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mardi 17 janvier 2012

Dans les coulisses de Roméo et Juliette

Un cheminement lyrique qui se déroule depuis neuf mois vient d’aboutir et de s’achever : l’apprentissage, la préparation, les répétitions et les cinq représentations de l’opéra über-romantique de Charles Gounod, Roméo et Juliette, au théâtre de l’Alhambra de Genève. Le moment est maintenant venu de vivre un deuil, non plus celui des amants de Vérone, non pas la fin des haines séculaires, qui virent naître leurs amours…. mais la fin de notre deuxième vie, celle de la scène, celle de l’émotion, celle de la musique et de l’amitié qui nous ont accompagnés et liés pendant tous ces mois. Ce sera aussi la fin d’une barbe de circonstance que les hommes se sont laissé pousser, afin de mieux incarner leur personnage.


José Pazos
Cette œuvre, je la connais maintenant par cœur, l’ayant entendue environ 1.528 fois, dans l’ordre et dans le désordre, avec ou sans solistes, avec piano, avec orchestre et, ces derniers jours, des coulisses. Loin de m’en lasser, je l’apprécie de plus en plus, car je ne cesse d’en découvrir de nouvelles facettes. La musique de Gounod pénètre directement dans mon cœur, mon corps et mon cerveau précisément parce que je la connais maintenant si bien.

Ce qui est frustrant, c’est que nous avons passé tous ces mois à mettre au point cette représentation pour que le public soit ravi et comblé et nous voilà condamnés à ne pas voir le produit fini, car nous devons rester dans les coulisses, nous taire et nous tenir tranquilles. Les répétitions nous ont toutefois permis de voir ce qui se passe sur scène, ainsi, lorsque j’entends la harpe jouer une série de notes ascendantes, je vois - glouglouglouglou - Roméo boire le poison qui lui sera fatal. Quelques petits espaces permettent aussi d’espionner l’action, mais les places y sont rares.

Ce spectacle sera un des derniers avant la rénovation de l’Alhambra, théâtre oh ! combien charmant mais terriblement vétuste. Etant donné que la salle était conçue pour être un cinéma, elle n’a pas de véritables coulisses, ni de loges ; aucune isolation phonique à l’arrière-scène, aucune isolation thermique non plus et pas de moniteurs permettant de suivre ce que voient les spectateurs. Lorsque les choristes n’interviennent pas, ils se tiennent cois, enveloppés dans des châles, des écharpes et des laines polaires et font de leur mieux pour résister à la tentation de bavarder avec leurs camarades. A noter que les enfants étaient souvent plus disciplinés que les adultes!


En coulisses, nous vivons le revers du spectacle : nous voyons arriver un Roméo prosaïque, qui empoigne une bouteille d’eau, alors qu’un instant auparavant, il soupirait encore d’amour ; nous voyons revivre Tybalt et Mercutio, pourtant tous deux morts dans un combat à l’épée ; en coulisses, les hommes chantent Mystérieux et sombre, Roméo ne nous entend pas ! et nous, les femmes, chantonnons avec eux, sotto voce ; les uns et les autres font aussi du play-back avec les solistes, c’est une occasion rare, il faut la saisir ! Les porteurs de lunettes remettent leurs bésicles dès qu’ils sortent de scène. Chacun a un rôle à jouer, en sus de notre personnage de citoyen de Vérone, qu’il s’agisse de déplacer des éléments scéniques, de recoudre des boutons, de cuisiner des quiches et des gâteaux pour l’entracte, de construire ou de démonter le décor, de faire des relations publiques, de recoller des bottes, de s’occuper de la billetterie ou du programme. Chacun a la possibilité de mettre la main à la pâte et d’apporter sa pierre à l’édifice. Et le résultat est tout simplement magnifique !


Un déluge de compliments nous parvient jour après jour et notre bonheur à jouer cette pièce s’en trouve chaque fois décuplé. Il y a de nombreux néophytes et béotiens parmi le public, des gens qui viennent voir leurs amis ou leurs parents sur scène et qui découvrent que l’opéra, ce ne sont pas forcément des walkyries statiques qui poussent des cris aigus pendant des heures, mais que c’est au contraire l’émotion à l’état pur : la haine, l’amour, la mort, le chagrin, la réconciliation et bien d’autres choses encore. Certaines personnes ont trouvé le prologue si oppressant qu’elles n’étaient pas certaines de pouvoir rester jusqu’au bout, d’autres ont pleuré, d’autres encore sont revenues plusieurs fois. Quelle chance nous avons de pouvoir assister à toutes les cinq représentations ! Et quelle tristesse maintenant que tout ceci est derrière nous ! Espérons que nous pourrons renouveler cette expérience.

Je compare souvent ma profession à celle de chanteur lyrique: les compétences requises s’acquièrent généralement dès l’enfance ou l’adolescence. Comme eux, nous sommes payés au contrat ou au cachet et avons des engagements irréguliers et sporadiques, dont la fréquence dépend non seulement de nos compétences, mais aussi de notre renommée. Nous travaillons avec notre voix et redoutons les bronchites et les extinctions de voix, car si nous ne pouvons pas travailler, nous ne sommes pas payés non plus. Les deux professions sont auréolées d’un certain prestige, alors qu’elles sont des plus précaires. Nous travaillons souvent hors de notre domicile, ce qui implique des valises et des nuitées d’hôtel et nous avons par conséquent des vies de couple parfois difficiles et les amitiés se perdent.

On pourrait aussi comparer les tessitures aux cabines: toute œuvre aura une soprano et un ténor (la cabine anglaise et la cabine française), souvent une basse (la cabine espagnole et/ou allemande), parfois une alto (la cabine russe) et, plus rarement un contre-ténor (la cabine japonaise ou turque), à la différence que nous travaillons toujours à deux et que les sons que nous produisons sont bien moins harmonieux. Il semblerait que les musiciens d’orchestre aient le même type de conditions de travail que nous, c’est-à-dire 2 x 3 heures de travail maximum par jour, mais eux, ils arrivent à faire respecter cette limite. Je peux bien m’imaginer que leur travail demande le même genre de concentration intense que le nôtre.

L’opéra est un art très complet, car il ne suffit pas d’avoir des qualités vocales, mais il faut aussi savoir transmettre l’émotion et être capable de se rattraper si une réplique manque ou si un poignard vient à tomber au mauvais moment. Savoir l’allemand, l’italien ou le russe, savoir danser ou encore manier l’épée seront bien sûr des atouts!




Distribution :  José Pazos (Roméo), Sacha Michon (Capulet), Sébastien Eyssette (Tybalt), Davide Autieri (Mercutio), Nathanaël Tavernier (Frère Laurent), Etienne Hesperger (Gregorio), Larissa Rosanoff (Stephano), Marcos Garcia Gutiérrez (le Duc), Jean-Claude Cariage (Pâris). Direction d’orchestre: Nicolas Le Roy



lundi 6 juin 2011

Bousculade lyrique


Les retransmissions en direct des représentations du Met de New York dans deux salles de cinéma de la ville remportent un franc succès. La première salle ayant très rapidement affiché complet, une deuxième salle a été ouverte. Sans qu’aucune publicité ne soit faite dans la presse ou ailleurs, tout le monde savait que les abonnements de la saison 2011-2012 seraient mis en vente le 6 juin dès 9 heures. Je m’y suis rendue pour 8h30, m’imaginant ainsi être parmi les premières à faire la queue.

Vain espoir ! Quelqu’un avait pris l’initiative de distribuer des tickets numérotés et j’ai obtenu le N° 71, ce qui n’augurait rien de bon. Plusieurs personnes étaient venues avec une chaise pliante. J’avais emporté un journal, mais j’ai retrouvé tant de collègues que c’était une précaution bien inutile. Chacun y allait de sa petite histoire, certains étaient là depuis 7h30, d’autres sont venus bien plus tôt encore. La distributrice de tickets, quant à elle, devait bien être là depuis 6h du matin. La plupart de ces mélomanes matinaux avaient les cheveux gris ou blancs, mais ils avaient néanmoins la gniaque et le courage de rester debout plusieurs heures dans l’espoir d’obtenir le précieux sésame. Malgré les tickets numérotés, tout le monde s’entassait en se serrant comme des sardines devant les guichets encore fermés. Sans les tickets, ça aurait été bien pire, mais ce système étant parfaitement informel, rien ne garantissait qu’il serait respecté ou qu’il servirait à quelque chose.

Le Metropolitan Opera de New York

Neuf heures ayant sonné, voilà que les guichets s’ouvrent enfin. On se presse, on se bouscule, personne ne comprend vraiment ce qui se passe. On croit voir que le premier acheteur prend dix abonnements, ce qui réduit évidemment d’autant les chances de tous les braves qui se sont levés au chant du coq. On en est au numéro dix, puis au numéro douze. Ça avance lentement… Cent-vingt ! Quoi, cent-vingt ? Il ne reste plus que cent-vingt places ? Ont-ils déjà vendu cent-vingt abonnements ? A raison de quatre abonnements au maximum par client, combien de billets seront partis avant qu’on n’en n’arrive au N° 71 ? Mon dieu…

Voilà déjà plus d’une heure que je poireaute, et encore : d’autres sont là depuis bien plus longtemps que moi. Et voilà qu’on découvre qu’une collègue était venue pour acheter des billets pour des séances individuelles, autrement dit, elle a bravé l’aurore pour des prunes. Nous sommes deux à nous précipiter sur son précieux N° 35 ! Et bien nous en a pris, car le N°40 est rentré bredouille….

Autrefois, ça se passait comme ça au Grand Théâtre, il fallait prendre un numéro et faire la queue. Mais à force de nous offrir des mises en scène avec des danseurs nus qui rampent dans des bunkers post-apocalyptiques, l’opéra local a fini par perdre son public qui le boude. Ils offrent toutes sortes de promotions et de formules spéciales, mais leurs abonnements n’ont décidément plus la cote. Les représentations du Metropolitan Opera de New York sont classiques sans être poussièreuses, mais ne reculent pas pour autant devant la modernité. Leurs sponsors privés n’accepteraient certainement pas les réinterprétations abracadabrantesques, où des gentilhommes portent des imperméables gris en haillons. Et les chanteurs sont bien sûr du plus haut niveau. Au cinéma, on y accède pour 40,-, coupe de champagne incluse. Que demande le peuple ?



Juan Diego Florez dans le Comte Ory de Rossini

Au vu de l’immense succès de ces représentations, il vaudrait la peine d’ouvrir une troisième salle. Elle se remplirait immédiatement. Les théâtres de la place constatent également un certain désamour de leurs abonnés. Etrangement, ils attribuent ce comportement à la crise ou à un changement d’habitudes du public. Il ne leur vient pas à l’idée de se demander si cela pourrait être lié à la qualité – or lack thereof – de leurs spectacles.

Que les laissés-pour-compte se consolent toutefois : des billets pour des séances individuelles seront mis en vente dès le mois d’août. A vos marques ! Prêts ? Départ !


Deborah Voigt dans la Walkyrie de Wagner

http://www.metoperafamily.org/metopera/broadcast/hd_events_next.aspx
et le Gaumont à Archamps (en plus, c'est moins cher...!)

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Dans la Tribune de Genève du 9 juin 2011:
Réveil à l’aube et grogne pour des fanas d’opéras
Pour s’assurer une place lors de la rediffusion des opéras du MET de New York, il fallait se lever très tôt lundi

 Laure Gabus | 08.06.2011 | 22:29

«Ma santé ne me permettait pas de venir plus tôt, quelqu’un a fait la queue pour moi depuis 4 heures du matin. Je suis arrivé à 7 heures», explique Freddy Martell, 76 ans. Comme lui, une centaine d’amateurs d’opéras ont fait le pied de grue dès l’aube devant les guichets des cinémas Pathé Balexert et Rex, les deux points de vente d’abonnements pour la retransmission des opéras du MET de New York.

Les guichets ont ouvert à 9 heures lundi matin et les 600 abonnements se sont envolés immédiatement. Freddy n’a pu en acheter que quatre, le maximum. Mais beaucoup n’ont pas eu cette chance et sont rentrés bredouilles. Les déçus pourront tenter d’acquérir l’une des 150 places individuelles disponibles à chaque rediffusion, mais devront attendre le mois d’août.

Depuis trois ans, Pathé diffuse toute la saison des opéras new- yorkais en direct, d’octobre à avril. Les projections connaissent «un très grand succès», reconnaît Brian Jones, directeur général de Pathé Suisse, et ce «surtout chez les personnes en âge de la retraite». Face à l’importante demande, la société a ouvert une nouvelle salle, l’année dernière aux cinémas Rex.

Freddy Martell déplore la vente aux guichets. «Nous sommes fâchés contre Pathé et fatigués», explique-t-il. L’actif retraité rêve d’un système d’achat d’abonnement semblable à celui du Victoria Hall où il est possible de garder les mêmes places d’une année à l’autre. Pathé ne souhaite pas instaurer un tel système «afin de permettre à tout le monde d’avoir une chance d’acheter un abonnement chaque année», explique Brian Jones.

Et pourquoi ne pas opter pour un système d’achat par Internet? «Une grande partie de nos spectateurs n’ont pas d’ordinateur à la maison ou ne sont pas habitués à acheter par Internet», explique Brian Jones. «Quel que soit le système, la demande sera toujours plus élevée que l’offre, résume Teodor Teodorescu, directeur de Pathé Suisse romande. Il y aura toujours des déçus.» Et donc des lève-tôt.
Et ma lettre au courrier des lecteurs du même journal, 10.6.2011:

Sans qu’aucune publicité ne soit faite dans la presse ou à la radio, un nombre considérable de mélomanes se sont levés à l’aube lundi dernier pour faire la queue en vue d’obtenir l’abonnement 2011-2012 du Metropolitan Opera de New York, diffusées en direct et en HD dans les cinémas Pathé. Quelqu’un avait pris l’initiative de distribuer des numéros, afin d’éviter un carnage et une bousculade au portillon qui aurait pu mal se terminer. Deux salles, le Rex et Balexert, affichaient complet en une heure! Il reste cependant un quota de places à vendre à la pièce, dès le mois d’août où ce sera rebelote, avec la chaise pliante dès 7h du matin. Autrefois, c’était au Grand Théâtre qu’on se bousculait de la sorte. Je le fréquente aussi et j’y ai vu de très beaux spectacles, mais c’est toujours un peu la loterie, on ne sait pas sur quoi on va tomber. Musicalement, c’est toujours au-dessus de tout reproche, c’est la mise en scène qui est souvent du grand n’importe quoi. Pourquoi ne pas ouvrir une ou deux salles disponibles à Genève pour les rediffusions en direct du Met de New York? Je songe à l’auditorium Arditti ou à l’Uptown pour ce qui est des salles actives, sinon, il y aurait encore le Plaza, le Broadway ou l’ABC, qui sont probablement complètement bouffées par les mites à l’heure qu’il est. Pour l'opéra au cinéma voir: http://www.pathe.ch/cinema/geneve/cine_opera.php

samedi 19 mars 2011

Le bonheur de chanter ♪♪♫♪♫

It ain't over till the fat lady sings!

Depuis quelques années, le chant occupe une place prépondérante dans ma vie. La musique a bien sûr toujours été présente autour de moi, sous une forme ou sous une autre. Comme toute jeune fille bien élevée, j’ai reçu des cours de piano, puis je me suis mise à la flûte traversière. Ensuite, quelques années au Chœur Universitaire m’ont initiée au chant choral. Après une longue pause, au cours de laquelle ma pratique musicale s’est tournée vers le flamenco, je suis revenue au chant. Ayant voulu perfectionner mes compétences vocales, j’ai pris quelques leçons. Bien m’en a pris, car cela m’a ouvert la porte à toute une série d’expériences aussi nouvelles qu’enrichissantes.
Il n’est pas facile de trouver un bon professeur. Savoir chanter est en partie un don inné, un talent naturel, qu’on peut développer grâce à l’acquisition de certaines ficelles. Un bon chanteur n’est toutefois pas forcément un bon pédagogue. L’élève doit comprendre certaines techniques physiques et physiologiques, qui ont ceci de particulier qu’elles sont très subjectives et immatérielles. On vous dira de lever le voile de votre palais, le B-A-BA du chant. Oui, mais comment faire ? Comment diriger une partie de son corps dont on ne sait même pas trop où elle se trouve ? On vous dira de sourire, de mettre ce sourire dans vos yeux, d’imaginer un immense gateau au chocolat recouvert de crème fouettée, qui vous fait dire : Ôh !!! , mais tout en baillant, pour éviter toute crispation de la mâchoire. Vous avez une cathédrale dans la tête et une ficelle qui vous tire la tête par le haut. Vous lancez votre note vers la dernière rangée de la Scala de Milan, si possible même au-delà, même si le son doit passer derrière votre tête pour y parvenir. Vous imaginez que vous humez un parfum divin. La note doit sortir de vos pommettes et vous n’arrêtez jamais de sourire, même si vous chantez Jésus sur la croix.

L’autre base absolue du chant est le soutien. Je n’ai pas encore vraiment bien saisi de quoi il s’agit. Il faut tenir son ventre, son diaphragme, sans toutefois crisper les abdos ; pousser dans les lombaires, comme si on voulait déplacer un meuble, tout en restant droit et en ouvrant sa cage thoracique pour bien remplir ses poumons. Pour sentir et muscler son diaphragme, il faut pousser des Rre-Kke-Ffe-Tte ou chanter Frère Jacques en faisant brbrbrbrbrbrbr avec les lèvres fermées. Il faut penser à monter quand on chante des notes descendantes; inversément, pour pousser des notes aiguës, il faut enfoncer ses pieds dans le sol, quitte à fléchir légèrement les genoux ; éviter de ralentir dans les descrescendo et ne pas chanter plus fort parce que la cadence s’accélère.


Même si je ne maîtrise pas encore parfaitement toutes ces techniques, il est apparu assez rapidement que j’allais passer de la tessiture alto à celle de soprano. Selon le credo You Can Do It, j’ai changé de pupitre, ce qui équivaut quasiment à changer de personnalité. Les voix alto sont aussi discrètes qu’indispensables, comme la contrebasse de Patrick Süskind. Elles remplissent l’œuvre d’une ligne harmonique insoupçonnée, mais qui apporte tout son sel à la pièce. Quant aux soprano, elles ont la ligne mélodique, celle qui brille par sa flamboyance par-dessus toutes les autres. Chanter soprano est par ailleurs bien plus facile, étant donné que nous avons la ligne mélodique : il suffit d’écouter le disque 2-3 fois sur son iPod ou dans la voiture et c’est dans la poche !


Je ne cesse de m’étonner que l’opéra soit si populaire, notamment parmi les jeunes. C’est un art vieux de plusieurs siècles, qui raconte des histoires à la fois niaises et universelles – l’amour, la rivalité, le pouvoir, les héritages, la folie, la mort, la vengeance – mais la force de la musique déchaîne les émotions à tous les étages, peu importe l’âge ou la classe sociale. Les cinémas du monde entier cartonnent avec leur projections en direct du Metropolitan Opera de New York.

Enfin, je me rends compte que j’ai un véritable plaisir à chanter : le plaisir de pouvoir produire des œuvres sublimes, qui résonnent dans de belles églises et qui rendent les gens heureux ; le plaisir tout simplement physique de sentir la musique vibrer dans mon corps ; le plaisir de boire et de manger avec mes amis choristes ; enfin le plaisir totalement jouissif de pousser un si bémol qui n’a pas été mis là par hasard. Mon prochain grand projet : chanter dans les chœurs de Roméo et Juliette de Gounod, à nouveau sur la scène de l’Alhambra. Une histoire mythique, de la musique grandiose, de beaux costumes et, une fois de plus, une collaboration avec de vrais professionnels. Un changement bienvenu par rapport aux discours monotones et répétitifs qu’ânnonnent nos chers délégués…


N'est malheureux que celui qui ne sait pas chanter (proverbe égyptien)

mardi 25 janvier 2011

La Belle Hélène de Jacques Offenbach

Patrick Zard, le Choeur de Vernier, Jacques Gay
Raphaëlle Farman et Jacques Gay, deux chanteurs lyriques de Paris ont décidé de venir monter La Belle Hélène d’Offenbach à Genève. Il se trouve qu’ils ont choisi le Chœur de Vernier pour participer à cette folle aventure et c’est ainsi que j’ai pu vivre cette expérience aussi unique qu’exceptionnelle.

Le chemin a bien sûr été parsemé d’embûches, de surprises et d’imprévus. Nous devions nous produire au Théatre du Léman en novembre et – heureusement – le spectacle a finalement eu lieu au Théâtre de l’Alhambra en janvier. Nous avons non seulement eu plus de temps pour répéter, mais le lieu est plus chaleureux et plus sympathique. Nous avons également dû changer d’orchestre et avons clairement gagné au change avec un petit quintette à corde professionnel, accompagné d’une excellente pianiste, professionnelle elle aussi. Du coup, nous avons fait quatre représentations au lieu de deux (et une de plus pour les seniors), mais c’est plutôt une bonne chose, car on s’amuse comme des fous sur scène !

Un choriste, Franck Cassard, Raphaëlle Farman, Jacques Gay
Après quatre mois de répétitions avec ou sans mise en scène (voir L’envers du décor) de septembre à décembre, le rythme s’est sérieusement accéléré dès le mois de janvier. Nous avons reçu nos costumes et accessoires et on se disait "à demain !" en quittant les répétitions. Tel un puzzle dont les pièces se mettent lentement en place, l’œuvre prenait forme. Puis le jour est venu où nous avons pu répéter avec l’orchestre, puis avec les solistes, tous des professionnels venus de Paris. Quel bonheur !

Chaque fois que j’apprends une œuvre en chantant dans un chœur, j’apprécie énormément le fait de découvrir et de comprendre tous les détails et subtilités de la pièce. Il n’en va pas autrement dans le cas de la Belle Hélène. C’est une opérette très drôle, très riche, théâtrale et pleine de petits détails. La scène du rêve d’amour est à la fois comique, romantique, sensuelle, dramatique, coquine et très mélodieuse : quel génie, cet Offenbach !

Le duo du rêve d'amour: Raphaëlle Farman, Mathieu Sempéré
Contrairement au public, nous avons l’avantage de voir cette pièce plusieurs fois et je commence à connaître toutes les répliques par cœur. Il est très intéressant aussi de voir des comédiens et chanteurs professionnels au travail : le public a l’illusion qu’ils prononcent leur texte pour la première fois, tellement c’est naturel et spontané, alors que chaque virgule est parfaitement à sa place – avec une certaine marge d’improvisation, vu la nature de l’œuvre. La scène était également agrémentée de deux danseuses de revue, qui jouaient divers rôles, essentiellement muets.



Etrangement, je n’ai jamais eu le trac. Rien que du plaisir et du fun à l’état pur. Le public réagissait bien, riait quand il le fallait et applaudissait à tout rompre à la fin du spectacle. C’était formidable ! Une excellente ambiance régnait aussi en coulisses, avec une bonne collaboration pour que chacun retrouve ses accessoires, que personne n’ait son chapeau de travers ou du rouge à lèvre sur les oreilles.

Une fois le spectacle terminé, je rentrais chez moi à pied et heureusement qu’il faisait nuit car j’étais grimée comme une femme des mauvais quartiers. Je me faisais presque peur quand je me voyais dans le miroir de l’ascenseur.

Ce qui me frappe avec cette Belle Hélène, c’est à quel point elle est populaire. Tous ceux à qui j’ai parlé de ce projet se sont écrié : "Oh, mais quelle chance ! C’est formidable, comme c’est chouette !" Tous ne sont pas venus, mais ceux qui nous ont vus et entendus ont passé une excellente soirée. Nous allons recevoir un DVD souvenir, ce qui me permettra de voir le spectacle de l’extérieur et de découvrir aussi tout ce que je n’ai pas vu parce que je devais me cacher en coulisses. Maintenant, je n’ai qu’une envie, c’est de recommencer !

Photo prise à la fin de la répétition générale; le micro servait à nous donner des instructions. Il n'y avait bien sûr aucun micro pendant la représentation.


Raphaëlle Farman (la Belle Hélène), Jacques Gay (Agamemnon), www.operaenfete.com
Partick Zard (Calchas), Franck Cassard (Ménélas), Mathieu Sempéré (Pâris), Clémentine Bourgoin (Oreste)
Direction : Franz Josefovski

samedi 25 décembre 2010

La Veuve Joyeuse de Franz Lehár


Quelle merveilleuse soirée que cette représentation de la Veuve Joyeuse au Grand Théâtre de Genève ! On m’avait dit pis que pendre de la mise en scène – "ils sont dans un bunker tout le long" – alors que les décors représentent un lieu monumental qui n’est pas sans rappeler le Palais des Nations. Une architecture fasciste, certes, mais n’oublions pas que nous sommes au Ponténégro et que le pays va très mal…

L’œuvre ressemble quelque peu à la Belle Hélène, je me sentais donc en terrain connu : un pays au sud-est de l’Europe, au bord de la banqueroute; il y est beaucoup question d’adultère et de stratagèmes plus ou moins foireux pour sauver la patrie. L’air Femmes ! Femmes ! Femmes ! se prête très bien à un french cancan et on sent qu’Offenbach n’est pas bien loin. La veuve chante l’air de Vilja en nuisette – les metteurs en scène adorent déshabiller les sopranos – mais cela se justifie dans la mesure où elle vient de se substituer à une épouse infidèle. Enfin, les grisettes de chez Maxim’s sont en guêpière et remuent leur popotin. L’intrigue se déroulant dans un pays imaginaire mais néanmoins vaguement balkanique, les personnages parlent parfois en une sorte de sabir slave et s’interpellent par des Gospodin ! Gospodina ! ce qui signifie "seigneur" ou "monsieur" en russe. Tout le spectacle était d’ailleurs multilingue, un mélange entre les versions allemande, française et anglaise. Valencienne, l’épouse du baron Mirko Zeta (José van Dam) était chantée par Jennifer Larmore. Américaine à l’extrême, elle chante, moulée dans une longue robe argentée qui scintillait de mille feux, un air dans le style de Broadway, A Foolish Heart de Kurt Weill, au début du bal. Il s’agit d’un rajout à l’œuvre, mais qui s’y intégrait très bien.


La soirée a été marquée par un de ces contes de fées qui se produisent parfois à l’opéra : le rôle-titre était souffrante et a été remplacée in extemis par une Veuve importée de Vienne, la merveilleuse Elisabeth Flechl. Elle connaissait bien évidemment la partition, mais elle a dû apprendre la mise en scène au grand galop et il a sans doute aussi fallu lui coudre fissa des costumes à ses mesures, fort généreuses au demeurant. Elle doit toutefois assurer la première d’un autre opéra à Vienne le 27 décembre et le Grand Théâtre a dû dénicher une deuxième Veuve de secours, qui aura à peine le temps de répéter ses mouvements. On m’a dit qu’elle apprenait son rôle à l’aide d’une vidéo. Voilà encore un métier qui ne se repose pas pendant les Fêtes de fin d’année !

La Veuve Joyeuse de Franz Lehár a été créée à Vienne en décembre 1905 et connaît un succès inoxydable depuis. Il existe cinq adaptations au cinéma, notamment par Ernst Lubitsch et Eric von Stroheim. La Veuve, Hanna Glawari, ayant hérité de vingt millions au décès de son mari, le baron Mirko Zeta cherche à la pousser dans les bras d’un Ponténégrin, pour que cette fortune reste au pays et le sauve de la faillite. Gospodina Glawari choisira évidemment celui qu’elle cherche à éviter pendant deux heures, Danilo Danilovitch, dont la devise est "aime beaucoup, fiance toi un peu, mais ne te marie jamais !" On devine qu’ils se sont connus autrefois et Danilo l’aime malgré ses millions. Ah ! c’est beau, l’amour ! Surtout à l'opéra...



http://www.geneveopera.ch/

jeudi 23 décembre 2010

L’envers du décor


Depuis la rentrée de septembre, mes semaines sont cadencées par une alternance de répétitions chorales. Je me suis plongée dans différentes œuvres, Dvorak, Poulenc, mais celle qui prend désormais tout mon temps, qui me remplit la tête et les oreilles, c’est la Belle Hélène d’Offenbach. Un des chœurs auxquels je participe s’est lancé dans cette folle aventure. Nous n’avions aucune idée de l’engagement que cela allait demander ni du temps que ça allait prendre. Nous sommes maintenant à un mois du spectacle et à la veille d’une dangereuse pause de fin d’année, au cours de laquelle nous risquons d’oublier tout ce que nous avons assimilé. En janvier, nous allons devoir répéter tous les soirs, puis assurer quatre représentations, ce qui représente deux semaines et demie de travail intense.

L’apprentissage de l’œuvre se fait en plusieurs étapes et selon différentes formules. D’abord celle de la répétition classique: assis par voix, la partition sous les yeux et avec le chef au piano. On chante ensuite mélangés, avec puis sans partition, en marchant, en bougeant les bras. Puis, la mise en scène vient compliquer le tableau: il faut maintenant chanter par cœur, mélangés, en faisant des déplacements et des chorégraphies, tout en faisant des mimiques (l’étonnement, la colère), en agitant éventuellement des objets, en faisant semblant de boire ou encore de jouer aux cartes. Evidemment, le jour où on répète avec l’orchestre, le château de cartes s’écroule et il faut tout recommencer: on se rassied par voix, avec la partition sous les yeux. Selon l’acoustique du lieu, on ne reconnaît pas les départs, on ne trouve plus nos notes, on n’entend plus l’harmonie.

C’est l’occasion aussi d’apprendre quelques ficelles du métier de comédien : toujours regarder le public, ne jamais rester en carafe, c’est-à-dire bêtement debout, les bras ballants, l’air de ne pas savoir ce qu’on doit faire. En cas d’erreur ou d’oubli, assumer à mort et faire croire que c’était écrit dans le scénario. Toujours vivre la situation, quitte à se la raconter mentalement, pour faire croire qu’on est un citoyen grec ulcéré ou un noble en train de faire ripaille. Garder un œil sur l’ensemble de la troupe, afin d’éviter de laisser des trous sur la scène ; dans ce cas-là, se déplacer discrètement pour mieux répartir la foule. Et je vais enfin me rappeler de quel côté sont Cour ou Jardin.


Nous avons reçu nos costumes : une simple tunique qui sera agrémentée de différents accessoires (ceinture, voile) selon le rôle que nous représenterons. Il reste encore à apprendre la discipline en coulisses, c’est-à-dire sortir de scène rapidement, en incarnant son personnage jusqu’au bout, se taire et changer de costume à la vitesse grand V, sans mettre sa culotte à l’envers. Nous serons bien sûr maquillés, les femmes porteront du rouge à lèvres rouge vif, je me réjouis déjà !

Avec tous les éléments qui se mettent lentement en place, l’œuvre commence à prendre forme, à prendre vie. A force d’entendre la musique, les solistes, les interventions du chœur, le tout commence à avoir un sens, même si nous répétons les différents passages dans le désordre et avec de grands trous dans la narration. En effet, nous ne découvrirons l’œuvre dans sa totalité et dans son déroulement chronologique que dans les derniers jours avant la première.

Nul ne sait encore à quoi ressemblera le produit fini. Ce sera peut-être un succès qui cassera la baraque ou alors une triste parodie au comique involontaire. Je vote bien sûr pour la première option. Quoi qu’il en soit, je m’amuse beaucoup avec cette expérience nouvelle. Je viens sans doute d’ajouter une nouvelle corde à mon arc, une plume à mon chapeau et, qui sait, peut-être vais-je être piquée par le virus de la scène. Ce ne sont pas les occasions qui manqueront de brûler les planches à nouveau.

La Belle Hélène de Jacques Offenbach, à l’Alhambra de Genève, du 20 au 23 janvier 2011

samedi 24 juillet 2010

Les Demoiselles de Rochefort


Il y a environ un quart de siècle de cela, une amie m’a fait découvrir la musique de cette comédie musicale, composée par Michel Legrand avec des textes de Jacques Demy. Elle m’a tout de suite collé à la peau, alors que les Parapluies de Cherbourg m’avaient plutôt laissée indifférente. Ça tient sans doute au côté un peu loufoque de l’intrigue et de la douce poésie foldingue des paroles. Récemment, le film est passé sur arte et j’ai enfin pu mettre des images sur la musique et des visages sur les paroles. La magie tient toujours, bien que le film soit presque aussi vieux que moi.

C’est l’histoire de boy meets girl, avec l’aide du destin qui fait se croiser les chemins des uns et des autres. Ces chemins ne cessent de se rater ou de s’éviter pendant près de deux heures, mais fort heureusement, chacun finit par trouver sa chacune. Les demoiselles sont des sœurs jumelles (Catherine Deneuve et sa sœur, Françoise Dorléac), l’une est danseuse, l’autre musicienne. L’une trouve son amoureux par le biais de la peinture, l’autre grâce à la musique. Les très jeunes Jacques Perrin (Maxence), Danielle Darrieux (la maman des jumelles), Michel Piccoli (Simon Dame) et le plus-si-jeune Gene Kelly jouent également dans le film. Tous sont doublés pour le chant, à l’exception de Danielle Darrieux.

Quand Catherine Deneuve marche dans la rue, les gens autour d’elle se mettent à danser et à faire des cabrioles et Gene Kelly saute dans sa voiture, tout sourire et démarre en chantant chabadabadib-dip-diboubaa ! Un jeune marin part en perm’ à Nantes (Ah ! l’astuce est amusante !) et la maman des jumelles a renoncé au grand amour car, pour rien au monde, elle ne voulait s’appeler Madame Dame. Et voilà qu’une femme découpée en morceaux a été découverte rue de la Bienséance, à deux pas du château :

J'ai été arrêtée par un car de police
En rentrant de l'école où j'ai mis votre fils
Je me suis renseignée, on cherchait un sadique
Que certains qualifiaient de fou métaphysique
D'autres disaient de lui que c'est laid, que c'est lâche
L'arme du crime étant ou la scie ou la hache
Le monstre avait coupé la dame savamment
Et rangé les morceaux avec discernement

Alors que les uns cherchent leur Idéal Féminin ou l’Homme de leur Vie, d’autres cherchent plutôt la bagatelle :

Les marins sont bien plus marrants
Que tous les forains réunis
Les marins font de mauvais maris
Mais les marins font de bons amants
Marins, amis, amants ou maris
Les marins sont toujours absents

Le Happy End n’arrive qu’à la toute fin du film, quand on n’y croyait presque plus. L’astuce est vraiment amusante : le spectateur pense que Cupidon avait oublié Delphine Garnier et voilà que le Destin doublé du Hasard vient mettre son grain de sel ; le film se termine et on reste tout là tout bête et on en redemande !

Un vrai rayon de soleil dans un monde de brutes et une perle indémodable.