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dimanche 30 janvier 2011

Purge – Puhdistus de Sofi Oksanen

AVERTISSEMENT : ne lisez ce texte que si vous avez déjà lu ce roman ou si vous n’avez pas l’intention de le faire ! Décidément, les livres à succès, les livres-événement, les livres-dont-tout-le-monde-parle ne sont pas pour moi. Millénium m’avait laissée de marbre (le premier tome m’a suffi) et je me suis maintenant attelée à lire Purge de Sofi Oksanen, le roman-choc qui croule sous les prix et qui sera bientôt adapté au cinéma. La plupart des gens l’ont dévoré en deux jours, j’ai mis péniblement trois semaines à le terminer. J’aurais pu le laisser tomber à tout moment, mais la dimension finlandaise de la chose m’a sans doute motivée à le lire jusqu’au bout. C’est peut-être aussi parce que je l’ai lu en V.O. que je n’ai pas réussi à me passionner pour cette intrigue lente et tortueuse (voir le texte suivant). Pendant les cent premières pages, il ne se passe rien. Zara, une jeune femme affolée, en haillons et couverte de bleus vient chercher refuge chez Aliide, une vieille femme qui vit seule dans sa ferme. L’histoire se passe en Estonie, entre 1936-39 et 1992. Aliide se méfie, Zara a peur. Aliide se méfie, Zara a peur. Aliide se méfie un peu moins, Zara sursaute au moindre bruit. L’auteur ne dit les choses que par allusions, le lecteur doit deviner ou alors être très patient. Enfin, dans la deuxième partie, un flash-back commence à nous dévoiler qui sont les personnages dont il était parfois question au début du livre. Ce jeu de ping-pong sous forme de cache-cache se poursuit jusqu’à la toute dernière page. Aliide pourrait ressembler à ma grand-mère Alviina C’est un roman qui parle de nazisme et de communisme, de la condition de la femme, du viol dans les régimes totalitaires, de prostitution et de l’amour fou de deux femmes pour le même homme. On notera que les nazis ont l’air moins affreux que les communistes ou les Russes, même capitalistes. Mais c’est surtout l’histoire de la jalousie dévorante d’une sœur : Ingel réussit tout mieux qu’Aliide, ses dents sont plus blanches, les rayons du soleil ne brillent que pour ses cheveux, elle fait la cuisine comme une déesse et quand elle trait les vaches, le lait est plus crémeux. Et c’est elle qui a épousé l’homme qu’Aliide a pourtant vu la première. Vivant sous le même toit familial, l’héroïne du roman se consume d’envie et de haine à devoir regarder le bonheur total dans lequel baigne sa sœur. La période stalinienne venue, elle se voit obligée de signer un document qui condamne sa sœur et sa nièce à la Sibérie. Elle ne pouvait pas faire autrement, sous ce genre de régime politique, on ne discute pas, on ne fait pas recours, une grève de la faim ne servirait à rien. Oui, mais voilà… elle en conçoit une certaine satisfaction, un sentiment de revanche et on découvre, à l’avant-dernière page, qu’en réalité, elle les a délibérément trahies. Hans, son amour tant convoité, est resté caché, tapi dans la maison. Elle a enfin l’homme de ses rêves rien que pour elle. C’est cette culpabilité qui fera l’objet d’une purge, d’une rédemption, environ un demi-siècle plus tard. Est-il vraisemblable d’arriver à cacher un ennemi du peuple pendant plusieurs années, alors qu’on est marié à un cadre du parti communiste ? Est-il plausible qu’une pauvre petite prostituée sous-alimentée parvienne à étrangler un boss mafieux ? Qu’elle arrive à garder une vieille photo cachée dans son soutien-gorge sans que son mac ne s’en aperçoive ? Peu importe, ce n’est que de la fiction. Est-ce parce que j’ai lu le roman en finnois que je me suis ennuyée ? Le récit est bardé de répétitions – Zara a peur – de faits historiques ou culturels que le lecteur lambda ne connaît pas, à moins d’avoir étudié le cas de l’Estonie – Aliide se méfie – les gens semblent manger constamment du raifort, un peu l’équivalent du café et des sandwiches chez Stieg Larsson. Alors oui, les filles qui rêvent d’aller gagner de l’argent en occident finissent souvent dans les griffes sordides de réseaux de proxénètes sans scrupules, mais je trouve que Chaos, le film de Coline Serreau, injustement méconnu, est bien plus éloquent pour dénoncer ce genre de drame. Sofi Oksanen Le texte comporte en outre de nombreux passages violents et pornographiques, où l’auteur ne recule pas devant des mots tels que “bite, chatte, sperme”, etc… Je serai curieuse de recevoir les réactions de ma mère (81 ans) et de ma soeur quand elles l’auront lu. Purge est d’ailleurs à l’origine d’une polémique en Estonie. En effet, les Estoniens n’apprécient pas l’image que le livre donne de leur pays et regrettent que d’autres auteurs estoniens, aux textes moins racoleurs, n’aient pas reçu le même écho (voir l’article du Nouvel Obs *). "Ce sont des romans comme celui de Sofi Oksanen qui expliquent pourquoi, à bord des ferries finlandais et sur les pistes de danse des hôtels, les Estoniennes se considèrent toujours comme les putes de l'Est." Malheureusement, pas besoin de romans pour constater que c’est bien le cas, du moins ça l’était dans les années qui ont suivi la chute du communisme. Le titre du roman reste cependant un peu incompréhensible. Avec sa façon de ne dire les choses qu’à moitié, Oksanen nous laisse comprendre qu’Aliide va s’immoler par le feu aux côtés du cadavre de son Hans chéri, resté enterré sous la maison pendant 40 ans. Elle a sauvé Zara, la petite-fille de sa sœur haïe, en abattant les proxénètes qui la poursuivent et choisit de se donner la mort avant que le reste du gang ne lui fasse un sort. Zara pourra hériter de ses terres. Ce serait donc ça, la Purge ? Près de 400 pages pour ça ? Je serai curieuse de voir le film qui en sera tiré. Il y a matière à quelques bonnes scènes de suspense, mais ça risque aussi de devenir un film finlandais glauque, lent et déprimant. En tous cas, Purge aura permis au public francophone de se familiariser avec l’Estonie et avec la Finlande, c’est déjà ça !

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Pas simple à lire ce bouquin... D'abord parce que l'auteur essaye de créer une percée dans la littérature finnophone: écrire un début de texte féministe au sens de http://en.wikipedia.org/wiki/ecriture_feminine, c-a-d Cixous, Irigaray, Wittig, jamais frolé en finnois, en explorant sa propre expérience de lesbienne gothique finlandaise d'origine estonienne/soviétique, lourde de traumatismes accumulés à plusieurs moments de sa vie: dans l'enfance en URSS en tant que jeune membre d'une société totalitaire schizophrène, à l'adolescence en Finlande, perçue comme une "pute de l'est" (pour reprendre le mot de Piret Tali), et comme jeune adulte dans une ou plusieurs relations conflictuelles avec un ou des hommes.
Ça fait beaucoup pour une personne et c'est lourd à porter, n'est-ce pas?
Alors elle tente de coucher cela sur papier en trouvant un angle plus général, dépassant son propre cas personnel (problématique de la traite des jeunes filles par l'industrie occidentale du sexe, après-guerre en Estonie...), pour exorciser ces douleurs et s'en libérer.
Elle se fait publier, se sent mieux, fait un tabac en Finlande en partie parce que les gens sont curieux de connaitre l'Estonie et aussi parce qu'ils ont un peu mauvaise conscience (La Finlande a moins souffert du coup de griffe russe que l'Estonie). Bien sûr qu'il y a aussi une valeur purement littéraire à ce livre, mais seulement en Finnois. La vente massive du bouquin dans le monde entier s'explique par une bonne machine commerciale qui prolonge la vague des polars nordiques en introduisant le concept novateur de "fiction historico-féministe masochiste post-soviétique" qui cartonne dans les librairies de gare de notre monde du XXIème siècle. Envie de relire Flaubert?

P.S. "Purge" est une version approfondie, affinée et stylisée du premier roman d'Oksanen, mêlant plus directement autobiographie et Histoire, "Stalinin lehmat", non encore traduit en français, je crois...

Tiina a dit…

C'est avec intérêt que je découvre le "concept novateur de fiction historico-féministe masochiste post-soviétique" :-D

Je veux bien croire que S.O. a eu - et a sans doute toujours - une vie compliquée. Ayant moi-même fait un retour en Finlande à l'adolescence, je sais à quel point il est difficile d'être "différent".

Je devrais sans doute lire Les vaches de Staline, surtout avant qu'il ne soit traduit, ça m'épargnera quelques énervements. En lisant Purge, je ne ressentais toutefois pas que l'auteur était une lesbienne gothique finlandaise d'origine estonienne/soviétique.

Il est dommage qu'elle passe totalement sous silence la façon dont Zara entre dans le circuit de la prostitution. Sa copine lui fait miroiter le luxe et l'argent facile et ensuite, elle fait des pipes à Berlin. Le côté cubiste de la narration m'a beaucoup dérangée.

Tiina a dit…

Sofi Oksanen n'a jamais vécu en URSS. Elle est née en Finlande et y a grandi. Elle avait toutefois une grand-mère qui vivait là-bas et elle y allait tous les étés en vacances.

Source: www.finland.fi via www.sofioksanen.com
" Born in 1977, the Finnish Estonian author grew up in Jyväskylä, central Finland and spent her summers in Estonia – not in the capital Tallinn, where tourists were not unusual, but out in the country. Her grandmother lived on a kolkhoz, a Soviet collective farm, so going to see her meant visiting an area where no Westerners were actually allowed."

Martine a dit…

J'ai lu Purge et suis assez d'accord avec votre post: j'ai été surtout très étonnée des concessions faites aux nazis....Par moment le dégout car pourquoi autant de pornographie et d'obscénités

Mais ce roman est quand même intéressant rien que pour faire connaitre l'Estonie...

Veikko Pohjola a dit…

Quelle trouvaille ce blog!

J'avais justement écrit un peu de texte pour mon blog RANSDEUX sous le titre "De la quasi-poésie", et y fait le commentaire suivant:

Sur la difficulté de définir ce qui est la poésie, tèmoigne aussi une citation de l'auteur, Massimo Elia, du livre Le Quasi Poesie (2006, en italien): "Non so cosa vuol dir poesia, ma alcune di queste cose sanno di poesia ... o quasi. Sono ignorante ma che importanza ha? E intanto scrivo."

Voici un très bref exemple de ces quasi poèmes:
L'albero mi guardava
...e Io guardavo l'albero

(Curieux: si on fait la traduction et remplace 'albero' par 'mouche', on obtient la phrase qui se trouve dans la percée de Sofi Oksanen ”Purge”)

C'est ce commentaire-ci qui m'a dirigé à ce blog que je trouve bien intéressant. J'espère de pouvoir revenir un peu plus tard.

Spipou a dit…

Je suis très étonné par votre article. Vous connaissez, famille oblige, la Finlande, mais c'est à se demander si vous connaissez l'Estonie, en particulier en ce qui concerne la vision des nazis, ou plutôt pour les estoniens, des allemands ?

En tout cas, pour moi, si Les vaches de Staline reste un peu brouillon, Purge est un réel chef-d'oeuvre. C'est d'ailleurs mon livre de chevet actuellement.

Spipou a dit…

Ceci étant, que vous n'ayez pas aimé le rythme et le style du roman, c'est autre chose. Des goûts et des couleurs...

Tiina a dit…

En effet, des goûts et des couleurs.... Je n'ai pas aimé ce livre, ma mère non plus (elle l'a trouvé trop pornographique, mais elle est d'une autre époque!). J'ai écrit que les nazis ont l'air moins affreux..., je n'affirme rien, comment le pourrais-je? Il me semble que les peuples, comme les Polonais, qui ont subi et les nazis et les communistes russes ont plus souffert des Russes que des Allemands, même si les deux étaient affreux. Ce qui reste terrible aujourd'hui, c'est que le communisme et les milliers de morts qu'il a causés (goulags, personnes abattues à la frontière etc...) ne porte toujours pas le même aura d'horreur que le nazisme. La mémoire populaire ne retient que le nazisme, ce que font les Chinois au Tibet, par exemple, tout le monde s'en fout.

Spipou a dit…

Oui, c'est vrai !

Excusez-moi pour mon premier post, j'ai peut-être été un peu vif. Mais en plus de votre article, j'ai lu un truc sur le nazisme dans un des commentaires qui m'a un peu, disons, énervé... C'est un roman, et l'auteur narre les faits historiques selon le bon vouloir de son imagination. Sinon, on fait comme Eric Raoult qui rappelle Marie NDiaye à son "devoir de réserve" !

Toujours est-il qu'ayant bien connu l'Estonie à une période un plus récente que celle du roman, je peux vous dire que les allemands n'y ont pas du tout laissé la même mémoire que les russes !

Pour la Pologne, si j'en crois les polonais de cette génération que j'ai rencontrés et l'excellent livre "Terres de sang" de Timothy Snyder, c'est différent, les nazis et les communistes ont été égaux en atrocités, de même qu'en Biélorussie, Ukraine... Je crois que les pays baltes, et surtout l'Estonie (où la population juive était d'ailleurs de moins de 1000 personnes), ont connu un sort très différent, et que même occupés, ils considéraient vraiment les allemands comme des alliés.

Sinon, pour les goûts et les couleurs, oui, vraiment ! Là, on ne peut rien dire d'autre que j'ai aimé ou je n'ai pas aimé ! Et à la rigueur expliquer pourquoi, mais c'est toujours de l'ordre du ressenti.

En ce qui me concerne, j'ai plongé dans le livre dès la première page et je n'en suis ressorti qu'à la dernière. J'ignorais d'ailleurs qu'il avait eu un tel succès, je l'ai vu en poche dans les rayons, et la couverture m'a bien plu...

Spipou a dit…

Ah, au fait... Ca n'a rien à voir avec Sofi Oksanen, mais je fais un métier très proche du vôtre ! Traduction, mais à l'écrit uniquement ! )))

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