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jeudi 23 décembre 2010

L’envers du décor


Depuis la rentrée de septembre, mes semaines sont cadencées par une alternance de répétitions chorales. Je me suis plongée dans différentes œuvres, Dvorak, Poulenc, mais celle qui prend désormais tout mon temps, qui me remplit la tête et les oreilles, c’est la Belle Hélène d’Offenbach. Un des chœurs auxquels je participe s’est lancé dans cette folle aventure. Nous n’avions aucune idée de l’engagement que cela allait demander ni du temps que ça allait prendre. Nous sommes maintenant à un mois du spectacle et à la veille d’une dangereuse pause de fin d’année, au cours de laquelle nous risquons d’oublier tout ce que nous avons assimilé. En janvier, nous allons devoir répéter tous les soirs, puis assurer quatre représentations, ce qui représente deux semaines et demie de travail intense.

L’apprentissage de l’œuvre se fait en plusieurs étapes et selon différentes formules. D’abord celle de la répétition classique: assis par voix, la partition sous les yeux et avec le chef au piano. On chante ensuite mélangés, avec puis sans partition, en marchant, en bougeant les bras. Puis, la mise en scène vient compliquer le tableau: il faut maintenant chanter par cœur, mélangés, en faisant des déplacements et des chorégraphies, tout en faisant des mimiques (l’étonnement, la colère), en agitant éventuellement des objets, en faisant semblant de boire ou encore de jouer aux cartes. Evidemment, le jour où on répète avec l’orchestre, le château de cartes s’écroule et il faut tout recommencer: on se rassied par voix, avec la partition sous les yeux. Selon l’acoustique du lieu, on ne reconnaît pas les départs, on ne trouve plus nos notes, on n’entend plus l’harmonie.

C’est l’occasion aussi d’apprendre quelques ficelles du métier de comédien : toujours regarder le public, ne jamais rester en carafe, c’est-à-dire bêtement debout, les bras ballants, l’air de ne pas savoir ce qu’on doit faire. En cas d’erreur ou d’oubli, assumer à mort et faire croire que c’était écrit dans le scénario. Toujours vivre la situation, quitte à se la raconter mentalement, pour faire croire qu’on est un citoyen grec ulcéré ou un noble en train de faire ripaille. Garder un œil sur l’ensemble de la troupe, afin d’éviter de laisser des trous sur la scène ; dans ce cas-là, se déplacer discrètement pour mieux répartir la foule. Et je vais enfin me rappeler de quel côté sont Cour ou Jardin.


Nous avons reçu nos costumes : une simple tunique qui sera agrémentée de différents accessoires (ceinture, voile) selon le rôle que nous représenterons. Il reste encore à apprendre la discipline en coulisses, c’est-à-dire sortir de scène rapidement, en incarnant son personnage jusqu’au bout, se taire et changer de costume à la vitesse grand V, sans mettre sa culotte à l’envers. Nous serons bien sûr maquillés, les femmes porteront du rouge à lèvres rouge vif, je me réjouis déjà !

Avec tous les éléments qui se mettent lentement en place, l’œuvre commence à prendre forme, à prendre vie. A force d’entendre la musique, les solistes, les interventions du chœur, le tout commence à avoir un sens, même si nous répétons les différents passages dans le désordre et avec de grands trous dans la narration. En effet, nous ne découvrirons l’œuvre dans sa totalité et dans son déroulement chronologique que dans les derniers jours avant la première.

Nul ne sait encore à quoi ressemblera le produit fini. Ce sera peut-être un succès qui cassera la baraque ou alors une triste parodie au comique involontaire. Je vote bien sûr pour la première option. Quoi qu’il en soit, je m’amuse beaucoup avec cette expérience nouvelle. Je viens sans doute d’ajouter une nouvelle corde à mon arc, une plume à mon chapeau et, qui sait, peut-être vais-je être piquée par le virus de la scène. Ce ne sont pas les occasions qui manqueront de brûler les planches à nouveau.

La Belle Hélène de Jacques Offenbach, à l’Alhambra de Genève, du 20 au 23 janvier 2011

samedi 11 décembre 2010

Relais, pivots et retours (2)


En 1995, l’Union européenne a accueilli trois nouveaux Etats membres, l’Autriche, la Suède et la Finlande, passant ainsi de douze à quinze membres. Le régime linguistique est, quant à lui, passé de neuf à onze langues, l’Autriche partageant la même langue que l’Allemagne. Quoique… l’autrichien mériterait presque d’avoir sa propre cabine (voir ci-dessous). En 2004, ce sont dix nouveaux Etats qui ont rejoint le giron de l’UE, apportant par la même occasion dix nouvelles langues à cette véritable tour de Babel.

On pensait que ça ne marcherait jamais, que ce serait ingérable et pourtant…. Ça tourne ! Evidemment, le lituanien passif 1) ne courant pas les rues, ce sera la cabine lituanienne qui "fera le retour" 2), en général vers l’anglais, souvent vers l’allemand, parfois vers le français. Un nombre tout à fait respectable de collègues a fait l’effort d’apprendre le polonais ou le hongrois, ce qui n’est pas une mince affaire. On trouve donc souvent un pivot 3) pour le polonais ou le hongrois en cabine allemande, anglaise voire espagnole. D’autres courageux s’attaquent hardiment au tchèque ou à l’estonien. Les free lance investissent leur temps et leur argent pour acquérir ces langues, sans avoir la moindre garantie de recrutement en retour. Dans les faits toutefois, celui qui maîtrise une ou plusieurs langues dites "de l’élargissement" peut compter sur des engagements réguliers dans les institutions européennes. Le salaire quotidien est le même pour tous, indépendamment du nombre de langues.

Les interprètes de l’UE ont quasiment tous quatre langues passives. Certains en ont six ou sept, voire davantage. Ce sont souvent des langues proches (italien, espagnol, portugais), mais pas forcément. Certains ont, en plus du français et de l’anglais, le néerlandais, le grec et le danois, par exemple ; ou encore le polonais, le suédois et l’italien. Etrangement, tous les collègues de cabine tchèque ont le slovaque et tous les Slovaques ont le tchèque. D’autres ont des combinaisons linguistiques impressionnantes, avec le serbe, le bosniaque, le croate et le serbo-croate 4) (en sus de l’anglais etc…)! C’est pourquoi l’autrichien pourrait parfaitement avoir sa propre cabine. D’ailleurs, le luxembourgeois est dorénavant une langue de travail au Comité des régions. On trouve aussi du catalan ou du galicien, langues qui acquerront sans doute bientôt un statut officiel.



Le gaélique est une des langues officielles, mais uniquement en séance plénière du Parlement européen et uniquement en « passif » (pas de cabine gaélique). Il y aura ainsi deux interprètes – en règle générale, des Irlandais – qui attendent patiemment qu’un député européen prononce quelques mots dans cette langue qu’ils sont bien les seuls à comprendre. Ce qui arrive environ une fois par semaine et ils sont alors dans un tel état de stupeur dû à l’attente interminable qu’ils ne réagissent pas à temps et l’intervention passe à la trappe. De toute façon, les discours en gaélique se limitent en général à Bonjour et Merci, étant donné que c’est quasiment une langue morte ; le délégué passe ensuite à l’anglais. On n’entend pas souvent le maltais non plus. La Commission européenne a eu toutes les peines du monde à trouver des interprètes anglais-maltais et retour, étant donné que Malte est une destination pour des cours d’anglais. Ces collègues-là n’ont, en général, que l’anglais dans leur combinaison linguistique. Tout ceci est dû à des considérations politiques, qui n’ont rien à voir avec une bonne gestion économique. Idem pour les cabines tchèques et slovaques. Lorsque les pays de l’ex-Yougoslavie adhéreront à l’Union européenne, il y aura bien sûr une cabine pour chacun des avatars du serbo-croate.

Parmi les langues passives à l’UE, on trouve aussi le russe, l’arabe, le turc ou le serbo-croate (et tous ses dérivés), car il arrive parfois que ces langues-là soient utilisées dans les réunions des institutions européennes lorsqu’il s’agit de relations avec les pays correspondants.

Les vingt-deux langues actives utilisées lors des séances plénières du Parlement européen sont : l’allemand, l’anglais, le bulgare, le danois, l’espagnol, l’estonien, le finnois, le français, le grec, le hongrois, l’italien, le letton, le lituanien, le maltais, le polonais, le portugais, le néerlandais, le roumain, le slovaque, le slovène, le suédois, le tchèque – plus le gaélique passif. A raison de trois personnes par cabine, cela fait soixante-six interprètes par tranche de travail. Les séances plénières étant très stressantes, la relève se fait au bout de deux heures. Deux équipes le matin, les mêmes deux équipes l’après-midi, une troisième pour la soirée, voire encore une quatrième, si la séance se prolonge jusqu’à minuit, ce qui n’est pas rare. Ce qui vous fait quatre fois soixante-six5) interprètes par jour de session et le catalan et le galicien viendront bientôt étoffer les rangs. Il y a de quoi avoir le vertige !

Dans les autres réunions (commissions parlementaires, groupes de travail, etc…) le nombre de langues représentées dépendra des délégués qui y participant.

Au début d’une réunion de l’Union européenne, nous commençons par repérer quels sont les retours et les pivots. Si la cabine roumaine fait un retour vers le français, nous devons nous taire et éviter d’occuper ce canal en allant chercher le roumain en relais sur une autre cabine.
Vous me suivez toujours ?

Eh oui, les conférences hyper-multilingues sont rocket science !

NB : la composition des équipes est assistée par ordinateur, mais il faut malgré tout tenir compte du facteur humain. Un véritable travail de titan, comparable au Rubik’s Cube.


Texte paru dans la revue Hieronymus (décembre 2010) www.astti.ch
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1) Langue que l’interprète comprend et qu’il traduit vers sa langue maternelle
2) Voir Relais, pivots et retours (1); l’interprète traduit de sa langue maternelle vers une langue étrangère qu’il maîtrise parfaitement.
http://tiina-gva.blogspot.com/2010/09/relais-pivots-et-retours-1.html
3) Voir Relais, pivots et retours (1); interprète qui comprend une langue donnée et sur lequel les autres interprètes se branchent s’ils ne comprennent pas ladite langue. Ainsi, si je ne comprends pas le polonais, j’écouterai alors le canal de la cabine – par exemple – allemande pour suivre l’interprétation que fait mon collègue à partir du polonais. Cela s’appelle "prendre le polonais en relais sur la cabine allemande".
4) Ces langues ne sont pas encore des langues officielles, mais elles figurent néanmoins au palmarès des interprètes qui les ont.
5) 68, si on compte les deux pivots pour le gaélique

lundi 6 décembre 2010

Les forces de la nature


En avril dernier, on a redécouvert la slow-motion et le rythme du bon vieux temps avec l’éruption de l’Eyjafjallajökull, mieux connu sous le petit nom de "volcan islandais", tellement plus facile à retenir et à prononcer. Les avions sont restés cloués au sol, des réunions ont été annulées les unes après les autres et chacun avait un récit d’aventures rocambolesques à raconter. D’aucuns prenaient le taxi de Stockholm à Naples, d’autres passaient par Madrid pour aller de Londres à Varsovie et nul ne savait combien de temps cela allait durer. Et quand ça a été fini, tout le monde a poussé un immense soupir de soulagement avant de remonter aussitôt dans un avion.

Et voilà que c’est la neige qui est venue nous rappeler qu’il vaut mieux rester humble face aux forces de la nature. Un peu partout en Europe, la neige a réussi à tout paralyser. Elle a fait encore plus fort que l’éruption volcanique : cette fois-ci, il n’y avait pas que les avions qui étaient bloqués, mais aussi les routes et les voies ferrées. La seule façon d’aller de A à B était la bonne vieille marche à pied, à petits pas prudents pour ne pas se casser le poignet ou le col du fémur. On voyait bien quelques hardis inconscients rouler à vélo ou en scooter, mais ils n’étaient pas bien nombreux. Les voitures non-équipées de pneus neige n’allaient pas très loin sans froisser de la tôle. Quant aux transports publics, quel désastre ! Les trams circulaient dans une certaine mesure, mais les bus ont mis environ 48h pour s’adapter à la nouvelle donne. Et tout comme dans le cas du volcan, il était difficile d’estimer combien de temps ce petchi allait durer.

A nouveau, chacun y allait de sa petite anecdote ou de son récit d’aventures : ceux qui se sont levés à 4h du matin pour attrapper l’avion de 7 :00, celui de la veille ayant été annulé ; ceux qui sont allés travailler à pied, quitte à marcher 5 ou 10 km ; ceux qui ont choisi de passer la nuit chez des amis, sachant qu'ils ne pourraient pas rentrer chez eux ni en ressortir ; ceux qui renonçaient à aller là où ils devaient aller, sachant que ce qu’ils allaient faire allait être annulé de toutes façons ; la peur de réussir l’aller mais de rater le retour en restant bloqué ; réunions et conférences reportées, faute de participants ; et le courrier postal qui est resté en rade quelque part en rase campagne.


Le redoux est enfin arrivé, mais une journée à 8° n’est pas encore parvenue à faire fondre toute la neige accumulée. Pendant une semaine, nous avons tous été contraints de revoir notre rythme de vie, de renoncer au superflu et de nous concentrer sur l’essentiel ; ralentir les compteurs, ne plus croire que l’immédiat doit fonctionner sans heurts ni retards ; échafauder des plans B pour se passer de ce dont la neige nous a privés et se débrouiller sans.

Quel sera le prochain cataclysme à nous tomber sur la tête ? On nous annonce des inondations, la pluie ayant maintenant succédé à la neige. Pourquoi pas une tempête de sable ? Ou une tornade ? Un nuage de criquets pélerins ? Pendant une semaine, nous sommes tous devenus des Anglais, à ne parler que du temps qu’il fait. Eh oui ! Dans nos logements et nos bureaux chauffés l’hiver et climatisés l’été, on a tendance à oublier qu’on est bien peu de choses sans nos bottes, nos parapluies, nos doudounes ou, à l’inverse, sans nos lunettes de soleil et nos crèmes solaires.

C’est à se demander ce qui est moins pire (ou pire grave comme diraient les djeuns): les grosses chaleurs ou les grands froids. Un peu comme si on devait choisir entre la cécité et la surdité. Il semblerait que le froid et la cécité soient moins durs à supporter que la canicule et la surdité. Il vaut la peine d’y réfléchir, des fois qu’on vous placerait devant ce choix cornélien au Jugement Dernier.



Grosses chutes de neige à Genève et partout en Europe, du 27 novembre au 5 décembre 2010. L’aéroport est resté fermé du mardi soir au jeudi matin ; mardi soir encore, les bus sont rentrés au dépôt, leur circulation ne pouvant plus être assurée sans danger. Des trains ont été annulés et des branches d’arbre se sont brisées sous le poids de la neige. L’hôpital a dû réquisitionner trois salles d’opération supplémentaires et faire des heures supplémentaires pour soigner les fractures. Mais fort heureusement, la Course de l’Escalade n’a pas dû être annulée : la voirie a travaillé une bonne partie de la nuit pour dégager le parcours. Comme quoi, on arrive à déblayer quand c’est vraiment important !

Enfin quelques conseils de bon sens : ne sortir que si c’est nécessaire, ne pas téléphoner en marchant, éviter les escarpins (j’en ai vus !) et regarder où on met les pieds. C’est pourtant simple…
http://www.courrierinternational.com/depeche/newsmlmmd.840d7a82567a8477c9a79365af5a5ac7.291.xml

lundi 22 novembre 2010

On n’arrête pas le progrès


Depuis que la consommation de tabac a été bannie des lieux publics fermés, nos amis les fumeurs vivent un calvaire. Ils souffrent du manque de nicotine, ils se sentent opprimés et rejetés vers le trottoir où ils s’adonnent à leur vice, s’abritant tant bien que mal de la pluie et du vent. Mais voilà que la modernité vole à leur secours : la cigarette électronique ! Bon sang mais c’est bien sûr ! La cigarette Canada Dry : ça ressemble à une cigarette, ça se suce comme une cigarette, ça a le goût de la cigarette, nicotine facultative et fumée inexistante.

L’objet s’achète bien sûr sur internet, mais aussi dans certaines pharmacies. On peut y trouver le modèle Supersmoker, sans nicotine. L’e-cigarette fonctionne avec une cartouche contenant un ersatz de tabac avec, à choix, des arômes de tabac ou de fruits, ainsi que du glycérol. Le fumeur inhale et exhale une vapeur qu’on espère inodorante. Pour 90 CHF, on obtient le set de base, comportant une cigarette, deux batteries et une cartouche (15 cigarettes), la recharge coûtant 39 CHF pour 24 cartouches, c’est-à-dire 360 cigarettes, nettement moins cher que la bonne vieille clope du cowboy Marlboro. Etant donné que la loi interdit de vendre des substances qui mettent la santé en danger, seules les e-cibiches sans nicotine sont autorisées en Suisse. C’est à se demander pourquoi le modèle à base de tabac et de papier est encore en vente libre, mais ça, c’est un autre débat.

La lolette électronique pourrait ainsi être autorisée dans les cafés et les restaurants, puisqu’elle n’incommode pas les autres et n’entraîne pas de fumée passive. Toutefois, les effets secondaires de ce nouveau produit ne sont pas encore connus. Les affirmations des fumeurs invétérés vont être mises à rude épreuve, lorsqu’ils disent qu’ils veulent être libres de consommer du poison et de se détruire s’ils le souhaitent, que ça ne regarde qu’eux et que l’Etat n’a pas à se mêler de leur mode de vie. Sans ses volutes gris-bleutées, l’objet perd la moité de son charme. Qu’à cela ne tienne : il existe des applications pour iPhone permettant de simuler la fumée. Il suffit pour cela de souffler sur son téléphone et voilà que le génie de la lampe d’Alladin vient vous tenir compagnie. L’inconvénient, c’est qu’on ne peut pas consulter ses e-mails pendant qu’on e-fume. On ne peut pas tout avoir, ma foi !

Reste à savoir quelle est l’empreinte écologique de ce produit révolutionnaire. Qu’advient-il des cartouches usées, sont-elles recyclables ? Quelle est la consommation en électricité du paquet de clopes qu’on recharge à l’aide d’une clé usb ou de l’allume-cigare ? Un bonbon à la nicotine ne serait-il pas une solution bien plus simple ? Va-t-on inventer l’e-cigare et l’e-pipe ? L'e-joint ? Le plus simple serait encore d’arrêter. La cigarette électronique peut offrir une aide au sevrage, voir le témoignage ci-dessous.



Voir aussi le sujet précédent : http://tiina-gva.blogspot.com/2010/10/je-hais-la-cigarette.html
http://www.edsylver.com/
http://www.tdg.ch/geneve/actu-geneve/cigarette-electronique-debarque-geneve-2010-11-21

Le témoignage d’un internaute :
Par paduc le 22.11.2010 - 09:35
Comme c’est tout à fait dans le trend de parler de ce qu’on ne connaît pas, d’accuser ou de critiquer sans preuve, permettez que je vous fasse part de mon modeste témoignage :
Grand fumeur, j’ai fumé jusqu’à quatre paquets de clopes par jour, mais je n’en étais qu’à (!) deux ces dernières années. Je me suis intéressé en été 2009 à la cigarette électronique, non pas forcément pour arrêter de fumer mais pour cesser de polluer mon entourage avec ma fumée en ayant la possibilité de « téter » quelque chose qui ressemblait beaucoup à la cigarette. Je me réservais le droit de continuer de fumer à l’extérieur, sans déranger personne ! Concrètement d’ailleurs, je continuais même à l’extérieur à utiliser ma cigarette électronique et j’ai remplacé sans le remarquer le tabac par cet instrument.

Bonheur suprême : cette cigarette qui produisait de la vapeur me permettait ainsi d’exhaler quelque chose qui ressemblait à la fumée. Le geste était préservé, j’avais un semblant d’odeur, (très discrète, elle avait l’avantage de ne gêner personne) et, de surcroît, je pouvais avaler et exhaler une vapeur qui faisait parfaitement illusion.
Les détracteurs de la cigarette électronique accusent cette dernière de contenir du propylène glycol, un produit constitutif du liquide à inhaler qui, sauf erreur, maintient l’humidité du produit. Il s’agirait d’une substance potentiellement dangereuse mais dont on n’a pas encore vraiment mesuré la toxicité.

C’est de la pure désinformation puisque, à ma connaissance, toutes les marques européennes de cigarettes électroniques ont, depuis au moins une année, remplacé le propylène glycol par de la glycérine végétale et l’on ne trouve plus de propylène que dans des liquides dont la fabrication est de provenance douteuse, comme la Chine par exemple.
On accuse également le liquide de contenir de la nicotine, ce qui est parfaitement exact. Mais ce qu’on oublie de dire, c’est que le consommateur a le choix de se procurer du liquide avec ou sans nicotine. Pour ma part, j’ai commencé avec, comme lors de l’utilisation d’un quelconque substitut nicotinique en vente libre dans nos pharmacies, puis, n’en éprouvant plus le besoin, j’ai continué avec des produits sans nicotine.

Ainsi je me suis retrouvé à « vapoter » pendant de long mois une cigarette électronique qui ne contenait ni propylène glycol, ni nicotine !
L’OMS et autres détracteurs de la « e-cigarette » pouvaient hurler au loup autant qu’ils le souhaitaient, pour ma part, mon choix était fait : entre le tabac qui contenait plusieurs centaines de substances cancérigènes répertoriées et la cigarette électronique qui pouvait éventuellement contenir une ou deux substances dont le danger restait à démontrer, je choisissais le moindre mal !
Bien m’en a pris, puisque, alors que je n’avais pas pour but d’arrêter de fumer, je me suis retrouvé à me désintéresser complètement de ce gadget, n’éprouvant même plus le besoin de vapoter.

Alors, messieurs les puristes et les critiques de tout poil, vous pouvez médire autant que vous voudrez sur la cigarette électronique, mais, pour ma part, je constate qu’elle m’a permis de cesser de fumer depuis plus de 15 mois maintenant et même, depuis plus de six mois, de supprimer totalement toute ma gestuelle en rapport avec la cigarette puisque j’ai même renoncé à la cigarette électronique !

Je tenais à témoigner ici afin qu’on arrête de diaboliser un produit qui peut aussi aider certains fumeurs à arrêter complètement même si ce n’est pas le but de la cigarette électronique qui se présente plutôt sur le marché comme « une autre manière de fumer », ce qui, à mon avis est inexact. Pour moi, la cigarette électronique est plutôt une autre manière, une manière non dangereuse, de satisfaire à une gestuelle.

mercredi 10 novembre 2010

Terroriste, tendance deux-roues


Un politicien local a récemment crée le néologisme cycloterroriste pour qualifier les cyclistes indisciplinés qui sillonnent notre bonne ville : ceux qui brûlent les feux rouges, qui roulent sans phare ni casque sur le trottoir au risque de renverser des grand-mères, qui traversent des parcs remplis de bambins comme des Fangio, etc… Ce n’est pas entièrement faux, c’est juste un tantinet exagéré.

Les terroristes sont partout et ils appartiennent aussi à d’autres obédiences qu'à celle des cyclopacifistes. Moi qui circule en ville à pied, à vélo, en scooter, en bus et même en voiture parfois (en mettant 30 minutes pour parcourir 200m, histoire vraie), je puis vous assurer que personne, mais alors personne ne respecte le code de la route. Il va sans dire que les automobilistes sont les plus arrogants et les plus dangereux. J’ai pris l’habitude, quand je passe à l’orange, de regarder derrière moi. Il y a toujours au moins deux véhicules qui passent encore, alors que le feu ne peut être que rouge. Les autoterroristes téléphonent au volant, se garent sur les trottoirs, sur les passages piétons, sur les pistes cyclables et n’hésitent pas à ouvrir leur portière du côté de la rue, au prix d’un homicide par négligence s'il le faut.

On trouve aussi la branche des bussoterroristes qui, vu leur volume considérable, ont toutes les peines du monde à accepter de rester coincés à l’intérieur des lignes jaunes qui délimitent leur territoire. A vélo, quand on voit arriver un bus derrière ou à côté de soi, il vaut mieux, en effet, monter sur le trottoir, quitte à effrayer un caniche. Notre vie en dépend. La piste cyclable coïncide souvent avec les arrêts de bus et la vitesse des deux modes de locomotion étant quasiment identique, ça devient alors un jeu du chat et de la souris, la règle étant qu’il faut arriver à quitter l’arrêt de bus avant que le brontosauroterroriste ne vous fonce dessus.

Mais la race la plus vilipendée est bien celle des scooterroristes. Rien ne les arrête. Ils remontent les files de voitures par la droite, ils squattent les pistes cyclables et se garent sur les trottoirs. Bien obligés, il n’y aucune autre place prévue pour eux. Cela dit, je ne vous souhaite pas d’être dans une ambulance le jour où les scooters décideront de respecter le règlement, car si chacun d’eux occupait la place d’une voiture comme ils devraient le faire, plus rien ne bougera en ville. Il y aura des morts et des blessés, je vous aurai avertis.


Reste la catégorie des saints innocents, des martyres au-dessus de tout reproche : les piétons. Etant donné qu’il ne faut ni permis, ni macaron, ni timbre fiscal, ni casque, ni catadioptre, ni examen de la vue après 70 ans pour marcher dans la rue, les piétons ne sont apparemment pas tenus de faire attention aux autres. Ils traversent la chaussée où et quand ça leur chante, de préférence en surgissant à l’improviste entre deux voitures en stationnement ou dans la nuit la plus noire. Les mamans avec poussette ont une priorité aussi magique qu’automatique. La Force est avec elles.

La ville est totalement congestionnée par la circulation, les innombrables chantiers n’arrangeant en rien la situation. Les autorités cherchent par tous les moyens à décourager les automobilistes en réduisant la voirie disponible et en supprimant des places de parking à tour de bras. Les scooters ne sont ni chair ni poisson, les contraventions suivent le même barême que celui des véhicules à quatre roues, mais rien n’est prévu pour eux, ni parkings ni souplesse dans le code de la route. Quant aux vélos, ils sont transparents, les pistes cyclables offrent des espaces de rêve aux camions de livraison ou aux taxis qui attendent leur client. Les transports publics annoncent, quant à eux, une augmentation de leurs tarifs. Alors que faire ?

De tous les moyens de transports possibles, ma préférence va de loin à la petite reine. Loin d’être idéale quand il pleut, elle permet, par beau temps, d’arriver à l’heure à ses rendez-vous sans devoir se faire de bile au moment de se garer. En pédalant, je réduis non seulement mon empreinte carbone mais aussi mon taux de cholestérol. Mon petit cœur palpite pour me dire merci et je sens, à chaque déplacement, que je me fais du bien.

Si seulement le monde était peuplé de cycloterroristes, la ville serait plus pacifique et bien plus agréable à vivre!

mardi 26 octobre 2010

Un roman français

La baie de Saint-Jean-de-Luz, vue de Sainte-Barbe
Quelle drôle d’expérience que la lecture de ce livre de Frédéric Beigbeder… J’avais l’impression de lire un avatar de Mars de Fritz Zorn (voir le sujet précédent) et en même temps, je lisais les souvenirs d’enfance de mon ex-Jules, dont la prime jeunesse semble être un calque quasi-parfait de celle de ce Parisien mondain.

Tout comme Fritz Angst, alias Zorn, Frédéric Beigbeder a eu le malheur de naître dans une famille aisée. Le Neuilly de son enfance était une sorte de Genève, un village trop propre, où l’air était trop pur… une ville où le temps ne fait que passer. Il n’a jamais manqué de rien, ses parents ne se disputaient jamais. Il a été un adolescent sagement malheureux. Il n’est pas mort d’un lymphome malin, mais il se distingue par une vie de bâton de chaise. C’est sa garde à vue suite à une consommation de cocaïne sur la voie publique, largement relatée par les médias, qui est à l’origine de ce livre. L’enfermement l’a obligé à se pencher sur sa vie et sur ses souvenirs d’enfance qui lui échappaient jusqu’alors.

Ces mémoires sont parcourues de descriptions du pays basque, où l’auteur a régulièrement passé ses vacances – tout comme Jules le fait depuis cinquante ans. L’évocation des plages, Cénitz ou Ilbarritz, du toro de fuego, des macarons de chez Adam, de Biarritz ou de Saint-Jean-de-Luz me chatouille le cœur, car ce sont là des souvenirs d’une des périodes sans doute les plus heureuses de ma vie. Tout comme Jules, Beigbeder avait un grand-père aristocrate et une grand-mère américaine. Tout comme la famille de Jules, ils avaient une belle demeure, la Villa Navarre à Pau, qui est devenue un hôtel de luxe. A la mort de l’oncle de Jules, le baron de … , la belle grande maison ancienne a été vendue. Elle aurait pourtant tout ce qu’il faut pour devenir, elle aussi, un Relais & Château ou en tous cas, une très belle maison d’hôtes. Elle le deviendra peut-être un jour et y séjourner deviendra alors une expérience incontournable.


Frédéric Beigbeder appartenant – à cinq ans près – à la même génération que moi, nous avons les mêmes références culturelles, qu’il s’agisse du lion Clarence qui louchait dans Daktari ou encore des distributeurs de pastilles Pez. Nous ne recevions toutefois pas les frères Bogdanov à dîner à la maison, ni le gratin parisien. Il écrit : ma vie n’est pas plus intéressante que la vôtre, mais elle ne l’est pas moins. Les mémoires d’un contemporain ne sont certes pas moins dignes d’intérêt que celles d’un grand homme dont le nom est entré dans l’histoire et elles ont l’avantage de remuer quelque chose de proche, à quoi ceux de notre génération peuvent s’identifier.

Si un jour je me retrouve en garde à vue ou immobilisée dans un lit d’hôpital, j’aurai sans doute aussi l’occasion de réfléchir à ma vie, d’essayer de faire de l’ordre dans mes souvenirs et dans toutes les émotions qui se bousculent dans le disque dur de ma mémoire. Je ne vais malheureusement plus au pays basque, Jules y va désormais sans moi car, comme le constate très justement Frédéric Beigbeder : l’amour dure trois ans.

Une plage du pays basque...







L’amour dure trois ans, Frédéric Beigbeder, Gallimard, collection folio, 2001



Un roman français, Frédéric Beigbeder, Grasset 2009

dimanche 17 octobre 2010

Mars – Fritz Zorn


"Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul".

C’est sur ces mots que commence le récit d’un homme en colère. Fritz Angst a choisi comme pseudonyme la colère (Zorn) plutôt que la peur (Angst) qui était son vrai nom de famille. Dans ce livre choc paru en 1977, il règle ses comptes avec la trop bonne éducation que sa très bonne famille lui a donnée. Pour son malheur, il est né de parents très aisés, vivant dans un des plus beaux quartiers d’une ville riche dans un pays riche, c’est-à-dire la Goldküste, à Zurich, en Suisse. Il en est mort à 32 ans des suites d’un lymphome qui, selon lui, était l’aboutissement de toutes ses névroses, de toutes ses frustrations, de toutes ses émotions retenues, de ses larmes ravalées. Son livre est devenu un best-seller – il n’a pas vécu assez longtemps pour jouir de ce succès post mortem – et il n’a malheureusement rien perdu de son actualité.

Ses parents étaient des gens très bien, très respectables, irréprochables. Mais la seule façon de ne jamais perdre cette illusion de perfection était de ne jamais se compromettre, de ne jamais rien faire qui soit ridicule, déplacé, vulgaire ou excessif. Ils n’écoutaient que de la bonne musique et ne lisaient que de bons livres, c’est-à-dire des œuvres d’artistes morts. La variété, le jazz et la littérature moderne, donc facile, ne franchissaient pas le seuil de leur univers clos et protégé. Un peu comme Ariane et Solal dans Belle du Seigneur 1), qui cherchent à tout prix à préserver la merveilleuse perfection des premiers jours d’une relation amoureuse.

Chez eux, tout n’était qu’harmonie. Tout le monde était toujours d’accord avec tout le monde, pas le moindre conflit ou désaccord ne venait jamais troubler leur sérénité. Cela n’était possible qu’en restant tiède ou indifférent. Vis-à-vis de tiers, ils attendaient toujours de savoir d’abord ce que pensait leur interlocuteur, afin de ne surtout pas le froisser en étant d’un autre avis. Paradoxalement, une recherche aussi utopique de la perfection vous mène forcément droit dans le mur.



Dans les années -70, la sexualité était encore fortement taboue. A l’école, l’éducation sexuelle consistait en une présentation strictement anatomique de la mécanique de la chose. On leur a en outre appris qu’en Amérique, un certain pourcentage de jeunes garçons se masturberaient, ce qui était bien sûr une grave déviance. Mais pas de quoi s’inquiéter : ça se passe loin, là-bas, de l’autre côté de l’Océan. Le jeune Fritz a grandi dans un milieu si pudibond, qu’il avait même de la peine à prononcer des mots tels que "corps ou jambe", des mots comme "poitrine ou sexe" ne franchissaient jamais ses … lèvres (sûrement encore un mot interdit !). La conséquence logique en a été qu’il a été incapable d’avoir la moindre relation, le moindre contact avec les femmes.

Tout en reconnaissant qu’on n’est pas forcément plus heureux dans les goulags soviétiques, l’auteur se lance dans une diatribe contre le calme tranquille qui caractérise la Suisse. Ce qui m’a rendue attentive au fait que le mot Ruhe se traduit de dix façons différentes en français : le silence, le calme, la sérénité, le repos, la paix, la tranquillité, l’ordre, la retraite, la lenteur et même la mort (le repos éternel). On ne doit surtout pas déranger ni faire de bruit, il faut toujours être comme il faut (en français dans le texte). Et quand on meurt, il ne faut surtout pas le dire à voix haute, on dira plutôt que quelqu’un s’en est allé.

Fritz, quant à lui, veut lancer un cri urbi et orbi, convaincu qu’il est de ne pas être un cas isolé. Il veut que son expérience serve à sauver d’autres pauvres diables, victimes, comme lui, de leur éducation et de leur milieu. Il parvient à la conclusion que, contrairement aux personnages d’opéra, qui meurent d’amour, sa mort à lui est due à un manque d’amour, à une parfaite incapacité de ressentir des émotions vis-à-vis d’une femme ou de n’importe quelle personne. Il règle ses comptes avec son milieu, sa famille, le système, mais aussi avec Dieu : "un Dieu qui a inventé la Gestapo, les camps de concentration et la torture devrait exister rien que pour qu’on puisse lui casser la figure". Pour lui, Dieu incarne tout ce qui est comme il faut, le calme, l’harmonie, l’évitement de tout conflit, de toute émotion, en bref : la non-vie. C’est pourquoi il lui préfère le diable et l’enfer, où au moins, on a une chance d’exister.

Jusqu’à la fin, Zorn se battra contre le mal qui le ronge. Sa colère ne lui permet pas de capituler et son livre se clôt sur ces mots : "Je me déclare en état en guerre totale".

Kindler Verlag, Munich, 1977
Gallimard, 1979 pour l'édition française
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1) Belle du Seigneur, Albert Cohen, Gallimard 1968