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lundi 11 décembre 2023

L’engagement personnel pour atteindre ses objectifs



Prof. Steve Alban Tineo et Martin Perrier, ont eu l’occasion de présenter le concept de COACHFERENCE® devant une centaine de personnes à l’occasion de la foire d’automne de Genève, Les Automnales, qui s’est tenue à Palexpo en novembre 2023. Ils sont tous les deux actifs - entre autres - dans le coaching ou l’enseignement et leur présentation portait sur l’engagement personnel, la motivation, l’estime de soi et la ténacité dans la poursuite de ses objectifs. Comment aller jusqu’au bout, comment ne pas baisser les bras, comment croire en soi… Tous deux ont une vaste expérience dans ces thématiques et ont l’habitude de présenter leurs méthodes face à un public - qui était nombreux et très varié en cette occasion, parrainée par l’Etat de Genève et plus particulièrement par le programme Level Plus, dont le but est d’aider les chômeurs de plus de 50 ans à retrouver un travail. 

Martin Perrier est un athlète d’élite en ultra-trail et participe régulièrement à des courses d’endurance extrêmement dures, plusieurs centaines de kilomètres sur plusieurs jours. Il sait ce que cela signifie que de surmonter la douleur, la fatigue et la peur de l’échec. Il sait comment programmer son mental pour ne pas abandonner, pour y croire envers et contre tout et aller jusqu’au bout. Il ne demande certes pas au public de se mettre au triathlon, mais il l’encourage à tenter l’expérience de l’engagement total. Il nous a suggéré de choisir une habitude de vie que nous aimerions changer en y consacrant au maximum 15 minutes par jour pendant un mois. Cet engagement à changer sa vie - qu’il s’agisse d’arrêter de fumer, faire du sport, de lire un livre, de passer plus de temps avec ses enfants ou de se lever plus tôt - doit être concret et tangible, il doit être réaliste, il doit avoir du sens pour vous et, idéalement, cela devrait être une bonne résolution dans laquelle vous avez déjà échoué. Il nous a ensuite expliqué la différence entre une intention et un engagement, en ajoutant à l’intention de changer son habitude de vie la volonté d’en faire une priorité et le refus catégorique de se chercher des excuses. Ne dites pas que vous n’avez pas le temps, pas l’énergie, que vous manquez de discipline ou que vous avez oublié. Si vous êtes vraiment engagé, aucune excuse ne tiendra la route. Pour nous faire intégrer encore davantage la notion d’engagement, il nous a présenté sa méthode Q3 No Limit™, qui repose sur trois questions simples, mais essentielles pour (re)découvrir le pouvoir virtuellement infini de l’engagement personnel. 

Steve Alban Tineo est négociateur, expert en gestion de crises et enseigne la négociation et la gestion de conflits dans des universités en Ukraine et en Hollande. Au moyen d’exemples tirés notamment de la Formule1, où il a collaboré et accompagné une dizaine de pilotes, Steve explique l’importance de bien se connaître soi-même. Nos croyances, nos peurs, nos conditionnements nous entraînent dans des comportements inconscients de soumission, de peur ou d’abandon. Et c’est en prenant conscience de ces limitations, que nous pouvons les dépasser afin de créer pour soi, une réalité positive. Ainsi, des études américaines ont démontré que, parmi les femmes agressées, celles qui étaient accompagnées de leur enfant s’en sortaient bien mieux que les autres, alors qu’elles ne parviennent pas, dans 95% des cas, à le faire pour elles-mêmes. Autrement dit, l'amour et la responsabilité qu’elles portent envers leur enfant est plus fort que leur conviction qu’elles ne peuvent pas se défendre. En dépassant nos croyances, nous accédons à notre propre pouvoir intrinsèque. Les universités américaines de Stanford, Harvard et Carnegie sont toutes parvenues à la conclusion que le succès dépendait à 15% de l’aptitude et à 85% de l’attitude. Il est bien sûr important d’avoir une formation, de l’expérience, des aptitudes, mais quelqu’un qui n’aurait que cela et qui manquerait totalement de sensibilité, d’introspection, d’ouverture à autrui, d’instinct, de feeling de résilience, d’intelligence émotionnelle et de compréhension de ses propres comportements destructeurs ne peut pas être quelqu’un de complètement fonctionnel et intégré. L’intelligence interpersonnelle étant un prérequis à l’intégration sociale et au succès. Les cours de formation sont essentiels lors d’une recherche d’emploi, mais le développement personnel est encore plus important. Il ne faut pas négliger son pouvoir personnel. Tous les chefs devraient apprendre à être à l’écoute de leurs subordonnés, ils doivent savoir prêter l’oreille même aux collaborateurs qu’ils pourraient considérer les plus insignifiants. Il faut aussi avoir l’humilité d’accepter de ne pas toujours avoir raison. Les chômeurs doivent miser sur leurs 85% d’aptitudes personnelles, leurs qualités humaines et surtout garder la motivation. Comment voulez-vous qu’un employeur croie en vous, si vous-mêmes ne le faites pas ? Comment voulez-vous trouver un emploi, si tout en vous vibre le rejet et l’échec ? 

Le public était très attentif et a également participé de façon très active et interactive à cette leçon de vie. Il est difficile, mais possible, de garder la tête haute lorsqu’on reçoit des centaines de réponses négatives à des postulations auprès d’entreprises et de conserver une bonne estime de soi. Espérons que les participants auront quitté Palexpo plus sages et plus engagés. Steve et Martin se sont engagés, eux, à offrir un debrief personnalisé à chaque participant qui a pris un engagement pour un mois. Espérons surtout que le programme Level Plus permettra aux chômeurs senior de faire valoir et de faire apprécier leur expérience et leurs compétences. 

mercredi 27 septembre 2023

Leçons de chimie - La brillante destinée d’Elizabeth Zott par Bonnie Garmus


Your ability to change everything, including yourself, starts here !


Quel bonheur que de lire un livre aussi intelligent ! Et quel plaisir que de lire un livre aussi drôle ! Il s’agit du premier roman de Bonnie Garmus (66 ans), rédactrice dans les domaines technologique, médical et pédagogique. On jurerait qu’elle est elle-même chimiste, mais non : elle s’est simplement documentée en lisant un vieux manuel de chimie du siècle dernier, afin d’être certaine d’éviter les anachronismes. Ce livre est né de sa « colère constructive » comme elle l’appelle, après qu’un collègue s’était approprié une de ses idées et que personne ne l’ait prise au sérieux. Elle a réussi a transformer cette énergie destructrice en quelque chose de créatif, mais aussi amusant et instructif. 

L’intrigue narre la destinée non pas tant brillante que freinée, frustrée, bloquée et entravée d’une chimiste américaine dans les années 1950-60. Elle est super intelligente, compétente, efficace, elle dépasse tous ses collègues, mais personne ne la prend au sérieux, puisque c’est une femme et que les femmes qui travaillent hors de la maison sont des secrétaires. Elle rencontre et tombe amoureuse de Calvin Evans, un HPI rancunier à tendance Asperger que nul ne supporte. Lui, tombe sous le charme du cerveau d’Elizabeth Zott, ils sont tous deux seuls sur la même planète, isolés du reste du monde. Personne ne comprend la chimie magique qui lie le crapaud misanthrope et cette belle plante si brillante, tout le monde les jalouse, personne ne veut leur succès, tout le monde ne rêve que de leur échec. Quand Elizabeth Zott tombe enceinte sans être mariée, un couperet tombe sur sa carrière, sa vie et sa personne ne se résument plus qu’à son statut scandaleux de fille mère. Elle avait refusé d’épouser l’homme qu’elle aimait tant, car elle savait qu’elle ne serait alors plus que Mme Evans et que tous ses travaux seraient alors attribués à son mari. 



Elle finit par retrouver un travail bien féminin, à savoir l’animation d’un programme culinaire à la télévision. Mais voilà : la cuisine, c’est de la chimie et, contre vents et marées, elle arrive à mitonner de bonnes petites recettes tout en expliquant les phénomènes chimiques qui lient les sauces ou qui découlent de la chaleur du four. Dans son émission, le vinaigre s’appelle acide acétique et le sel chlorure de sodium. Faire de la mayonnaise ou battre des blancs d’œuf en neige tient réellement de la magie ! Son émission devient immensément populaire dans tous les Etats-Unis, notamment parce qu’elle prend son public au sérieux et qu’elle s’adresse aux femmes comme à des personnes douées de raison, au lieu de les considérer comme de simples épouses et mères. Elle profite d’avoir l’attention de milliers de femmes au foyer pour faire passer des messages d’émancipation et de liberté de penser, tout en encourageant ses congénères à découvrir qui elles sont vraiment et à vivre pleinement la vie qui leur correspond.


Bonnie Garmus a écrit ce roman en hommage à sa propre mère, une infirmière qui aurait voulu être chirurgienne et qui a dû arrêter de travailler lorsqu’elle est tombée enceinte. Elle s’est rendu compte à quel point elle n’avait pas su apprécier ni comprendre les sacrifices qu’avait faits sa mère et combien la vie pouvait être dure et insatisfaisante pour les femmes. C’est la raison pour laquelle elle a situé l’action de son roman à une époque où sa propre maman était une maman.


Ce roman est devenu un best-seller traduit en 40 langues, une adaptation au format série télé (Apple TV) est en cours. C’est bien la preuve que, aujourd’hui encore, bien des personnes se reconnaissent dans ces vieux schémas qu’on croyait dépassés depuis longtemps. Bonnie Garmus dit que de nombreux lecteurs et lectrices sont retournés à l’école, ont divorcé, ont décidé de prendre leur destin en main, au lieu de se plier aux préjugés et convictions que d’autres tentent de leur imposer - parfois sans s’en rendre compte. Il est vraiment intéressant de constater à quel point le message, très rigolo et sarcastique, de l’auteur a trouvé un écho auprès d’un vaste public, tant féminin que masculin. 



Children, set the table. Your mother needs a moment to herself.

Lessons in Chemistry, Bonnie Garmus. Doubleday 2022

Leçons de chimie - La brillante destinée d’Elizabeth Zott par Bonnie Garmus. Editions Pocket. Les révélations, juin 2023


Note : ayant vu quelques minutes de la série télé, elle n'a pas grand chose à voir avec le roman. Les réalisateurs semblent n'avoir rien compris.... En effet, on y voit Elizabeth Zott séduire Calvin Evans grâce à ses petits plats si délicieux. Oh mon dieu, les clichés ont décidément la vie dure ! 







mercredi 9 août 2023

La plus belle femme du monde

Hedy Lamarr (1914-2000)

Any girl can be glamorous. All you have to do is stand still and look stupid.”


Nous avons tous des préjugés. Plus ou moins conscients, plus ou moins avouables, difficilement maîtrisables. Pendant des siècles, parmi les préjugés les plus courants on trouvait : a) les femmes ne peuvent pas être intelligentes ; b) les jolies femmes sont forcément des bécasses ; c) il est impossible qu’une starlette de Hollywood puisse breveter une invention qui aurait sans doute pu changer le cours de la deuxième Guerre mondiale. Et pourtant …. Voici l’histoire de Hedwig Kiesler, mieux connue sous le nom de Hedy Lamarr.

Cette future star est née en 1914 à Vienne, à l’époque encore en Autriche-Hongrie. Elle mourra en Floride en 2000, seule, ruinée et recluse, alors que son invention révolutionnaire a changé la face du monde sans qu’elle n’ait jamais touché le moindre sou. Compte tenu des bruits de bottes qui commencent à se faire entendre dans les années 30, Hedwig Kiesler, d’origine juive, fuit l’Europe et fera carrière aux Etats-Unis, comme tant dautres exilés européens. A 12 ans, elle gagne un concours de beauté et à 19 ans, elle tourne dans le premier film érotique de l’histoire du cinéma, Extase (Gustav Machatý, 1933). Cette œuvre, qui dévoile une femme nue, ainsi qu’un orgasme féminin, fera sensation, choquera les esprits et marquera la vie et la carrière de Hedy Lamarr de façon irréversible, telle une tache impossible à laver. Elle fera néanmoins une brillante carrière à Hollywood, côtoyant les plus grandes stars du grand écran, ainsi que tous les grands noms ayant, comme elle, fui le nazisme. Elle dira plus tard que sa beauté était une malédiction, car personne ne voyait qui elle était, au-delà de la surface.



Dès l’enfance, elle s’est intéressée à la science et à la technique, notamment grâce à son père qui a su éveiller son intérêt pour les mystères du monde. Elle a également appris plusieurs langues, ainsi que le piano et l’équitation, comme la jeune fille de bonne famille qu’elle était. Le premier de ses six maris était Friedrich Mandl, un marchand d’armes qui faisait de juteuses affaires avec les forces de l’Axe. En tant qu’épouse et hôtesse aussi discrète qu’élégante, Hedwig a entendu et compris beaucoup de choses, sans que personne ne soupçonne qu’une si jolie femme puisse y comprendre quoi que ce soit. Quelques années plus tard, rongée par le remords et la culpabilité sous le soleil de Californie, elle tenait absolument à agir contre la guerre. C’est lors d’une soirée que Hedwig, qui s’appelle dorénavant Hedy Lamarr, rencontre le compositeur George Antheil, pianiste moderniste et inventeur à ses heures, lui aussi un émigré des années 30. La rencontre de leurs deux esprits exceptionnellement curieux et novateurs débouchera sur une idée permettant d’empêcher le brouillage de la communication radio-téléguidée des torpilles, moyennant l’étalement de spectre par saut de fréquence, ce qui permettrait alors à ces munitions de mieux atteindre leurs cibles, tout en empêchant l’ennemi d’accéder aux fréquences du téléguidage. L’idée consistait à constamment modifier, de façon simultanée, la fréquence à laquelle communiquaient le sous-marin et la torpille. Il devenait ainsi impossible de brouiller ce lien, puisqu’il changeait sans cesse. 




L’invention a été déposée et brevetée par le US Patent Office en août 1942, mais totalement négligée par l’armée américaine - qui ne l’a tout simplement pas comprise - tout en étant classée Secret Défense. A noter que les torpilles américaines étaient particulièrement inefficaces à l’époque. Ce système a pourtant été exploité par la US Army lors de la crise des missiles à Cuba (1962), sans que les inventeurs n’aient jamais été rémunérés, ni même remerciés. Le brevet ne ressortira des tiroirs qu’en 1997, permettant alors le lancement des systèmes satellites modernes, de la WiFi, des téléphones sans fil et cellulaires, du Bluetooth et des systèmes GPS. Hedy Lamarr n’a jamais tiré le moindre bénéfice de ce brevet, échu au bout de 20 ans. Antheil quant à lui est décédé en 1959. La valeur globale de toutes les inventions qui en sont dérivées est aujourd’hui estimée à 30 milliards USD. Hedy Lamarr a toutefois été honorée, des années plus tard, par le Pioneer Award of the Electronic Frontier Foundation, ainsi que le Invention Convention's Bulbie Gnass Spirit of Achievement Award.

Ni Hedwig Kiesler ni George Antheil n’ont fait d’études universitaires ou techniques, ayant tous deux abandonné leur scolarité avant le baccalauréat. Hedy Lamarr avait constamment toutes sortes d’idées très créatives et originales. Elle a inventé un petit cube effervescent permettant de produire une boisson gazeuse. C’est également elle qui a suggéré à son petit ami Howard Hugues, aviateur et constructeur aéronautique, de placer les ailes des avions à l’oblique, plutôt qu’à angle droit, pour leur permettre de voler plus vite. Pour cela, il lui avait suffi d’observer les oiseaux et les poissons. Elle a eu l’idée d’un siège tournant permettant d’entrer et de sortir de la douche ou encore d’un collier fluorescent pour chien. Enfin, c’est encore elle, nostalgique de ses Alpes autrichiennes, qui a fait construire une Villa Lamarr à Aspen, contribuant ainsi à faire de ce bled perdu une station de ski à la mode. Lorsque sa beauté a commencé à se faner, elle a eu recours à la chirurgie esthétique, avec des résultats plutôt calamiteux à l’époque, en suggérant toutefois au chirurgien de faire en sorte à placer les cicatrices derrière ses oreilles. Sa carrière déclinant inexorablement, elle est finalement devenue une des nombreuses patientes-victimes du Dr Feelgood, Max Jacobson de son vrai nom, qui requinquait les stars en leur injectant des « vitamines », en réalité de la méthamphétamine (crystal meth). Droguée, has been et abîmée par de multiples interventions esthétiques, elle finira sa vie en recluse et mourra en 2000, à l’âge de 85 ans. 

picture alliance / Everett Collection

Elle est en train d’être redécouverte, plus de 20 ans après sa mort - mieux vaut tard que jamais ! On trouve désormais des t-shirts à son effigie, Johnny Depp et Jeff Beck lui ont consacré une chanson. Quand on pense qu’elle a servi de modèle à la Blanche-Neige de Disney, ainsi qu’à Catwoman et qu’elle a tourné des films avec tous les grands noms de Hollywood, il est difficile de comprendre comment elle a pu ainsi tomber dans l’oubli. Sa nudité dans Extase l’a empêchée d’être jamais prise au sérieux. Son autobiographie apocryphe a encore enfoncé le clou, en la réduisant à une chaudasse et à une bombasse…. Le livre ne mentionne aucune de ses inventions et efface totalement son esprit brillant.

Alors ayons une pensée pour Hedwig Kiesler chaque fois que nous consultons notre téléphone mobile et évitons de présumer de l’intelligence d’une personne en nous basant uniquement sur son aspect physique. Tenons-nous prêts à prendre au sérieux même les idées les plus folles et ouvrons nos oreilles avec bienveillance à ceux qui ne pensent pas comme nous. Finalement, c’est peut-être nous qui avons tort !

My face has been my misfortune, it’s a mask I cannot remove. I must live with it. I curse it.

The brains of people are more interesting than their looks
All creative people want to do the unexpected




https://hedylamarr.com/
https://leaders.com/articles/leaders-stories/hedy-lamarr-inventions/
https://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2018/02/article_0002.html 

Marie Benedict : La femme qui en savait trop (roman), 2021, éditions 10718
Alexandra Dean : Bombshell (documentaire), 2017


lundi 27 mars 2023

Plats voyageurs

Nous avons la chance, dans notre monde occidental, d’avoir une immense variété culinaire. De nos jours, peu de repas sont composés de chou et de patates, nous avons l’embarras du choix entre les currys, les empanadas, les pâtes en toutes sortes, les fruits du monde entier…. Parfois, les routes culinaires se croisent et se rencontrent, permettant d’intéressantes fusions et hybridations, pour notre plus grand plaisir. Voici quelques exemples :


Le döner kebab

Roi du fast food, ayant sans doute même détrôné le hamburger, le kebab a conquis la planète. Ce plat est turc ou grec, selon …. un peu comme le café turc, qui, en Grèce, s’appelle café grec. Il faudrait sans doute parler de café ottoman, car il se consomme ainsi dans tout le proche orient.  Döner signifie « tournant » en turc, en grec, cela donne « gyros ». Kebab signifie « grillade » et vient de « kepa » la façon typiquement turque de cuire la viande. Le kebab serait arrivé en Grèce grâce à des immigrants hellènes revenant d’Anatolie. La diaspora grecque a ensuite rendu ce plat populaire aux Etats-Unis. A noter toutefois que les gyros peuvent être composés de viande de porc. En France, on parle de « sandwich grec ». 


Les brochettes turques s’appellent « chiche-kebab », şiş signifiant « broche ». En 1830, un dénommé Amid Oustaz a eu l’idée de placer ce şiş à la verticale, plutôt que de faire griller la viande au-dessus du feu. Puis, dans les années 1970, un Turc émigré à Berlin, Kadir Nordmann, a pensé à placer ces grillades dans du pain, accompagnées d’oignons, de tomates, de salade et de sauces (blanche et/ou piquante). Abracadabra ! Le kebab européen était né !



Les boulettes de viande

Restons un peu dans la gastronomie turque. Les célèbres boulettes de viande suédoises - köttbullar pour les fans d’IKEA - sont le fruit d’une mondialisation avant l’heure. C’est le roi Charles XII qui les a ramenées de son exil dans l’empire Ottoman au XVIIIème siècle. Il aurait, par la même occasion, ramené le café et le chou farci. Les kebbes libanais ne leur ressemblent pas vraiment, étant donné que la viande est alors entourée d’une croûte au boulgour et pignons passée à la friteuse. Ce seraient plutôt les keftas qui en seraient l’ancêtre, « kefta » signifiant « hacher » en farsi (persan). On trouve toutefois des variantes sous diverses formes dans de nombreux pays : les fricadelles en Belgique et dans le nord de la France, les polpette al sugo en Calabre, les nem nuong au Vietnam, les meat balls aux USA, les Königsberger Klopse en Allemagne, etc …


Les Suédois sont probablement les seuls à les manger accompagnées de confiture d’airelles. Voilà qui rend ce plat unique !



Le tacos français

A noter que le tacos français (à base de blé) n’a pas grand chose à voir avec l’original mexicain (à base de maïs), notamment parce qu’il prend un « s » même au singulier. Ces tacos-là sont le résultat d’une véritable hybridation mondialiste, puisqu’il s’agit d’une sorte de croisement entre un panini, un wrap, un taco, un shawarma, un kebab, un burrito … et plus si entente ! Le résultat est un rectangle de pâte, également appelé « matelas », farci de viande (halal), de poulet, de merguez ou autre, accompagné d’une sauce à base de fromage industriel et parfois de crudités. Le tout est ensuite grillé tel un panini et accompagné de frites (aussi à l’intérieur du tacos !). C’est un mets tendance, bon marché, roboratif, hypercalorique et connoté djeun, il est même évoqué dans certains hits rap - français, cela va sans dire. En un mot: un plat aux antipodes du quinoa bio et du tofu bouilli. 


Le tacos français aurait été inventé dans les années 2000 à Lyon, plus précisément à Vaulx-en-Velin par Mohamed Soualhi. Toutefois, le père de cette invention culinaire pourrait également s’appeler Salah Dardouri ou encore Abdelhadi et Mohammed Moubarek de Grenoble. Comme souvent, on peut se demander si plusieurs personnes n’ont pas eu la même idée quasi simultanément. Le tacos français a maintenant trouvé ses marques à l’étranger également, il va probablement bientôt conquérir la planète ! 




Le poulet tikka masala

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce plat phare des restaurants indiens n’est pas indien. Son inventeur serait un certain Ali Ahmed Aslam à Glasgow, d’origine pakistano-écossaise. Mais tout comme pour le tacos français, plusieurs versions circulent : le chicken tikka masala aurait été lancé par des tenanciers originaires du Bangladesh ou, de façon générale, du sous-continent indien, mais néanmoins tous établis en Grande-Bretagne. Selon d’autres sources, ce mets aurait déjà existé en Inde dès les années 1960, mais compte tenu de ses innombrables avatars, on peut se demander s’il s'agit réellement de la même chose. 


Ce plat est une variation du chicken tikka, visant à l’adapter aux palais britanniques, qui apprécient d’avoir de la sauce (gravy) dans leur assiette. En effet, le créateur du poulet tikka masala aurait eu la bonne idée d’ajouter des tomates, sous forme de sauce ou de soupe, mélangées à du yaourt et à des épices (masala), après qu’un client s’est plaint que ce qu’on lui avait servi était trop sec. Le lieu de naissance de cette création culinaire serait le restaurant Shish Mahal à Glasgow. Il existe de très nombreuses variations de cette recette, d’autant plus qu’elle est dorénavant servie dans le monde entier. Son seul dénominateur commun est le poulet. 


Le poulet tikka masala est devenu si populaire auprès des Anglais qu’ils le considèrent comme un plat national ! 


Ingrédients de la pizza hawaïenne

La pizza hawaïenne

Cette célèbre spécialité n’a d’hawaïen que le nom. En effet, elle a vu le jour au Canada en 1962, dans le restaurant de Sam Panopoulos dans l’Ontario. C’est l’expérience de la cuisine chinoise, où l’aigre-doux est monnaie courante, qui serait à l’origine de cette audacieuse invention. En résumé : un immigré grec au Canada s’inspire de la cuisine chinoise pour introduire un fruit sud-américain sur un mets italien, devenu extrêmement populaire en Australie. Quoi de plus cosmopolite ? Rien de plus efficace pour promouvoir l’amitié entre les peuples et la paix dans le monde. 



Un président islandais dénommé Johannesson a déclaré en plaisantant qu’il adopterait volontiers une loi interdisant l’ananas sur les pizzas, alors que Justin Trudeau en a pris la défense (par nationalisme ?). Que l’on aime la pizza hawaïenne ou qu’on la déteste, il n’en demeure pas moins qu’on la trouve partout sur cette planète - et peut-être au-delà - en dépit de débats animés « pour ou contre » sur les réseaux sociaux. Pour ceux qui détestent cette recette, l’ananas est au coude à coude avec les anchois ou les aubergines. A noter qu’en Islande, on peut même trouver de la banane sur la pizza et en Russie du caviar. Il existerait même des versions sucrées (chocolat, guimauve-fraise ….) ailleurs dans le monde. Etant donné que ce plat n’est protégé par aucune AOC, chaque pays, chaque cuisinier est libre d’y mettre ce qu’il veut. Alors vogue la galère …. !



La pizza au kebab

Voici un autre exemple de fusion turco-suédoise, en faisant un crochet par l’Italie. Ce repas jouit d’une popularité sans pareille en Suède, au point d’être considéré comme un plat national. Tout comme le tacos français ou le döner kebab, il s’agit à nouveau d’une trouvaille d’immigrés venus du proche orient. La pizza au kebab fait dorénavant partie intégrante de la culture suédoise, à tel point qu’à l’occasion d’une prise d’otages dans une prison de Hällby, les conditions posées par les détenus étaient d’obtenir un hélicoptère et vingt pizzas au kebab - qu’ils ont obtenues.

La première pizzeria a vu le jour en Suède en 1947 à Västerås, suite à l’arrivée de 300 travailleurs italiens. Mais peu à peu, c’est la communauté moyen orientale qui a repris ce créneau, ce qui explique la naissance inéluctable de la pizza au kebab, vers 1982. Il est toutefois impossible de nommer un inventeur précis de ce délicat mets, arrosé d’une sauce au yaourt et épices, un peu comme le chicken tikka masala. Ces pizzas peuvent être agrémentées de frites, comme le tacos français. La pizza kebab « Viking » est pliée en deux, de sorte à ressembler à un drakkar. 


Cette création a essaimé un peu partout dans le monde, au point qu’il existe même des pizza au kebab surgelées. On pourrait peut-être envisager d’y ajouter quelques rondelles d’ananas ? Et pourquoi pas un peu de sirop d’érable pour agrémenter le tout ! A noter que la Suède tout entière mange de la pizza chaque année au 1er janvier, une spécialité dorénavant bien ancrée dans ce pays. 


Peut-on breveter une recette ? La réponse est non, mais peut-être oui quand même. Tout dépend des circonstances, notamment la difficulté d’identifier l’inventeur. 


https://www.nzz.ch/panorama/doener-kebap-ein-deutsch-tuerkisches-kulturgut-ld.1827698


Des producteurs turcs ont déposé une demande à Bruxelles pour que le kebab soit reconnu comme étant turc (Tribune de Genève, le 17.7.2024)

"Les Allemands veulent sauver leur plat national: le döner kebab. Ils en dévorent plus de 2,5 millions par jour! Aucun plat n’est plus vendu en Allemagne que ce sandwich né à Berlin dans les années 70. Le döner kebab, dont on a fêté les 50 ans en 2022, se mange plus que le Sauerkraut (choucroute), le Eisbein (jarret de porc) ou le Kartoffelsalat (salade de pommes de terre). ... Pour la «Fédération internationale de producteurs de kebab» (Udofed), qui a fait la demande de labellisation, cela a toujours été un plat turc. Elle prétend même détenir la «recette traditionnelle». .... 

Pour les Allemands, c’est une plaisanterie. «Le kebab existait avant 1923, date de la création de la Turquie». ... «C’est un produit de l’Empire ottoman, où les Turcs, les Grecs, les Albanais, les Juifs, les Arméniens, les Kurdes et les Arabes apprenaient les uns des autres pour leur cuisine. Le kebab, le gyros et le shawarma sont issus de cette culture», explique Eberhard Seidel. ... La Fédération des fabricants d’Europe (ATDiD), dont le siège est à Berlin, attribue l’origine de cette création à Kadir Nurman. C’est lui qui a vendu en 1972 le premier döner kebab au Zoologischer Garten, l’ancien terminus des trains grandes lignes de Berlin-Ouest.

.... En Allemagne, le sandwich représente plus de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 80’000 emplois. Car le german kebab est servi partout dans le monde, jusqu’en Chine. À New York, il est célébré comme une «spécialité berlinoise».

... Car le german kebab est servi partout dans le monde, jusqu’en Chine. À New York, il est célébré comme une «spécialité berlinoise».


vendredi 24 mars 2023

Les rats, nos amis, nos héros

Rat démineur recevant une récompense

Le rat est un animal qui suscite la peur et le dégoût, sans doute parce qu’il est connu pour vivre et proliférer dans les égouts et autres lieux peu ragoûtants, également parce qu’il est associé à la propagation de la peste et d’autres maladies. Ce sont toutefois des animaux très intelligents - comme le sont les corneilles qui ont, elles aussi, mauvaise presse - capables d’apprendre à exécuter toutes sortes de tâches. 


C’est ainsi que Bart Weetjens a eu l’idée de former des cricétomes des savanes (Gambian pouched rat ou giant pouched rats en anglais) pour leur apprendre à déceler des odeurs qui échappent aux narines humaines, notamment celles de la tuberculose et des mines anti-personnel (TNT). Il a fondé APOPO, une ONG qui se consacre au déminage et au dépistage de la tuberculose, grâce au flair de ces rats géants, les HeroRATS - qui n’appartiennent toutefois pas à la famille des rattus. Les cricétomes étant suffisamment légers, ils ne déclenchent pas d’explosion, mais savent indiquer la présence d’une mine-antipersonnel. APOPO est présente dans plusieurs pays, notamment au Cambodge, en Angola, au Zimbabwe et au Mozambique, ce dernier pays ayant été entièrement nettoyé des mines meurtrières disséminées partout pendant la guerre civile. En outre, APOPO forme des chiens qui sont capables dinspecter des terrains préalablement déminés par les rats, afin de confirmer quils sont dorénavant sûrs. Les HeroDOGS travaillent au Cambodge, en Angola, au Sud Soudan, en Turquie et en Azerbaïdjan. 


Les HeroRATS sont également capables de dépister des cas de tuberculose, une des maladies infectieuses les plus mortelles (1,5 millions de morts en 2020, année d’apparition de la Covid-19, source OMS). Nous avons tendance à penser que cette maladie n’existe plus, mais elle fait des ravages dans les pays pauvres. APOPO collabore avec les gouvernements de Tanzanie, du Mozambique et d’Ethiopie. Les rats parviennent à identifier un grand nombre d’échantillons très rapidement pour un coût qui revient à 1€/pièce. 


Les rats géants sont aussi capables de retrouver des corps enfouis sous des décombres, non seulement grâce à leur odorat, mais parce qu’ils parviennent à se faufiler partout et qu’ils sont très curieux. Ils sont équipés de mini-baudriers munis de caméras et de micros : les équipes de sauveteurs peuvent ainsi communiquer avec les personnes retrouvées.


Les possibilités étant infinies, les cricétomes des savanes sont capables de lutter contre la contrebande d’espèces menacées, notamment les pangolins, ou d’essences d’arbres rares et précieux. Cela prend neuf mois pour apprendre à un HeroRAT à reconnaître une odeur - que ce soit celle du TNT, du pangolin ou de la tuberculose - et ils sont formés avec la technique du clicker utilisée pour éduquer les chiens ou n’importe quel autre animal : chaque fois que l’individu démontre le comportement attendu, il entend un déclic et reçoit une récompense, en l’occurence de la banane ou tout autre friandise dont il se régalera. 




Les éléphants sont eux aussi dotés d’un flair exceptionnel, ils ont plus du double de gènes associés à l’olfaction que les chiens. Il a été observé qu’ils évitaient les champs de mines en Angola. On ne sait trop comment, mais ils ont appris à associer l’odeur du TNT avec la mort de leurs congénères ayant explosé. Les éléphants sont évidemment bien trop lourds pour travailler comme le font les cricétomes, mais ils indiquent la présence de TNT à distance : des échantillons sont prélevés par des drones. Par ailleurs, des chercheurs tentent de comprendre leur flair, afin de développer des outils de détection. Les pachydermes sont probablement encore plus efficaces que les chiens, ils ont une mémoire d’éléphant - haha - et vivent très longtemps. 

Eléphant démineur

APOPO est l’acronyme de « Anti-Persoonsmijnen Ontmijnende Product Ontwikkeling » (en français : Développement d'un produit de détection anti-mines terrestres). Cette ONG a été enregistrée comme organisation à but non lucratif en Belgique en 1998, puis elle a reçu divers soutiens et titres de reconnaissance. En 2018, elle s’est associée à l’Université de Manchester, afin de poursuivre la recherche autour de la détection de maladies en se fondant sur l’odeur. Le centre de recherche et de formation d’APOPO se trouve en Tanzanie. 


En 2015, une Fondation APOPO a ouvert ses portes à Genève, afin de profiter des synergies à tirer avec le Centre international de déminage humanitaire (GICHD) et les centres de recherche sur la tuberculose (OMS et FIND, Foundation for Innovative New Diagnostics) basés dans cette ville. Cette Fondation a pu voir le jour grâce aux contacts noués par le biais de Ashoka, un « accélérateur mondial pour promouvoir des initiatives sociales ». 

APOPO fête actuellement ses 25 ans d’existence, le même âge que le traité d’Ottawa pour l’élimination des mines antipersonnel (1997). A l’heure actuelle, il y a encore 100 millions de mines dans 60 pays. Cela prendra encore du temps - surtout que des mines continuent d’être dispersées, notamment en Ukraine - mais on pourra sans doute compter sur ces adorables rats de Gambie et leur engagement inlassable pour les retrouver. 


www.apopo.org
https://www.youtube.com/c/apopovideos 
https://www.bbc.co.uk/newsround/63388395
https://theconversation.com/how-african-elephants-amazing-sense-of-smell-could-save-lives-85626 

  

jeudi 2 février 2023

La véritable Ile au Trésor


Connaissez-vous Robert Louis Stevenson ? Ses romans L’Étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde, ainsi que L’Ile au Trésor sont entrés dans l’histoire et ont été adaptés moult fois. Mais combien de personnes savent que cet Écossais, né en 1850 à Edimbourg, a choisi d’aller s’installer aux îles Samoa, dans le Pacifique Sud, où il est mort en 1894, à l’âge de 44 ans ? Ce choix peut paraître étrange aujourd’hui encore, mais au XIXème siècle ? L’auteur suisse, Alex Capus, a décidé d’aller creuser ce mystère.


Stevenson était un dandy plutôt chétif, aux poumons fragiles, fils et petit-fils d’ingénieurs ayant inventé et mis au point les phares portuaires. Il sera toutefois davantage attiré par l’écriture et mènera une vie de bohème, athéiste et dissolue, qui le détournera des métiers techniques liés à la sécurité maritime. Ayant été très souvent cloué au lit, enfant, pour cause de diverses maladies pulmonaires (fièvres, bronchites, pneumonies, croup), il a été bercé de nombreux contes, histoires et récits d’aventures que lui narrait sa nourrice. 

Robert Louis Stevenson
En 1879, Stevenson se trouve à San Francisco, où il attend patiemment que sa bien-aimée, Fanny Osbourne, parvienne à divorcer de son mari volage. C’est également cette année-là que deux navires reviennent bredouilles de l’Ile Cocos, alors que leurs équipages pensaient y trouver un immense trésor, caché par des pirates. En effet, une rumeur persistante laissait croire que le trésor ecclésiastique de Lima1) y aurait été enterré, en un lieu décrit sur d’innombrables cartes à l’authenticité plus ou moins douteuse, qui circulaient de main en main, de tripot en saloon, de marin à aventurier… Stevenson serait entré en possession d’un exemplaire. La recherche de coffres remplis d’or et de pierres précieuses, cachés ou perdus par des pirates semble avoir occupé pas mal de monde au cours du XIXème siècle. D’innombrables chasseurs de trésor ont retourné chaque caillou et exploré chaque crevasse de cette île particulièrement inhospitalière, entourée d’écueils de basalte fatals pour les embarcations. Un Allemand du nom de August Gissler y aura même consacré 17 ans de sa vie avec sa femme, en vain. Non seulement l’île est arrosée de pluies tropicales dix mois sur douze, mais elle est recouverte d’une épaisse jungle infranchissable, ainsi que de nombreux cocotiers. Pour agrémenter le tout, elle n’est habitée que d’innombrables oiseaux, papillons, sauterelles, cigales, guêpes, cafards, moustiques, fourmis rouges et lézards. Une population de cochons y a prospéré, ayant été importée par des explorateurs. Alex Capus parvient à la sage conclusion qu’après tant d’années à passer Cocos au peigne fin, à la pelle, à la pioche ou à la dynamite, il est plus que vraisemblable que le butin se trouve ailleurs. 



En 1881, Stevenson est à nouveau alité, malade des poumons. C’est alors qu’il se met à rédiger L’Ile au Trésor, tout d’abord pour distraire son neveu, puis sous forme de feuilleton à paraître dans la presse. Il terminera son roman à Davos, où il se trouve en cure. Avec le succès rencontré par L’Étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde (1886), Stevenson est devenu une vedette aux Etats-Unis, où il effectuera une énième cure pour soigner son emphysème pulmonaire. De là, il décidera de partir naviguer dans les mers du Sud, afin de fournir des articles et récits de voyage à la presse américaine. Malgré un certain succès littéraire, Stevenson n’était toutefois pas particulièrement riche et devait compter sur le soutien financier de son père. Alors cherchait-il l’île au trésor, suivait-il la carte qu’il aurait obtenue à San Francisco ?


Il était impossible pour les pirates qui s’étaient emparés des richesses des colons espagnols de revenir sur les côtes du continent américain, où ils étaient recherchés. Ne restait plus que l’immensité de l’Océan Pacifique. Les courants marins et les alizés auront vraisemblablement mené leurs navires vers les îles Samoa et Tonga, en passant par les Galapagos et la Polynésie. Un anthropologue et navigateur norvégien, Thor Heyerdahl, en a d’ailleurs fait l’expérience en 1947, lorsqu’il a rallié la Polynésie sur un simple radeau, le Kon Tiki. Selon Capus, une autre île, également nommée Cocos, perdue dans le vaste océan mais située à 267 km au sud de Samoa, est le seul lieu plausible et sûr où les pirates ont pu cacher leur trésor. Les Hollandais l’avaient dénommée Cocos Eylandt au début du XVIIème siècle, comme il ressort des cartes navales de l’époque. C’est au début du XIXème siècle qu’elle a été appelée Tafahi, sans doute pour la distinguer des nombreuses îles Coco sur la planète. 



Mais revenons à Stevenson… Il a parcouru le Pacifique et ses innombrables îles, dont les Samoa. C’est après avoir fait un petit tour exploratoire en direction du sud-ouest d’Upolu qu’il décide, de façon aussi soudaine que surprenante de s’y installer et d’acheter un morceau de jungle qui sera dénommé Vailima. La raison affichée de ce choix était le climat tropical, prétendument favorable à sa mauvaise santé, mais Stevenson a continué à cracher ses poumons, alité et fiévreux. Il n’avait alors plus que cinq ans à vivre. Capus observe que le clan Stevenson a fait d’innombrables voyages à Sydney, en Nouvelle-Zélande, en Californie et ailleurs et suppose que c’était une façon discrète de convertir les richesse qu’il aurait pu découvrir, du blanchiment de biens mal acquis. En effet, dévoiler des pierreries et des doublons d’or en trop grandes quantités risquait d’éveiller la curiosité, voire des soupçons. 


Il se peut que l’Ile Cocos au large du Costa Rica ait servi d’inspiration pour l’Ile au Trésor, à moins que Stevenson ne s’en soit servi pour lancer tout le monde sur une fausse piste. Parmi les nombreux textes, récits et articles qu’il a rédigés sur toutes les îles du Pacifique, jamais il ne mentionne Cocos Eylandt alias Tafahi… serait-ce parce que cette île est particulièrement anodine ? Stevenson a vécu dans l’opulence dans son domaine samoan, vénéré par les autochtones, reconnaissants pour ses prises de position contre la colonisation française, anglaise, allemande et américaine dans la région. « Tusitala » - celui qui raconte des histoires - a demandé à être enterré face à la mer, sur le mont Vaea, où il repose à ce jour. Sa maison est aujourd’hui un musée.

RL Stevenson, entouré de son clan, à Vailima

Après avoir effectué plusieurs voyages à Samoa, après s’être même obstiné à retrouver la fameuse grotte (aujourd’hui plus que vide) au-dessus de la fameuse plage, sable fin et cocotiers, de Tafahi, Alex Capus coule maintenant des jours tranquilles à Olten, où il exploite le Galicia Bar. L’observation de ses clients a débouché sur un nouveau roman intitulé Au Sevilla Bar (Das Leben ist Gut). Capus est derrière le comptoir de son bar tous les lundi soirs … à bon entendeur !


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Alex Capus, Reisender unter den Sternen. Première parution 2005, © Carl Hanser Verlag München 2015 ; dtv Verlag 2016.

Voyageur sous les étoiles, traduction Emanuel Güntzburger, Arles, Actes Sud, 2017; éditions Babel, 2019


1) Sentant le vent de l’indépendance se lever sur le continent américain (Simon Bolivar), les colons espagnols ont voulu sauver et mettre à l’abri les montagnes d’or et de joyaux amassées dans la cathédrale de Lima (1821). Ils ont chargé le capitaine Thomson de prendre le large avec le trésor, en attendant que la situation se calme. Thomson n’a pas pu résister à la tentation… et les richesses ont disparu à tout jamais. Avant de mourir, Thomson aurait confié une carte à un dénommé Keating. A partir de là, les copies et fac simile se sont multipliés, entraînant d’innombrables expéditions aux Iles Cocos. 


https://www.letemps.ch/culture/veritable-etonnante-histoire-lile-tresor