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mardi 26 octobre 2010

Un roman français

La baie de Saint-Jean-de-Luz, vue de Sainte-Barbe
Quelle drôle d’expérience que la lecture de ce livre de Frédéric Beigbeder… J’avais l’impression de lire un avatar de Mars de Fritz Zorn (voir le sujet précédent) et en même temps, je lisais les souvenirs d’enfance de mon ex-Jules, dont la prime jeunesse semble être un calque quasi-parfait de celle de ce Parisien mondain.

Tout comme Fritz Angst, alias Zorn, Frédéric Beigbeder a eu le malheur de naître dans une famille aisée. Le Neuilly de son enfance était une sorte de Genève, un village trop propre, où l’air était trop pur… une ville où le temps ne fait que passer. Il n’a jamais manqué de rien, ses parents ne se disputaient jamais. Il a été un adolescent sagement malheureux. Il n’est pas mort d’un lymphome malin, mais il se distingue par une vie de bâton de chaise. C’est sa garde à vue suite à une consommation de cocaïne sur la voie publique, largement relatée par les médias, qui est à l’origine de ce livre. L’enfermement l’a obligé à se pencher sur sa vie et sur ses souvenirs d’enfance qui lui échappaient jusqu’alors.

Ces mémoires sont parcourues de descriptions du pays basque, où l’auteur a régulièrement passé ses vacances – tout comme Jules le fait depuis cinquante ans. L’évocation des plages, Cénitz ou Ilbarritz, du toro de fuego, des macarons de chez Adam, de Biarritz ou de Saint-Jean-de-Luz me chatouille le cœur, car ce sont là des souvenirs d’une des périodes sans doute les plus heureuses de ma vie. Tout comme Jules, Beigbeder avait un grand-père aristocrate et une grand-mère américaine. Tout comme la famille de Jules, ils avaient une belle demeure, la Villa Navarre à Pau, qui est devenue un hôtel de luxe. A la mort de l’oncle de Jules, le baron de … , la belle grande maison ancienne a été vendue. Elle aurait pourtant tout ce qu’il faut pour devenir, elle aussi, un Relais & Château ou en tous cas, une très belle maison d’hôtes. Elle le deviendra peut-être un jour et y séjourner deviendra alors une expérience incontournable.


Frédéric Beigbeder appartenant – à cinq ans près – à la même génération que moi, nous avons les mêmes références culturelles, qu’il s’agisse du lion Clarence qui louchait dans Daktari ou encore des distributeurs de pastilles Pez. Nous ne recevions toutefois pas les frères Bogdanov à dîner à la maison, ni le gratin parisien. Il écrit : ma vie n’est pas plus intéressante que la vôtre, mais elle ne l’est pas moins. Les mémoires d’un contemporain ne sont certes pas moins dignes d’intérêt que celles d’un grand homme dont le nom est entré dans l’histoire et elles ont l’avantage de remuer quelque chose de proche, à quoi ceux de notre génération peuvent s’identifier.

Si un jour je me retrouve en garde à vue ou immobilisée dans un lit d’hôpital, j’aurai sans doute aussi l’occasion de réfléchir à ma vie, d’essayer de faire de l’ordre dans mes souvenirs et dans toutes les émotions qui se bousculent dans le disque dur de ma mémoire. Je ne vais malheureusement plus au pays basque, Jules y va désormais sans moi car, comme le constate très justement Frédéric Beigbeder : l’amour dure trois ans.

Une plage du pays basque...







L’amour dure trois ans, Frédéric Beigbeder, Gallimard, collection folio, 2001



Un roman français, Frédéric Beigbeder, Grasset 2009

dimanche 17 octobre 2010

Mars – Fritz Zorn


"Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul".

C’est sur ces mots que commence le récit d’un homme en colère. Fritz Angst a choisi comme pseudonyme la colère (Zorn) plutôt que la peur (Angst) qui était son vrai nom de famille. Dans ce livre choc paru en 1977, il règle ses comptes avec la trop bonne éducation que sa très bonne famille lui a donnée. Pour son malheur, il est né de parents très aisés, vivant dans un des plus beaux quartiers d’une ville riche dans un pays riche, c’est-à-dire la Goldküste, à Zurich, en Suisse. Il en est mort à 32 ans des suites d’un lymphome qui, selon lui, était l’aboutissement de toutes ses névroses, de toutes ses frustrations, de toutes ses émotions retenues, de ses larmes ravalées. Son livre est devenu un best-seller – il n’a pas vécu assez longtemps pour jouir de ce succès post mortem – et il n’a malheureusement rien perdu de son actualité.

Ses parents étaient des gens très bien, très respectables, irréprochables. Mais la seule façon de ne jamais perdre cette illusion de perfection était de ne jamais se compromettre, de ne jamais rien faire qui soit ridicule, déplacé, vulgaire ou excessif. Ils n’écoutaient que de la bonne musique et ne lisaient que de bons livres, c’est-à-dire des œuvres d’artistes morts. La variété, le jazz et la littérature moderne, donc facile, ne franchissaient pas le seuil de leur univers clos et protégé. Un peu comme Ariane et Solal dans Belle du Seigneur 1), qui cherchent à tout prix à préserver la merveilleuse perfection des premiers jours d’une relation amoureuse.

Chez eux, tout n’était qu’harmonie. Tout le monde était toujours d’accord avec tout le monde, pas le moindre conflit ou désaccord ne venait jamais troubler leur sérénité. Cela n’était possible qu’en restant tiède ou indifférent. Vis-à-vis de tiers, ils attendaient toujours de savoir d’abord ce que pensait leur interlocuteur, afin de ne surtout pas le froisser en étant d’un autre avis. Paradoxalement, une recherche aussi utopique de la perfection vous mène forcément droit dans le mur.



Dans les années -70, la sexualité était encore fortement taboue. A l’école, l’éducation sexuelle consistait en une présentation strictement anatomique de la mécanique de la chose. On leur a en outre appris qu’en Amérique, un certain pourcentage de jeunes garçons se masturberaient, ce qui était bien sûr une grave déviance. Mais pas de quoi s’inquiéter : ça se passe loin, là-bas, de l’autre côté de l’Océan. Le jeune Fritz a grandi dans un milieu si pudibond, qu’il avait même de la peine à prononcer des mots tels que "corps ou jambe", des mots comme "poitrine ou sexe" ne franchissaient jamais ses … lèvres (sûrement encore un mot interdit !). La conséquence logique en a été qu’il a été incapable d’avoir la moindre relation, le moindre contact avec les femmes.

Tout en reconnaissant qu’on n’est pas forcément plus heureux dans les goulags soviétiques, l’auteur se lance dans une diatribe contre le calme tranquille qui caractérise la Suisse. Ce qui m’a rendue attentive au fait que le mot Ruhe se traduit de dix façons différentes en français : le silence, le calme, la sérénité, le repos, la paix, la tranquillité, l’ordre, la retraite, la lenteur et même la mort (le repos éternel). On ne doit surtout pas déranger ni faire de bruit, il faut toujours être comme il faut (en français dans le texte). Et quand on meurt, il ne faut surtout pas le dire à voix haute, on dira plutôt que quelqu’un s’en est allé.

Fritz, quant à lui, veut lancer un cri urbi et orbi, convaincu qu’il est de ne pas être un cas isolé. Il veut que son expérience serve à sauver d’autres pauvres diables, victimes, comme lui, de leur éducation et de leur milieu. Il parvient à la conclusion que, contrairement aux personnages d’opéra, qui meurent d’amour, sa mort à lui est due à un manque d’amour, à une parfaite incapacité de ressentir des émotions vis-à-vis d’une femme ou de n’importe quelle personne. Il règle ses comptes avec son milieu, sa famille, le système, mais aussi avec Dieu : "un Dieu qui a inventé la Gestapo, les camps de concentration et la torture devrait exister rien que pour qu’on puisse lui casser la figure". Pour lui, Dieu incarne tout ce qui est comme il faut, le calme, l’harmonie, l’évitement de tout conflit, de toute émotion, en bref : la non-vie. C’est pourquoi il lui préfère le diable et l’enfer, où au moins, on a une chance d’exister.

Jusqu’à la fin, Zorn se battra contre le mal qui le ronge. Sa colère ne lui permet pas de capituler et son livre se clôt sur ces mots : "Je me déclare en état en guerre totale".

Kindler Verlag, Munich, 1977
Gallimard, 1979 pour l'édition française
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1) Belle du Seigneur, Albert Cohen, Gallimard 1968

samedi 16 octobre 2010

Luxe, calme et volupté


Ma profession est réputée stressante. Pourtant, une journée sans travail l’est souvent bien plus, car on en profite pour faire plein de choses, comme lire vingt-sept courriels, en écrire seize, en effacer quatorze dont dix qui sont des bulletins d’information dont on n’a que faire ; descendre la poubelle en allant faire des courses, passer quelques coups de fils, faire une lessive, consulter internet, lire des journaux et des livres en retard, sortir acheter des billets pour un spectacle… Ciel ! Déjà 16h ! Et moi qui avais pris un rendez-vous pour un massage voluptueux de la tête dans un de ces Urban Spas qui sont très à la mode depuis quelques temps.

Après une petite poussée d’adrénaline pour ne pas arriver en retard, voici que je pousse la porte de ce havre de paix et d’harmonie. Outre la demoiselle de la réception qui me sourit aimablement, un immense labrador-nounours me regarde d’un air triste et vient vers moi quand je l’appelle. Je pénètre ensuite dans ces lieux que je découvre pour la première fois. On me prie de me déshabiller entièrement et d’enfiler un peignoir et des pantoufles, alors que je viens pour une Tête Dans Les Nuages. C’est comme ça, le réglement c’est le règlement et je m’exécute, car je suis une personne obéissante. Je ne peux toutefois pas m’empêcher d’avoir le sentiment d’être entrée dans une sorte d’institution spécialisée… en réalité : oui, je viens d’entrer dans un institut de soins. On me fait patienter dans un petit espace tamisé, agrémenté de bougies parfumées et de musique méditativo-spatiale. C’est alors qu’arrive une jeune femme, tout de noir vêtue, qui me tend la main et qui me souhaite la bienvenue en m’appelant par mon nom, comme chez le dentiste. Elle m’invite à la suivre le long de corridors obscurs, feutrés, parfumés et, une fois arrivée dans la salle de soins, me demande de retirer mes bijoux. Comme pour une mammographie ou pour une radiographie des poumons, en somme. Je dois maintenant retirer mon peignoir et me couvrir d’une serviette de bain. Me voici, nue comme un ver, prête à recevoir mon massage-détente de la tête.


Toujours accompagnée d’une musique d’ascenseur ésotérique, je sens des mains chaudes et huileuses qui me massent la nuque, les épaules, le décolleté… Je connais plus d’une amie qui ne trouverait pas ça relaxant du tout de se faire masser le décolleté par une belle inconnue. Un bel inconnu, ça ne serait pas forcément mieux, d’ailleurs. On en arrive quand même à la tête : oreilles, sourcils, joues. La demi-heure écoulée, ma masseuse m’accorde quelques instants pour remettre mon peignoir et mes bijoux, pendant qu’elle m’attend à l’extérieur. Elle m’attend aussi pendant que je passe au petit coin.

Bref, tout est fait pour que la cliente baigne dans le bien-être et la sérénité, mais cette atmosphère pour personnes vulnérables et potentiellement dérangées m’irrite légèrement. Un peu comme ces magasins diététiques qui vous donnent l’impression que manger est une maladie. Le soin n’était pas désagréable, loin de là, mais un peu moins de cérémonie me conviendrait tout aussi bien. Je ressors de là avec le corps et les cheveux huileux, non sans faire une papouille en retour au labrador, que je trouve tout de même un peu déplacé dans un tel lieu ; pour des raisons d’hygiène évidentes, mais aussi parce que certaines personnes ont peur des chiens, voire y sont allergiques. Du coup, l’effet du massage détente en est réduit à néant.

On dit que de caresser un animal fait baisser la tension artérielle. En fait, plutôt qu’un soin relax-détente méditatif et planant, je préférerais une demi-heure à câliner un chien ou un chat. Au Japon, ils ont des Cat Cafés, où les gens peuvent aller jouer avec des minous tout en buvant leur thé vert. Si un tel endroit existait à Genève, je serais certainement une cliente assidue, j’aurais probablement même la carte de membre Platinum Gold Plus.


The first menu you’ll see at Calico Cat Café in Tokyo has nothing to do with food: it’s the cat selection. But you won’t be dining on any of these adorable felines – they’re just there to provide some companionship while you sip a cup of tea. The watchful staff ensure that guests treat the cats respectfully, and provide complimentary bags of dried cat food that can be used to attract your desired playmate. For many Tokyo residents, owning a cat isn’t realistic, so the city’s 30-odd cat cafés give them a chance to enjoy some “commitment-free cat stroking”.
www.spatio.ch - où vous pourrez entendre de la musique space-relax

samedi 9 octobre 2010

Je hais la cigarette


Un tableau injustement méconnu de Van Gogh, visible à Amsterdam

Un nombre croissant de lieux sont dorénavant – dieu merci ! – non fumeurs. A tel point qu’on a de la peine à imaginer comment il pouvait en être autrement à une époque pourtant pas si lointaine. On s’est tous déshabitué de ce fléau et la fumée et son odeur me sont devenus de plus en plus intolérables. A tel point que si quelqu’un marche devant moi dans la rue en fumant, je m’arrête quelques instants pour lui permettre de prendre de l’avance ; si quelqu’un empeste le monde avec son cigare sur une terrasse de bistrot, je me déplace ou je m’en vais carrément, car qui voudrait boire ou manger à côté d’une puanteur de cadavre en décomposition ? Dire qu’autrefois, on fumait dans les avions ! J’avais pris l’habitude de demander un siège qui ne soit pas au dernier rang des non-fumeurs car autrement, malgré – ou précisément à cause de – l’aération, je prenais tout dans la figure. On toraillait aussi dans les cinémas et dans les salles de cours des universités, mais c’est une époque que je n’ai heureusement pas connue. Il m’est souvent arrivé d’avoir l’impression que quelqu’un fumait dans des lieux pourtant no smoking, mais en réalité, c’était simplement quelqu’un qui revenait de sa pause cigarette à l’extérieur et qui était venu s’asseoir à côté de moi. Cette odeur est si pugnace qu’on a l’impression d’avoir l’original en face de soi, en volutes, en 3D et en couleurs. Et avec la Dolby surround. Récemment, en arrivant en cabine, mes collègues et moi avons toutes eu la même réaction : nez froncé et reniflements, ça sentait la fumée, de façon parfaitement incompréhensible, puisque tout le bâtiment est non-fumeur depuis 2005. Après coup, je me suis dit que quelqu’un avait dû découvrir ce petit coin discret pour assouvir sa passion. Mais bien sûr, des cabines d’interprète, le lieu idéal, voyons, pour aller fumer en cachette ! Un espace confiné, hermétique, sans fenêtres et surtout, auquel personne ne prête la moindre attention. En effet, il est difficile d’imaginer que six personnes doivent travailler dans un espace d’environ 2 mètres sur 6 (il s’agit là d’anciennes cabines, trop petites par rapport aux normes ISO et qui s’enfilent les unes derrière les autres 1)). Finalement, il semblerait que cette pollution atmosphérique soit simplement due à l’aération, qui nous vient tout droit de la cour, dernier refuge des clopomanes. La climatisation ne nous a toutefois encore jamais apporté un si généreux bol d’air impur. L’enquête suit son cours… Mais s’il s’avère que quelqu’un vient fumer dans notre lieu de travail, parce qu’il a la flemme de descendre dans la cour, je suis prête à lui faire subir le sort de Stuntman Mike (voir sujet précédent) ! Récemment encore, c’est dans un aéroport, lieu pourtant hautement aseptisé et climatisé,que j’ai clairement senti une odeur de fumée de cigarette. C’était le bocal à fumeurs qui, bien que soigneusement clos, laissait échapper ses miasmes malodorants chaque fois qu’un client en ouvrait la porte. L’odeur était perceptible environ 50 mètres avant d’arriver à la chose. Par ailleurs, les mégots, que les gens jettent n’importe où et notamment dans l’eau, contiennent des substances hautement toxiques qui mettent des centaines d’années à se décomposer. Mais qu’attend-on pour interdire la cigarette ? On pourrait lui appliquer ce slogan des anti-armée qui disent : Ça tue, [ça pue,] ça pollue et ça rend con, en remplaçant le dernier segment par : ça coûte cher. Et ça ne sert à rien...

1) Les dimensions d’une cabine d’interprète, selon la norme ISO 2603, doivent être de 2,50 m de large, 2,40 m de profondeur et 2,30 m de hauteur. En guise de comparaison, un box pour un cheval, selon les normes suisses, doit mesurer 3,20 x 3,20 mètres, pour un cheval mesurant 160 cm au garrot. Autrement dit, les chevaux sont mieux logés que nous, aussi pour ce qui est de la luminosité et de l’apport en air frais. Mais ceci est un autre débat…

Voir aussi:  On n'arrête pas le progrès
et: Les conspirateurs du tabac

lundi 4 octobre 2010

Frissons de cinéma


De façon générale, je préfère les comédies romantiques ou déjantées, les films ethno ou historiques, avec de beaux costumes, mais il m’arrive aussi parfois de regarder, à mon corps défendant, des "films de mecs", violents, avec des flingues, des dialogues grossiers et des poursuites en voiture.

C’est ainsi que je me suis attelée au visionnage de Deathproof de Quentin Tarantino, un réalisateur sans doute légèrement dérangé quoique talentueux. Et comme toujours, je dois reconnaître qu’un film peut être bon ou intéressant, en dépit de son côté un peu primaire, en l’occurrence une poursuite en voiture spectaculaire, qui se termine par une vengeance et une exécution des plus sommaires. Et moi qui ai signé la pétition de Roadcross 1) pour que les chauffards soient plus durement punis, j’avoue que je ressens une certaine sympathie pour ces furies vengeresses qui règlent son compte à Stuntman Mike. Ce personnage est un cascadeur un peu démodé, dont se moquent les jeunes rassemblés dans un bar et dont la voiture est deathproof, c’est-à-dire résistante à la mort. Parmi les suppléments du DVD, on peut voir un documentaire sur ces hommes et ces femmes qui bravent la mort dans des voitures équipées pour résister à tous les chocs. Certains d’entre eux sont même assez âgés. Comme quoi, on peut mourir en traversant la rue à pied et vieillir pépère en narguant professionnellement la mort.

Les cascadeurs et les interprètes ont ceci en commun qu’ils font un travail difficile et remarquable à plus d’un titre, mais ils le font dans l’ombre. Ce sont Kurt Russel & C° qu’on croit voir faire des tonneaux en voiture, alors que celui qui prend réellement des risques ne doit surtout pas se faire remarquer. Mon métier est considérablement moins dangereux, mais apparemment, on y fait aussi de très vieux os.

La dernière demi-heure de Deathproof est un véritable numéro d’acrobatie. Une femme cascadeuse, Zoë Bell, joue son propre rôle, autrement dit, elle n’est pas doublée dans ces scènes décoiffantes où on la voit sur le capot d’une voiture fonçant à plus de 100 à l’heure en se faisant cogner par celle de Stuntman Mike, qui s’amuse comme un petit fou. Mais comme le dit l’adage : rira bien qui rira le dernier.



Le film a une structure double, en deux épisodes : quatre filles, dont une black, une latino et une blondasse ; deux fois cette réplique : "Is Butterfly / Abernathy your real name ?" adressée à la latino ; des pieds qui sortent par la fenêtre arrière de la voiture ; une des filles qui doit offrir des faveurs sexuelles à un homme, parce que ses copines ont manigancé ça derrière son dos ; une poursuite en voiture dont l’issue sera fatale, mais pas pour les mêmes. Une ambiance seventies et un effet de copie pourrie (pellicule rayée et sauts dans le déroulement), mais les filles ont des téléphones mobiles et elles sortent pour fumer. Il s’agit clairement d'un hommage à la profession de cascadeur, qui reste invisible, mais sans laquelle ce film n’existerait tout simplement pas.

Au rayon des films violents, j’ai aussi vu Inglorious Basterds, Pulp Fiction, Fight Club, Nikita, Orange Mécanique, Robocop 1, Terminator 1, Rocky 1, Nightmare on Elm Street 1, Night of the Living Dead (l’original), Dawn of the Dead (le remake, la caissière m’avertissant qu’il s’agissait d’un film d’horreur !), ainsi que la parodie Shaun of the Dead… et j’en oublie certainement. Je les ai quasiment tous vus malgré moi, mais après coup, je n’ai pas regretté de m’être fait forcer la main. Le succès du genre me laisse toutefois perplexe, car je trouve qu’on y glorifie la revanche personnelle et la peine de mort. Personnellement, ma préférence va de loin à la fiction pacifiste, même si elle n’est pas forcément plus réaliste. Mais après tout, le cinéma est fait pour nous faire rêver et frissonner.

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1) http://www.roadcross.ch/

Un article intéressant: Quentin and the Women
http://glennkenny.premiere.com/blog/2007/10/quentin-and-the.html

lundi 27 septembre 2010

Do you Dirndl ?


Il se trouve que j’ai eu l’occasion récemment de me rendre à Munich et le hasard a voulu que ce voyage tombe en plein Oktoberfest, la fête de la bière qui, comme son nom l’indique, à lieu en septembre. En réalité, ce festival se termine au premier week-end d’octobre et la date en a été avancée, afin de pouvoir profiter des belles journées de septembre.


On y fête la bière, mais en réalité, c’est surtout l’occasion pour tous de s’habiller en costume folklorique. Dès l’aéroport et dans le train de banlieue me conduisant en ville, j’étais entourée d’hommes portant des Lederhosen (culottes de cuir) et de femmes arborant de généreux décolletés sur de magnifiques robes fleuries. Il ne leur manquait que la douzaine de chopes de bière dans les mains. En ville, même topo. A croire que des rayons gamma s’étaient abattus sur Munich, transformant tout le monde en parfait Bavarois, costumés de la tête aux pieds.





La première fête de la bière célébrait les noces de Louis I de Bavière et de la princesse Thérèse, le 12 octobre 1810 ; c’est ensuite devenu une tradition qui fête cette année son bicentenaire. La fête comportait au départ des courses de chevaux et un premier revival des jeux olympiques, bien avant que le baron de Coubertin n’ait cette idée. La mode des costumes traditionnels n’a été lancée qu’en 1972, à l’occasion des Jeux Olympiques de Munich. Les hôtesses étaient vêtues de Dirndlkleid 1), même que l’une d’entre elles, une certaine Sylvia Sommerlath, a ainsi tapé dans l’œil du roi de Suède, devenant par la suite la future maman de la princesse Victoria, qui s’est mariée cette année.


La fête se déroule sur la Theresienwiese, un gigantesque terrain de foire, avec carrousels, trains fantôme, barbe à papa et, bien sûr, d’immenses halles où on mange et où on boit de la bière au litre. J’ai croisé des Ecossais en kilt, ainsi que des Suisses en chemise edelweiss*). A vue d’œil, la moitié des visiteurs porte le costume folklorique bavarois. L’ambiance est très détendue, bon enfant, sans aucune connotation nationaliste du style Deutschland über alles.



Selon un article de la Süddeutsche Zeitung, la mode du Dirdnl et des Lederhosen frappe toute l’Allemagne, de Munich à Hambourg, elle dure même toute l’année ! Il n’est pas du tout ridicule de se promener habillée comme une paysanne endimanchée au mois de mars à Dortmund. J’avais déjà remarqué cela en Autriche : les gens s’habillent volontiers en tenue traditionnelle, chapeaux à plumes, vestes et manteaux de type loden, avec des boutons en corne de cerf. Vivienne Westwood aurait même dit "Si toutes les femmes portaient des Dirndl, il n’y aurait plus de laideur".


On trouve des robes de toutes les couleurs pour une cinquantaine d’euros. On peut même acheter des soutien-gorges spéciaux pour Dirndlkleid, totalement rembourrés. En effet, le monde au balcon fait partie du costume. Si j’ai l’occasion de retourner à Munich fin septembre, chiche que je me lance !


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1) le mot Dirn signifie jeune paysanne, jeune fille, en y accolant le mot « robe », on obtient Dirdnlkleid. A noter que eine Dirne est une prostituée.

*) il se trouve aujourd'hui (2015)des gens qui affirment que la chemise edelweiss est raciste. En effet, il est raciste d'arborer des tenues typiquement suisses:
http://www.letemps.ch/suisse/2015/12/15/voile-autorise-ecole-chemise-edelweiss-devient-tenue-derange
http://fr.wikipedia.org/wiki/Oktoberfest
http://sz-magazin.sueddeutsche.de/texte/anzeigen/34719

mercredi 15 septembre 2010

La Finlande nouvelle est arrivée !



Le pays de mes ancêtres a bien changé depuis mon d’adolescence et mes trois années de lycée à Helsinki, dans les années -70. C’était l’époque de la finlandisation, l’Union soviétique était encore debout, l’islam n’était qu’une religion exotique dont on ne parlait jamais et les seuls étrangers à vivre là-bas étaient les diplomates qui y avaient été parachutés à leur corps défendant. Les seules personnes à parler le finnois étaient les autochtones et une idée répandue voulait que ce soit une langue impossible à apprendre.

Depuis lors, la planète a effectué une bonne trentaine de révolutions, à tel point que mes parents ne reconnaissent plus la terre qu’ils ont quittée il y a bientôt cinquante ans de cela. La Finlande est devenue cosmopolite, multiculturelle, branchée et cool. Elle est même devenue une destination touristique très courue et pas uniquement pour le folklore lapon. Mon récent vol Helsinki-Copenhague, sur Estonian Air, était plein comme un œuf, avec beaucoup de Japonais et d’Italiens, impossibles à ignorer tant ils faisaient de bruit et de moulinets avec les mains (les Italiens, donc). On entend désormais parler toutes les langues dans les rues d’Helsinki au mois d’août et les brochures touristiques sont même disponibles en russe, ce qui était parfaitement inconcevable avant 1989. Il devient difficile de distinguer les touristes de la population locale et on constate la présence d’une génération de secundos 1) qui parle couramment l’argot finnois, ce qui ne cesse de me surprendre et de m’amuser. Autrefois, la population était si parfaitement homogène que ça me donnait la claustrophobie. D’autant plus que ma différence sautait immédiatement aux yeux des autres : je suis certes finlandaise, j’ai le nom, le faciès et je parle la langue, mais… il y avait quelque chose qui clochait. Aujourd’hui, je me sens presque plus à l’aise quand je suis là-bas.

Lors de mon récent séjour en Finlande, j’ai mangé à deux reprises dans des restaurants népalais. J’aurais pu manger de la paella au renne au marché ou même du renne à la népalaise 2). Dans un effort pour être international, un bistrot proposait même des cannellonis à la maison ; ils mettent de l’ail et du fromage de chèvre partout, alors qu’autrefois, il ne connaissaient que le sel et le poivre et que la cuisine locale ne méritait pas vraiment le détour. Un article de journal relatait la difficulté de respecter le ramadan s’il tombait pendant les mois d’été en Finlande 3).
Dans mon hôtel, j’ai bavardé avec deux Chinois de Bruxelles qui découvraient l’Europe. Ils m’ont demandé ce que je pensais d’Helsinki. Séquence schizophrène : j’ai renoncé à leur expliquer que, étant plus ou moins du pays, mes impressions étaient un peu trop compliquées à exprimer. Very nice ! m’a offert la solution de facilité.

Le monde s’internationalise et se mondialise, à un tel point que même le coin le plus reculé d’Europe est devenu un creuset, un lieu de passage et de brassage. C’est pourquoi je continue de m’étonner et de m’exaspérer quand on me demande – pas plus tard qu’hier encore – comment se fait-il que je parle si bien le français. Dans l’esprit de bien des gens, s’il est normal que des Portugais ou des Chiliens parlent couramment le français ou que des Turcs parlent l’allemand sans accent, les Finlandais, eux, doivent vivre en Finlande, ne parler que le finnois, se déplacer en traineau, manger du renne en invitant le Père Noël à partager leur repas, boire beaucoup, être affligés par les moustiques et payer beaucoup d’impôts.

Quand diable les gens apprendront-ils à think outside the box ?


Lyophyllum shimeji , champignon pour gourmets japonais, dont on a découvert qu’il poussait en Finlande et en Suède et qui se vend 800€/kg. Est-ce là ce qui attire tant les Japonais ?
http://www.sciencedaily.com/releases/2010/06/100628075820.htm

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1) terme utilisé en Suisse pour désigner la deuxième génération d’immigrés ; sans aucune connotation péjorative, car ils sont très bien intégrés et réussissent mieux à l’école que les autochtones.
2) mais quelle est donc cette Népal Connection en Finlande ? On n’a pas de restaurants népalais, ici en Suisse !
3) le ramadan tombant un peu plus tôt chaque année, il tombera bientôt au mois de juin où il ne fait pas nuit du tout. L’islam est un phénomène si récent dans ce pays que la question ne s’est encore jamais posée.