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dimanche 16 décembre 2018

Echapper à un attentat


Pont du Corbeau, Strasbourg
Alors ca y est, le terrorisme islamiste a de nouveau frappé. Et moi qui me disais justement que cela faisait longtemps…. Pour la première fois, j’étais présente dans la ville où ça s’est passé, Strasbourg. La session parlementaire, le marché de Noël, la routine, quoi. On y pense et puis, on oublie. Pour pénétrer au centre ville, il fallait passer devant les gardes vigipirate, mais leurs contrôles étaient assez superficiels, il suffisait d’ouvrir son sac; sans doute qu’eux aussi pensaient que le danger appartenait dorénavant au passé. Et pourtant…. on pouvait fort bien se rendre au marché de Noël avec un pistolet et un couteau dans ses poches. Ou une ceinture d’explosifs.


Le mardi 11 décembre 2018 à 20h, je me trouvais au Parlement européen, à 3km du centre ville, où des coups de feu avaient éclaté. Les gardes ne laissaient plus personne sortir. On ne savait pas ce qui se passait. Un attentat? Un règlement de compte? Des pétards? Il a bien fallu attendre environ une demi-heure avant que les sites d’information ne commencent à nous éclairer. Tout d’abord, il n’était question que de coups de feu dans le centre historique. Avec mon collègue, nous nous sommes dit qu’il valait mieux aller manger, puisqu’on ne pouvait pas savoir combien de temps cela allait durer - et nous avons bien fait, car la cafétéria a immédiatement été prise d’assaut, tout le monde s’étant fait la même réflexion.

Puis, l’attente s’est installée…. Petit à petit, des informations commençaient à filtrer, minuit, une heure du matin….. L’auteur des faits a été identifié très rapidement, grâce aux caméras de surveillance. Il faut dire que l’individu était très bien connu - et défavorablement - des services de police, ayant 27 condamnations à son actif. Mais comme il demeurait introuvable, la nuit de confinement s’annonçait longue.

Les écrans, un peu partout au Parlement, qui servent à présenter le déroulement de la séance plénière, n’ont pas servi à nous tenir au courant de la situation. Une séance d’information a été organisée dans l’hémicycle, mais comment le savoir? Nous avons reçu un mail nous demandant d’annoncer si nous étions en vie et en sécurité. A noter que c’est le service du recrutement qui nous a écrit, ils voulaient sans doute savoir s’il y aurait des morts ou des blessés à remplacer. A l’époque des SMS et de la WiFi omniprésente, il est tout de même surprenant que l’info ait circulé aussi parcimonieusement. Sans doute que le Parlement n’a pas mis au point de scénario à suivre en cas de situation de crise. 


Je consultais internet toutes les cinq minutes, mais le flou demeurait: un tireur en cavale au centre-ville, le nombre de morts a fluctué pendant 24 heures. C’est alors qu’on se rend compte que, dans le feu de l’action, il est très difficile d’affirmer quoi que ce soit. On ne savait même pas si c’était le scénario terroriste dorénavant bien rôdé ou si c’était simplement un détraqué. Certaines personnes sont restées bloquées dehors, en pleine nuit, les barrages de police les empêchant de regagner leur domicile ou de rejoindre leur hôtel. Nous avions encore de la chance d’être au chaud et à l’abri au Parlement européen. 


J’ai su que l’alerte était levée quand j’ai vu des gens commencer à mettre leur manteau. Il était alors 2h10 du matin. Certains optimistes ont commencé à attendre des taxis, heureusement que j’avais mon vélo de location. Nous avons appris le lendemain que les députés ont été raccompagnés à leur hôtel (en car ou en voiture), mais le menu fretin a été lâché dans la ville, où se terrait un tueur fou. A chacun de se débrouiller et certains sont rentrés à pied, à 2h du matin, dans le froid et la nuit. Le lendemain, on travaillait normalement, comme si rien ne s’était passé.
Marché de Noël: fermé

Le lendemain, la vie a repris son cours, sauf que quelque chose planait dans l’air. Tout le monde parlait de ce qui s’était passé la veille. Le marché de Noël était fermé et le resterait encore un jour de plus. Les informations commençaient à être un peu plus précises et cohérentes, confirmant un déroulement dorénavant classique: l’auteur des coups de feu et de couteau (bilan à l’heure actuelle: 4 morts et 12 blessés) était un jeune français d’origine algérienne, fiché S pour radicalisation islamiste. Des citoyens ordinaires ont tenté de l’arrêter. Ses victimes: un touriste thaïlandais qui n’avait pas prévu de passer par Strasbourg, un retraité de 61 ans, un jeune journaliste italien, un garagiste-mécanicien afghan. Alors quel est le message et l’utilité d’une telle attaque? A part la stupidité la plus profonde? Quel est le coût pour la société d’une telle folie (engagement des forces de l’ordre, sécurité, soins médicaux) ? Et surtout, que faire pour que cela cesse, une bonne fois pour toute?

On peut certes affirmer que « ça n’a rien à voir avec l’islam » et « c’est pas ça l’islam » ou encore « il ne faut pas faire l’amalgame », mais il faut être complètement aveugle et borné pour ne pas voir le point commun entre tous ces attentats qui ciblent des civils innocents qui n’ont aucun rapport avec la choucroute - c’est bien le cas de le dire dans le cas de Strasbourg. En refusant de nommer le mal, à savoir le radicalisme islamique, on ne rend pas service aux musulmans. Ce sont précisément ceux qui crient à l’amalgame qui mettent tous les musulmans dans le même sac. En effet, si une secte catholique se mettait à commettre des attentats, nous serions parfaitement capables de comprendre qu’il s’agit d’une secte et on n’hésiterait pas à la critiquer et à la dénoncer. Force est de constater qu’il ne sert à rien de tourner autour du pot sans désigner la source du problème, puisque les attentats et les attaques se poursuivent.

Un détail étrange dans cette affaire: le terroriste a utilisé une arme de collection, un revolver d’ordonnance de la fin du XIXème siècle, un modèle qui a servi pendant la Première guerre mondiale. C’est néanmoins une arme interdite à la vente et soumise à autorisation. 

Le message des services d'interprétation

Ce mardi soir, le 11 décembre, ma réunion s’est terminée à 20h. Mon collègue a proposé que nous allions boire un verre, ce que nous avons fait. Mais sans cette providentielle coupe de crémant d’Alsace, j’aurais sans doute eu le temps de sortir du bâtiment. Et alors….. ? Il est peu probable que je me sois trouvée au centre ville, car les barrages de police étaient sans doute déjà en place. Mais je serais peut-être restée en rade dehors, dans la nuit, le froid, le ventre vide de surcroît. Comme quoi, les voies du destin, qui a choisi, cette nuit-là, de laisser mourir un touriste thaïlandais et un garagiste afghan, sont bien mystérieuses. 


Hommage aux victimes, le dimanche 16 décembre 2018 ICI


Mise à jour: une 5ème victime vient de décéder: il s'agit d'un Polonais de 36 ans, Bartek Pedro Orent-Niedzielski, qui vivait à Strasbourg depuis 36 ans. Il était responsable d'animations au sein d'un festival européen de bande dessinée, il voulait fonder une "auberge linguistique", il était passionné de langues et de cultures. Il était en compagnie du journaliste italien, tous deux sont morts.


A la différence des précédents attentats, on donne cette fois-ci l’identité, l’âge, et la nationalité des victimes, sans doute parce qu’elles sont moins nombreuses. En tout cas, si le terroriste voulait frapper des Français, c’est un peu raté. Il a même réussi à éliminer un coreligionnaire.


Un mois plus tard, place Kléber. Combien de fois encore faudra-t-il décorer des places de fleurs, de bougies et de photos?


Hommages:


"J'aurais tellement de choses à te dire, Antonio ! Je m'appelle ADINA LAUTARU, je viens de ROUMANIE .... j'étais là, à 3m derrière toi, j'ai vu comme tu t'effondrais sur le coup de feu, j'ai eu le sang glacé quand l'attaquant a pointé ensuite son fusil vers moi et vers une autre femme qui, à cause de l'effroi, a perdu connaissance et s'est évanouie. Je me suis faite si petite et je me suis cachée derrière un pot de fleur en pierre pas plus haut d'un mètre. Le tireur, paniqué par les hurlements des gens parmi lesquels il avait semé la terreur, a emprunté un passage étroit, un "coupe-gorge" qui porte bien son nom, car en prenant ce chemin, ce fou a continué de faire des victimes avec son couteau. Mais, pour moi, c'était la chance de rester en vie! Dans les 5 minutes qui ont suivi, j'ai couru vers vous, toi et l'autre jeune homme qui est tombé aussi sur le coup du tireur ... vous n'étiez pas morts ! Résiste - j'ai crié - reste avec nous, résiste ! Tu as bougé tes lèvres, tu voulais me dire quelque chose mais tu avais du mal, tu n'as pas réussi. Le monde continuait de crier et soudain, j'ai été prise par la panique : et si le tueur revenait ! Alors je t'ai abandonné et j'ai couru me recacher derrière le pot de fleur en pierre. De là, je te regardai, terrifiée, des minutes qui m'ont semblé interminables se sont écoulés. J'ai pris encore le courage de m'avancer vers toi, je t'ai parlé, tu as bougé tes lèvres, tes yeux ouverts regardaient loin. Encore une dizaine deminutes sont passés, la police, les pompiers sont arrivés, ils t'ont pris, ils n'ont pas réussi à te sauver, moi non plus. Tu es parti, à JAMAIS, mais dans ma mémoire et dans mon cœur, tu resteras pour TOUJOURS!



"Bartek, you are one of the most beautiful human being and soul that I've meet, You've always been here for everyone and for me; for the best laugh ever, for the best beer ever and even in the worst scenario you were there. You have one of the biggest heart that I know. I will never ever forget those moments we had together. All of those memories are here forever and nobody will never be able to take them back.
I could let the hate submerge me, but I won't because Bartek would not want that. He is and will ever be for the peace in the world and he is an inspiration for everyone he knows. 
I cannot imagine how difficult this must be for all his nearest family and friends and in this time of grief, It is with the most profound integrity that I am so sorry for what happened to you.

To Bartek,
To his family
To Strasbourg,
To the universal peace,        I love you brother."


4 commentaires:

fireatheart a dit…

Super texte! Perso, je ne pense qu'il y a une énorme différence entre "détraqué" et "terroriste",surtout que pas mal de ces tarés semblent agir seul...
Ce sont des détraqués dans tous les cas.

Anonyme a dit…

Merci Tiina pour ce texte.
Il y a deux ans, j’ai échappé à l’explosion à la station de métro Maelbeek à Bruxelles parce que je suis descendu à la station précédente sur une envie subite de chocolat chaud. Cette fois, j’étais coincé 3h dans un winstub sympa avec un ami et une famille du Colorado, juste en face de l’église servant de lieu de pause aux militaires de l’opération Sentinelle. Pas de logique, juste de l’arbitraire.
Le service d’interprétation du Parlement n’a pas l’intention d’organiser quelque débriefing que ce soit. Le Parlement a organisé en urgence vendredi dernier à Bruxelles une séance de soutien psy uniquement pour les témoins directs des tirs. Le système d’urgence SMS et courriel de vérification des personnels auxiliaires (interprètes free-lance entre autres) n’est en place que depuis peu. Lorsque j’ai tenté de répondre au SMS, le service était bloqué ou saturé.
Le cinquième décès, celui de Bartek, est non seulement tragique, comme celui des autres gens massacrés, mais en plus il est emblématique d’une France malade depuis si longtemps :
D’un côté, Chérif, 28 ans, citoyen français incarnant, avec vingt mille autres (fichés S), des décennies d’échec de la République, profil banal de petit délinquant alignant les incarcérations comme d’autres des médailles ou des diplômes.
De l’autre Bartek, 35 ans, mort en empêchant Chérif de faire un massacre dans un resto, était un Créateur de Lien Social, grande âme, philanthrope et humaniste. Je l’ai un peu côtoyé lorsque j’étais bénévole au festival international de la BD de Strasbourg (Strasbulles).
Strasbourg a eu deux fils et l’un a tiré dans la tête de l’autre.
Un mot sur les militaires : vous vous souvenez du débat sur l’usage de l'armée en métropole pour surveiller la population française ? Beaucoup refusaient de voir des soldats français dans les rues de France comme ils patrouillent au Mali ou en Afghanistan. Eh bien sans les soldats à Strasbourg, on aurait compté les corps par dizaines.
Un dernier mot sur une autre victime : Kamal, franco-afghan ayant fui les talibans pour succomber, son enfant dans les bras, à une balle de racaille franchouillarde était un bon musulman. Y a t il une autorité représentative des musulmans de France qui va enfin faire savoir à tous que l’Islam en France n’a rien à voir avec la délinquance et la psychiatrie ? Pour l’instant, c’est plutôt silence radio...

Anonyme a dit…

Ce genre de texte permet d'un peu mieux comprendre l'injustice profonde de ce genre d'événement.
Quand on est frappé par la foudre, noyé par un tsunami, emporté et brûlé par des laves torrentielles, charcuté par un tremblement de terre, c'est quelque part la faute à pas de chance et la force de la nature qui exerce ses pleins pouvoirs, qui sont aveugles.
Mais qu'un délinquant se mette à tirer sur des gens qui ne lui ont rien fait, c'est d'une injustice inqualifiable. D'autant plus si les victimes viennent de l'autre bout du monde !

J'ai entendu ou lu ceci, je ne sais plus où ( tellement j'en lis et entends):
Le terroriste a épargné le chauffeur de taxi qui l'a conduit à ce quartier où on l'a pour finir débusqué. Car le chauffeur était musulman et il avait accroché un "collier de prière" à son rétroviseur.
Une fois le tireur déposé, le chauffeur est immédiatement allé à la police pour raconter ce qu'il a vécu. C'est lui qui a permis d'identifier très rapidement C.C., car celui-ci lui a raconté que la police avait fait une descente chez lui le matin même, sans le trouver. L'identification a été confirmé grâce a des photos.
Tout cela pour dire que C.C. aurait probablement été vaguement embêté de savoir qu'il avait descendu un Afghan....
Et aussi pour dire qu'il existe au moins un chauffeur de taxi musulman qui a le sens des responsabilités et qui ne réfléchit pas en fonction d'une quelconque appartenance religieuse qui induirait des loyautés perverses. Dont celle de ne pas dénoncer un assassin détraqué.
"If you see something, say something." Je me dis qu'en définitive, c'est une des pistes de prévention super importantes. Si les familles, les amis, les voisins, les passants réagissent immédiatement, ça réduit les risques.
La famille de C.C. serait d'ailleurs allée d'elle-même à la police, après avoir compris qu'il s'agissait de leur fils.

Dans le cas de Strasbourg, c'est tellement dommage qu'on ait raté la fouille.
Si on pense qu'aux USA, il y a en moyenne 32 000 morts par fusil en une année, juste parce que les armes sont si facilement accessibles ( et cela avec très peu d'attentats islamistes), il faut admettre qu'il y a plein d'individus délirants, même en-dehors des religions. Le passage à l'acte a plein de causes.
C.C. a dit au chauffeur de taxi qu'il ne voulait pas retourner en prison.
Son acte ressemble donc quelque part à un de ces "suicides" à l'américaine, où un mec tue des gens au hasard, avant de retourner l'arme contre lui-même. Sauf que C.C a même raté cette partie-là. Trop lâche pour se suicider ou se laisser abattre sur place par la police, en martyr. Il se débine en taxi ... Quel loser.
Même sa sortie est ratée.
Cal

Tiina a dit…

Témoignage reçu: "Le 11, j'étais dans la zone du périmètre et j'ai, comme beaucoup de gens, pris la fuite en entendant des cris et en voyant tout le monde autour de moi se mettre à courir dans tous les sens. Je n'ai évidemment pas compris tout de suite de quoi il s'agissait. J'ai ensuite passé plusieurs heures "cachée'", d'abord dans la cave d'un hôtel, puis celle d'un restaurant et enfin au café de l'Europe, d'où on nous a permis de sortir peu avant minuit pour quitter le périmètre. Je n'ai pas pu regagner mon hôtel trop éloigné du centre et suis allée dormir chez une amie, derrière les Halles.
C'est après coup que j'ai compris la gravité des évènements et réalisé la chance que j'avais eue de ne pas être directement dans sa ligne de mire"

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