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lundi 11 février 2013

Le centenaire qui sauta par la fenêtre et disparut



Si vous vous intéressez à la littérature suédoise et que vous êtes capables de lire ces romans en une autre langue que le français, de grâce faites-le. Ceci est le quatrième texte que j’écris sur la qualité déplorable des traductions françaises faites à partir du suédois. Il y a tout d’abord eu Millenium, que j’ai dû terminer en allemand. Puis j’ai découvert Sjöwall et Wahlöö, tels que traduits par Philippe Bouquet1), qui a longtemps été le pape du suédois en France, probablement parce qu’il était le seul. Les Français étant si nuls en langues, personne n’a eu l’idée de comparer ses traductions aux autres versions linguistiques. En outre, étant si pleins d’eux-mêmes, ils trouvent sans doute normal que les étrangers écrivent comme des pieds. En effet, c’est l’impression qu’on a quand on lit ces pauvres textes. La dernière victime de ce massacre s’appelle Jonas Jonasson, auteur d’un best seller traduit en trente langues ou plus et dont on est en train de faire un film. Son livre s’appelle Hundraåringen som klev ut genom fönstret och försvann . Si vous voulez savoir ce que cela veut dire, l’anglais vous dira: The Hundred-Year-Old Man Who Climbed Out the Window and Disappeared, l’allemand: Der Hundertjährige, der aus dem Fenster stieg und verschwand, l’italien: Il centenario che saltò dalla finestra e scomparve, l’espagnol: El abuelo que saltó por la ventana y se largó. Google vous donnera: Cent ans qui a grimpé par la fenêtre et a disparu. Et en français, me demanderez-vous? Ça devient: Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, traduit par Caroline Berg

On sait bien que les titres de romans ou de films ne doivent pas forcément être traduits à la lettre. On constatera toutefois que les traducteurs des autres langues ont cru déceler une certaine intention stylistique chez l’auteur, qui a délibérément choisi un titre long et compliqué. En français, il reste long et compliqué, alors pourquoi diable l’avoir transformé à ce point? Serait-il impossible d’intituler ce roman: Le centenaire qui sauta par la fenêtre et disparut? Tant qu’à changer, pourquoi pas Un senior en cavale ou La vieille évasion? De plus, «le vieux» est vraiment moche et même pas drôle. Malheureusement, la traductrice a décidé, tout au long du roman, de remplacer le style croustillant de l’original par le sien, fade et plat.

Une erreur de sens apparaît dès la deuxième page et ce n’est certainement pas faute de connaître le vocabulaire. Là où le suédois dit: Allan [...] slog sig ner på en bänk intill några gravstenar, la traduction vous dira que «Allan s’assit sur une tombe...». Pas besoin de savoir le suédois pour constater que le banc à disparu. On peut certes se demander s’il est plausible qu’un centenaire qui a mal aux genoux s’assoie sur une tombe plutôt que sur un banc. Du coup, quand, en suédois, il voit qu’un certain Henning Algotsson est enterré sur la tombe mitt emot (en face) du banc sur lequel il est assis, en français, le même Henning Algotsson est «couché sous la pierre sur laquelle Allan s’était assis». Forcément, puisque le banc a disparu. Ce n’est pas essentiel à la narration, mais c’est une trahison parfaitement gratuite. Une telle métraduction (car on ne peut pas parler de contresens) dès la deuxième page sape immédiatement la confiance qu’on aurait souhaité avoir envers ce tradittore de traduttore



Il y en a plein d’autres comme ça. La journée de huit heures de travail (åtta -huit - timmars - heures - arbetsdag - jour de travail) devient la semaine de quarante-huit heures. Les Suédois qui se rendent à Stockholm pour exprimer leur désir de défendre la patrie (att betyga [kungen] sin försvarsvilja - en allemand: dem König seine Bereitschaft zur Landesverteidigung zu demonstrieren) devient «pour honorer son roi et demander sa protection». Le socialisme suédois avait prétendument besoin d’un ambassadeur à l’étranger, parce que le changement tardait à venir. L’auteur avait pourtant écrit: Den svenska socialismen behövde en internationell förebild. Les germanisants reconnaîtront sans peine le mot Vorbild. Avoir besoin d’un ambassadeur ou d’un exemple, ce n’est pas du tout la même chose... Le tsar Nicolas est contrarié par les révoltes paysannes contre les bolchéviques. Euh... il devrait plutôt être content, non, s’il y a des gens qui se soulèvent contre les bolchéviques? L’original dit simplement bolsjevikuppror, aucun paysan à l’horizon. La traductrice aurait-elle simplement lu trop vite? Ou alors, elle s’en fout. Le père du protagoniste leur envoie un oeuf, simplement un oeuf, qu’il a gagné au jeu contre son pote Fabe. La version suédoise, tout comme l’allemande, jugent utile toutefois de préciser que c’est un oeuf de Pâques en émail. Le lecteur un tant soit peu cultivé comprend alors immédiatement qu’il s’agit d'un oeuf de Fabergé. Tant pis pour les francophones, qui croient qu’on leur parle bêtement d’un oeuf de poule, à la rigueur décoratif.



Et si ce n’était que cela, ce ne serait pas trop grave. Ce qui est vraiment dommage, en revanche, c’est que tout l’humour et l’ironie de l’auteur disparaîssent complètement dans cette pâle copie. Allan va pisser un coup, mais décide d’abréger les opérations, car il entend du bruit. En français: «Quand Allan se fut soulagé, ...» Les deux croutons ont bu des coups de gnôle pour leurs genoux, pour leurs oreilles, pour faire descendre le steak d’élan et Julius avait encore annoncé un p’tit verre en guise de dessert. Ils ont ensuite été interrompus par une visite indésirable. Après quoi, Allan dit: «Et alors, ce dessert?» qui a été platement traduit par: Et ce schnaps que tu m’as promis, ça tient toujours?


Le premier vieillard (Allan) a volé une valise et en a assommé le propriétaire. Le deuxième  (Julius Jonsson) examine l’homme qui git sur le sol et dit: - Jahapp! [...] Jag gissar att det där är resväskans ägare? Frågan var mer ett konstaterade. Une question faussement ingénue: «Ben dis donc! Ça doit être le type qui a perdu sa valise?» devient «- Ce jeune homme est donc le propriétaire de la valise. Allan se devait de fournir des explications.» Forcément, la phrase «ce n’était pas tant une question qu’une constatation» disparaît en français, puisqu’il n’y a plus aucune ironie ni fausse ingénuité. Il n’y a plus de question non plus, puisque l’un des deux croulants constate platement «ce jeune homme est donc le propriétaire de la valise».

Cette scène se déroule dans la gare de Byringe, un lieu qui existe réellement et qui est devenu un lieu de pélerinage depuis l’immense succès de ce roman. Il en va de même avec la petite bourgade d’Ystad, près de Malmö, où les gens veulent voir la maison du commissaire Wallander - qui n’existe évidemment pas, à moins qu’ils n’en n’aient créé une  de toutes pièces pour satisfaire à la demande. 


La gare de Byringe

Cette traduction n’est pas non plus exempte de perles stylistiques, telles que: « Il ferait beau voir un cadenas capable d’arrêter Julius Jonsson!» Celui qui parle comme Beaumarchais est un vieil asocial qui vit de petites rapines et de braconnages et qui ne crache pas dans les petits verres de fine, que la traductrice appelle schnaps. Les Alsaciens comprendront. L’original est: Sedan när har ett lås hindrat Julius Jonsson? sa Julius Jonsson. L’auteur joue volontiers avec ce genre de répétitions, qui passent systématiquement à la trappe. La traductrice a sans doute estimé que ce sont là des fautes de style. Littéralement, la phrase signifie «depuis quand un cadenas a-t-il entravé Julius Jonsson? dit Julius Jonsson». Pour rester dans un style correspondant au vieux coquin qui parle, on pourrait écrire «Ce n’est pas demain la veille...» ou encore «Il n’est pas encore né, le cadenas qui résistera à Julius Jonsson, dit Julius Jonsson». L’auteur faisant dans le farfelu et l’échevelé, ça pourrait très bien passer.

Une autre phrase bien gratinée: «Puis elle lui mit tendrement les cheveux en désordre et retourna couper du bois». Pourquoi ne peut-on pas écrire qu’elle l’a ébouriffé ou, à la rigueur, caressé la tête? 




Comme je suis heureuse d’être dorénavant (presque) capable de lire le suédois de mes propres ailes! J’en suis à la page 48 du français (mon kindle dirait 10%), mais comme béquilles, je donnerai dorénavant ma préférence à la version allemande, forcément plus fidèle, non seulement parce que les Allemands font toujours du bon boulot, mais parce que les deux langues sont beaucoup plus proches. Les Français sont tellement imperméables aux cultures étrangères, tout en étant profondément convaincus de leur supériorité, qu’ils ne savent sans doute pas apprécier le travail du traducteur. On ne peut pas faire ça à la va-vite, par-dessus la jambe et de façon je-m’en-foutiste. Il ne suffit pas de transposer en gros le sens général de l’histoire, il faut respecter le style de l’auteur et ne pas inverser qui fait quoi. Il n’est pas interdit non plus de se relire ou de se faire relire par des amis.

Quand je passerai mon test de suédois pour en faire une langue de travail, je ne pourrai certainement pas me permettre ce genre d’erreurs, de contresens et d’approximations. J’ai été tellement drillée à la fidélité au message et à l’interdiction de dire n’importe quoi, juste pour faire du bruit, que je suis particulièrement intolérante vis-à-vis de ce genre de travail bâclé. Le public francophone n’a toutefois pas l’air de se plaindre et Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire figure toujours en bonne place dans les rayons des libraires. Tant mieux, ma foi, pour Jonas Jonasson!




1) Philippe Bouquet, auteur de plus de 100 traductions du suédois, Docteur honoris causa de l'université de Linköping (Suède), Officier des palmes académiques, Chevalier de l'ordre de l'Etoile polaire, Prix de traduction de l'Académie suédoise (1988), Prix de la Fondation suédoise des écrivains (1994), Prix personnel Ivar Lo-Johansson 1995, Nominé pour le prix Aristeion 1999.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah j'adore j'adore j'adore ce texte. Comme tu as raison ma chère, j'en soupire d'aise. Je n'irai pas jusqu'à ajouter le suédois à mon palmarès, mais j'avais déjà acheté ce livre (en vrai, pas pour le Kindle) il y a des mois en allemand et maintenant je suis motivée pour le commencer enfin! Merci merci merci d'oser s'insurger contre les soi-disant traducteurs vers le français. Je sais bien pourquoi je lis la trilogie et autres de ce genre en anglais ou en allemand. D'ailleurs je ne lis pratiquement pas de romans en français. Rare exception: Catherine Hermary-Vieille qui est cultivée et intelligente et bien sûr Amélie Nothomb qui est génialement folle, je l'adore, notamment son 'Stupeur et tremblements', un chef-d'oeuvre absolu que j'ai dévoré dans un avion et en riant tellement que les hôtesses m'ont demandé ce que je lisais. Bon, je m'égare hihihihi grosses biz. K.

Anonyme a dit…

Je crois aussi que la traductrice n'a pas compris ou goûté cet humour particulier.
C'est étonnant, car un traducteur devrait être attentif à la petite musique, percevoir le style particulier.
Cela étant, c'est hallucinant de voir les modifications.
La traductrice n'a certainement pas imaginé que quelqu'un comparerait avec l'original ...
Elle a espéré commettre ses trahisons en secret !
Raté !
E.

Anonyme a dit…

Je ne comprends pas le suédois, mais l'anglais plutôt bien, et à la lecture de Millenium en français, j'ai été surprise d'être littéralement assaillie d'anglicismes, au point de me demander si le suédois et l'anglais étaient si proches, ou bien si le traducteur était passé par la version anglaise.
Si qq 'un a la réponse, ça m'intéresserait.

Tiina a dit…

Le suédois est, en effet, très proche de l'anglais et de l'allemand aussi. Si la traduction de Millenium est truffée d'anglicismes, c'est juste de la paresse de la part des traducteurs, rien d'autre. Comme: "elle avait éventuellement trouvé un petit ami", qui ne veut rien dire en français! (eventually = ensuite, par la suite des événements)

Anonyme a dit…

Merci de me classer parmi les nuls (mais contrairement à ce qui est dit, je n'étais pas le eul à sévir ainsi)
Ph. Bouquet

Tiina a dit…

Non, vous n'êtes pas le seul, ce n'est d'ailleurs pas ce que j'écris. Le centenaire a été traduit par Caroline Berg et le roman est franchement illisible. Le présent texte ne parle que de la traduction de C. Berg, vous êtes dans une note en bas de page, c'est tout. Je crains qu'elle n'ait aussi traduit En man som heter Ove. Je n'ose pas le lire en français, je l'ai d'ailleurs en suédois.

J'ai dû arrêter Millenium au milieu du premier tome, la traduction ayant été commise par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain (voir le texte correspondant).

Les Sjöwall & Wahlöö sont en train d'être retraduits.

Et les traductions du finnois sont assez illisibles également.

Alors non, vous n'êtes pas le seul. Désolée si je vous ai fait de la peine, mais n'importe quel lecteur francophone est libre de se faire sa propre opinion.

Tiina a dit…

Pour le finnois, je précise que les traductions d'Anne Colin du Terrail, ainsi que de J-P Carasso sont excellentes.

Pour ce qui est des Sjöwall & Wahlöö, qqn m'avait dit qu'elle appréciait le côté "un peu bizarre" du texte français, parce que ça faisait "un peu suédois". Ce n'est pas vraiment le but recherché dans une traduction, mais bon, voilà. Ce n'est pas moi qui le dis.

Anonyme a dit…

Je suis en train de lire "Le centenaire qui a sauté par la fenêtre et a disparu." C'est le titre grec du livre de Jonas Jonasson Malheureusement je ne sais pas le suédois mais je le lis en grec (je vis en Grèce) et la traduction (le texte) me semble très bonne à l'instar de tous les livres traduits en grec que j'ai lus jusqu'à présent !

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