, sur la table.»

J’ai apporté à ma mère une petite boîte avec 12 petites bouteilles de digestif, elle les apprécie énormément. «- Ah oui, c’est dans les aéroports qu’on trouve ces boîtes, n’est-ce pas?

Alors ta soeur est venue hier. Ses filles ont eu une fête à l’école, pour la fin de l’année. Clotilde avait trouvé une très jolie robe qui lui allait très bien et elle a voulu mettre des chaussures avec des talons hauts comme ça! Figure-toi qu’elle était tellement affairée à se faire belle qu’elle en a oublié ses clefs. Elle a dû appeler à 4h du matin, elle a réveillé toute la maison. Tout de même... Ah, ces jeunes! Elles sont impatientes d’avoir 18 ans, elles pensent qu’elles pourront alors tout faire.

Ta soeur est allée manger à Hermance avec sa famille et elle a rencontré les Sturzenegger qui étaient aussi de sortie, le dimanche. Mais comme son assiette était en train de refroidir, elle n’a pas eu le temps de bavarder très longtemps. Thierry était là aussi, avec sa famille, ta soeur a ainsi pu rencontrer sa femme. C’est bien que Thierry s’occupe de son père, c’est pas facile, cette situation..........

J’ai reçu plusieurs mails. Lida va devoir subir un IRM. Comme tu le sais, elle est Russe, quand j’allais chez eux, il y avait des icônes au mur, illuminées par des bougies. Une ambiance, une culture tellement différente. Je me souviens, ils avaient un magasin, c’était surtout sa mère qui s’en occupait, son père était souvent malade. Quand on a été évacué, en 1939, ils sont partis à Joutsa, comme nous, comme tous les gens du village1). J’avais 10 ans, alors je ne comprenais pas bien, mais elle ne venait pas à l’école, parce qu’elle était russe. Hein? Ah non! Elle parlait très bien le finnois. Non, ils avaient peur, d’ailleurs ils ont changé de nom, pour pas qu’on les repère. Ils avaient peur que les Russes exigent qu’ils soient rapatriés de l’autre côté de la frontière.

Et Erja alors! Sa fille s’est mis en tête de prendre un chien, tu te rends compte! Elle est allée le chercher dans un refuge à Neuchâtel. Comment? Je crois qu’elle connaissait les gens là-bas, enfin je ne sais pas. Et du coup, leur nounou a démissionné! Elle a peur des chiens, comme moi, et elle n’a pas supporté quand la bête lui a sauté dessus. Il est complètement fou et excité, ce chien. Franchement... quelle idée...

J’ai parlé à Olavi, son petit-fils va passer son diplôme de l’école de commerce. J’ai l’impression que, hier encore, c’était son fils qui terminait ses études. Comme les années passent! Il est allé faire un stage en Australie et il a rencontré une Autrichienne là-bas. Elle est à Tampere avec lui en ce moment, et ensuite, c’est lui qui ira en Autriche. Olavi va toujours voir Irja à l’hôpital. Il y va tous les jours et il y passe chaque fois trois heures. C’est tout de même formidable. Dire qu’elle ne le reconnaît même pas...

Oh! comme tu as de jolies sandales! Oh là là! J’ai toujours eu un faible pour les belles chaussures, mais je n’ai jamais pu en porter, mes pieds sont trop moches.
Ça faisait longtemps que je n’avais plus de nouvelles de Mme Benz ni de sa fille. Tu sais, elle a eu ses problèmes avec les yeux. Eh bien, Mme Benz m’a appelée l’autre jour, elle va se faire opérer de la cataracte. Jocelyne n’a toujours pas trouvé de travail, évidemment avec sa dépression, ça n’arrange pas les choses. Et Karine est venue à la soirée des parents avec Kevin, les deux parents auraient dû venir, mais j’ai l’impression que son mari est un bon-à-rien. En tous cas, il n’est pas venu, alors que l’école avait dit expressément que les deux parents devaient être présents. Il est sûrement intelligent, ce petit Kevin, il faudrait juste qu’il puisse se développer dans un contexte plus harmonieux.

Ta soeur a reçu une carte postale de votre cousine. Elle était allée à Rome pour fêter l’anniversaire de son frère. Oui, votre cousin. Comment? Oui, non, ton cousin a fêté ses 50 ans à Rome, ce n’était pas la bonne date, évidemment, et votre cousine a écrit une carte postale. Oh, elle n’a pas raconté grand-chose, mais c’est clair que sur une carte, il n’y a pas beaucoup de place.»

Et patati et patata et patati et patata et patati et patata etc...............
Et c’est pareil à chaque fois................
Et avec 50 ans d’expérience, ça va....................

Ce qui est extraordinaire, c’est qu’au cours d’une visite d’une heure et demie, j’ai réussi - sans faire le moindre effort - à ne rien dire de ce que je fais. Rien du tout. Rien de chez rien. Et quand je dis quelque mots, je dois les répéter, car en dépit de son appareil acoustique, ma mère ne m’entend pas.

Enfant, une de mes maîtresses d’école avait écrit dans mon carnet, sous la note de comportement (eh oui! à l’époque...!) «Infernale bavarde». Et pourtant, j’ai toujours été très sage et appliquée. Que dirait-elle de ma mère? Ce genre de logorrhée aiguë est toutefois compréhensible chez quelqu’un qui aime parler et qui n’a personne à qui bavarder de toute la semaine.

Ce conditionnement familial m’aide sans doute aussi dans mon travail: je ne fais que répéter ce que disent les autres, sans éprouver le besoin de m’épancher et de raconter ma vie. En revanche, je me rattrape dans ce blog ;-)


1) toute la population de la Carélie finlandaise a été évacuée vers le centre du pays en 1939, lors de l’avancée de l’Armée rouge.

dimanche 19 juin 2011

T’es clean ?


Une marque de gel douche essaie de vendre sa soupe avec ce slogan : "Plus t’es clean et moins elles le sont", ce qui n’a pas manqué de me laisser perplexe. Pendant que les hommes se lavent et se parfument, les femmes trichent, mentent, bourrent les urnes et piquent des sous dans la caisse… Meuh non ! Ce n’est pas ce qu’on cherche à nous dire, mais plutôt : quand la femme fait ce que l’homme attend d’elle, c’est-à-dire se déshabiller et s’offrir à lui, elle devient une pas-propre et une s…. pe, contradiction que je n’ai jamais vraiment réussi à comprendre. Qu’on montre une femme nue pour vendre un produit aux hommes, c’est vieux comme le monde, mais là, c’est carrément incompréhensible. De plus, en tant que femme, je n’ai aucune envie d’acheter ce produit qui, de toute façon, ne m’est pas destiné.

Ce n’est qu’une fois qu’on voit la même publicité en anglais ou en allemand qu’on comprend le message et qu’on se rend compte de l’ampleur du désastre. Les campagnes d’affichage coûtant cher, il vaudrait la peine d’investir dans une traduction valable. En effet, n’importe quel francophone vous dira que "pas clean" n’évoque rien de coquin ou de hot. Il suffit de faire une petite recherche google avec ces mots pour trouver: Interface admin pas clean (pas du pur https); pot d’échappement pas clean (rouille/oxydation); c’est vieux et pas clean (critique d’un hôtel à Cherbourg); Sarkozy n’est pas clean! (il devrait sans doute changer de gel douche); la Rom des apple macintosh est elle Clean ou pas Clean ? etc…

La publicité en question nous montre un jeune homme, ni beau ni laid, qui se lave à la plage avec le fameux gel douche. Quand il se retourne (version abrégée), il est entouré de charmantes jeunes filles topless et souriantes qui se couvrent de leurs mains. Des filles pas clean, quoi… En anglais, ça se termine sur: The cleaner you are, the dirtier you get et en allemand: Je sauberer du bist, desto schmutziger wird’s1), ce qui n’est pas du tout moraliste et/ou sexiste. Au contraire, toute cette mousse annonce plutôt quelque chose de piquant et d’amusant. En français, la fille attirée par le parfum sauvage et envoûtant de l’homme est forcément sale et pas nette. En un mot: une traînée. Décidément, il y a encore du pain sur la planche.


A noter qu’il existe deux versions à l’histoire: dans l’une, les filles, qu’on voit de dos, suivent le geste du garçon et font “haut les mains”; dans l’autre, elles font non de la tête, l’air de dire “bien essayé!”

On connaissait déjà l’effet Impulse – Si un inconnu vous offre des fleurs – avec des hommes parfaitement propres et nets, bien sûr. On s’adresse aux femmes sur le mode romantique, alors qu’un produit qui vise le sexe dit fort tapera forcément en-dessous de la ceinture. Ils n’en n’ont pas un peu marre de passer pour des obsédés bas-du-front? Cela dit, les publicités cochonnes peuvent être très drôles, pour autant qu’elles renonçent aux vieux clichés du type maman ou putain. Par exemple:



Commentaire sous la vidéo: What sort of building is this where there live only models, nerds and gay bikers ?

Ou encore la version Guerre du Feu, sur le requiem de Jenkins :


Et la parodie – on n’attrappe pas les mouches avec du vinaigre:


Cela dit, le sexisme dans la publicité n’est pas loin de dépérir. Ces temps-ci, une publicité pour de la téléphonie mobile présente les femmes commes des gourdes qui ne comprennent rien au foot, connaissance essentielle que ne peuvent maîtriser que les hommes. Ah! Que ferions-nous sans eux? J’avoue ne pas connaître la règle du hors-jeu, mais ça ne me paraît pas vraiment indispensable. Un footeux pourrait-il alors m’expliquer pourquoi la BCE relève ses taux directeurs pour lutter contre la chute de l’euro? A moins que ce ne soit l’inflation? Ou alors les radicaux libres?


Autrefois, les femmes attendaient que leurs chevaliers reviennent des croisades, maintenant, les pauvrettes doivent attendre la fin du match... A quand des publicités montrant des femmes castratrices pour vendre des rasoirs? A mon avis, ce n'est pas pour demain. Ni après-demain...


Un excellent article sur le sujet:

http://www.ventscontraires.net/article.cfm/4413_transpire_en_pire.html


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1) plus tu deviens propre et plus tu deviens cochon (en anglais); ... et plus ça devient cochon (en allemand)

mardi 14 juin 2011

La forme, pas les formes!


La quarantaine bien entamée, j’ai ressenti le besoin, comme Jane Fonda, de me prendre en main avant de commencer à ressembler à une reine des termites. C’est ainsi que je me suis inscrite à un cours d’abdo-fessiers pour prévenir la cellulite galopante, notre talon d’Achille à nous les femmes. Les cours portent des noms rigolos, tels que Bye-Bye Cellulite, Body Pump ou Bikini Body et les mouvements sont, à peu de choses près, toujours les mêmes: squats, fonts, crunches, step touch, grapevine, V-step ou encore knee up. Mais il y a aussi talon-fesses, gainage, pompes et les frangins biceps et triceps.

Il me semble que je m’y suis mise au bon moment, ni trop tôt ni trop tard. J’ai toujours été très active, mais j’avais laissé tomber l’équitation et le flamenco et il fallait bien les remplacer par quelque chose. Le pilates et le yoga me paraissaient trop soft, c’est pourquoi j’ai opté pour cet ersatz de danse sur des rythmes disco. Et mon dieu que ça fait du bien! Le fait de sentir mon corps fonctionner et bouger me rassure face aux ravages inexorables des ans. Sans tomber dans les excès de type botox, lifting ou liposuccion, on peut tout de même essayer de mettre quelques atouts de son côté. Non seulement je lutte contre la cellulite et l’avachissement généralisé, mais l’exercice chasse la déprime, prévient le cancer et permet aussi de lutter contre l’ostéoporose. Alors pourquoi s’en priver?

Il est amusant de constater une parfaite ségrégation entre les sexes quand il s’agit d’entretenir son enveloppe mortelle: il y a quasi-exclusivement des femmes aux cours abdos-fessiers. En revanche, dans les salles de machines, avec des poids, des haltères et des machins lourds à soulever, il n’y a que des hommes.


Il vaut mieux aller dans un club de remise en forme ou suivre des cours n’importe où, même si les mouvements sont simples, toujours les mêmes et qu’on pourrait en principe faire ça tout seul à la maison, gratuitement. L’observateur attentif pourra trouver chez moi une paire de poids à mettre aux chevilles, des haltères (petites), un cercle pilates et deux DVD de gym. Il n’y a pas que l’enfer qui soit pavé de bonnes intentions. Ces achats optimistes ne mangent certes pas de pain et, qui sait, je m’en servirai peut-être un jour. Par exemple demain. Ou après-demain...

Je ne suis bien sûr pas toute seule dans les salles de fitness, d’autre gens que moi font du sport dans la République. Cependant mon entourage ne cesse de s’étonner et de s’émerveiller lorsqu’ils voient que je me déplace à vélo. Bien souvent, les petites jeunettes sont les premières à s’essouffler et à faire une pause pendant le cours de gym. J’ai souvent pensé à songer à avoir l’idée de monter chez moi à pied (5 étages), mais faut quand même pas pousser... Le jogging n’a jamais été ma tasse de thé: terriblement ennuyeux et le martèlement des pas finit par me faire mal au dos. Il me semble néanmoins que je m’active bien plus que la moyenne de mes concitoyens.

Les cabines d’essayage sont impitoyables et leur éclairage est particulièrement sadique. L’une d’entre elles m’a récemment dévoilé toute l’étendue de la cellulite qui habite mes cuisses. Oh rage! Oh! désespoir! Cependant, la presse, encore plus perfide que les néons des cabines d’essayage, nous révèle que même les stars ont des bourrelets. Et toc! Et à l’impossible nulle n’est tenue. Les célébrités ont certainement aussi la peau des bras qui pendouille, on se console comme on peut.




Il me semble qu’il y a deux façons de vieillir, physiquement s’entend: soit on devient obèse et complètement flappy ou alors on se dessèche comme un sarment de vigne. Choisis ton camp, camarade!

lundi 6 juin 2011

Bousculade lyrique


Les retransmissions en direct des représentations du Met de New York dans deux salles de cinéma de la ville remportent un franc succès. La première salle ayant très rapidement affiché complet, une deuxième salle a été ouverte. Sans qu’aucune publicité ne soit faite dans la presse ou ailleurs, tout le monde savait que les abonnements de la saison 2011-2012 seraient mis en vente le 6 juin dès 9 heures. Je m’y suis rendue pour 8h30, m’imaginant ainsi être parmi les premières à faire la queue.

Vain espoir ! Quelqu’un avait pris l’initiative de distribuer des tickets numérotés et j’ai obtenu le N° 71, ce qui n’augurait rien de bon. Plusieurs personnes étaient venues avec une chaise pliante. J’avais emporté un journal, mais j’ai retrouvé tant de collègues que c’était une précaution bien inutile. Chacun y allait de sa petite histoire, certains étaient là depuis 7h30, d’autres sont venus bien plus tôt encore. La distributrice de tickets, quant à elle, devait bien être là depuis 6h du matin. La plupart de ces mélomanes matinaux avaient les cheveux gris ou blancs, mais ils avaient néanmoins la gniaque et le courage de rester debout plusieurs heures dans l’espoir d’obtenir le précieux sésame. Malgré les tickets numérotés, tout le monde s’entassait en se serrant comme des sardines devant les guichets encore fermés. Sans les tickets, ça aurait été bien pire, mais ce système étant parfaitement informel, rien ne garantissait qu’il serait respecté ou qu’il servirait à quelque chose.

Le Metropolitan Opera de New York

Neuf heures ayant sonné, voilà que les guichets s’ouvrent enfin. On se presse, on se bouscule, personne ne comprend vraiment ce qui se passe. On croit voir que le premier acheteur prend dix abonnements, ce qui réduit évidemment d’autant les chances de tous les braves qui se sont levés au chant du coq. On en est au numéro dix, puis au numéro douze. Ça avance lentement… Cent-vingt ! Quoi, cent-vingt ? Il ne reste plus que cent-vingt places ? Ont-ils déjà vendu cent-vingt abonnements ? A raison de quatre abonnements au maximum par client, combien de billets seront partis avant qu’on n’en n’arrive au N° 71 ? Mon dieu…

Voilà déjà plus d’une heure que je poireaute, et encore : d’autres sont là depuis bien plus longtemps que moi. Et voilà qu’on découvre qu’une collègue était venue pour acheter des billets pour des séances individuelles, autrement dit, elle a bravé l’aurore pour des prunes. Nous sommes deux à nous précipiter sur son précieux N° 35 ! Et bien nous en a pris, car le N°40 est rentré bredouille….

Autrefois, ça se passait comme ça au Grand Théâtre, il fallait prendre un numéro et faire la queue. Mais à force de nous offrir des mises en scène avec des danseurs nus qui rampent dans des bunkers post-apocalyptiques, l’opéra local a fini par perdre son public qui le boude. Ils offrent toutes sortes de promotions et de formules spéciales, mais leurs abonnements n’ont décidément plus la cote. Les représentations du Metropolitan Opera de New York sont classiques sans être poussièreuses, mais ne reculent pas pour autant devant la modernité. Leurs sponsors privés n’accepteraient certainement pas les réinterprétations abracadabrantesques, où des gentilhommes portent des imperméables gris en haillons. Et les chanteurs sont bien sûr du plus haut niveau. Au cinéma, on y accède pour 40,-, coupe de champagne incluse. Que demande le peuple ?



Juan Diego Florez dans le Comte Ory de Rossini

Au vu de l’immense succès de ces représentations, il vaudrait la peine d’ouvrir une troisième salle. Elle se remplirait immédiatement. Les théâtres de la place constatent également un certain désamour de leurs abonnés. Etrangement, ils attribuent ce comportement à la crise ou à un changement d’habitudes du public. Il ne leur vient pas à l’idée de se demander si cela pourrait être lié à la qualité – or lack thereof – de leurs spectacles.

Que les laissés-pour-compte se consolent toutefois : des billets pour des séances individuelles seront mis en vente dès le mois d’août. A vos marques ! Prêts ? Départ !


Deborah Voigt dans la Walkyrie de Wagner

http://www.metoperafamily.org/metopera/broadcast/hd_events_next.aspx
et le Gaumont à Archamps (en plus, c'est moins cher...!)

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Dans la Tribune de Genève du 9 juin 2011:
Réveil à l’aube et grogne pour des fanas d’opéras
Pour s’assurer une place lors de la rediffusion des opéras du MET de New York, il fallait se lever très tôt lundi

 Laure Gabus | 08.06.2011 | 22:29

«Ma santé ne me permettait pas de venir plus tôt, quelqu’un a fait la queue pour moi depuis 4 heures du matin. Je suis arrivé à 7 heures», explique Freddy Martell, 76 ans. Comme lui, une centaine d’amateurs d’opéras ont fait le pied de grue dès l’aube devant les guichets des cinémas Pathé Balexert et Rex, les deux points de vente d’abonnements pour la retransmission des opéras du MET de New York.

Les guichets ont ouvert à 9 heures lundi matin et les 600 abonnements se sont envolés immédiatement. Freddy n’a pu en acheter que quatre, le maximum. Mais beaucoup n’ont pas eu cette chance et sont rentrés bredouilles. Les déçus pourront tenter d’acquérir l’une des 150 places individuelles disponibles à chaque rediffusion, mais devront attendre le mois d’août.

Depuis trois ans, Pathé diffuse toute la saison des opéras new- yorkais en direct, d’octobre à avril. Les projections connaissent «un très grand succès», reconnaît Brian Jones, directeur général de Pathé Suisse, et ce «surtout chez les personnes en âge de la retraite». Face à l’importante demande, la société a ouvert une nouvelle salle, l’année dernière aux cinémas Rex.

Freddy Martell déplore la vente aux guichets. «Nous sommes fâchés contre Pathé et fatigués», explique-t-il. L’actif retraité rêve d’un système d’achat d’abonnement semblable à celui du Victoria Hall où il est possible de garder les mêmes places d’une année à l’autre. Pathé ne souhaite pas instaurer un tel système «afin de permettre à tout le monde d’avoir une chance d’acheter un abonnement chaque année», explique Brian Jones.

Et pourquoi ne pas opter pour un système d’achat par Internet? «Une grande partie de nos spectateurs n’ont pas d’ordinateur à la maison ou ne sont pas habitués à acheter par Internet», explique Brian Jones. «Quel que soit le système, la demande sera toujours plus élevée que l’offre, résume Teodor Teodorescu, directeur de Pathé Suisse romande. Il y aura toujours des déçus.» Et donc des lève-tôt.
Et ma lettre au courrier des lecteurs du même journal, 10.6.2011:

Sans qu’aucune publicité ne soit faite dans la presse ou à la radio, un nombre considérable de mélomanes se sont levés à l’aube lundi dernier pour faire la queue en vue d’obtenir l’abonnement 2011-2012 du Metropolitan Opera de New York, diffusées en direct et en HD dans les cinémas Pathé. Quelqu’un avait pris l’initiative de distribuer des numéros, afin d’éviter un carnage et une bousculade au portillon qui aurait pu mal se terminer. Deux salles, le Rex et Balexert, affichaient complet en une heure! Il reste cependant un quota de places à vendre à la pièce, dès le mois d’août où ce sera rebelote, avec la chaise pliante dès 7h du matin. Autrefois, c’était au Grand Théâtre qu’on se bousculait de la sorte. Je le fréquente aussi et j’y ai vu de très beaux spectacles, mais c’est toujours un peu la loterie, on ne sait pas sur quoi on va tomber. Musicalement, c’est toujours au-dessus de tout reproche, c’est la mise en scène qui est souvent du grand n’importe quoi. Pourquoi ne pas ouvrir une ou deux salles disponibles à Genève pour les rediffusions en direct du Met de New York? Je songe à l’auditorium Arditti ou à l’Uptown pour ce qui est des salles actives, sinon, il y aurait encore le Plaza, le Broadway ou l’ABC, qui sont probablement complètement bouffées par les mites à l’heure qu’il est. Pour l'opéra au cinéma voir: http://www.pathe.ch/cinema/geneve/cine_opera.php

mercredi 1 juin 2011

Sifflons dans la nuit !


Pour bien faire son travail, l’interprète doit bien maîtriser ses langues. Il doit connaître les différents niveaux de langue (argotique, familier, rhétorique), les termes courants dans divers domaines (comptabilité, droit, schiste bitumineux ou pêche au chalut), ne pas être désarçonné par les accents des orateurs (indo-pakistanais, écossais, québequois, cubain, australien) et savoir manier la paraphrase au cas où le sens du discours ou le mot juste lui échapperait.

Mais ça ne suffit de loin pas. Il faut aussi savoir qui est celui qui parle, à qui il s’adresse et dans quel but ; savoir d’où il vient (Somalie ou Etats-Unis), connaître son orientation politique (militant de Greenpeace ou représentant du FMI, intellectuel de gauche ou monarchiste) et pressentir quel est le message qu’il veut faire passer. Tous ces éléments forment une sorte d’équation ou de recette de cuisine qui font que le résultat qui sortira du micro sera réussi ou raté : un accent marqué, un discours lu trop vite et un micro détourné de l’orateur et vous aurez un gâteau brûlé ou trop salé ; un discours cohérent, prononcé dans la langue maternelle de l’intervenant sur un sujet connu et l’interprète pourra faire briller tout son talent, en choisissant de belles tournures, agrémentées de termes triés sur le volet. Notre métier nous contraint pourtant à avaler des couleuvres et à apprendre l’humilité, même si on sait qu’à l’impossible nul n’est tenu. Dans quel autre métier doit-on se contenter d’un travail fait "au mieux", tout simplement parce que les conditions ne sont que rarement réunies pour nous permettre de fournir un produit correct ?

Récemment, la séance plénière du Parlement européen débattait des conclusions du Conseil européen tenu le mois précédent. Il y était question du sauvetage de l’euro, de création d’emplois, de tests de résistance des centrales nucléaires, rien que des thèmes courants traités quotidiennement dans la presse. Et voilà qu’un député britannique appartenant au groupe ELD1) prend la parole en disant : "Mr President, I would like to go back to the matter of Libya if I may." Il n’était pas, à proprement parler, hors sujet, le printemps arabe et Lampedusa ayant également été régulièrement évoqués par les eurodéputés. C’est toutefois suffisant pour désarçonner l’interprète. Rappelez-vous qu’au moment où un délégué ouvre la bouche, nul ne sait ce qui va en sortir. Et voilà que Monsieur Godfrey Bloom, car c’est son nom, enchaîne les images, les piques sarcastiques, les tournures britanniques à l’extrême, donc intraduisibles. Le coup de grâce a été : the British Prime Minister… is nothing but a superannuated schoolboy whistling in the dark. Nous avons aussi eu droit à the chickens have now come home to roost et a homicidal baboon, s’agissant de Robert Mugabe. Tout cela, en une minute et demie. Une fois le micro fermé, il ne vous reste plus qu’à vous demander ce qui vient de vous arriver, ce que vous avez fait au bon dieu pour mériter ça et surtout : quel rapport avec la choucroute ?


En réalité, un orateur comme celui-là se fiche pas mal d’être compris du citoyen portugais ou slovaque auquel il est pourtant censé s’adresser. Les débats du Parlement européen sont publics et accessibles en webcasting. Dans le cas d’espèce, le but de l’exercice était de se faire remarquer par sa circonscription et par la presse britannique, et de créer un buzz : le jour même, son intervention était sur YouTube 2).

Nous sommes de véritables caméléons et nous interprétons tous les discours, qu’ils soient prononcés par des hommes ou des femmes, des jeunes, des vieux, des fachos, des gauchos, des végétariens, des militaristes, des Témoins de Jéhovah, des personnages politiques ou des nobodys. Pendant que le micro est ouvert, nous devenons quelqu’un d’autre, nous sommes émus, nous nous indignons, nous haranguons, nous félicitons, nous insultons, nous souhaitons la bienvenue, nous observons une minute de silence, nous nous faisons conciliants et invoquons les statuts ou le règlement. Peu importe que le discours soit technique et rapide, nous demandons simplement qu’il soit cohérent et oralisé. C’est alors que nous pouvons mettre tout notre savoir-faire au service de la communication internationale.


L’anecdote ci-dessus m’a toutefois ébranlée. Vingt ans d’expérience professionnelle au compteur et je me suis retrouvée à faire des bulles comme un poisson dans un aquarium. Disons que j’ai sauvé les meubles. Malgré une quarantaine d’années de pratique de l’anglais, que je me targue pourtant de bien connaître, j’ai appris une expression que je n’avais encore jamais rencontrée auparavant : to whistle in the dark, c’est-à-dire être optimiste et gai alors qu’il n’y a aucune raison de l’être. Pourtant, au cours de la même séance, nous avons entendu : Wir haben alles im Griff, auf dem sinkenden Schiff et Tout va bien, Madame la Marquise, qui offrent de bonnes équivalences.

Décidément, les langues sont un océan insondable et une vie entière ne suffit pas à les découvrir entièrement.


Godfrey Bloom, on behalf of the EFD Group.

Mr President, I would like to go back to the matter of Libya if I may.

When did the political class and the great and the good suddenly catch up with the fact that Colonel Gaddafi is an evil man? When, since that wonderful photograph with you embracing him, Mr President, did you suddenly come to realise that he was a “wrong’un”?

I can tell you that the victims of Lockerbie in Scotland and the victims of IRA atrocities in my country knew very well what sort of scoundrel this man was. But he has got oil and he has got money so you all turned a blind eye, didn’t you?

Well, the chickens have come home to roost. The most absurd figure in all this is the British Prime Minister, who stands there rattling his empty scabbard – having disestablished the Royal Navy, having disestablished the Royal Air Force – making threats from the sidelines, with no aircraft carriers, nothing, and calls himself a Conservative but is just a superannuated schoolboy whistling in the dark.

We talk a great deal about violence against the people, we talk a lot about democracy. And yet we have had a homicidal baboon in Zimbabwe for years now, and we do not do anything about it, do we? We do not care because there is no money and there is no oil. That is so typical of this place: full of hypocrisy and humbug.
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Discours prononcé dans l'hémicycle du Parlement européen le 5 avril 2011

Les transcriptions des interventions des eurodéputés sont disponibles sur
www.europarl.europa.eu quelques jours après qu’elles ont été prononcées. Il y a de pauvres diables qui font ce travail-là. Les traductions suivent, mais bien plus tard.________________________________________
1) Groupe Europe libertés démocratie (droite)
2)

Texte paru dans la revue Hieronymus, www.astti.ch , juin 2011

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Traduction de l'intervention de M. Godfrey Bloom par les services du Parlement européen:


Godfrey Bloom,
au nom du groupe EFD. (EN) Monsieur le Président, je voudrais revenir sur la Libye, si vous me le permettez.
Quand la classe politique et les grands de ce monde ont-ils subitement compris que le colonel Kadhafi était un homme malfaisant? Quand, depuis cette merveilleuse photographie de votre accolade, Monsieur le Président, vous êtes-vous rendu compte que c’était un «sale type»?
Je peux vous dire que les victimes de Lockerbie en Écosse et les victimes des atrocités de l’IRA dans mon pays savaient très bien quel genre de fripouille était cet homme. Mais il a du pétrole et il a de l’argent, alors vous avez tous fermé les yeux, n’est-ce pas?
Eh bien, cela se retourne à présent contre nous. Le plus absurde dans tout cela, c’est le Premier ministre britannique, qui est là à agiter son fourreau vide, ayant séparé la Royal Navy et la Royal Air Force de l’État, et à proférer des menaces depuis les coulisses, sans porte-avions, sans rien, et qui se dit conservateur, mais n’est en fait qu’un écolier ringard qui tente de se donner du courage.
Nous parlons beaucoup de la violence à l’encontre de la population, nous parlons beaucoup de démocratie. Et pourtant, nous avons un babouin meurtrier au Zimbabwe depuis des années maintenant, et nous ne faisons rien pour y remédier, n’est-ce pas? Nous nous en fichons, parce qu’il n’y a ni argent ni pétrole. C’est si typique de cette Assemblée: pleine d’hypocrisie et de fumisterie.

vendredi 13 mai 2011

Bridget Jones, c’est moi!

Renée Zellweger, Bridget Jones' Diary

So, Bridget, how’s your sex life? demande régulièrement tonton Geoffrey. Oh! comme je me reconnais dans ce passage du Journal de Bridget Jones! En effet, personne ne songerait à demander aux couples mariés, the smug marrieds, quelle est la fréquence de leurs rapports sexuels. En revanche, la vie privée des singles, des pas-casées intéresse tout le monde, j’en sais quelque chose. Tout comme celle de Bridget Jones, ma vie sentimentale n’est qu’une succession d’échecs, d’espoirs déçus, de ruptures, de téléphones muets et d’oreillers trempés de larmes. A tel enseigne que j’ai décidé de renoncer à ce qui ne m’apporte que du chagrin et qui fait si mal.

Bien des gens soupçonnent que je suis lesbienne. C’est la seule explication pour une femme sans homme. Evidemment, ils n’oseront jamais me poser la question, mais je sais que cette énigme plane : mais comment fait-elle? J’ai pourtant été mariée, je suis divorcée, je devrais par conséquent avoir un statut social, on devrait pouvoir me caser dans un créneau de normalité. Mais c’est sans doute trop ancien, alors ça ne compte plus. Il y a prescription. Vaudrait-il mieux qu’on soupçonne une relation avec un homme marié, d’où l’invisibilité du partenaire? Franchement, je préfère encore passer pour une mal-baisée que pour une briseuse de ménages.

Ce qui est cocasse, c’est que depuis un an ou deux, je fréquente à nouveau mon dernier ex. On se voit en amis, sans complications, sans obligations et selon nos disponibilités respectives. Mais dans quelle case me mettre, alors? Combien de personnes ne m’ont-elles pas demandé si on s’était remis ensemble? Une amitié entre un homme et une femme, a fortiori entre ex, c’est juste inconcevable. Et voilà que, tout comme Bridget Jones, je dois répondre à la question: "Mais vous couchez ensemble ?" 1) La prochaine fois, je répondrai: "Et toi? A quand remontent tes derniers rapports?", question que ne pose normalement que le gynécologue.



Demande-t-on aux homosexuel(le)s s’ils ont un(e) partenaire et s’il y a pénétration entre eux? Je connais aussi pas mal de gens asexués, je devrais leur demander si les gens reniflent aussi leurs draps. Les gens s’imaginent sans doute que je n’ai qu’à claquer des doigts pour avoir un homme merveilleux à mes côtés. Un jour, ma mère, admirant mes jolis petits pieds, s’est exclamée: "Ah! si j’avais ces pieds-là, j’aurais eu tous les hommes du monde". Je lui ai répondu: "Maman, j’ai ces pieds-là et je suis seule."

Pendant des siècles, la société a persécuté ceux qui refusaient de remplir leur devoir, c’est-à-dire croître, multiplier et remplir la terre (Genèse 1,28). Aujourd’hui, on est devenu un peu plus cool de ce côté-là, mais on est malgré tout tenu d'être en couple.Une de mes amies est d’ailleurs d’avis que faire des enfants est un acte parfaitement nombriliste et narcissique. On veut se voir survivre dans sa descendance.


Bien que blonde, je n’arrive pas à jouer les idiotes, pourtant la meilleure des recettes de séduction. Si une femme est intelligente, il vaut mieux qu’elle soit laide, car ça correspond à quelque chose de normal. Les laiderons ont d’ailleurs en général des maris adorables, fidèles et attentionnés, de beaux enfants sages et des couples solides. Comme disait Gainsbourg, la laideur est supérieure à la beauté en cela qu’elle dure. Elle permet sans doute aussi d’avoir des relations plus sereines avec autrui. Les femmes ne vous perçoivent pas comme une menace et les hommes ne voient pas en vous un trophée. C’est pourquoi il vaut mieux choisir une jeune fille au pair laide, pour que le papa ne soit pas tenté de se faire pouponner par elle.

Les hôteliers sont les seuls à ne pas poser de questions indiscrètes. Ils sont sans doute perplexes quand ils voient arriver un homme et une femme qui passent visiblement leurs vacances ensemble, mais qui prennent des chambres séparées. Ils doivent en voir de toutes les couleurs, alors ce scénario-là est peut-être étrange, mais en tous cas inoffensif. Le secret des couples qui durent réside précisément dans la distance et la séparation, que chacun puisse garder son espace, surtout lorsqu’il s’agit de couples qui se forment à un âge, disons, plus avancé.

Un des avantages qu’il y a à vieillir est que ça devient moins étrange ou anormal d’être seul. Veuve, divorcée ou autre, les gens n’auront bientôt plus envie de me demander si je couche ou pas, et si oui, avec qui. Chaque étape de la vie a ses bons côtés.



PS: à la fin de la Walkyrie de Wagner, Wotan punit sa fille Brünnhilde qui lui a désobéi. Le pire des châtiments qu'il imagine pour elle est le mariage: elle deviendra l'épouse du premier homme qui la verra, fera de la couture au coin de l'âtre et servira son mari. La Walkyrie, désespérée, prie son père de la protéger d'une muraille de flammes, pour que seul un véritable héros puisse accéder à elle. Elle préférerait que son père la transperce de sa lance plutôt que de la livrer à un si triste sort.
So, Brünnhilde, how's your sex life? ;-)

1) la question n'est évidemment pas posée aussi crûment, mais c'est comme ça que je l'entends et c'est bien ce que veulent dire les gens

dimanche 1 mai 2011

The Royal Wedding


Il y a certains événements qu’on ne peut tout simplement pas ignorer, même si on s’en fiche royalement, c’est bien le cas de le dire. Je veux bien sûr parler du mariage du siècle – il y en aura certainement encore d’autres au cours des 89 années restantes – le mariage de Kate et de William, ci-devant duc et duchesse de Cambridge. A noter que Kate Middleton, roturière de son état, n’est pas devenue princesse, les règles techniques de la noblesse n’ayant pas prévu le cas de figure de la bergère qui épouse le Prince Charmant.


Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais parfaitement pu oublier ce qui se passait en cet an de grâce 2011 à l’Abbaye de Westminster. La radio, les journaux, internet, les manchettes des quotidiens dans la rue, tout contribuait à faire converger l’humanité tout entière vers un seul pôle, l’union de deux mortels, faits de chair et d’os comme vous et moi. Au cours de la réunion où je travaillais l’après-midi, les délégués n’arrivaient pas à se mettre d’accord. L’un d’entre eux a dit : "Il y a au moins deux personnes qui ont dit oui aujourd’hui", ce qui a provoqué l’hilarité générale dans la salle, démontrant bien que tout le monde avait compris à quoi il faisait allusion. Les débats n’avaient bien entendu rien à voir avec le carnet rose du Gotha. Il n’en n’allait pas autrement ailleurs, d’après ce que m’ont raconté mes amies : une autre conférence très sérieuse a carrément été suspendue le temps de la cérémonie nuptiale et dans une étude d’avocat de la ville, un écran géant a été installé dans une salle de travail qui a dû en voir d’autres, afin de permettre aux employés de suivre le match : "Alors, ils en sont où ?" On n’imagine pas le nombre de smartphones, de iPad et d’ordinateurs branchés sur WiFi au travail ou au bistrot qui ont également participé à cette communion planétaire.


Le lendemain soir, en zappant paresseusement, je suis tombée sur la cérémonie du mariage sur BBC Entertainment. L’événement est décidément incontournable. Ce qui m’a frappée, c’est que parmi les invités, personne ne semblait capable de chanter le psaume, ils bougaient timidement les lèvres, heureusement qu’il y avait un chœur pour faire les bruits qu’il fallait. Pas même Sir Elton John, quelle arnaque !

C’est aussi l’occasion d’apprendre plein de choses : la veille de son mariage, Kate Middleton aurait fait du shopping, mais le pantalon aurait été trop grand. L’a-t-elle laissé au magasin pour une retouche ? On ne le saura sans doute jamais. Les mariés ont quitté l’Abbaye dans l’Aston Martin de Papa, qui a été transformée pour rouler au bioéthanol distillé avec des surplus de vin britannique, ce qui n’est certainement pas dommage. Des mouvements anti-monarchistes ont certes tenté de profiter de l’événement mais apparemment en vain. Kate a une très jolie sœur, Philippa : va-t-elle, à son tour, trouver noble chaussure à son pied ?


Inévitablement, le faste et le côut indécent de tout ce tralala font débat dans une Angleterre confrontée aux coupes budgétaires en tous genre. Paradoxalement, il semblerait que le peuple apprécie d’oublier ses soucis avec des rêves de princesse. La seule robe de la mariée aurait coûté 30.000 euros ou livres, je ne sais plus (le double de celle de sa soeur), ses chaussures 4.500 CHF, sacrées pompes! D’autre part, le merchandising rapporte des millions, si ce n’est des milliards : mugs et assiettes commémoratives, affiches, cartes postales, t-shirts, chapeaux et tout ce que l’imagination humaine pourra concevoir. On trouve même des objets hyper-collector, comme ce mug Made in China, qui marie Kate à Harry. Mais attention : si l’éventuelle future reine s’appelle Kate sur les tea towels, il faudra dorénavant l’appeler Catherine – ou, mieux encore, duchesse de Cambridge.



La frénésie n’est pas moindre sur facebook, où les liens, vidéos et gags en tous genre pulullent. Un jeu très drôle consiste à se fabriquer un nom d’invité au Mariage Princier, en prenant le prénom de sa grand-mère, le nom de son premier animal de compagnie, suivi de l’adresse où on a habité dans son enfance, le tout précédé de Lord ou Lady. Cela donne, par exemple : Doña Josefa Periquito de Riant-Mont, Lord Victor Pétolu de Belles-Roches ou encore Doña Herminia Tucho de Conde Jordana et Lord Henry Yorick de Faguillon.

Reste à voir si Albert et Charlene parviendront à monopoliser l’attention planétaire de la même manière. Le défi est de taille!

vendredi 29 avril 2011

Parlez-vous chien?


Vous rappelez-vous le bon Dr Doolittle, l’homme qui savait parler aux animaux ? C’est sans doute un des fantasmes éternels de l’homme que de parvenir à lire dans les pensées des bêtes qui lui sont proches. Savoir ce que mijote un grizzli ou un aigle nous intéresse certainement moins que de comprendre Médor ou Minet, dont la pensée est toutefois assez aisément accessibles. Pas exactement du Kierkegaard. J’ai connu des chiens qui comprenaient immédiatement des mots tels que promener, chocolat ou encore chat ; leur vocabulaire s’étend bien sûr aussi à Couché ! Platz ! ou Sit ! Les chats, quant à eux, comprennent peut-être l’humain mais n’en laissent rien paraître. Ah ? Je n’ai pas le droit de me faire les griffes sur le canapé ? Tiens… c’est nouveau::prend un air d’ennui blasé :: En revanche, ils savent très bien faire passer leurs revendications: miauler bruyamment devant la porte, fût-ce au milieu de la nuit, est un message que même le dernier des idiots comprendra sans peine.


Les chevaux saisissent très bien l’intonation de la voix humaine. J’ai vu des Japonais parler leur langue à leur monture pendant la leçon d’équitation et elle les comprenait sans doute mieux que moi. Il arrivait aussi que mon cheval se mette à galoper avant que je ne lui en donne l’ordre, uniquement parce que le professeur annonçait le changement d’allure à la lettre H1). Les chevaux savent aussi compter 60x60 : ils savent parfaitement quand la leçon touche à sa fin et à partir de ce moment, ils deviennent sourds comme des pots et n'entendent même plus le japonais.

Un ami vient d’adopter une jeune chienne à la SPA. Elle est très bien élevée, ne mendie pas à table, ne tire pas sur la laisse. Mais que peut-il bien se passer dans sa tête et comment diable lui expliquer ce qui se passe ? Dans un premier temps, elle a dû penser qu’on l’emmenait promener ou qu’on allait simplement quelque part. Mais comme la même personne semblait être à ses côtés de façon plutôt durable, elle a dû commencer à faire 1+1 et se dire que ça ne se passait pas comme d’habitude. Une première tentative de la laisser, ne serait-ce que 20 minutes à quelqu’un a été un véritable fiasco : elle a refusé d’avancer du moindre centimètre, tirant désespérément dans la direction de celui dont elle commençait à subodorer qu’il était son nouveau maître. Comment lui dire que papa va revenir ? Et ensuite, comment lui apprendre qu’il ne faut pas aboyer chaque fois qu’un inconnu passe près d’elle ? A la SPA, son univers était minuscule et voilà qu’elle découvre les vitrines, le bus, plein d’autres chiens, des odeurs et des couleurs entièrement nouvelles. Elle a bien essayé le regard implorant, façon S’il vous plaît, Madame ! quand nous étions à table et elle donne souvent la papatte, l’air de dire : Ecoute, j’ai quelque chose à te raconter, mais le dialogue humano-canin reste à un niveau très rudimentaire.


Les chiens ont des maîtres, les chats ont des serviteurs. L’homme leur apporte leur nourriture quotidienne. Le chien pense : cet homme trouve ma nourriture, il doit être dieu. Le chat pense : cet homme m’apporte de la nourriture, je dois être un dieu. Que les gens choisissent plutôt un chien ou plutôt un chat comme animal de compagnie en dit long sur leur personnalité. Les chats viennent souvent en multi-pack : soit on en a un, soit on en a douze ou quarante-sept. Mais que ce soit un chien, un (des) chat(s), des gerbilles ou des canaris, les animaux nous réchauffent le cœur et nous apportent quelque chose que les humains ne peuvent tout simplement pas offrir, à cause des convenances, à cause du qu’est-ce-qu’il-va-penser-si-je fais-ça, à cause de notre timidité et de nos inhibitions. Les animaux nous aiment sans complications, sans poser de questions, sans chantage émotionnel. Ils connaissent toutefois la jalousie et il n’est pas toujours facile de se refaire une vie de couple une fois qu’on a bâti une relation avec toutou ou minou.

Avoir un compagnon, qu’il ait deux ou quatre pattes, entraîne certaines contraintes mais apporte aussi beaucoup de joie et de plaisir. Etre seul, c’est être libre, mais c’est aussi être seul. Ma foi, on ne peut pas tout avoir.

2)

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1)Des lettres au bord du manège servent de repères pour les figures à faire ou pour les changements de direction
2)
www.icanhascheezburger.com Le succès de ce site réside certainement dans le fait qu’il joue sur l’idée d’un dialogue avec les chats.
http://www.sgpa.ch/

et voici un minet qui sait très bien se faire comprendre!
http://www.youtube.com/watch?v=JhlfT-x6Ys0&feature=player_embedded

dimanche 17 avril 2011

La banalisation de la violence

Une affiche visible dans les rues de Genève ces jours est particulièrement dérangeante : on y voit une femme subissant un acte de torture, étouffée par une toile en plastique. Elle vante une pièce de Harold Pinter, l’Etau 1), d’après One For The Road. Selon Wikipedia, ladite pièce dénonce la violence de l’Etat, mais sans jamais la montrer ; seuls les dialogues des personnages y font allusion. Il semble cependant que de nos jours, pour attirer le chaland, il faut du sexe et/ou de la violence. Il faut la montrer explicitement, sinon le citoyen lambda risque de ne pas comprendre qu’on va lui offrir un moment de voyeurisme. Peut-être même qu’on assistera à un séance de simili-noyade dans une baignoire. Chic !



Un soir, en zappant, je suis tombée sur un vidéo clip d’une chanteuse qui s’appelle Gabriela Climi : Nothing Sweet About Me. On y voit cette jolie jeune femme, un peu boudeuse, qui pousse la chansonnette dans une cave plutôt sordide. Elle est entourée de ses musiciens et de six ou sept hommes attachés et baillonnés, l’un est scotché au sol, un autre est ligoté et suspendu par les pieds. Elle déverse une bouteille d’eau sur un de ces prisonniers qui a visiblement soif, l’air de le narguer. Et à la fin de la chanson, elle défait le crochet qui retient le bonhomme suspendu, ce qui équivaut à le tuer. Tout ça en chantant et en souriant à la caméra. Et ça fait un tube. Est-ce choquant ou est-ce que c’est moi qui suis hyper-sensible ? A noter aussi Disturbia de Rihanna : l’ambiance Hostel et Saw, esthétisée, glamourisée, fashion à mort 2).

Les films d’horreur et de torture sont librement disponibles dans les grands magasins et les locations de vidéos. Les scènes de torture sont de plus en plus courantes, voire inévitables dans les films policiers ou d’action (le récent Casino Royale, par exemple ou The Life of David Gale où, précisément, la victime a été tuée étouffée par un sac en plastique). Quand on allume la télé au hasard le soir, on tombe inévitablement sur un flingue dirigé sur la tempe de quelqu’un, une femme qui hurle, l’ambulance et la police, du sang partout, la morgue. Faut-il alors s’étonner que les écoliers se filment les uns les autres avec leurs téléphones mobiles pendant qu’ils tabassent ou violent leurs camarades de classe ?

Orange mécanique, le film de Stanley Kubrick, est sorti en 1972. Je l’ai vu en 1976, à 16 ans, ayant perdu le vote d’un trio d’amis, s’agissant du choix du film de la soirée. Je refusais de voir un film connu pour être hyper-violent. Il était d’ailleurs interdit aux moins de 16 ans à l’époque. Sa réputation n’était pas usurpée, mais bien que la violence dépeinte dans le film soit totalement gratuite, elle est néanmoins porteuse d’un message. Le film m’avait énormément marquée. Je l’ai revu récemment, 35 ans plus tard et sa violence est toujours aussi choquante et dérangeante. Ce qui a changé toutefois, c’est que j’ai pu l’acheter pour 10,- dans une solderie, sans le moindre avertissement en couverture. A l’époque, le film avait fait des émules en Angleterre, causant des morts, comme dans le film. Le réalisateur avait alors demandé que son film soit retiré des salles en Grande-Bretagne. Cette censure n’a pris fin qu’à la mort de Kubrick.








Il est d’ailleurs étrange qu’un film aussi désagréable soit aussi populaire. Même Hello Kitty s’y met. La musique de Purcell 3), adaptée au synthétiseur, est particulièrement puissante pour créer une ambiance d’angoisse et de malaise. Le personnage principal est parfaitement odieux, ses agissements immondes et impardonnables. Mon ami Wikipedia donne une explication intéressante quant au titre quelque peu étrange de cette œuvre. Orange Mécanique viendrait d'une vieille expression cockney : He’s as queer as a clockwork orange. D’autre part, Anthony Burgess, auteur du roman éponyme, a vécu en Malaisie où orang signifie homme (orang outan = l’homme des bois). L’homme mécanique est l’homme conditionné, manipulé.
Bon, maintenant il faut que je revoie le Dernier Tango à Paris pour mesurer la distance parcourue depuis les années -70 dans une autre catégorie. Je l’ai vu vers 18-19 ans, bien des années après sa sortie et je me suis mortellement ennuyée. Tout ça pour ça…

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Ce qui est amusant c'est que, s'agissant d'un film qui était d'anticipation à l'époque, on y voit: une minicassette, un magnétophone de type ReVox (c koi?) et un projecteur de diapositives!



1) Affiche pour la pièce "L'Étau, une histoire articulée autour de «Un pour la route» de Harold Pinter, une réflexion caustique, tantôt cruelle, tantôt sombre, sur les manipulations et les oppressions dont nous sommes ou pourrions être les victimes." Au théâtre des Grottes, du 12 avril au 1er mai 2011
2) Sur YouTube: Gabriela Climi, Sweet About Me et Rihanna, Disturbia
3) Music for the Funeral of Queen Mary

dimanche 3 avril 2011

Fêlures

Ma mère est veuve depuis un peu plus d’un an et, bien qu’ayant trouvé un nouveau modus vivendi, elle souffre malgré tout de solitude. C’est pourquoi elle a répondu à la petite annonce d’une jeune fille au pair allemande, pensant que celle-ci pourrait lui faire la conversation en guise de cours de langue, contre rémunération s’entend. L’au pair en question a répondu qu’elle avait déjà trouvé du travail. Cependant, peu de temps après, elle a repris contact avec ma mère, car elle n’avait plus où se loger. Ma mère lui a proposé une chambre, pensant que par la même occasion, elle aurait ainsi auprès d’elle quelqu’un qui pourrait l’aider avec de menues tâches, une présence rassurante.

Déjà, l’urgence dans laquelle la jeune fille avait besoin de se loger aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. La première drôle de surprise a été de découvrir qu'elle avait 41 ans. Elle voulait postuler pour un job au Salon de l’Auto, à la veille de l’ouverture de celui-ci et sans aucun moyen de locomotion pour s’y rendre. Ses prétendues recherches d’emploi aboutissaient toujours dans une impasse, car elle s’estimait sur- ou sous-qualifiée. Le principal problème était surtout qu’elle dormait quasiment toute la journée.

Petit à petit, il est devenu assez évident qu’elle avait trouvé une bonne planque chez ma mère, qui a regretté de lui avoir offert la chambre gratuitement. En effet, ma mère n’a pas besoin de toucher de loyer, mais elle peut confirmer que ce qui est gratuit est sans valeur aux yeux de la plupart des gens. Son "invitée" avait non seulement la chambre, mais aussi l’internet, la cuisinière et le lave-linge gratuit. Il a même fallu que je lui précise que les repas n’étaient pas inclus dans l’arrangement. Elle n’allait certainement pas être pressée de trouver une autre solution, car ses journées s’écoulaient, ma foi, fort agréablement: grasse matinée, puis copieux petit-déjeuner pendant une heure ou deux, après quoi elle se rendait à son cours de yoga ou à son cours de peinture sur porcelaine.

Il a fallu mettre le holà à cette situation avant qu’elle ne s’éternise ni ne pourrisse. L’incruste s’est montrée fort marrie, surprise et déçue d’apprendre qu’elle ne pouvait pas prendre racine. Pour se défendre, elle a même dit qu’il était normal qu’elle ne fasse rien pour ma mère, puisque ce genre de service est normalement rémunéré: puisqu’elle ne paie rien pour la chambre, il n’est que normal qu’elle ne travaille pas bénévolement non plus. Logique ! Elle a soudainement commencé avoir toutes sortes de jobs potentiels : l’école enfantine d’en-face l’aurait engagée au 1er avril, un hôtel de la place au 1er mai. Une famille de très bon niveau l’aurait engagée pour qu’elle les suive à Londres et à Paris et lui aurait envoyé son billet d’avion; elle devait partir le surlendemain de notre ultimatum, espérant ainsi grapiller encore deux nuitées de plus.

Aux dernières nouvelles, elle est toujours dans la bourgade où vit ma mère. Elle prend des cours d’improvisation théâtrale, ce qui est approprié quand on n’a ni revenu, ni logement, ni travail et qu’on a laissé sa veille voiture en panne chez son précédent employeur. Les courriers électroniques qu’elle m’a envoyés me permettent sérieusement de douter de sa santé mentale. Elle a l’intention d’écrire aux Prince des Pays-Bas, qu’elle trouve fort sympathique pour l'avoir vu à la télé, pour lui demander d’intervenir auprès d’Angela Merkel afin que celle-ci intercède en faveur de sa mère (qui doit avoir autour de 60 ans) pour lui permettre de faire l’apprentissage de fleuriste qui lui a été refusé dans sa jeunesse. La Chancelière est une femme très compréhensive qui, entre les élections perdues en faveur des Verts et la guerre en Libye, n’a sans doute pas encore assez d’autres chats à fouetter.

Bref, voici une femme ni jeune ni vieille, qui n’a plus toute sa tête, qui n’a pas de revenus et qui n’a certainement pas l’intention de chercher de travail (trop ennuyeux, trop fatigant, il faut se lever le matin et il faudrait renoncer aux cours de yoga, pffh !) et qui arrive à apitoyer les gens pour qu’ils la logent. Elle semble avoir des économies, peut-être que ses parents lui envoient de l’argent. Mystère et boule de gomme.

Elle a toutes ses possessions terrestres dans une multitude de sacs. Plus de voiture, pas de travail et une sérieuse fêlure entre les oreilles. Quand ses ressources seront taries, elle finira sans doute sur un banc, dans un parc, avec ses baluchons dans un caddie pour toute compagnie. Peut-être même qu’elle parcourra les rues en haranguant la foule de ses quatre vérités, comme le fait une femme dans les rues de Genève. Qui sont-ils, ces personnages qui vivent sous les ponts ou sur les trottoirs ? Il y en a plusieurs à Genève. Un Grison qui vivait dans un kiosque et qui a refusé le logement propre, chaud, aseptisé et solitaire que les services sociaux lui ont proposé ; le monsieur japonais du square derrière le monument Brunswick ; la dame française et son fils qui vivent dans les toilettes publiques vers les Halles de l’Ile ; le peintre africano-belge qui vivait sous la gare et qui a fini par être rapatrié en Belgique ; et combien d’autres encore. Je n’inclus pas dans ce groupe les djeuns à chiens, tatoués et piercés qui font la manche devant la Coop : ils ont sûrement une chaîne stéréo et une télé à écran plat qui les attend chez papa et maman. Ceux-là ne méritent qu’un coup de pied au cul, pardon my french ! Les Roms forment une catégorie à part aussi.
On a vite fait de se retrouver à la rue : on perd son emploi, on ne peut plus payer son loyer. On loge chez des amis, ça va pendant quelques semaines. Sans logement, impossible d’avoir des chemises repassées, d’être présentable pour les entretiens d’embauche qui sont de toute manière impitoyables, même si on a tout pour soi. On se décourage, on n’a plus l’énergie de prendre soin de son apparence. A partir de là, tout dégringole. On finit par perdre tout espoir, toute dignité, on cesse de lutter et, avec un peu de chance, l’Armée du Salut vous tend la main.

Quand j’étais plus jeune, j’avais parfois le fantasme de sauver un clochard, d’aider ceux dans le besoin. Ça peut certainement être gratifiant, si on arrive à sortir quelqu’un de la déchéance. Toutefois, ceux qui finissent dans la rue sont sans doute souvent responsables de leur sort, comme semble le prouver la jeune fille au pair dont il est question plus haut. Il est difficile de passer froidement devant les mendiants, mais à quoi sert-il de leur donner deux francs ? Ils achèteront des cigarettes et resteront sur le trottoir. Alors que faire ?

samedi 19 mars 2011

Le bonheur de chanter ♪♪♫♪♫

It ain't over till the fat lady sings!

Depuis quelques années, le chant occupe une place prépondérante dans ma vie. La musique a bien sûr toujours été présente autour de moi, sous une forme ou sous une autre. Comme toute jeune fille bien élevée, j’ai reçu des cours de piano, puis je me suis mise à la flûte traversière. Ensuite, quelques années au Chœur Universitaire m’ont initiée au chant choral. Après une longue pause, au cours de laquelle ma pratique musicale s’est tournée vers le flamenco, je suis revenue au chant. Ayant voulu perfectionner mes compétences vocales, j’ai pris quelques leçons. Bien m’en a pris, car cela m’a ouvert la porte à toute une série d’expériences aussi nouvelles qu’enrichissantes.
Il n’est pas facile de trouver un bon professeur. Savoir chanter est en partie un don inné, un talent naturel, qu’on peut développer grâce à l’acquisition de certaines ficelles. Un bon chanteur n’est toutefois pas forcément un bon pédagogue. L’élève doit comprendre certaines techniques physiques et physiologiques, qui ont ceci de particulier qu’elles sont très subjectives et immatérielles. On vous dira de lever le voile de votre palais, le B-A-BA du chant. Oui, mais comment faire ? Comment diriger une partie de son corps dont on ne sait même pas trop où elle se trouve ? On vous dira de sourire, de mettre ce sourire dans vos yeux, d’imaginer un immense gateau au chocolat recouvert de crème fouettée, qui vous fait dire : Ôh !!! , mais tout en baillant, pour éviter toute crispation de la mâchoire. Vous avez une cathédrale dans la tête et une ficelle qui vous tire la tête par le haut. Vous lancez votre note vers la dernière rangée de la Scala de Milan, si possible même au-delà, même si le son doit passer derrière votre tête pour y parvenir. Vous imaginez que vous humez un parfum divin. La note doit sortir de vos pommettes et vous n’arrêtez jamais de sourire, même si vous chantez Jésus sur la croix.

L’autre base absolue du chant est le soutien. Je n’ai pas encore vraiment bien saisi de quoi il s’agit. Il faut tenir son ventre, son diaphragme, sans toutefois crisper les abdos ; pousser dans les lombaires, comme si on voulait déplacer un meuble, tout en restant droit et en ouvrant sa cage thoracique pour bien remplir ses poumons. Pour sentir et muscler son diaphragme, il faut pousser des Rre-Kke-Ffe-Tte ou chanter Frère Jacques en faisant brbrbrbrbrbrbr avec les lèvres fermées. Il faut penser à monter quand on chante des notes descendantes; inversément, pour pousser des notes aiguës, il faut enfoncer ses pieds dans le sol, quitte à fléchir légèrement les genoux ; éviter de ralentir dans les descrescendo et ne pas chanter plus fort parce que la cadence s’accélère.


Même si je ne maîtrise pas encore parfaitement toutes ces techniques, il est apparu assez rapidement que j’allais passer de la tessiture alto à celle de soprano. Selon le credo You Can Do It, j’ai changé de pupitre, ce qui équivaut quasiment à changer de personnalité. Les voix alto sont aussi discrètes qu’indispensables, comme la contrebasse de Patrick Süskind. Elles remplissent l’œuvre d’une ligne harmonique insoupçonnée, mais qui apporte tout son sel à la pièce. Quant aux soprano, elles ont la ligne mélodique, celle qui brille par sa flamboyance par-dessus toutes les autres. Chanter soprano est par ailleurs bien plus facile, étant donné que nous avons la ligne mélodique : il suffit d’écouter le disque 2-3 fois sur son iPod ou dans la voiture et c’est dans la poche !


Je ne cesse de m’étonner que l’opéra soit si populaire, notamment parmi les jeunes. C’est un art vieux de plusieurs siècles, qui raconte des histoires à la fois niaises et universelles – l’amour, la rivalité, le pouvoir, les héritages, la folie, la mort, la vengeance – mais la force de la musique déchaîne les émotions à tous les étages, peu importe l’âge ou la classe sociale. Les cinémas du monde entier cartonnent avec leur projections en direct du Metropolitan Opera de New York.

Enfin, je me rends compte que j’ai un véritable plaisir à chanter : le plaisir de pouvoir produire des œuvres sublimes, qui résonnent dans de belles églises et qui rendent les gens heureux ; le plaisir tout simplement physique de sentir la musique vibrer dans mon corps ; le plaisir de boire et de manger avec mes amis choristes ; enfin le plaisir totalement jouissif de pousser un si bémol qui n’a pas été mis là par hasard. Mon prochain grand projet : chanter dans les chœurs de Roméo et Juliette de Gounod, à nouveau sur la scène de l’Alhambra. Une histoire mythique, de la musique grandiose, de beaux costumes et, une fois de plus, une collaboration avec de vrais professionnels. Un changement bienvenu par rapport aux discours monotones et répétitifs qu’ânnonnent nos chers délégués…


N'est malheureux que celui qui ne sait pas chanter (proverbe égyptien)

samedi 12 mars 2011

facebook est mon ami


A force d’entendre dire pis que pendre de ce réseau social, de ce phénomène de société, je me dois de briser une lance pour ce club, que dis-je : cette tribu des facebookers. Aux Etats-Unis, la moitié des personnes ayant une connexion internet auraient une page fb, ça me paraît presque peu. Ce qui m’a décidée à rejoindre cette grande famille, c’est le fait qu’on y trouve des groupes qui demandent ceci ou cela. Sans page facebook toutefois, impossible de voir quoi que ce soit et encore moins de participer. Cela dit, ces groupes n’ont pas beaucoup d’influence sur la marche du monde. En ce moment, la maman de Livia et Alessia, les jumelles disparues, recueille des témoignages et des messages de sympathie sur la page de soutien. La révolte des pays arabes doit aussi beaucoup à ces fameux réseaux sociaux, qui permettent aux gens de communiquer très facilement et très rapidement, où qu’ils se trouvent dans le monde (pour autant que les autorités ne bloquent pas internet). Après le tremblement de terre au Japon, les téléphones ne fonctionnant plus, les gens donnent de leurs nouvelles via facebook et twitter.

Evidemment, tout ceci n’a d’intérêt que si on a des amis actifs, c’est-à-dire qui écrivent ou qui affichent des choses, et qui réagissent à ce que font les autres. Bien des personnes ont leur page, mais n’y vont jamais, un peu comme ces gens qui ont un téléphone mobile, mais qui ne l’allument jamais et qui ne donnent leur numéro à personne, pour ne pas être dérangés. Parmi mes amis, 50% environ sont inactifs, autant dire morts et sans intérêt (au sens de facebook, s’entend ; je les fréquente évidemment bien volontiers IRL *). L’amitié facebook, virtuelle, n’a en effet pas grand-chose à voir avec l’amitié réelle. C’est une forme de communication un peu distancée, comme le serait l’échange de SMS par rapport à une conversation face à face. On consulte sa page fb quand on veut, on ne peut donc pas être dérangé par ce qui s’y passe. La vie sur facebook regorge de ce genre d’humour que les gens s’échangent par le biais de mails collectifs, avec des photos rigolotes ou des Power Points débordant de sagesse américaine et qui se terminent inmanquablement par Envoie ceci à dix de tes amis dans l’heure qui suit et quelque chose de merveilleux t’arrivera. Sauf que là, pas besoin d’envoyer le message plus loin, une fois qu’il est affiché, tous vos amis le verront.

Les cassandres qui poussent des cris d’orfraie vous diront que facebook vous vole vos données privées, alors qu’on peut s’y inscrire sous le nom de Belle Auboidorman, dire qu’on est née Rostopchine en 1910, qu’on est végétarien et monarchiste. Ils vous diront qu’on espionne tous vos faits et gestes : tout dépend de ce qu’on écrit sur sa page et comment on verrouille ses paramètres de confidentialité. Oui, mais et les hackers ? Les hackers ont accès à votre courrier électronique, qui contient certainement des infos bien plus compromettantes que: Coincée dans les bouchons à cause du Salon de l’Auto ! Alors quel est l’intérêt de s’échanger des infos et des commentaire aussi banals ? Je comparerais ça à du bavardage de pause café, c’est un moyen de détente, d’amusement et à la pause non plus, vous n’allez pas dire que vous souffrez d’incontinence, que votre collègue vous emm…. ou que vous êtes tenté(e) de voter pour Ségolène. L’ambiance sur facebook a quelque chose de Disneyland : on est tous là pour dire coucou et bravo et J’aime à ses amis. Ce n’est pas par hasard que le bouton J’aime pas n’existe pas. Vos amis fb vous donnent de ces Streicheleinheiten #) dont la vie réelle est si avare.

On entend dire énormément de bêtises sur facebook. L’éternel scenario de votre patron qui lit que vous le traitez de gros porc ou qui voit des photos de vous à moitié nu et complètement ivre. Tout comme dans la vie réelle, il ne faut jamais insulter son patron en pensant qu’il n’en saura jamais rien et si vous menez une vie de bâton de chaise, les photos compromettantes peuvent atterrir sur le bureau de qui-il-ne-faut-pas même sans le concours de Mark Zuckerberg. Toute invention a ses bons et ses mauvais côtés : faut-il interdire le téléphone à cause du démarchage ou des appels obscènes ? Faut-il interdire internet parce qu’on y trouve les instructions pour fabriquer une bombe ? Faut-il interdire les voitures parce qu’on risque d’avoir un accident ?



Il y a surtout beaucoup d’ignorance et de fantasmes qui circulent. Les gens ne comprennent tout simplement pas comment ça fonctionne et échafaudent toutes sortes de scénarios catastrophe, où vous vous dévoilez devant le monde entier. Ils s’imaginent que n’importe qui peut écrire n’importe quoi sur votre « mur » et que tout le monde peut le lire. Que n’importe qui peut afficher des photos horribles qui détruiront votre réputation, votre carrière et qui pousseront votre conjoint / partenaire / chien à vous quitter à tout jamais. Comme dans la vraie vie, il faut choisir ses amis avec discernement et chasser ceux qui vous font du mal. Les artistes, écrivains, acteurs ont compris que facebook peut leur servir à la fois de vitrine et de fan club. Le service d’interprétation de la Commission européenne a d'ailleurs saisi cette perche: ils cherchent à attirer la relève, par définition jeune et branchée internet, par le biais de leur page Interpreting for Europe.

Facebook n’est ni un forum de discussion, ni un chat, ni une page internet ordinaire. C’est devenu pour moi comme un petit carré de chocolat que je consulte plusieurs fois par jour, je l’avoue (avec le iPhone, c’est si facile !), pour voir si mes amis ont encore affiché des photos marrantes, des liens intéressants ou s’ils ont réagi à ce que j’ai écrit. C’est un peu comme de jouer au ballon, on reçoit quelque chose en retour, une réaction, un contact, un dialogue. Alors pourquoi s’en priver ?


Voir aussi: http://tiina-gva.blogspot.com/2010/08/i-internet.html
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*) In Real Life
#) littéralement : unité de caresse, la monnaie de l’amour et de l’amitié. Comme quoi Schadenfreude n’est pas le seul mot allemand qui soit intraduisible et sans équivalent dans les autres langues