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jeudi 16 juin 2022

Un voisin bien encombrant

Février 1940, à 100 mètres des troupes soviétiques


Un Russe restera toujours un Russe, même si on le fait frire dans du beurre

Ryssä on ryssä vaikka voissa paistaisi -dicton finlandais


Le 24 février 2022, la Russie envoie ses troupes attaquer l’Ukraine, pour la libérer, la dénazifier. Le 30 novembre 1939, l’Union soviétique lance son attaque contre la Finlande, afin d’avancer ses lignes de défense contre l’Allemagne nazie, en dépit d’un pacte de non-agression signé en 1932. Ces deux événements parfaitement parallèles sont distants de 83 ans, mais l’histoire se répète d’une façon absolument effrayante. Les Nations Unies et l’Union européenne ont vu le jour au lendemain de la Seconde guerre mondiale dans l’espoir de faire régner la paix dans le monde et dire Plus jamais ça !. Ce projet aura tenu un peu moins d’un siècle dans le monde occidental, la guerre faisant rage partout ailleurs dans le monde ou presque.


L’opération spéciale russe en Ukraine est tout aussi illégale et injustifiée que l’était l’invasion soviétique en 1939. Dans les deux cas, une énorme puissance militaire attaque son frêle voisin, au prétexte de vouloir protéger sa sécurité et son intégrité territoriale. Les Finlandais ont résisté à des troupes quatre fois plus nombreuses que les leurs, l’asymétrie est certainement encore plus marquée pour les Ukrainiens, qui jouissent toutefois d’un énorme soutien occidental, ce n’était certainement pas le cas pour leurs frères nordiques. Ces petits pays ont l’avantage stratégique de connaître leur terrain, ils sont en outre animés d’une flamme patriotique et du besoin de défendre leur terre, leur famille, leur avenir, autrement dit leur survie en tant que peuple. Le courage et la ténacité des Ukrainiens ressemblent à ce qu’on appelle le « sisu » en Finlande, c’est-à-dire une force mentale d’airain, une détermination inébranlable et une persévérance tenace qui leur permettront de se tremper dans un lac gelé, d’affronter un ours ou de combattre les troupes soviétiques. Les Ukrainiens retranchés à Marioupol résistent encore et toujours à l’envahisseur … mais quelle est donc leur potion magique ?


Molotov bread basket
Au début de l’invasion russe, les Ukrainiens préparaient des cocktails Molotov pour accueillir ces invités indésirables. Cette arme du pauvre a été inventée pendant la Guerre civile d’Espagne, mais ce sont les Finlandais qui lui ont donné ce nom. En effet, Molotov était le Ministre des affaires étrangères soviétiques, qui prétendait venir en aide au peuple voisin en leur apportant de l’aide alimentaire - sous forme de blindés et de bombes. Déjà à l’époque, les Russes avaient cette étrange manie de déformer les faits. 

Dans les deux cas, les Russes/Soviétiques pensaient ne faire qu’une bouchée du petit pays à leur frontière. Dans les deux cas, ils se sont heurtés à un peuple uni comme un seul homme, femmes, grand-mères, enfants montant tous aux barricades. L’envahisseur a subi de lourdes pertes, aggravées par l’humiliation de l’échec. Les Ukrainiens reçoivent une aide massive de l’occident et les troupes du Troisième Reich sont venues secourir les Finlandais - de façon intéressée, cela va de soi. Les Russes obtiendront le résultat parfaitement opposé à celui escompté, comme aujourd’hui en Ukraine. Malheureusement pour la Finlande, leur alliance avec les forces nazies les mettra dans le camp des perdants au terme de la guerre. Non seulement ils ne bénéficieront pas du Plan Marshall, mais ils devront payer des réparations de guerre à l’Union soviétique. Ils devront également rester neutres et faire profil bas, ne jamais voter contre l’URSS à l’ONU, ne pas collaborer avec quoi que ce soit d’occidental. Cette indépendance-soumission portait le nom de finlandisation. Or la Finlande envisage maintenant de rejoindre l’OTAN, c’est bien la preuve qu’une page historique est en train de se tourner. 


Évacuation de civils de Carélie - mars 1940
Au lendemain du conflit, les Finlandais ont perdu 10% de leur territoire à l’URSS. Les populations vivant dans l’isthme de Carélie ont été évacuées vers le centre de la Finlande, ma mère était une de ces personnes déplacées. Toute sa vie, elle a gardé la nostalgie de son village, perdu à jamais. Terijoki, aujourd’hui Zelenogorsk, était - est toujours - un lieu de villégiature au bord de la Baltique, à une heure de train de Saint-Petersbourg (Léningrad à l’époque). A la chute de l’URSS, les Finlandais ont caressé l’espoir de récupérer leurs terres, mais en vain. Maintenant, ils craignent que leur gros voisin encombrant ne décide que le moment soit venu pour eux de retourner dans le giron de Mère Russie.


A l’heure où ces lignes sont écrites, nul ne peut prévoir l’issue de l’affrontement qui se déroule à nos portes, aux frontières de l’Union européenne. L’Ukraine perdra-t-elle, comme la Finlande, 10% de son territoire à l’est, sera-t-elle contrainte de céder le Donbass aux appétits insatiables de la Russie ? La Moldavie sera-t-elle la prochaine conquête de Poutine ? Prions pour que le conflit ne dure pas des décennies, comme c’était le cas en Afghanistan. 


L’Ukraine a son héros en la personne de Volodymyr Zelensky, la Finlande avait le maréchal Mannerheim, commandant en chef des forces finlandaises au cours des deux guerres mondiales. C’était un fin stratège militaire, qui a réussi à repousser l’ennemi tout en évitant les pertes humaines. Il est également parvenu à éviter toute persécution des juifs finlandais, malgré les pressions des nazis. Il a ensuite été président du pays de 1944 à 1946. À noter qu’il est décédé à Lausanne et qu’un monument à son honneur a été érigé à Territet, près de Montreux, au parc Mannerheim.


C'est vrai qu'on emporte avec soi son fardeau de soucis et de chagrins qui vous minent, mais s'il y a au monde un endroit pour trouver l'oubli, le calme et le repos, c'est bien la Suisse - Mannerheim

La plage de Terijoki, entre 1917 et 1939

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d'Hiver


https://www.blick.ch/fr/news/monde/lambassadeur-valtteri-hirvonen-pour-la-finlande-la-guerre-froide-na-jamais-pris-fin-id17512345.html 


Voir aussi : Le mémorial Mannerheim à Territet (Montreux)


Neue Zürcher Zeitung - mai 2022


Face à la Russie, la Finlande s’interroge sur son «talon d’Achille» démilitarisé

Tribune de Genève, juin 2022

Ses milliers d’îlots rocheux, ses paysages bucoliques... et sa zone démilitarisée sous l’oeil d’un consulat russe: dans l’archipel finlandais des îles Åland, toute présence militaire est impossible en vertu de traités avec la Russie remontant à plus de 160 ans.

La demande d’adhésion de la Finlande à l’Otan à la suite de l’invasion de l’Ukraine par Moscou a relancé le débat sur le statut militaire de cet archipel autonome de 30.000 habitants, niché en mer Baltique à mi-chemin entre la Suède et la Finlande.

«On a toujours pensé: qui voudrait nous attaquer quand nous n’avons rien qui ne mérite d’être capturé ?", explique à l’AFP Ulf Grüssner, un îlien de 81 ans. «Mais cela a changé avec la guerre de Poutine en Ukraine», confie ce retraité vivant à Mariehamn, le chef-lieu de l’archipel, qui a fêté jeudi un siècle de son autonomie. ….

Des armées se sont ainsi disputé le contrôle d’Åland pendant les deux guerres mondiales. «Pourquoi croire, alors que cela n’a jamais été le cas lorsqu’il y a eu des guerres en mer Baltique, que des troupes ne vont pas se précipiter pour contrôler Åland le plus vite possible?", plaide 

Dans ces îles jadis russes, la démilitarisation se fait au départ au détriment de la Russie tsariste, après un traité de 1856 suivant sa défaite lors de la guerre de Crimée. Après l’indépendance de la Finlande en 1917, l’archipel bien que suédophone tombe dans le giron de la nouvelle nation, avec toutefois un statut d’autonomie toujours en vigueur. Au terme de la Seconde guerre mondiale marquées par des années de guerre sanglante entre l’Union soviétique et la Finlande, la démilitarisation d’Åland se poursuit dans un nouveau traité de 1947, cette fois défavorable à Helsinki.

Emblème de l’oeil de Moscou, l’URSS ouvre en 1940 un consulat dans le bourg de Mariehamn, où flotte toujours le drapeau russe aujourd’hui. Depuis le début de la guerre en Ukraine, c’est là que, chaque jour, des habitants d’Åland viennent crier leur colère contre le président russe Vladimir Poutine et son invasion. … La Russie détient aussi une autre maison sur l’île, saisie à la famille d’Ulf Grüssner: son père était allemand et l’accord de 1947 prévoyait que toutes les biens allemands d’Åland deviennent propriété soviétique. «Ils ont donné trois jours à ma mère pour s’en aller», se souvient l’octogénaire, en montrant la maison délabrée dont l’accès est bloqué par une chaîne. En 2009, une partie de la propriété a été transférée directement au Kremlin. Ulf Grüssner redoute de voir l’ex-maison familiale et la démilitarisation servir de «prétexte» à une augmentation de la présence russe dans l’archipel. «C’est improbable, mais d’un autre côté ce n’est pas impossible», juge-t-il.





jeudi 5 mai 2022

Que faut-il penser de Squid Game ?


Qui n’a pas entendu parler de Squid Game, cette série coréenne qui cartonne sur Netflix ? Elle est si populaire que absolument tout le monde la connaît, même sans l’avoir regardée. Mais pourquoi un tel succès, alors que ce n’est certainement pas le premier film ou série à aborder le thème de la survie, notamment grâce à l’élimination des autres concurrents. C’est le principe de tous les programmes de télé-réalité, Big Brother, le Loft, les Marseillais à Cancún etc… évidemment sans que les participants ne soient froidement abattus sans aucune possibilité de fuite, de négociation ou de recours, comme c’est le cas dans Squid Game. 


La série met en scène une société en miniature, dont chaque membre est lourdement endetté. On y trouve des riches et des pauvres : un banquier qui a fait de brillantes études, un travailleur immigré pakistanais; des jeunes et des vieux : le concurrent N° 001 est un faible vieillard dont personne ne veut dans son équipe;  des personnes ayant réussi dans la vie et des losers : un médecin, un chauffeur qui joue au tiercé avec l’argent de sa maman; ainsi qu’une nord-coréenne qui a réussi à fuir son pays, un gangster ou encore une femme qui offre ses charmes dans l’espoir de trouver un homme fort qui la protège. Il y a les meneurs et les suiveurs, les malins et ceux qui sont trop gentils. Nous suivons une dizaine de protagonistes dont nous devinons qu’ils ne mourront qu’à la fin de la série, les autres candidats n’étant que des figurants qui se font dézinguer sans qu’on ne se soucie trop d’eux. Les participants aux jeux sont en majorité masculins. Il peut s’agir d’un choix du réalisateur ou alors on pourrait en déduire que les femmes savent mieux gérer leurs affaires et se retrouvent moins souvent dans une situation qui les contraindrait à participer à ce genre de tombola macabre. Le dernier survivant pourra repartir avec 45,6 milliards de won (environ 38 millions USD), voilà de quoi les motiver tous.


Bien que moins nombreux, les personnages féminins sont intéressants. Le N° 067, une jeune réfugiée nord-coréenne froide et impitoyable, a appris à ne faire confiance à personne et ne compte que sur elle-même. Elle sera prête à tout pour gagner, pensant que cela permettra à sa famille de la rejoindre au sud. Les 456 participants ne sont que des pions anonymes, mais lorsqu’ils donnent leur nom à un autre joueur, cela crée une relation d’amitié et de confiance entre eux. Le N° 212 est aussi une survivante, une manipulatrice habituée à tirer toutes les ficelles, mensonges, fausses larmes et trahisons. Ces joueuses témoignent de la dure vie des femmes en Corée du Sud, où elles doivent se battre à armes égales avec les hommes dans une société compétitive, tout en étant encore liées par les rôles traditionnels qui veulent qu’elles se marient et se sacrifient pour leur famille. 



L’actuelle pandémie n’est sans doute pas étrangère à l’immense succès de Squid Game. Cet enfermement anxiogène dont la seule issue est la mort semble trouver un écho chez pas mal de gens, même si le virus tue ou rend malade sans qu’il n’y ait de concurrence entre les humains. En effet, avec le virus, tout le monde a sa chance ! Les internautes coréens ont créé le terme Hell Joseon (ou Hell Korea), qui décrit la société coréenne comme un enfer sans espoir, une société de chômage et d’inégalités, où nul ne peut échapper au piège de la pauvreté, malgré des journées de travail interminables, un monde irrationnel où chacun ne défend que ses propres intérêts. Cela aurait même pu être le titre de la série. Il est en effet assez difficile de comprendre où se cache le calamar, que ce soit dans les jeux ou dans le schéma géométrique du logo de la série. 


Les enfants ne sont pas non plus insensibles à la fascination que provoque un tel déluge de violence et de cruauté. Il est effrayant de voir avec quelle joie leurs jeunes cerveaux reproduisent ce jeu de massacre, incapables qu’ils sont de trier et d’analyser les informations qu’ils reçoivent. Dans plusieurs pays, des bambins ne sachant pas encore lire ni écrire ont pourtant compris que celui qui perd mérite d’être roué de coups. Il ne faut pas grand chose pour que le vernis de civilisation de notre société ne s’effrite, avant même qu’on n’ait le temps de compter jusqu’à trois ! Songeons aussi à la violence, au harcèlement et aux menaces de mort qui pleuvent quotidiennement sur ceux qui ont le malheur d’enfoncer des portes ouvertes ou d’affirmer des vérités dérangeantes. Regarder des films violents peut offrir une sorte d’exutoire ou de catharsis à la peur de la douleur et de la mort, mais que faire lorsque la violence est omniprésente ? Comment des enfants peuvent-ils comprendre que la cruauté, c’est mal, si leurs propres parents sont passionnément vissés devant leur écran, à se demander qui sera le dernier survivant dans un camp de prisonniers coréens ? 


Le réalisateur, Hwang Dong-hyeok, avait écrit cette série en 2009 déjà, mais ce n’est que dix ans plus tard qu’il a enfin pu la réaliser, grâce au désir de Netflix d’élargir sa palette avec des productions internationales. Tous les records d’audience ont été dépassés en quelques semaines. Il est vrai que l’histoire est prenante - bien que parfaitement invraisemblable - et les acteurs sont excellents, tout comme les décors, l’ambiance, le suspense…. Au commencement, les participants sont solidaires et s’entraident, jusqu’à ce qu’ils comprennent que chaque élimination augmente leurs chances de remporter la cagnotte, car il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur. A partir de là, cela devient une lutte impitoyable et sans merci. 


Un autre exemple de compétition où l’enjeu était sa propre survie est celui des marathons de danse aux Etats-Unis lors de la Grande Dépression : des couples dansaient jusqu’à l’épuisement, parfois pendant plusieurs jours, dans l’espoir de gagner 100$. Les participants étaient nourris, mais devaient manger sans cesser de danser. C’est ce que décrivent le roman On achève bien les chevaux1), de Horace McCoy (1935), puis le film éponyme de Sidney Pollack (1969). Plusieurs décennies plus tard sont apparus des jeux télévisés où les participants sont placés dans des conditions de vie difficiles sur des îles lointaines, le but étant d’être le dernier survivant, après l’élimination de tous les autres concurrents : p.ex. Survivor, programme de télé-réalité américain créé en 1992 par Charlie Parsons, mais lancé pour la première fois en Suède, en 1997, sous le titre de Expédition Robinson. L’équivalent à la télévision française s’appelle Koh Lanta, d’après l’île thaïlandaise où le programme a démarré. C’est à la même époque (1999) que Kōshun Takami a publié son roman Battle Royale, qui décrit la (sur)vie de quarante lycéens envoyés sur une île,

où ils doivent sentretuer en respectant tout un ensemble de règles.  Cette œuvre a ensuite été adaptée en manga, puis en film par Kinji Fukasaku en 2000. Un nouvel avatar sera Fortnite Battle Royale, où le terrain des joueurs ne cesse de rétrécir, alors qu’ils doivent éliminer tous les autres, afin d’être le dernier survivant et ainsi sortir gagnants. Grâce à ce pitch, Fortnite est devenu un méga-succès planétaire. 



Reste à comprendre pourquoi ces scénarios si cruels, si horribles exercent un tel pouvoir de fascination. Est-ce parce que chacun comprend la métaphore de la survie dans un monde moderne de plus en plus impitoyable, froid, impersonnel, égoïste ? La pandémie aurait-elle rappelé à chacun d’entre nous la fragilité de notre petit confort, de nos certitudes quant à la paix et la prospérité qui semblent aller de soi, jusqu’à la fin des temps ? La mort semble avoir complètement disparu de nos existences, même si on se berce encore dans l’illusion que ça n’arrive qu’aux autres. Les secteurs du tourisme, du spectacle, de l’aviation, de l’hôtellerie, de la restauration tirent la langue, bien des personnes perdent leur travail….. Seraient-ils tous prêts à jouer à Squid Game pour retrouver leur niveau de vie d’avant ? Fort heureusement, il y a encore les soutiens et aides diverses, mais pour combien de temps ? Après la douzième vague et le quinzième variant du coronavirus, il ne sera peut-être plus nécessaire de se battre pour un emploi, pour un logement ou pour une chaise longue au bord de la piscine, car il y aura enfin assez de place et de pain pour tout le monde.
 


  1. They Shoot Horses, Don’t They ? Horace McCoy (1935)

jeudi 24 février 2022

Le Musée africain de Tervuren (Bruxelles, Belgique)


Le musée africain (dorénavant AfricaMuseum) a vu le jour en 1897, afin de présenter la section coloniale de l’exposition universelle de Bruxelles. Léopold II a fait construire un palais colonial sur les ruines d’un ancien château, dans le domaine de Tervuren. Aujourd’hui encore, le musée est entouré d’un immense parc et d’une forêt. L’exposition universelle permettait aux visiteurs de voir des objets ethniques, des animaux naturalisés, des produits africains à une époque où, rappelons-le, personne ne voyageait plus loin que le village voisin. Au vu de l’immense succès de cette exposition, le roi des Belges a fait construire un nouveau palais, l’actuel Musée africain, qui s’est d’abord appelé le Musée du Congo Belge (1908), puis Musée Royal d’Afrique Centrale à l’indépendance du Congo. L’AfricaMuseum a rouvert ses portes récemment (2019), après cinq années de travaux de rénovation et de décolonisation. 



Il faut être assez motivé pour aller visiter ce lieu, car il faut compter une petite heure pour y arriver, en prenant le tram 44 à la station de métro Montgomery. Rien ne vous indique que vous êtes sur le bon chemin, le site web du musée ne vous dit pas non plus à quel arrêt il faut descendre (le terminus). Il y a pourtant une halte qui s’appelle Musée du Tramway, après un autre arrêt qui s’appelle Léopold II. A l’arrivée, il faut avoir de bons yeux pour arriver à lire, en tout petit, AfricaMuseum sur une petite pancarte. Une fois dans le parc, à nouveau quasiment aucune indication quant à la direction à prendre. Voyant le pavillon de verre qui sert d’entrée au musée, j’ai tout d’abord cru qu’ils avaient poussé la décolonisation jusqu’à fermer le grand bâtiment néo-classique, j’ai même failli rebrousser chemin…. Mais non : un brillant architecte a eu l’idée originale de construire un long escalier très raide, très long et très blanc pour vous faire descendre de deux étages dans un long corridor qui évoque soit un hôpital soit un abri anti-atomique. Il faut évidemment remonter un escalier identique, très raide, très long et très blanc pour arriver au musée proprement dit, situé dans l’ancien palais. Le café et les toilettes se trouvant dans le pavillon moderne, cela décourage carrément de faire une pause pendant la visite. Une magnifique pirogue taillée dans un immense tronc en bois trône toute seule et sans la moindre explication ou mise en contexte dans ce hall aseptisé, morne et vide. Quelle tristesse !


L'Esclavage
Le reste est à l’avenant. Des objets africains sont certes exposés dans des vitrines, avec des explications sommaires écrites en petit, en blanc sur beige, sur des panneaux situés à la hauteur de vos cuisses. Quand on s’est accroupi environ 15 fois pour lire, en cherchant la version française, des textes peu intéressants, on y renonce assez rapidement. Une salle consacrée à la musique nous présente des musiciens congolais, avec leur photo, leur nom, le nom de leur groupe, sans doute pour nous apprendre qu’il y a des musiciens en Afrique. Scoop ! Une autre vitrine consacrée à l’indépendance du Congo, expose des photos d’Africains prenant la pose, en citant leurs noms.  Qu’est-ce que cela nous apprend ? Rien. Aucune information quant aux événements entourant l’indépendance, les muséographes se sont sans doute dit que tout le monde les connaissait ou alors que ce serait trop colonial d’en parler. Ailleurs on voit des bocaux de formol contenant des insectes, des araignées, des souris, un pangolin, des bébés tigres ou encore des papillons épinglés dans des cadres…. sans aucune explication. On devine qu’il s’agit là d’études scientifiques réalisées par les méchants blancs, donc : on n’en parle pas, parce que ce serait colonial. Les animaux empaillés datant de l’exposition universelle sont toujours là, heureusement, ainsi, ils ne seront pas morts pour rien. Le clou de la visite, selon moi, ce sont les statues qui décorent les murs de la rotonde, représentant soit l’Esclavage (un mauresque debout, un Africain à ses pieds) ou La Belgique apportant la Sécurité au Congo, mais dissimulées par des tentures. Autrement dit, ces statues sont visibles, ainsi que les panneaux indiquant leur titre, mais pas vraiment, puisqu’il faut aller les guigner sous le tissu qui les cache, en se tordant le cou.  


C’est au Musée Royal d’Afrique centrale qu’Hergé est allé trouver le matériel nécessaire à la création de Tintin au Congo. Mais évidemment, cette bande dessinée étant raciste et coloniale, il a été décidé que les statues et objets qui avaient permis cette abomination devaient être écartés de la vue des visiteurs. Peu importe qu’il s’agisse d’artefacts africains authentiques. Les objets considérés comme inappropriés sont regroupés dans une salle intitulée « Hors-jeu » , avec la mention « Les statues que l'on voit ici faisaient autrefois partie de l'exposition permanente mais n'y ont plus leur place aujourd'hui ».


Bien des visiteurs ayant écrit un avis sur Tripadvisor sont repartis déçus de leur visite. J’étais même un peu perturbée et cette sensation ne m’a pas quittée avant un bon moment. Je n’ai certainement pas tout vu, mais il me semble que le musée occulte l’histoire coloniale et on le quitte sans avoir appris quoi que ce soit. A quoi sert-il de censurer Tintin au Congo, si Léopold II continue de trôner en ville de Bruxelles et même dans le parc de Tervuren ? Comme le suggère un commentateur sur Tripadvisor, pour avoir un petit aperçu de l’Afrique à Bruxelles, il vaut mieux aller regarder les vitrines des marchands d’art africain à la place du Sablon ou alors aller se balader dans le quartier du Matongué (porte de Namur, chaussée de Wavre), où on trouve des commerces et des bistrots congolais, du manioc et du poisson séché ou encore des tissus wax et des postiches pour cheveux africains. 


Fresque dans le Matongué

Voir aussi : Tintin au Tribunal 

https://www.lepoint.fr/afrique/au-musee-tervuren-fenetre-d-afriques-a-bruxelles-05-08-2021-2437981_3826.php 


https://vivreabruxelles.be/africa-museum-musee-d-afrique-tervuren.html 


https://theconversation.com/a-tervuren-le-destin-contrarie-des-statues-de-leopold-ii-en-son-musee-141813


Monument à Léopold II dans le parc de Tervuren
The Congo I Presume


dimanche 6 février 2022

Journal de bord d’un isolement

Covid par-ci, Covid par-là, gardez vos distances, portez un masque, lavez-vous les mains ….. Oui, oui, on a compris !

Et voila que boum patatras : mon test PCR obligatoire au retour d’un voyage s’est révélé positif. Le laboratoire m’a envoyé un SMS quelques heures seulement après le frottis nasal, à croire que ma séropositivité était parfaitement claire et nette. Je suis passée par différentes phases, un peu comme suite à un deuil : l’incrédulité, lagacement, la recherche de la cause et enfin l’acceptation. 


Voilà bientôt deux ans que je suis d’une extrême prudence, à tel point que certaines personnes trouvent que j’en fais trop et cela n’a même pas suffi, le virus a malgré tout réussi à m’attraper. S’agirait-il d’Omicron, réellement très contagieux ? Ou alors serait-ce un faux positif ? Il est vrai que j’ai eu ce que d’aucuns aiment qualifier de « grippette », vaguement mal à la gorge, la voix un peu enrouée, un petit rhume…. mais ni fièvre, ni courbatures, ni perte de goût ou d’odorat. Ma double vaccination m’a certainement aidée sur ce coup-là. Je n’ose imaginer quels tourments ni quelles angoisses m'auraient torturée si je n’étais pas vaccinée ou si j’avais eu une forme grave de la maladie. En effet, que faire si on commence à étouffer au milieu de la nuit ? On préfère ne pas devoir y penser. J’avais même imaginé le scénario d’un test qui serait positif alors que j’étais encore à l’étranger (il fallait faire un test PCR avant son retour en Suisse) : cela aurait signifié dix jours voire davantage d’isolement dans une chambre d’hôtel. 


« Heureusement », ma période de pénitence est tombée sur les vacances de Noël, une période où il ne se passe de toute façon pas grand-chose. La dernière phase de mon deuil, l’acceptation, m’a permis de voir le bon côté des choses, j’allais enfin avoir le temps de rattraper toutes mes lectures en retard, de faire du rangement ou coudre mes nouveaux rideaux de cuisine … Ce genre de tuile permet également d’observer le comportement de ses amis et de son entourage : la copine qui est positive elle aussi, mais n’a rien voulu dire, ne voulant pas m’inquiéter (nous ne nous sommes pas contaminées réciproquement) ; la copine coronasceptique, anti-mesures sanitaires, qui a une dérogation médicale pour ne pas porter de masque et qui soudainement « en a marre de tout », comme si mon statut positif venait de renverser son magnifique château de cartes ; la copine qui propose de me faire des courses, 2-3 bricoles, et qui arrive avec deux sacs pleins ; et tous ceux qui sont trop occupés à préparer Noël pour me demander de mes nouvelles. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles !


Il a ensuite fallu avertir toutes les personnes que j’avais croisées, vues ou fréquentées un peu plus longuement, sachant que ça allait sans doute mettre des bâtons dans les roues de leurs célébrations de fin d’année. Cela a été l’occasion de tester l’application Swiss Covid qui, ma foi, fonctionne très bien ! Quelques heures après que le laboratoire m’a communiqué mon résultat positif par SMS, Swiss Covid m’a, à son tour, informée de mon statut. J’ai ensuite reçu un code à saisir dans l’appli et c’est moi qui ai dû activer l’envoi de notifications à toutes les personnes qui se seraient trouvées près de moi pendant 15 minutes ou plus. Une de celles-ci a pu me dire qu’elle a bien été notifiée, mais 36 heures plus tard. C’est bien, c’est mieux que rien, même si c’est un peu tardif.
 

Le laboratoire m’a encore envoyé mon résultat par e-mail, ainsi qu’un certificat de guérison (dont la validité commence dix jours plus tard) avec un QR-code, parfaitement identique à celui d'un certificat de vaccination. J’ai évidemment annulé mon rendez-vous de la semaine suivante pour ma troisième dose. J’aurai ainsi des anticorps naturels (pas de puce 5G pour Bill Gates !), ainsi qu’un certificat Covid prorogé. J’ai également reçu un mail me demandant l’autorisation d’utiliser mes données à des fins de recherche. C’est ensuite la Médecin cantonale qui m’a écrit, me signifiant officiellement sa décision de me placer en isolement. Ce courrier s’accompagnait d’un certificat médical, permettant de justifier mon absence de mon lieu de travail ou de toute autre obligation. Il comportait toutes les références légales, m’informant notamment que j’encourais des sanctions, conformément à l’art 83 al 1 let h LEp, en cas de non-respect des mesures prescrites. On m’avertissait en outre que les services de l’Etat étaient susceptibles de m’appeler à mon domicile pour prendre de mes nouvelles, s’enquérir de mon état de santé et, accessoirement, vérifier que je n’étais pas en goguette quelque part. Les gens craignent que Swiss Covid ou le certificat Covid ne les fliquent et les suivent à la trace, eh bien non, le bon vieux téléphone de papa fera très bien l’affaire. 



Ne restait plus qu’à organiser ma petite vie quotidienne selon les nouvelles circonstances : essayer de garder une certaine structure, manger aux heures normales, bien dormir mais pas trop, éviter de grignoter, faire un peu de gymnastique entre ses quatre murs, ne pas passer 16h devant l’ordinateur ni 8h à lire…. Ce qui change, c’est qu’on peut vivre sans masque ni gel hydroalcoolique pendant dix jours - à condition de vivre seul donc, ça n’a pas que des inconvénients …. ! 


Mon application de traçage Swiss Covid est restée en mode « positif » jusqu’à ce que je désactive la notification moi-même. En revanche, mon certificat Covid est parfaitement vert et affiche fièrement 3G 2G, ainsi qu’une validité automatiquement prolongée jusqu’en mai 2022, alors que mon certificat de guérison n’entre en vigueur que dix jours après le résultat positif : j’aurais très bien pu aller au bistrot pendant ma période d’isolement. En outre, il est intéressant de savoir qu’un test PCR reste positif un mois (voire au-delà ?), ce qui peut poser problème en cas de voyage ou de toute autre nécessité de présenter un test négatif.


Contrairement au joueur d’échecs de Stefan Zweig, je n’ai pas eu besoin d’apprendre des parties entières par cœur. J’ai été bien occupée, je n’ai même pas réussi à entamer ma pile de DVD non visionnés. En revanche, j’avais un peu mal aux jambes, sans doute du fait de mon immobilité inhabituelle. L’expérience n’était pas du tout traumatisante, mais elle me permet d’apprécier dorénavant l’immense bonheur d’avoir la liberté de sortir faire un petit tour …

vendredi 17 décembre 2021

Aux Grands Hommes la Patrie reconnaissante


John Cockerill

Il y a quelque chose de désolant à toutes ces statues, noms de rues ou plaques commémoratives célébrant des personnes - généralement des hommes - qui ont fait ou découvert quelque chose de formidable, mais que tout le monde a oubliés. Les villes regorgent de souvenirs de grandeurs passées, mais surtout passées aux oubliettes de l’Histoire, seuls Google et Wikipedia savent encore de qui ou de quoi il s’agit. Actuellement, une vague de purification cherche à faire le ménage et à éliminer tous ceux qui se sont mal comportés, en renommant des rues ou en déboulonnant des statues. L’effet pervers de ce type d’Inquisition est qu’elle ramène à la vie des personnages dont plus personne ne se souvient. Ces condamnés ont beau avoir fait des découvertes scientifiques ou créé des œuvres d’art extraordinaires, s’ils ont été racistes ou misogynes - à leur époque, on ne savait pas penser autrement - on leur coupe la tête, au propre comme au figuré. 

Lors d’un récent séjour à Bruxelles, deux exemples de ce type de grandeur devenue obsolète m’ont frappée. Le premier : la statue ornant la place du Luxembourg, une place très animée devant le Parlement européen, comportant de nombreux bars et restaurants, ainsi qu’une circulation intense. Une statue verdâtre, un peu sale, d’un homme plutôt chétif vêtu d’une redingote, debout sur son piédestal devant une enclume, alors que quatre ouvriers l’entourent un mètre plus bas. Inutile de demander à qui que ce soit qui est cet homme que l’on honore ainsi sur une place relativement stratégique, aujourd’hui en plein quartier européen. Pour m’approcher de l’œuvre, j’ai franchi une pelouse anémique et boueuse, ornée de nombreuses capsules de bière et j’ai pu lire - à peine lisible ni visible - le nom de John Cockerill, le Père des Ouvriers. Fort bien….. mais encore ? De qui pouvait-il bien s’agir ?



Ayant fait quelques recherches, je découvre qu’il s’agit réellement de quelqu’un d’important, qui a considérablement façonné la destinée de la Belgique et même du monde. C’était un industriel né Anglais en 1790, mais mort Belge en 1840. Il a contribué à mécaniser l’industrie du textile sur le continent européen et il a fondé une société portant son nom, qui finira par être absorbée, bien plus tard, par le groupe ArcelorMittal. En 1842, il ouvre un chantier naval à Anvers, Cockerill Yards, après avoir construit des haut-fourneaux à coke. Ce seront ses ateliers qui fourniront les premiers rails, wagons et locomotives à la Belgique, sa société exploitera la première liaison ferroviaire du continent, Bruxelles-Malines, en 1843. Sa production permettra la construction du Transsibérien et même du pont sur la rivière Kwaï (cf le film du même nom) à Kanchanaburi, en Thaïlande. Il fondera un complexe industriel - nous sommes au milieu du XIXème siècle - qui prospérera pendant plus d’un siècle. Son groupe comptera 60 sites dans le monde entier, une des premières multinationales. Aujourd’hui, le groupe John Cockerill a créé une fondation, dont le but est de faire connaître l’important héritage de cet industriel.


Antoine Wiertz
L’autre exemple qui m’a frappée est le monument à la mémoire de Antoine Wiertz, peintre, sculpteur et lithographe belge (1806-1865). L’adresse du Parlement européen à Bruxelles porte son nom, mais qui donc se soucie de savoir de qui il s’agit ? Sa statue est particulière en cela qu’elle représente deux femmes, des muses, une colonne gréco-romaine brisée et le profil de l’artiste en bas-relief, qu’on aperçoit à peine.  Voilà enfin une statue qui met en avant des femmes ! Le piédestal nous apprend qu’on honore ici WIERTZ, mais sans donner d’autres précisions, on pensait sans doute à l’époque que c’était évident et que ça le resterait à jamais. Mais non ! Les années passent et l’oubli fait son travail de sape …. A voir ses œuvres, on pourrait penser qu’il était un disciple de Goya, mais les deux hommes ne se sont sans doute jamais rencontrés. Certaines de ses toiles font penser à Rubens, dans d’autres, on distingue des traits symbolistes, qui annoncent James Ensor. Il devait être un artiste apprécié, étant donné qu’il a réussi à se faire offrir un atelier - aujourd’hui son musée - par l’État belge, en échange de ses œuvres à son décès. Il refusait de vendre ses tableaux, dont certains sont monumentaux (8m de large) et ne peignait des portraits que dans un but purement alimentaire. Aujourd’hui, son musée n’attire plus que 5000 visiteurs par an, sic transit gloria mundi. 

Détail de "Patrocle"
La Belgique nous a donné de nombreuses personnalités : Raymond Devos, Django Reinhardt, Adamo, Johnny Hallyday et Stromae, Jean-Claude van Damme et Benoît Poelvoorde, Simenon et Amélie Nothomb, Gaston Lagaffe et Tintin…. enfin Hergé, plutôt. Jacques Brel a une avenue, une station de métro, un parc zoologique à son nom et même une auberge de jeunesse. Mais se souviendra-t-on encore de lui dans cent ans ? Dans un effort de féminisation et de décolonisation, le tunnel Léopold II a été rebaptisé tout récemment Tunnel Anny Cordy - à se demander si c’est vraiment flatteur et si cela fera avancer la cause des femmes, mais ceci est un autre débat. Nos petits-enfants écouteront-ils encore un jour La bonne du curé ?


Quoi qu’il en soit, il vaut la peine de prendre un peu de temps pour découvrir qui sont tous ces personnages qui ornent nos rues. Jour après jour, nous nous promenons dans des encyclopédies à ciel ouvert sans même nous en rendre compte.


« Aux Grands Hommes la Patrie reconnaissante » est une phrase qui orne le fronton du Panthéon de Paris 


https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Cockerill 

https://www.fondationjohncockerill.com/heritage/saviez-vous-que 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cockerill-Sambre 


https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Wiertz 

https://www.artiststudiomuseum.org/blog/conference-antoine-wiertz-sublime-or-ridiculous/ 

https://www.fine-arts-museum.be/fr/les-musees/le-musee-antoine-wiertz 

lundi 20 septembre 2021

Comment prévenir la maladie d’Alzheimer

Buchstabensalat, artiste inconnu du XIXème siècle

The HUG Hospitals in Geneva are participating in a study on how to prevent the onset of Alzheimers disease. I answered their call for volunteers and served as a guinea pig for various tests and measurements. So far, everything seems to be rather normal……


Les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) ont lancé, sous l’égide du Professeur Frisoni, une étude intitulée « Connectivité cérébrale et métacognition chez les personnes présentant un déclin cognitif subjectif (COSCODE): corrélation avec les caractéristiques cliniques et la neuropathologie in vivo ». J’ai répondu à leur invitation à participer à cette étude en tant que sujet (a priori) sain, alors que deux autres groupes de patients présentent des troubles cognitifs modérés pour l’un et un déclin cognitif subjectif pour l’autre. L’étude se déroule au Centre de la mémoire des HUG, sur une période de quatre ans. Son but est d’observer le vieillissement cognitif normal ou pathologique, afin de parvenir à prédire la survenue et l’évolution de maladies de type Alzheimer.  


Une première étape, facile, consistait en un examen clinique, avec les mesures classiques telles que taille et poids (IMC), tension artérielle, prise de sang, circonférence du bras, échantillon de selles (pas si facile que ça….!) ; un questionnaire sur les habitudes de vie, l’alimentation, le sommeil, travail ou non, vie sociale/ familiale ou non, niveau d’études, pratique sportive etc ; deux séances de test neuropsychologiques, crispants et amusants à la fois : il fallait mémoriser une liste de 15 mots, lire le mot VERT écrit en rouge (test de Stroop), compter à rebours en partant de 100 en soustrayant 7 en série, recopier un dessin (la figure complexe de Rey), dessiner les aiguilles d’une montre pour indiquer une heure donnée (le test de l’horloge), regarder une série de photos de portes en observant tous les détails, puis reconnaître la bonne porte parmi quatre photos quasiment identiques (test des portes), mettre des petits bâtonnets dans des trous avec la main droite, puis la gauche (grooved pegboard test). J’ai également dû remplir un questionnaire me demandant si j’avais de la peine à tenir ma place dans une conversation, si j’estimais que c’était plutôt les autres qui avaient tort, si j’aimais ou si je craignais d’être seule, si j’appréciais la poésie, ainsi que des questions concernant mes habitudes alimentaires. Ce tableau, déjà fort complet de ma personne, a ensuite été complété par deux IRM de puissances différentes, 3 Tesla et 7 Tesla (IRM ultra-haut champ, à l’EPFL).


La figure complexe de Rey

Il serait possible de participer à des examens complémentaires, par exemple une tomographie par émission de positrons (TEP) permettant de mettre en évidence des plaques d’amyloïdes ou de protéines tau, responsables de la maladie d’Alzheimer ; un prélèvement de salive ; une ponction lombaire, parfaitement facultative, étant donné que c’est un examen invasif d’une durée de quatre heures et comportant certains risques ; un EEG ; une évaluation de la marche et une mesure de l’activité globale, à l’aide d’une montre mesurant l’activité du sujet 24h/24 (sommeil, nombre de pas, rythme cardiaque, etc.). J’attends qu’on me convoque …


La participation à cette étude est non seulement gratuite, mais également bénévole. Le seul bénéfice pour nous, les cobayes, est l’éventuel dépistage d’un problème de santé, une tumeur au cerveau ou un déclin préoccupant de nos capacités mentales. Par ailleurs, les visites de suivi sur une durée de quatre ans permettront de se faire une idée de l’évolution des capacités cognitives du sujet. Les HUG ont créé un registre pour la santé du cerveau, où il est possible de se porter volontaire pour participer aux futurs travaux de recherche : www.bhr-suisse.org. Ce site propose également de nombreuses informations relatives à la recherche sur les maladies neurodégénératives, ainsi que des conseils pour bien prendre soin de son cerveau. 



Nous sommes tous très fiers de notre matière grise, même si, selon certaines théories, sa seule utilité est de nous pousser à nous déplacer. Ma foi, c’est un point de vue ! Accessoirement, notre cerveau nous permet de faire des calculs, de peindre, de faire de la musique, d’apprendre des langues ou d’écrire des textes. Il nous permet également, contrairement aux arbres et aux carottes, dépourvus de cerveau, d’évaluer l’effort à réaliser pour sauter d’un point A à un point B, pour éviter un obstacle ou trouver la sortie dans un escape game. Mais sommes-nous conscients du fait que notre deuxième cerveau se trouve dans notre intestin, un organe qui peut atteindre 8m de long et une surface de 500m
2 ? Le lien entre nos tripes et notre cerveau a été démontré - une carence ou un déséquilibre de la flore intestinale auront une influence sur notre comportement - et les chercheurs affirment qu’il y a un lien avéré entre le microbiote et les maladies neurodégénératives de type Alzheimer. 

Le test de l'horloge
Pour protéger ce précieux organe de la déchéance, nous pouvons déjà nous efforcer de manger sainement et de façon équilibrée, à l’abri de tout stress. Mais il faut aussi l’entraîner sans relâche, en le stimulant et en le faisant travailler (musique, lecture, jeux et puzzles…). Depuis peu, il est aussi permis d’espérer la prochaine mise sur le marché d’un nouveau médicament, l’Aduhelm (Aducanumab), qui permet d’éliminer l’amyloïde du cerveau. La Food and Drug Administration (FDA) aux Etats-Unis vient de l’approuver (juin 2021), l’Agence européenne des médicaments (EMA) et Swissmedic sont en train de l’évaluer. 


Je suis très heureuse de pouvoir contribuer à l’avancement de la science et aux efforts de prévention des maladies neurodégénératives. Cela ne me demande pas énormément d’effort, c’est même amusant et intéressant. Qui sait, je pourrai sans doute même en profiter de façon très directe, dans une vingtaine d’année, quand ma matière grise commencera à s’épuiser.




Portail de la recherche HUG : https://recherche.hug.ch

Registre suisse pour la santé du cerveau : www.bhr-suisse.org 


https://www.unige.ch/communication/communiques/2020/lien-confirme-entre-la-maladie-dalzheimer-et-le-microbiote-intestinal/

https://content.iospress.com/articles/journal-of-alzheimers-disease/jad200306 

https://www.fondation-alzheimer.org/maladie-dalzheimer-et-si-cela-provenait-de-notre-intestin/

https://www.biocodexmicrobiotainstitute.com/publications/alzheimer-comment-notre-intestin-nous-fait-perdre-la-tete


lundi 2 août 2021

Suisse-Luxembourg : match nul !


Le Luxembourg est une sorte de frère jumeau de la Suisse : ce sont deux petits pays sans ressources naturelles, mais qui sont bien plus prospères que tous les pays qui les entourent, grâce à une économie qui repose essentiellement sur le secteur tertiaire, plus précisément bancaire. Certains hôteliers luxembourgeois étaient très inquiets lorsque l’UE a introduit l’échange automatique des données, car ils voyaient s’écrouler tout leur secteur financer et, partant, toute leur clientèle. En effet, le secteur hôtelier du Grand-Duché dépend lourdement des hommes d’affaires et des institutions européennes. Néanmoins, tout comme la Suisse, le Luxembourg est insubmersible et reste d’une insolente prospérité. Le Luxembourg compte actuellement 43.000 millionnaires1), pas mal, pour un pays de 635.000 habitants. Lorsque le Conseil fédéral a mis un terme aux discussions autour de l’accord institutionnel avec l’UE, d’aucuns ont fait remarquer que le Luxembourg, membre de l’UE, ne semblait pas souffrir plus que ça des règles et des législations européennes.



Les deux pays sont multilingues, avec un dialecte germanophone parlé par la majorité de la population autochtone : le
schwytzertütsch pour les uns, le luxembourgeois pour les autres. Ces deux dialectes restent relativement hermétiques même pour quiconque maîtrise le Hochdeutsch. Les deux pays ont tous deux connu une forte immigration italienne dans les années -50-60 et cette population s’est totalement intégrée et fondue dans le paysage. Tous les jours, de nombreux frontaliers traversent les frontières des deux pays pour venir travailler et les Portugais sont représentés en grand nombre. Le niveau de vie est très élevé, les prix de l’immobilier n’ont rien à envier à ceux des grandes villes de Suisse, mais il suffit d’aller s’établir de l’autre côté de la frontière pour se loger moins cher. Toutefois, le Luxembourg a les moyens d’offrir les transports publics, qui sont gratuits partout pour tout le monde, même les trajets en train, dans tout le Grand-Duché. Il est vrai qu’ils n’ont pas de montagnes, donc pas de tunnels à creuser, pas de réseau à entretenir face à la glace et à la neige et le pays est très petit - par conséquent, les distances sont courtes ! Ils ont dû estimer que les économies faites sur les automates et leur entretien, les billets, les calculs mathématiques pour les différents tarifs et abonnements, ainsi que les salaires des contrôleurs et les frais administratifs pour les amendes en valaient la peine. A méditer…. surtout si on veut encourager les gens à renoncer à la voiture. 



A Genève, nous avons de nombreux expats qui travaillent pour de grandes sociétés multinationales ou pour les organisations internationales. Au Luxembourg, ils ont les fonctionnaires européens, ainsi que tous les stagiaires et autres personnels qui gravitent autour de ces institutions. Ces univers cosmopolites ne se mêlent que très peu à la population locale, d’autant plus qu’au Luxembourg, les enfants peuvent aller à l’école européenne, chacun dans sa langue, et vivre ainsi dans une bulle parfaitement isolée du pays hôte. De leur côté, les Luxembourgeois aiment aussi rester entre eux et la maîtrise du luxembourgeois joue assez efficacement le rôle de shibboleth2), c’est-à-dire de filtre qui exclut ceux qui n’appartiennent pas au clan. 


La ville de Luxembourg comporte trois zones, très différentes les unes des autres. Tout d’abord le Kirchberg, qui regroupe les institutions européennes et les sociétés de type bancaire, consulting et consorts, et qui est un univers froid de buildings en verre et en acier. Ensuite, il y a le vieux centre, son quadrillage de rues avec des boutiques chic, ainsi qu’un dédale de ruelles animées d’innombrables bars et restaurants, ainsi que la pittoresque basse ville, Grund. Enfin, le quartier de la gare, qui est … un quartier de gare, en voie de gentrification, surtout depuis qu’il est desservi par un magnifique tram (gratuit ! et qui passe toutes les 4 minutes !). Comme Genève, qui a créé un concept d’agglomération franco-valdo-genevoise, autrement dit « le Grand Genève », le Luxembourg a sa « Grande Région », qui englobe la Sarre, la Rhénanie-Palatinat, la Wallonie belge, la Lorraine ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg, dans un esprit de coopération politique et économique. 



Nos deux pays sont situés au cœur du continent européen, mais ils sont si petits et discrets qu’on les oublierait presque (sauf lors de huitièmes de finale à l’Euro de football - mais ceci est une autre histoire). La Suisse est réputée pour ses montres, son chocolat et Roger Federer, le Luxembourg… hm… est connu pour nous avoir donné Jean-Claude Junker et Stéphane Bern. Les touristes venus d’Extrême-Orient qui visitent l’Europe en 72 heures monteront au Jungfraujoch, mais ne s’arrêteront certainement pas au Luxembourg. Nous n’avons sans doute pas d’aristocrates, mais nous avons de magnifiques paysages. Qui donc irait passer ses vacances au Grand-Duché de Luxembourg3) ?


Prospérité, tranquillité et sécurité, qualité de vie, atmosphère propre en ordre, situation centrale et entourée de plusieurs grand pays européens, entre la Suisse et le Luxembourg, c’est véritablement match nul !



  1. http://www.lessentiel.lu/fr/economie/dossier/ecolux/news/story/pres-de-43-000-millionnaires-au-luxembourg-11249727
  2. Un schibboleth, en hébreu : שִׁבֹּלֶת1, prononcé [ ʃibɔlɛt] en français, est une phrase ou un mot qui ne peut être utilisé – ou prononcé – correctement que par les membres d'un groupe. Il révèle l'appartenance d'une personne à un groupe national, social, professionnel ou autre. Autrement dit, un schibboleth représente un signe de reconnaissance verbal  https://fr.wikipedia.org/wiki/Schibboleth
  3. https://www.visitluxembourg.com/fr 



Suisse


Population totale :  8 603 900

Superficie  :  41 285 km2

Densité  :  208 hab./km2 


PIB par habitant en parité de pouvoir dachat  :

58 086,211 USD

Indice de développement humain  (IDH) :  0,944

2ème pays dans le classement IDH du PNUD


Source : Wikipedia


Travailleurs frontaliers : 112.000


OECD PIB  2016-2020

71.298 USD per capita

https://data.oecd.org/fr/gdp/produit-interieur-brut-pib.htm

Luxembourg


Population totale :   634 730 hab.

Superficie :     2 586,4 km2

Densité :   245 hab./km2 


PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat  :  

114,825 USD

Indice de développement humain  (IDH)  :  0,904

21ème pays dans le classement IDH du PNUD


Source : Wikipedia


Travailleurs frontaliers à Genève : 100.000 (2022


OECD PIB  2016-2020

118.582 USD per capita

https://data.oecd.org/fr/gdp/produit-interieur-brut-pib.htm




2023



Points communs entre la Suisse et Luxembourg, selon des extraits d'un article paru dans Le Figaoro le 14 novembre 2021


Salaires plus élevés, allocations familiales généreuses… Le Luxembourg aspire les compétences et les contributions sociales de 112.000 travailleurs frontaliers résidant dans le Grand Est et qui vont « bosser au Lux ». Sans donner de compensation fiscale aux communes françaises, pénalisées par ce qu’elles qualifient d’«un pillage».

D’ici vingt ans, ce territoire pourrait compter 160.000 travailleurs frontaliers .… L’accès à cet eldorado a bien souvent un coût, celui du temps passé dans les bouchons. 

La mobilité des frontaliers français était un des principaux points au menu de la sixième commission intergouvernementale pour le renforcement de la coopération transfrontalière … L’enjeu est de taille car les Français, mais aussi les Belges et les Allemands, représentent presque la moitié de sa main-d’œuvre salariée, soit 213.000 emplois. ….. le Luxembourg apparaît comme un pays de cocagne. Plus de la moitié des actifs de la communauté d’agglomération de Longwy, en Meurthe-et-Moselle, y travaillent. ….

Elle [une infirmière] a dû encaisser les quarante heures de travail hebdomadaires, mais son exercice en horaires décalés lui épargne les problématiques de transports. Passée à 80 %, cette célibataire gagne deux fois plus qu’auparavant et trouve légitime de payer ses impôts au Grand-Duché. …. Notre tissu économique est quasi inexistant, les artisans préférant ouvrir leurs entreprises côté luxembourgeois.

Elle [une agence d’urbanisme] parle de rapport «gagnant-perdant», citant en exemple le cofinancement par le Luxembourg d’un parking relais destiné au covoiturage aménagé à Metzange, dans l’aire urbaine de Thionville. L’agence juge que l’investissement est réalisé au seul bénéfice du développement économique du Luxembourg, puisque ses 750 usagers devraient lui rapporter 154 millions d’euros en impôts, cotisations et taxes sur dix ans, alors que sa construction et son exploitation coûteront 4,8 millions d’euros au contribuable français. (A Genève, le financement par la Suisse de parking-relais en France a été refusé en votation populaire - ce qui a provoqué moult cris d’orfraie et accusations de racisme anti-frontaliers).

Le chef du gouvernement [luxembourgeois] a admis que, sans la libre circulation des travailleurs frontaliers pendant les périodes de confinement, «notre système de santé se serait effondré». … Le Grand-Duché recrute un tiers des 350 infirmiers qui sortent chaque année de nos instituts de formation. C’est une logique de pillage, pas de partenariat intelligent. 

Vincent Hein, économiste au sein de la Fondation Idea, un think-tank de la Chambre de commerce de Luxembourg, estime cependant que «le Luxembourg n’a pas d’autres choix que d’investir dans les territoires frontaliers pour qu’ils restent attractifs dans l’intérêt de son propre développement. Si un habitant de Montpellier n’a pas envie d’habiter à Thionville, ce n’est pas un problème pour la France, c’est un problème pour le Luxembourg».