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dimanche 17 avril 2011

La banalisation de la violence

Une affiche visible dans les rues de Genève ces jours est particulièrement dérangeante : on y voit une femme subissant un acte de torture, étouffée par une toile en plastique. Elle vante une pièce de Harold Pinter, l’Etau 1), d’après One For The Road. Selon Wikipedia, ladite pièce dénonce la violence de l’Etat, mais sans jamais la montrer ; seuls les dialogues des personnages y font allusion. Il semble cependant que de nos jours, pour attirer le chaland, il faut du sexe et/ou de la violence. Il faut la montrer explicitement, sinon le citoyen lambda risque de ne pas comprendre qu’on va lui offrir un moment de voyeurisme. Peut-être même qu’on assistera à un séance de simili-noyade dans une baignoire. Chic !



Un soir, en zappant, je suis tombée sur un vidéo clip d’une chanteuse qui s’appelle Gabriela Climi : Nothing Sweet About Me. On y voit cette jolie jeune femme, un peu boudeuse, qui pousse la chansonnette dans une cave plutôt sordide. Elle est entourée de ses musiciens et de six ou sept hommes attachés et baillonnés, l’un est scotché au sol, un autre est ligoté et suspendu par les pieds. Elle déverse une bouteille d’eau sur un de ces prisonniers qui a visiblement soif, l’air de le narguer. Et à la fin de la chanson, elle défait le crochet qui retient le bonhomme suspendu, ce qui équivaut à le tuer. Tout ça en chantant et en souriant à la caméra. Et ça fait un tube. Est-ce choquant ou est-ce que c’est moi qui suis hyper-sensible ? A noter aussi Disturbia de Rihanna : l’ambiance Hostel et Saw, esthétisée, glamourisée, fashion à mort 2).

Les films d’horreur et de torture sont librement disponibles dans les grands magasins et les locations de vidéos. Les scènes de torture sont de plus en plus courantes, voire inévitables dans les films policiers ou d’action (le récent Casino Royale, par exemple ou The Life of David Gale où, précisément, la victime a été tuée étouffée par un sac en plastique). Quand on allume la télé au hasard le soir, on tombe inévitablement sur un flingue dirigé sur la tempe de quelqu’un, une femme qui hurle, l’ambulance et la police, du sang partout, la morgue. Faut-il alors s’étonner que les écoliers se filment les uns les autres avec leurs téléphones mobiles pendant qu’ils tabassent ou violent leurs camarades de classe ?

Orange mécanique, le film de Stanley Kubrick, est sorti en 1972. Je l’ai vu en 1976, à 16 ans, ayant perdu le vote d’un trio d’amis, s’agissant du choix du film de la soirée. Je refusais de voir un film connu pour être hyper-violent. Il était d’ailleurs interdit aux moins de 16 ans à l’époque. Sa réputation n’était pas usurpée, mais bien que la violence dépeinte dans le film soit totalement gratuite, elle est néanmoins porteuse d’un message. Le film m’avait énormément marquée. Je l’ai revu récemment, 35 ans plus tard et sa violence est toujours aussi choquante et dérangeante. Ce qui a changé toutefois, c’est que j’ai pu l’acheter pour 10,- dans une solderie, sans le moindre avertissement en couverture. A l’époque, le film avait fait des émules en Angleterre, causant des morts, comme dans le film. Le réalisateur avait alors demandé que son film soit retiré des salles en Grande-Bretagne. Cette censure n’a pris fin qu’à la mort de Kubrick.








Il est d’ailleurs étrange qu’un film aussi désagréable soit aussi populaire. Même Hello Kitty s’y met. La musique de Purcell 3), adaptée au synthétiseur, est particulièrement puissante pour créer une ambiance d’angoisse et de malaise. Le personnage principal est parfaitement odieux, ses agissements immondes et impardonnables. Mon ami Wikipedia donne une explication intéressante quant au titre quelque peu étrange de cette œuvre. Orange Mécanique viendrait d'une vieille expression cockney : He’s as queer as a clockwork orange. D’autre part, Anthony Burgess, auteur du roman éponyme, a vécu en Malaisie où orang signifie homme (orang outan = l’homme des bois). L’homme mécanique est l’homme conditionné, manipulé.
Bon, maintenant il faut que je revoie le Dernier Tango à Paris pour mesurer la distance parcourue depuis les années -70 dans une autre catégorie. Je l’ai vu vers 18-19 ans, bien des années après sa sortie et je me suis mortellement ennuyée. Tout ça pour ça…

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Ce qui est amusant c'est que, s'agissant d'un film qui était d'anticipation à l'époque, on y voit: une minicassette, un magnétophone de type ReVox (c koi?) et un projecteur de diapositives!



1) Affiche pour la pièce "L'Étau, une histoire articulée autour de «Un pour la route» de Harold Pinter, une réflexion caustique, tantôt cruelle, tantôt sombre, sur les manipulations et les oppressions dont nous sommes ou pourrions être les victimes." Au théâtre des Grottes, du 12 avril au 1er mai 2011
2) Sur YouTube: Gabriela Climi, Sweet About Me et Rihanna, Disturbia
3) Music for the Funeral of Queen Mary

3 commentaires:

Jos a dit…

faut voir "La Grande Bouffe", c´est plus explicite, car notre société actuelle s´y pâme.

Tiina a dit…

La Grande Bouffe: je n'ai pas réussi à le regarder jusqu'au bout et je n'ai pas envie de réessayer! Mais dans ce cas-là, ce sont les personnages eux-mêmes qui s'auto-torturent en se forçant à manger ;-)

Un film totalement malsain

fireatheart a dit…

J'ai eu beaucoup de mal aux trois films, mais CLOCKWORK ORANGE, que j'ai longtemps détesté, me fascine à présent. LAST TANGO: ennui aussi, et GRAND BOUFFE: dégoût aussi.
La Hello Kitty ci-dessus est bien mignonne. :)

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