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dimanche 16 mai 2010

Rendez-vous manqués

... ou Mission Impossible

Avez-vous déjà essayé de fixer un rendez-vous avec un interprète (1) ? Y êtes-vous parvenus? C’est un véritable casse-tête. Quand deux interprètes essaient de se rencontrer pour boire un café, c’est déjà compliqué, mais à partir de trois ou plus, mieux vaut laisser tomber.

Les interprètes ont des horaires et des jours de travail irréguliers et imprévisibles. Ils savent qu’ils travaillent le 15 mars, mais s’ils savent à quelle heure ils commencent – et ce n’est pas toujours le cas – ils ne savent généralement pas à quelle heure ils terminent. L’heure de la pause-déjeuner dépend des délégués. Il est par conséquent impossible de rencontrer un ami à midi un jour où on travaille. Si l’ami est flexible et qu’il se trouve à proximité du lieu de la conférence, ça peut à la rigueur se faire.

Prendre rendez-vous chez le dentiste ou se faire livrer un nouveau frigo : mieux vaut attendre l’été ou la période des fêtes de fin d’année, périodes creuses où les contrats se font rares. Si nous disons à l’électricien qui doit venir chez nous que nous sommes absents la semaine prochaine, il nous répondra « Alors, bonnes vacances ! ». Ça ne rate jamais. Chez le commun des terriens, les voyages, ce sont forcément des vacances.

Si un interprète décline une rencontre avec vous parce qu’il travaille, mais que vous le croisez malgré tout dans la rue, ne vous offusquez surtout pas ! Sa réunion s’est tout simplement terminée plus tôt. Il aurait pu prendre ce rendez-vous chez le gynécologue, si seulement il avait su, cinq semaines plus tôt, qu’il serait libre à 11h ce jour-là. Peut-être même qu’il avait pris rendez-vous précisément ce jour-là et qu’il a dû annuler parce qu’on lui a offert un contrat qui tombait justement à cette date.

Mais ce qu’il y a de pire, ce sont les séances du soir, la relève. On vous dit de rappeler le répondeur (2), qui vous confirmera si vous travaillez à 18h ou à 20h. Dans ce cas-là, vous annulez la soirée au restaurant avec les copines, vous dites à vos enfants de réchauffer le repas au micro-ondes, vous programmez l’enregistrement de votre émission préférée. Je ne sais pas vraiment quel est le pire des scénarios : la réunion qui se termine à 18h45 et vous avez tout annulé pour rien ; l’ami à qui vous avez posé un lapin vous croise ensuite dans la rue et pense que vous n’êtes vraiment pas sympa. Ou alors, la séance qui s’éternise jusqu’à 21h et vous tenez le coup grâce au dernier sandwich que vous avez réussi à attraper au bar, juste avant qu’il ne ferme, ou grâce au Bounty acheté à l’automate. Encore mieux : grâce au sandwich longue conservation acheté à l’automate (encore faut-il avoir de la monnaie). Troisième option : la relève de 21h à 24h, le cauchemar… impossible de s’endormir avant 2h du matin, à cause du cerveau qui continue de carburer. Il est vrai qu’en échange, on aura eu l’après-midi de libre (Vite ! chez le coiffeur !)

Entre interprètes, on s’entend à demi-mot. On comprend parfaitement que le collègue et néanmoins ami ne peut rien promettre avant d’avoir écouté le répondeur. On évite d’acheter des billets pour un spectacle en semaine, à cause du maudit risque de séance du soir. Car c’est en général précisément le soir pour lequel on a un billet pour les Rolling Stones qu’on vous colle une relève à 19h. Qui se terminera à 19h05 et vous aurez déjà refilé votre billet à quelqu’un d’autre. I can’t get no… satisfaction !



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(1) Il va de soi que le masculin représente les interprètes des deux sexes
(2) Dans les organisations internationales, nous appelons un répondeur qui nous donne notre programme, une demi-journée à la fois. Cela fera l’objet d’un prochain article.

Texte à paraître dans Hieronymus (juin 2010), http://www.astti.ch/

samedi 15 mai 2010

Le phénomène Millénium

Le succès phénoménal de la trilogie Millénium de Stieg Larsson, me laisse perplexe. A la demande pressante de ma mère, qui a avalé les trois tomes et qui les a même relus plusieurs fois, j’ai fini par me lancer dans le premier tome, Les hommes qui n’aimaient pas les femmes. Et comme c’est un phénomène de société, un peu comme facebook, j’ai essayé, juste pour savoir de quoi qu’ils causent, tous, là… Ma foi, les deux autres tomes attendront.

J’ai tendance à me méfier des best-sellers, pas par préjugé mais par expérience : je n’aime pas Marc Lévy, je n’aime pas Douglas Kennedy, pas même en VO…

Au bout de 50, 100, 150 pages, je commençais à me demander ce qui clochait chez moi, parce que je ne ressentais pas l’effet "pot de nutella", rien à faire. Et puis, j’ai commencé à me rendre compte que c’était terriblement mal écrit. Ou plutôt, terriblement mal traduit. Une bonne traduction sait se faire oublier; la mauvaise ne cesse d’attirer l’attention sur elle. Et ça, c’était avant de découvrir l’article assassin du NouvelObs *), qui m’a rassurée, car je n’étais pas la seule à trouver le texte franchement mauvais. Pour tout dire, vers le milieu, je suis passée à une traduction allemande et c’est le jour et la nuit ! L’allemand est certainement plus proche du suédois, mais ce n’est pas une excuse.

Quelques perles:
"Il fait un peu fonction de l'obligatoire original du village" (à propos d'un peintre) p. 141
"Sa dernière pensée avant de s'endormir fut que le danger était grand et imminent que l'isolement le rende fou" p. 149
"le demeuré local" (l'idiot du village, sans doute...) p. 151
"elle la salua d'un mouvement poli de la nuque" p. 112
"Le signal ne pourrait aussi être que clairement perçu: on amenait le pavillon de la peste flottant au-dessus de la rédaction de Millénium et le journal avait des protecteurs qui n'étaient pas près de céder" p.217
"Les entreprises Vanger... formaient toujours un groupement industriel de poids et capable de jouer sur la place publique si nécessaire" p. 217
"Une conclusion s'imposait progressivement: la seule voie carrossable qu'il pouvait emprunter était d'essayer de trouver les motivations psychologiques des personnes impliquées" p. 225
"Je ne veux pas me réveiller demain matin avec toi ici, avant que j'aie mis de l'ordre dans mes muscles et mon visage" p. 237
"La réceptionniste de l'hôtel perdu des lointains nordiques... n'en n'avait jamais entendu parler" p.356

Les bras m'en tombent et je reste sans voix...
Et puis évidemment, "définitivement" et "éventuellement" utilisés dans le sens anglais, à tout bout de champ.
"... elle s'était éventuellement ... intéressée de loin à un garçon..."
Peut-on tomber éventuellement amoureux ?

Cette traduction d’anthologie a été commise par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain, directeur de la série actes noirs chez Actes Sud, donc pas le premier venu. Cette maison d’édition a toutefois fait ses choux gras avec Millenium, en dépit de sa VF calamiteuse.

En fait, la vie de Stieg Larsson donnerait matière à un roman : sa copine/concubine n’a hérité de rien, étant donné qu’ils n’étaient pas mariés et n’avaient pas d’enfant. Le père et le frère de Larsson, avec qui il n’était pas particulièrement proche, ont tout raflé (un peu comme Henrik Vanger qui ne tient pas à ce que sa fortune aille forcément aux membres de sa famille….).

« Lundi soir, à sa demande, Eva, la veuve de Stieg Larsson, le journaliste d'investigation spécialisé dans l'extrême droite suédoise, et auteur du best-seller Millénium n'était pas invitée à l'avant-première mondiale du film. «Tout cela ne me concerne plus, je veux qu'on me laisse tranquille», suppliait-elle, visiblement émue. Depuis le décès brutal de son compagnon en 2004, des suites d'une crise cardiaque, cette Suédoise connaît un double deuil : la perte de son grand amour avec lequel elle a vécu trente-deux ans. Et la douleur de découvrir que, jamais mariée, sans enfant et faute de testament, elle n'a aucun droit sur l'œuvre qu'elle a vu écrire. La fortune générée par les livres et par le film va au père et au frère de Stieg. » Le Figaro, Culture, 18.2.2009_______________________________
*) L'article du NouvelObs :http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20080417.BIB1139/les-bourdes-de-millenium.html

Voir aussi: http://tiina-gva.blogspot.com/2010/06/le-suedois-est-il-intraduisible.html
et http://tiina-gva.blogspot.com/2012/05/le-suedois-est-intraduisible.html

Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, Millénium 1, de Stieg Larsson, Actes Sud


La longue marche

...pour devenir traductrice-jurée

Il arrive régulièrement qu’on m’appelle pour me demander de faire des traductions « officielles », c’est-à-dire de traduire des actes de naissance ou des certificats de décès, de finnois en français, avec le sceau prouvant que la traduction est fidèle et qu’elle a la même valeur juridique que l’original. Jusqu’à présent, ça m’a toujours cassé les pieds mais j’ai finalement décidé de franchir le pas. Finalement, pourquoi pas ? On ne sait jamais, ça peut déboucher sur des expériences intéressantes.

La fonction de traducteur-juré n'existe que dans les cantons de Genève et de Neuchâtel. Il doit y avoir des raisons historiques à cela, certainement liées à la France, car les TJ existent bel et bien dans le pays voisin.

La porte est étroite et le chemin ardu pour parvenir à cet immense privilège. Il faut montrer patte blanche et surtout, faire preuve d’une détermination sans faille. En sus du curriculum vitae, lettre de motivation, photocopie d’une pièce d’identité et des diplômes de traducteur ou de tout autre titre universitaire, il faut fournir :

- une attestation de non-poursuites (17,-)
- un extrait du casier judiciaire fédéral (20,-)
- un certificat de bonnes vies et mœurs, document cantonal (50,-). Pour l’obtenir, il faut présenter l’extrait de casier judiciaire. Il vous en coûte donc 70,- pour prouver que vous n’avez commis aucun délit
- une attestation de domicile (25,-), car il faut obligatoirement résider dans le canton de Genève. Pourquoi … ? Mystère et boule de gomme.

Ayant rassemblé tout un dossier, je me suis mise à attendre…. Mais voilà, mon dossier était incomplet. La Chancellerie d’Etat veut une lettre de motivation en finnois, qu’ils devront faire traduire par quelqu’un d’autre, même si je ne veux traduire que vers le français. Il fallait aussi que je présente des traductions, 3 par an pour les 5 années écoulées, pour prouver ma pratique du métier de traductrice, mes diplômes et lettres de recommandation ne suffisant visiblement pas. Le fait que je sois interprète depuis bientôt 20 ans compte pour beurre. Visiblement, le style compte pour beaucoup dans la traduction de jugements de divorce.

Fort heureusement, j’avais de quoi leur fournir 15 textes, que j’ai dû sérieusement caviarder, vu la nature hautement confidentielle de ces documents (une affaire pénale encore en cours). Cela dit, je me demande si les traducteurs-jurés du serbo-croate ou du farsi ont des diplômes de traducteur et 3 textes de nature juridique par an à présenter.

Je ne suis toutefois pas encore au bout de mes peines. Mon dossier sera instruit, enquête de police & C°, puis je devrai passer un examen et payer un émolument de 300,-, renouvelable tous les cinq ans. Après quoi, je devrai prêter serment et j’obtiendrai le sceau magique faisant de moi une traductrice assermentée.

Il ne me restera plus qu’à attendre les mandats, pour amortir tout cet investissement… !

www.ge.ch/traducteurs



PS: je viens de recevoir (15.7.2010) une lettre m'annonçant que mon dossier est complet et qu'il sera soumis au Département de la sécurité, police et environnement pour l'enquête de police; de là, il sera transmis à la Commission d'examen des traducteurs-jurés.

PPS: A compter d'aujourd'hui, 10 mars 2011, c'est-à-dire un an après avoir entamé les démarches, me voilà traductrice-jurée. J'ai prêté serment et, en échange, j'ai reçu un tampon portant mon nom me permettant d'officialiser mes traductions.

vendredi 14 mai 2010

Trivial Pursuit

Un interprète doit tout savoir. Ou du moins, il doit savoir un peu de tout. Ou alors, faire semblant. La Slovaquie fait-elle partie de la zone euro ? La Norvège de l’espace Schengen ? Le Swaziland est-il un royaume ? Quelle est la capitale du Guatemala ? Comment s’appelle le premier ministre du Japon ? Allez, je vais vous donner la réponse : Yukio Hatoyama. On ne sait jamais, ça peut servir un jour. En effet, nos orateurs peuvent parler de tout et de n’importe quoi. A l’OMC, ils vont parler de commerce et de droits de douane, pensez-vous naïvement. Dans une réunion d’une confédération syndicale internationale, ils vont forcément parler de conditions de travail et de grèves de solidarité. Certes, mais il y a justement la campagne de soutien aux travailleurs des plantations de canne à sucre au Guatemala ou le dernier sommet de l’ANASE, qui s’est tenu, comme chacun le sait, à Hua Hin, en Thaïlande. Et ces noms propres, lorsqu’ils sont prononcés, par exemple, par un hispanophone, on ne les reconnaît pas forcément.

C’est pourquoi les interprètes s’accrochent avec l’énergie du désespoir à tous les documents dont ils peuvent s’emparer. Mais qui diable est Lansana Conté ? Ah ! feu le président de la Guinée. Quand les interventions vont très vite, il est parfois difficile de distinguer les morts des vivants ou les persécuteurs des persécutés. Penser à dire CEDEAO (1) et ne pas retraduire par ECOWAS, même si ce sigle est prononcé en français par un italien s’exprimant en anglais. Dans ces cas-là, il est beaucoup plus facile de lire bêtement ce qu’on a sous les yeux, ce qui permet de débrancher le cerveau pour ce petit élément-là et garder ses précieuses provisions intellectuelles pour le reste : un discours prononcé à bride abattue et à Toute Grande Vitesse (TGV pour les intimes), comme si la vie de l’orateur en dépendait.

Ainsi, prenant la relève de l’équipe précédente, je suis tombée sur ces gribouillages, laissés par le collègue qui m’a précédée : « protocole de pêche, suspension, Conakry, exécution, Mahmoud Ahmadinejad, art 10, bourreaux, pendaison, combustible nucléaire, peine de mort, Lansana Conté, CPI, ayatollah, mollah, Cotonou, 250.000 (morts ? dollars ? années-lumière ?), réconciliation, militaire » En effet, l’ordre du jour comportait un point « droits de l’homme : Guinée, Iran, Sri Lanka ». Le point de la situation de ce dernier pays a été interprété par mon équipe et nous avons eu droit au LTTE, à 90.000 morts (voir ce chiffre écrit évite de dire des bêtises dans le feu de l’action), à l’article 122 paragraphe 5, ainsi qu’aux résolutions du 18 mai 2000, du 14 mars 2002, du 20 novembre 2003 et du 18 mai, ainsi qu’au journaliste sri-lankais J.S. Tissaininayagam.

En l’absence de tout document, on fait comme on peut… On répète phonétiquement ou on dit pudiquement « le journaliste », les délégués sauront bien de qui on parle, sinon, ma foi, qu’ils se renseignent ! Nous ne pouvons bien évidemment pas tout savoir, mais honte à celui qui ne connaîtrait pas Aung San Suu Kyi (heureusement qu’on ne nous demande pas de l’écrire) ou Barack Obama, ce qui est tout de même peu probable. Mais si la bouche n’arrive pas à suivre les ordres du cerveau, il peut arriver qu’on dise Oklahoma au lieu de Yokohama. Et là, il vaut mieux que les délégués aient les documents de la conférence, afin qu’ils réservent un vol pour le bon continent.

(texte rédigé en octobre 2009, les noms et les lieux varieront forcément avec le temps qui passe)
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(1) Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest ; Economic Community Of West African States

Texte paru dans la revue Hieronymus (mars 2010), www.astti.ch

My Tailor Is Rich

L’apprentissage des langues est un processus mystérieux, un peu comme l’oreille musicale ou la bosse des maths. Certaines personnes absorbent les langues avec beaucoup de facilité alors que d’autres demeurent totalement imperméables. L’arabe, le chinois, le japonais ont la réputation d’être impossibles à assimiler pour quiconque ne serait pas né dans ces cultures, étant donné non seulement la graphie et l’alphabet totalement différents, mais également toute la culture entourant la transmission du message. Comme par exemple ce marin qui avait appris le japonais avec les filles des ports : non seulement il le parlait de façon très populaire, mais également comme une femme ! Son japonais était certes parfait, mais déconcertant pour ses interlocuteurs (1) . En effet, la langue japonaise se décline en deux versions, celle parlée par les femmes et celle parlée par les hommes.

Ce qui est certain, c’est que les enfants apprennent les langues avec beaucoup de facilité. Leur mémoire retient les mots, la grammaire, la syntaxe et la prononciation sans même s’en rendre compte. Cette faculté diminue avec l’âge. « Le don des langues paraît ne leur être ôté que par la formation du corps » constate un des personnages du roman Rouge Brésil de Jean-Christophe Rufin (2) . La République de Venise utilisait des enfants comme truchements, c’est-à-dire comme interprètes, dans ses relations commerciales avec l’Orient. « Chacun sait que l’enfant a le don des langues. Mettez un adulte captif en terre étrangère, il lui faudra dix ans pour avoir l’usage de quelques mots familiers. Un enfant, en autant de semaines, saura parler couramment et sans y mettre d’accent (3) . »

Parmi les interprètes de l’ancienne génération, celle des autodidactes, les écoles d’interprètes n’existant pas encore ou si peu, on trouve beaucoup d’enfants de diplomates, de juifs ayant émigré vers des horizons aussi divers que lointains ou encore des enfants de Républicains espagnols s’étant réfugiés en URSS. Les secundos, quel que soit leur pays d’origine ou de résidence, rejoignent aussi souvent notre belle profession. C’est la raison pour laquelle le nom ou l’origine de certains interprètes ne correspond pas forcément à leur cabine, votre serviteur en étant un bon exemple. Le cas le plus extrême que je connaisse est celui d’une jeune Ecossaise qui avait appris le finnois en Ethiopie : ses parents avaient été envoyés dans ce pays pour leur travail et la seule école, dans le coin perdu où ils se trouvaient, était celle tenue par des missionnaires finlandais. C’est aussi en Ethiopie qu’elle a découvert la tradition du sauna. Elle a toutefois fini par choisir un autre métier, contrairement à une autre collègue au parcours tout aussi exotique, une Chinoise ayant grandi au Brésil, tout en fréquentant l’école française, aujourd’hui double cabine française et portugaise.

Parmi nos plus jeunes collègues, nombreux sont ceux qui ont acquis leurs langues passives (4) à la sueur de leur front, en suivant des cours de langue et en effectuant des séjours à l’étranger. Les interprètes travaillant pour l’Union européenne étoffent leur combinaison linguistique comme d’autres collectionnent les timbres. Il n’est pas rare qu’un interprète ait cinq ou six langues passives. Ils sont nombreux également à s’atteler à l’apprentissage du polonais ou du hongrois, un peu moins nombreux toutefois à opter pour le letton ou le bulgare. Question de goût, sans doute… Le roumain a la réputation d’être facile à assimiler pour les francophones. Deux collègues ayant l’arabe dans leur combinaison linguistique ont ajouté le maltais, apparemment sans trop de difficulté.

Apprendre une langue rare est toutefois un atout à double tranchant : vous serez très demandé, avec votre compétence particulière, mais dès que la Commission européenne décidera de rationaliser le régime linguistique – épée de Damoclès éternellement suspendue au-dessus de nos têtes – vous serez Gros-Jean comme devant, avec vos verbes irréguliers estoniens dont plus personne ne voudra. Vous pourrez toujours essayer de vous reconvertir dans la pêche au hareng !

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(1) George Mikes, Land of the Rising Yen, André Deutsch, 1970
(2) Jean-Christophe Rufin, Rouge Brésil, Gallimard, 2001
(3) Ibidem
(4) On appelle “ langues passives ” les langues à partir desquelles on interprète, la langue active étant celle qui est parlée dans le micro.

Texte paru dans la revue Hieronymus (décembre 2009), www.assti.ch

Leadership Through Empowerment

Allow me briefly to present our strategic plan for multi-party governance. This effort will be carried out by the grassroots in order to guarantee a sense of ownership amongst the main stakeholders. Advocacy efforts will not be left aside as we wish to be inclusive with an element of gender mainstreaming in order to reach an enhanced member-driven outcome. A workshop is planned for an exchange of best practices, followed by the presentation of a series of case studies on certification and labelling practices for an environmentally sustainable three-year two-tiered outreach dimension. Horizontal national policy coherence programmes will be high on the agenda of the 23d session on National, Regional, Bilateral and Multilateral Negociations. Emerging policy issues will be tackled by representatives of UNCTAD, UNEP, WIPO and the UNFCCC (1). With this new bottom-up paradigm we will reach a level playing field, as foreseen in the Johannesburg Declaration of 2003, signed by 117 States parties. The forthcoming conference will be attended by 47 intergovernmental organisations and 82 non-governmental organisations, as well as representatives of the HIPCs, SVEs, LDCs and NFIDCs (2).

Vous n’avez rien compris? Ne vous en faites pas, c’est normal. Voilà le genre de langue de bois auquel sont confrontés, jour après jour, les interprètes qui travaillent dans les organisations internationales. Peut-être suis-je la seule à me sentir découragée face à ce qui ressemble fortement à du brassage d’air. Et, comme il est souvent difficile d’extraire le sens de ce type d’intervention, qui équivaut à un message en langage codé, la seule stratégie à suivre est celle des correspondances sémantiques : advocacy = plaidoyer ; ownership = appropriation ; sanitation = assainissement (3) , etc… Les délégués s’y retrouvent, du moins on l’espère. Ils utilisent d’ailleurs très souvent les mots de cette novlangue de conférences en V.O., étant incapables, contrairement à nous, de trouver les équivalences.

Vous vous demandez sans doute comment nous faisons pour les trouver, ces équivalences ? Eh bien, grâce aux traducteurs. Nous réclamons toujours les documents de la conférence dans nos langues de travail, pour apprendre comment faire passer le message avec les mots justes. Certains termes ou expressions resteront des casse-tête à tout jamais. Par exemple victimisation, qu’il faut traduire par toute une phrase, à moins d’opter pour le néologisme “victimisation”, dont personne ne s’offusquera sans doute, du moins parmi les délégués (quant aux interprètes, c’est une autre histoire…). Le programme de réforme de l’ONU, ONE U.N. passe bien en espagnol : UNA ONU ; toutefois, l’équivalent français reste à trouver, UNE ONU [unonu] étant un peu ridicule à l’oreille.

Ces nouveaux mots fleurissent comme les mots d’argot, nul ne sait trop d’où ils sortent ni qui les invente. Ce qui fait qu’il y a toujours une certaine période de flou entre la première apparition du néologisme et le jour béni où, enfin, on comprend ce qu’il veut dire. Reste ensuite à trouver une bonne transposition dans nos langues respectives. Prenez par exemple to engage : de nos jours, we engage with the World Bank. Autrefois, on disait to approach, to talk to ou parfois même to caucus ou to liaise… Mais c’est devenu terriblement démodé. On entend parfois des francophones dire qu’ils ont approché le directeur, bientôt ils vont dire : “on engage et on s’fait une bouffe” ? Je vous aurai avertis…

L’essentiel, quoi qu’il advienne, c’est de toujours think outside the box !

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(1) United Nations Conference on Trade and Development, United Nations Environment Program, World Intellectual Property Organisation, United Nations Framework Convention on Climate Change
(2) Highly Indebted Poor Countries, Small and Vulnerable Economies, Least Developed Countries, Net Food Importing Developing Countries
(3) Discret euphémisme signifiant des WC : grave problème dans les pays en développement, qui empêche les fillettes d’aller à l’école, surtout pendant leurs menstruations. Englobe également l’eau courante et les égoûts.

Texte paru dans la revue Hieronymus (septembre 2009), www.astti.ch


Techno-freaks

Qui parmi vous utilise encore le fax ? Qui se souvient encore du temps où on avait ce petit appareil qui faisait une petite musique permettant de consulter son répondeur à distance ? C’était aussi l’époque où on glissait des pièces de monnaies dans des cabines téléphoniques. Les enfants vont bientôt nous demander ce qu’est une cabine téléphonique. D’ailleurs, y a-t-il encore des gens qui écoutent leur répondeur ? Qui se souvient des téléphones à cadran rotatif, sur lesquels on mettait une éternité à composer des numéros internationaux, à cause du zéro qui faisait tout le tour ? Et pas de bouton redial, si ça sonnait occupé !

La technique évolue si rapidement que pas un jour ne passe sans qu’on ne nous annonce une nouvelle fonctionnalité sur iPhone ou des cartes GPS à télécharger par SMS. A quand le MP3 qui vous massera les pieds ? A quand le notebook qui remplira vos grilles de sudoku pendant que vous dormez ?

Les interprètes n’échappent bien sûr pas à cette vague galopante de modernité, qui met à jour un intéressant fossé des générations. A l’apparition d’internet et du courrier électronique, nombre de collègues ont pris peur et se sont sentis écartés par ces nouvelles technologies étranges et quelque peu effrayantes. Certains s’y sont mis très vite et les réticents ont été bien obligés de prendre le train en marche, s’ils ne voulaient pas rester sur le bord du chemin.

Tous les interprètes de moins de 35 ans ont un ordinateur portable en permanence sur eux et la première chose qu’ils font en arrivant au travail est de l’allumer. Plus l’interprète est âgé et moindre est la probabilité qu’il ait un ordinateur en cabine. J’ai vu une (jeune) collègue parler tendrement à son ordinateur dans un corridor : elle était en train de téléphoner avec skype. D’autres communiquaient d’une cabine à l’autre par le biais d’un chat (non, pas celui qui fait miaou !) : un mode de conversation silencieux, la solution idéale pour les cabines d’interprètes.

Les ordinateurs servent donc à téléphoner, à converser à travers les vitres ou encore à accepter des offres de travail reçues par e-mail ; ils permettent bien sûr aussi de découvrir quelle est la devise du Yémen ou la capitale de la Lituanie, de consulter ses glossaires, de vérifier ce qu’est la coumarine et si Couchepin est encore / à nouveau président de la Confédération. De nombreuses chaînes de radio sont accessibles sur internet, un outil formidable pour l’apprentissage des langues, surtout pour se former l’oreille aux différents accents et prononciations.

Malheureusement, les délégués ont eux aussi des ordinateurs. De plus en plus souvent, au lieu de parler de façon naturelle, ils lisent un texte directement sur leur écran, ce qui signifie qu’il nous est impossible d’en recevoir une copie sur papier. Certains délégués viennent vers les cabines en montrant fièrement une clé usb contenant leur exposé, afin que les interprètes le transfèrent sur l’ordinateur qu’ils ont intérêt à avoir. Certains groupes de délégués travaillent ensemble sur le même texte par le biais d’un groupe Google, certainement très pratique pour eux, mais dont les interprètes sont exclus. Ils savent tous que could a été remplacé par should, mais comment faire pour le savoir ? Récemment, il est même arrivé qu’une déléguée lise aux participants un projet de communiqué de presse qu’elle venait de recevoir sur son téléphone à grand écran, pour obtenir leur accord. Je l’ai vue ensuite pianoter la réponse avec un stylet.

Cela dit, l’interprétation automatique n’est pas encore pour demain !

Texte paru dans la revue Hieronymus (juin 2009), www.astti.ch