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lundi 4 mars 2013

La souffrance de l’accro au shopping

Louboutin, environ 500€
Une de mes amies est accro au shopping. Je l’ai souvent taquinée à ce sujet, quoi de plus féminin, en effet, que de craquer pour une jolie paire de chaussures, même si on en a déjà trente-sept paires à la maison. Les femmes coquettes ont toutes le syndrome d’Imelda, à des degrés divers.  Je plaide moi-même coupable, même si j’ai réussi à me réfréner ces dernières années, surtout parce que les chaussures qu’on nous propose dans les magasins sont de plus en plus moches.

Toutefois, je me suis rendu compte récemment que la coquetterie de mon amie frisait la pathologie et que son comportement correspondait parfaitement à celui d’une shopaholic, ce qu’on appelle une addiction sans substance. Etre accro à internet, au travail, au sexe ou au shopping sont tous des avatars de ce même trouble psychique, qui traduit un mal-être, une dépression ou un sentiment de vide qu’on cherche à combler par tous les moyens. C’est la conséquence d’émotions négatives qui poussent l’accro à commettre des dépenses excessives, dans l’illusion d’acheter une consolation, un câlin, dont l’effet sera de très courte durée. Acheter une nouvelle robe chaque semaine n’est pas bien grave, me direz-vous, mais ça le devient si on en achète deux dans la même journée et qu’on finit par griller tout son salaire dans des fringues et encore des fringues, alors que les armoires débordent déjà tellement qu’on n’arrive plus à en fermer les portes et que certains habits ne sortent jamais du sac de la boutique en gardant éternellement leur étiquette de prix. Dépenser 1000,- pour un sac à main, fût-il magnifique, le jour où on s’est fait licencier, ressemble fortement à un appel au secours, parfaitement vain en l’occurrence. Ou encore à un suicide par carte de crédit interposée…
Il y a un terme en anglais pour décrire ce phénomène: retail therapy. Le terme scientifique est l'oniomanie.

Sac Lancel, 1260 CHF
Que faire, face à une telle personne ? Admirer ses achats, lui dire qu’elle est vraiment très belle dans sa 408ème robe ou la sermonner pour essayer de la rappeler à la raison ? Fermer les yeux, en se disant qu’elle est adulte, que c’est sa vie, son problème et qu’elle n’a qu’à le régler toute seule ? Pour ma part, j’ai décidé de renoncer à lui proposer d’aller au spectacle, sachant qu’elle n’en n’a pas les moyens – alors qu’elle gagne bien sa vie – et d’espacer les sorties au restaurant. Je ne sais pas quoi faire d’autre, c’est la seule façon que je trouve de l’épargner. L’argent qu’elle ne dépense pas au spectacle ou au restaurant, elle ira le donner à diverses boutiques.

Il ne m’appartient pas de lui suggérer de faire une thérapie, c’est à elle de faire le pas le jour où elle refusera d’être l’esclave et le pantin de son addiction. J’ai toutefois fait quelques recherches sur la question. Le site d'Addiction Suisse porte essentiellement sur l’alcool et la drogue. Voici quelques liens utiles pour quiconque chercherait une porte à laquelle frapper :

- La Fondation Phénix ICI  

- L'association des Psychothérapeutes pour le Traitement des Addictions (APTA) à Genève  ICI 

- Le Programme NANT (nouvelles addictions, nouvelles thérapies), du service d'addictologie des Hôpitaux Universitaires de Genève. La brochure ICI

- Débiteurs anonymes, un groupe de soutien ICI. A Genève, les réunions ont lieu les 1er et 3ème dimanche du mois, de 18h à 19h30, au 5, rue Henri Christiné, à Plainpalais.

- Une liste de conseils pour essayer de réfréner ses pulsions et modérer ses dépenses ICI

Louis Vuitton, 535€
Il n’est pas facile d’entamer une thérapie. Il faut, pour cela, déjà reconnaître et accepter qu’on a un problème. Puis il faut se mettre à nu devant son thérapeute et parvenir à mettre des mots sur sa souffrance, en surmontant sa honte et son impression de venir se plaindre pour des bêtises (par exemple: “je n’arrive pas à m’empêcher d’acheter des choses”). Toutefois, c’est un investissement en temps, en argent, en larmes et en moments pénibles à passer qui en vaut sacrément la peine. J’ai moi-même souffert d’une phobie sociale très handicapante, avec crises d’angoisses & C° qui a bien failli me coûter ma carrière. J’aurais pu choisir de m’enfermer chez moi et faire de la traduction. Je serais sans doute devenue un de ces personnages bizarres qu’on croise parfois dans la rue. J’aurais pu assommer mes démons à grands coups de calmants et d’alcool, mais j’ai choisi une autre voie. C’est l’EMDR qui m’a sauvée, une thérapie appliquée aux troubles du stress post-traumatique ou pour des souvenirs traumatisants si profondément enfouis qu’une psychothérapie conventionnelle ne parvient pas à les déraciner. Je serais incapable d’expliquer le processus, mais c’est un peu comme si un immense bulldozer venait excaver toute la vieille merde accumulée depuis l’enfance, surtout celle sur laquelle on a essayé de mettre une dalle en béton, et qu’on ouvrait ensuite tout grand les fenêtres pour chasser les miasmes malfaisants.

Depuis, je me suis libérée de mes vieux boulets et si je suis triste ou si j’ai peur, c’est pour de vrais motifs. J’ai envoyé mes phobies au diable, je suis sereine et je crois que j’ai les yeux assez bien en face des trous. J’ai sauvé ma vie et chaque année m’apporte son lot de chagrins, de rires et de plaisirs. J’en ai presque le vertige quand je pense à quoi j’ai échappé. Il ne sert à rien de subir en serrant les dents et en faisant le poing dans sa poche, sinon, on risque de finir comme Fritz Zorn, alias Angst, le bien nommé.





Un article du Guardian ICI
"The European Union published a continent-wide survey into addictive spending earlier this year. It found that 33 per cent of consumers displayed a 'high level of addiction to rash or unnecessary consumption'. The tendency often led to indebtedness."

Coach en rangement, c'est un métier : http://www.maitreenboite.ch/


lundi 11 février 2013

Le centenaire qui sauta par la fenêtre et disparut



Si vous vous intéressez à la littérature suédoise et que vous êtes capables de lire ces romans en une autre langue que le français, de grâce faites-le. Ceci est le quatrième texte que j’écris sur la qualité déplorable des traductions françaises faites à partir du suédois. Il y a tout d’abord eu Millenium, que j’ai dû terminer en allemand. Puis j’ai découvert Sjöwall et Wahlöö, tels que traduits par Philippe Bouquet1), qui a longtemps été le pape du suédois en France, probablement parce qu’il était le seul. Les Français étant si nuls en langues, personne n’a eu l’idée de comparer ses traductions aux autres versions linguistiques. En outre, étant si pleins d’eux-mêmes, ils trouvent sans doute normal que les étrangers écrivent comme des pieds. En effet, c’est l’impression qu’on a quand on lit ces pauvres textes. La dernière victime de ce massacre s’appelle Jonas Jonasson, auteur d’un best seller traduit en trente langues ou plus et dont on est en train de faire un film. Son livre s’appelle Hundraåringen som klev ut genom fönstret och försvann . Si vous voulez savoir ce que cela veut dire, l’anglais vous dira: The Hundred-Year-Old Man Who Climbed Out the Window and Disappeared, l’allemand: Der Hundertjährige, der aus dem Fenster stieg und verschwand, l’italien: Il centenario che saltò dalla finestra e scomparve, l’espagnol: El abuelo que saltó por la ventana y se largó. Google vous donnera: Cent ans qui a grimpé par la fenêtre et a disparu. Et en français, me demanderez-vous? Ça devient: Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, traduit par Caroline Berg

On sait bien que les titres de romans ou de films ne doivent pas forcément être traduits à la lettre. On constatera toutefois que les traducteurs des autres langues ont cru déceler une certaine intention stylistique chez l’auteur, qui a délibérément choisi un titre long et compliqué. En français, il reste long et compliqué, alors pourquoi diable l’avoir transformé à ce point? Serait-il impossible d’intituler ce roman: Le centenaire qui sauta par la fenêtre et disparut? Tant qu’à changer, pourquoi pas Un senior en cavale ou La vieille évasion? De plus, «le vieux» est vraiment moche et même pas drôle. Malheureusement, la traductrice a décidé, tout au long du roman, de remplacer le style croustillant de l’original par le sien, fade et plat.

Une erreur de sens apparaît dès la deuxième page et ce n’est certainement pas faute de connaître le vocabulaire. Là où le suédois dit: Allan [...] slog sig ner på en bänk intill några gravstenar, la traduction vous dira que «Allan s’assit sur une tombe...». Pas besoin de savoir le suédois pour constater que le banc à disparu. On peut certes se demander s’il est plausible qu’un centenaire qui a mal aux genoux s’assoie sur une tombe plutôt que sur un banc. Du coup, quand, en suédois, il voit qu’un certain Henning Algotsson est enterré sur la tombe mitt emot (en face) du banc sur lequel il est assis, en français, le même Henning Algotsson est «couché sous la pierre sur laquelle Allan s’était assis». Forcément, puisque le banc a disparu. Ce n’est pas essentiel à la narration, mais c’est une trahison parfaitement gratuite. Une telle métraduction (car on ne peut pas parler de contresens) dès la deuxième page sape immédiatement la confiance qu’on aurait souhaité avoir envers ce tradittore de traduttore



Il y en a plein d’autres comme ça. La journée de huit heures de travail (åtta -huit - timmars - heures - arbetsdag - jour de travail) devient la semaine de quarante-huit heures. Les Suédois qui se rendent à Stockholm pour exprimer leur désir de défendre la patrie (att betyga [kungen] sin försvarsvilja - en allemand: dem König seine Bereitschaft zur Landesverteidigung zu demonstrieren) devient «pour honorer son roi et demander sa protection». Le socialisme suédois avait prétendument besoin d’un ambassadeur à l’étranger, parce que le changement tardait à venir. L’auteur avait pourtant écrit: Den svenska socialismen behövde en internationell förebild. Les germanisants reconnaîtront sans peine le mot Vorbild. Avoir besoin d’un ambassadeur ou d’un exemple, ce n’est pas du tout la même chose... Le tsar Nicolas est contrarié par les révoltes paysannes contre les bolchéviques. Euh... il devrait plutôt être content, non, s’il y a des gens qui se soulèvent contre les bolchéviques? L’original dit simplement bolsjevikuppror, aucun paysan à l’horizon. La traductrice aurait-elle simplement lu trop vite? Ou alors, elle s’en fout. Le père du protagoniste leur envoie un oeuf, simplement un oeuf, qu’il a gagné au jeu contre son pote Fabe. La version suédoise, tout comme l’allemande, jugent utile toutefois de préciser que c’est un oeuf de Pâques en émail. Le lecteur un tant soit peu cultivé comprend alors immédiatement qu’il s’agit d'un oeuf de Fabergé. Tant pis pour les francophones, qui croient qu’on leur parle bêtement d’un oeuf de poule, à la rigueur décoratif.



Et si ce n’était que cela, ce ne serait pas trop grave. Ce qui est vraiment dommage, en revanche, c’est que tout l’humour et l’ironie de l’auteur disparaîssent complètement dans cette pâle copie. Allan va pisser un coup, mais décide d’abréger les opérations, car il entend du bruit. En français: «Quand Allan se fut soulagé, ...» Les deux croutons ont bu des coups de gnôle pour leurs genoux, pour leurs oreilles, pour faire descendre le steak d’élan et Julius avait encore annoncé un p’tit verre en guise de dessert. Ils ont ensuite été interrompus par une visite indésirable. Après quoi, Allan dit: «Et alors, ce dessert?» qui a été platement traduit par: Et ce schnaps que tu m’as promis, ça tient toujours?


Le premier vieillard (Allan) a volé une valise et en a assommé le propriétaire. Le deuxième  (Julius Jonsson) examine l’homme qui git sur le sol et dit: - Jahapp! [...] Jag gissar att det där är resväskans ägare? Frågan var mer ett konstaterade. Une question faussement ingénue: «Ben dis donc! Ça doit être le type qui a perdu sa valise?» devient «- Ce jeune homme est donc le propriétaire de la valise. Allan se devait de fournir des explications.» Forcément, la phrase «ce n’était pas tant une question qu’une constatation» disparaît en français, puisqu’il n’y a plus aucune ironie ni fausse ingénuité. Il n’y a plus de question non plus, puisque l’un des deux croulants constate platement «ce jeune homme est donc le propriétaire de la valise».

Cette scène se déroule dans la gare de Byringe, un lieu qui existe réellement et qui est devenu un lieu de pélerinage depuis l’immense succès de ce roman. Il en va de même avec la petite bourgade d’Ystad, près de Malmö, où les gens veulent voir la maison du commissaire Wallander - qui n’existe évidemment pas, à moins qu’ils n’en n’aient créé une  de toutes pièces pour satisfaire à la demande. 


La gare de Byringe

Cette traduction n’est pas non plus exempte de perles stylistiques, telles que: « Il ferait beau voir un cadenas capable d’arrêter Julius Jonsson!» Celui qui parle comme Beaumarchais est un vieil asocial qui vit de petites rapines et de braconnages et qui ne crache pas dans les petits verres de fine, que la traductrice appelle schnaps. Les Alsaciens comprendront. L’original est: Sedan när har ett lås hindrat Julius Jonsson? sa Julius Jonsson. L’auteur joue volontiers avec ce genre de répétitions, qui passent systématiquement à la trappe. La traductrice a sans doute estimé que ce sont là des fautes de style. Littéralement, la phrase signifie «depuis quand un cadenas a-t-il entravé Julius Jonsson? dit Julius Jonsson». Pour rester dans un style correspondant au vieux coquin qui parle, on pourrait écrire «Ce n’est pas demain la veille...» ou encore «Il n’est pas encore né, le cadenas qui résistera à Julius Jonsson, dit Julius Jonsson». L’auteur faisant dans le farfelu et l’échevelé, ça pourrait très bien passer.

Une autre phrase bien gratinée: «Puis elle lui mit tendrement les cheveux en désordre et retourna couper du bois». Pourquoi ne peut-on pas écrire qu’elle l’a ébouriffé ou, à la rigueur, caressé la tête? 




Comme je suis heureuse d’être dorénavant (presque) capable de lire le suédois de mes propres ailes! J’en suis à la page 48 du français (mon kindle dirait 10%), mais comme béquilles, je donnerai dorénavant ma préférence à la version allemande, forcément plus fidèle, non seulement parce que les Allemands font toujours du bon boulot, mais parce que les deux langues sont beaucoup plus proches. Les Français sont tellement imperméables aux cultures étrangères, tout en étant profondément convaincus de leur supériorité, qu’ils ne savent sans doute pas apprécier le travail du traducteur. On ne peut pas faire ça à la va-vite, par-dessus la jambe et de façon je-m’en-foutiste. Il ne suffit pas de transposer en gros le sens général de l’histoire, il faut respecter le style de l’auteur et ne pas inverser qui fait quoi. Il n’est pas interdit non plus de se relire ou de se faire relire par des amis.

Quand je passerai mon test de suédois pour en faire une langue de travail, je ne pourrai certainement pas me permettre ce genre d’erreurs, de contresens et d’approximations. J’ai été tellement drillée à la fidélité au message et à l’interdiction de dire n’importe quoi, juste pour faire du bruit, que je suis particulièrement intolérante vis-à-vis de ce genre de travail bâclé. Le public francophone n’a toutefois pas l’air de se plaindre et Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire figure toujours en bonne place dans les rayons des libraires. Tant mieux, ma foi, pour Jonas Jonasson!




1) Philippe Bouquet, auteur de plus de 100 traductions du suédois, Docteur honoris causa de l'université de Linköping (Suède), Officier des palmes académiques, Chevalier de l'ordre de l'Etoile polaire, Prix de traduction de l'Académie suédoise (1988), Prix de la Fondation suédoise des écrivains (1994), Prix personnel Ivar Lo-Johansson 1995, Nominé pour le prix Aristeion 1999.

vendredi 1 février 2013

La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert



C’est l’histoire d’un homme qui a aimé une jeune femme. Elle avait des rêves pour deux. Elle voulait qu’ils vivent ensemble, qu’il devienne un grand écrivain, un professeur d’université et qu’ils aient un chien couleur du soleil. Mais un jour, cette jeune femme a disparu. On ne l’a jamais retrouvée. L’homme, lui, est resté dans la maison, à attendre. Il est devenu un grand écrivain, il est devenu professeur à l’université, il a eu un chien couleur du soleil. Il a fait exactement tout ce qu’elle lui avait demandé, et il l’a attendue. Il n’a jamais aimé personne d’autre. Il a attendu, fidèlement, qu’elle revienne. Mais elle n’est jamais revenue.
La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert de Joël Dicker  

Ça y est: j’ai terminé le phénomène de la rentrée littéraire, le best-seller au succès fulgurant, Prix de l’Académie française, Prix Goncourt des lycéens, dont les droits de traduction ont été vendus à 35 pays.... et je suis complètement sonnée.



Ça faisait bien longtemps que ça ne m’était plus arrivé: un livre que je lis avec plaisir. Un livre du bon vieux temps où on savait encore écrire des romans: une intrigue cohérente et pourtant loin d’être simple ni simplette; des personnages crédibles, une atmosphère bien marquée, qui crée une ambiance qui vous obsède pendant 650 pages. Pas de redites ni de répétitions - sauf celles qui sont voulues - pas de lourdeurs, des pages qui se tournent toutes seules. Un style simple et agréable, l’auteur ne recherche pas de tournures ampoulées ni tarabiscotées pour faire intello. Et surtout, ce que j’adore: une structure en puzzle, avec des aller-retours entre le passé et le présent et une alternance de points de vue subjectifs, qui créent une sorte de prisme autour des événements décrits.

Pour ce qui est de l’ambiance, on a l’impression d’être dans Twin Peaks. On retrouve le cadavre d’une adolescente disparue: Qui a tué Laura Palmer? Il y a un peu de American Beauty, une très jolie jeune fille, un père autoritaire qui bricole beaucoup dans son garage. Un chouïa de Belle du Seigneur, pour ce qui est du récit par plusieurs personnes et aussi le thème de l’Amour Fou. Ou encore Le manuscrit trouvé à Saragosse, pour le côté livre dans le livre, bien que l’Affaire Harry Quebert ne comporte pas d'histoires qui s'emboîtent.


A aucun moment, on ne se désintéresse de l’histoire. Comme dans tout bon polar, on suit docilement les fausses pistes que l’auteur se délecte à glisser sous nos yeux, comme autant de savonnettes qui nous envoient droit dans le mur. Comme chez Agatha Christie, tous les personnages sont suspects, à tour de rôle. On y aborde la pédophilie, le racisme, l’homosexualité, le harcèlement sexuel, la peine de mort et l’hystérie que peuvent créer les médias. Mais au coeur de l’histoire, il y a des gens très ordinaires, tous d'honnêtes citoyens d’une petite bourgade américaine sans histoires.
 


Ce qui rend ce livre différent, ce sont ses constantes mises en abyme, car c’est à la fois une histoire d’amour et une histoire sur les livres et l’écriture. Adieu Nola. Sois heureuse. Aime mon livre comme j’aurais voulu que tu m’aimes. Il est impossible de ne pas faire le parallèle entre Marcus Goldmann, qui est en train de nous raconter l’écriture du roman intitulé «L’affaire Harry Quebert», immense succès de libraire, et Joël Dicker, auteur de «La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert». Il faut constamment se rappeler que, lorsqu’il écrivait son roman, l’auteur ne pouvait pas savoir qu’il allait être dans tous les journaux et passer à la télé, comme le héros de son roman. L’éditeur dans la vraie vie a fait des calculs d’opportunité commerciale, certes risqués - faire sortir «La vérité...» parmi les centaines de livres de la rentrée littéraire - tout comme le fait l’éditeur dans le roman, qui tient surtout à ce que «L’affaire Harry Quebert» sorte avant les élections présidentielles, car il sera alors impossible d’avoir l’attention du public. 

On reproche à l’auteur de ne pas savoir écrire, que son style est plat, que son succès ne serait qu’une imposture. Il est vrai qu’on a parfois l’impression de lire un roman qui serait traduit de l’américain, mais ce n’est vraiment pas gênant, car cela correspond à l’ambiance générale du livre. En le lisant, on a l’impression d’être au cinéma. Même s’il ne «réinvente pas la langue française», comme on a pu le lire souvent, il n’y a rien d’incorrect dans l’écriture de Joël Dicker. Combien d’auteurs contemporains réinventent donc la langue française, je vous le demande. Certainement pas les traducteurs de Millenium, qui s’est pourtant écoulé à des millions d’exemplaires sans que personne ne bronche. Et si vous voulez du style plat, prenez donc Murakami, auteur à méga-succès international:

Je retournai au salon. Miu était installée dans un fauteuil, un verre de cognac à la main. Elle m’en proposa un, mais j’avais plutôt envie d’une bière bien fraîche. J’ouvris le réfrigérateur moi-même, y pris une Amstel que je versai dans un verre à long pied. Passionnant et tellement bien écrit... Ou encore: J’avalai quelques bouchées de pain frais et campagnard.1)
 
Alors que de nos jours, les romans écrits en français sont d’une indigence affligeante et ne dépassent que rarement 180 pages écrit gros, voilà un outsider qui apporte un vent aussi frais que bienvenu. L’auteur a su perdre ce que la fiction parisienne peut posséder d’étriqué et de convenu. [Il] a su venir au roman romanesque, à l’américaine, où il arrive plein de choses.2) Plus on avance dans l’histoire, et plus le mystère s’épaissit. Jamais l’intérêt et la curiosité de se relâchent. Les rebondissements vont s’accélérant dans les dernières pages du roman, emportant le lecteur dans un véritable tourbillon. Un des fils conducteurs de ce pavé est la boxe: après avoir tourné la dernière page, j’étais littéralement K.O.


"Un bon livre, Marcus, est un livre que l’on regrette d’avoir terminé."
 
"Chérissez l'amour, Marcus. Faites-en votre plus belle conquête, votre seule ambition. Après les hommes, il y aura d'autres hommes. Après les livres, il y aura d'autres livres. Après la gloire, il y a d'autres gloires. Après l'argent, il y a encore de l'argent. Mais après l'amour, Marcus, après l'amour, il n'y a plus que le sel des larmes."
____________________
  1. Les amants du Spoutnik de Haruki Murakami
  2. Etienne Dumont dans la Tribune de Genève du 19-20 janvier 2013
 

Joël Dicker chez Laurent Ruquier, le 3.11.2012

Le site de Joël Dicker

Article paru dans Le Figaro le 7.11.2012 ICI

Article Bibliobs , ICI,  qui répond à un précédent article qui démolit «La Vérité... ICI

 

vendredi 18 janvier 2013

Qui suis-je, où cours-je, dans quel état j’erre?


Les interprètes sont de véritables caméléons, qui se mettent dans la peau de celui dont ils transposent le message. Il peut nous arriver de défendre les vertus de la libre entreprise et condamner le capitalisme dans la même journée, que dis-je, dans la même heure. Nous sommes à la fois royalistes et républicains, végétariens et carnivores, fâchés ou joyeux, lyriques ou soporifiques. A cela vient s’ajouter le fait que nous travaillons dans des lieux multiples, parfois dans la même ville, parfois sur le même continent. Comme si ça ne suffisait pas, nous avons une pièce d’identité par organisation, parfois même par réunion.

Dans les organisations internationales ou les institutions européennes, le port du badge est dorénavant aussi systématique qu’obligatoire. Ces badges ont généralement une validité d’un an et comportent une photo du détenteur. Là où le travailleur ordinaire n’a qu’un seul badge, nous, les interprètes free lance en détenons tout un chapelet, un par organisation. A ce jour, ma collection comprend, dans l’ordre alphabétique : le BIT, la CJE, l’OEB, l’OMC, l’OMPI, l’ONU (périmé), le PE et le SCIC (périmé aussi) 1). Certains collègues les ont tous sur eux, personnellement, j’aurais trop peur de les perdre tous d’un coup.


Autrefois, on entrait comme dans un moulin dans certains bâtiments. Mais depuis le 11 septembre 2001, puis la panique à l’anthrax, les mesures de sécurité ont été intensifiées. Une organisation qui n’a pourtant rien à craindre, s’est dotée de portiques automatiques certainement très coûteux, dont le but véritable est sans doute d’enregistrer les allées et venues de ses employés. Une autre nous accordait autrefois des badges à durée indéterminée, ils ont maintenant une date d’échéance (le 31 décembre) et nous sommes tenus de les renouveler chaque année en janvier. J’entrais autrefois à la Cour de Justice à Luxembourg avec mon badge du Parlement européen, mais c’est maintenant du passé. La CJE s’était équipée de ses propres badges magnétiques, valables un an. Ça aussi, c’est fini. Nous recevons désormais un badge visiteur à la journée, à renouveler tous les matins, tant que dure notre contrat. La présentation du badge d’une autre institution européenne nous permet de déroger au rituel du détecteur de métaux et des sacs passés aux rayons-X. Que la Cour se protège, c’est normal. Cependant, ils devraient craindre davantage les fuites d’information que les explosifs, les armes à feu ou encore les couteaux.


Les badges servent parfois à nous remettre à notre place et à nous rappeler notre statut de journalier, payé à la tâche et qui ne fait pas partie de l’organisation au même titre que les fonctionnaires. Ainsi, pour entrer dans les bâtiments du SCIC, nous devons franchir le détecteur de métaux et passer nos sacs aux rayons X. Il faut prévoir de partir 30 minutes plus tôt pour avoir le temps de faire la queue. Et le dernier jour, quand on vient avec le bagage qui ira en soute, si notre trousse de toilette contient une lime à ongles en métal ou une petite paire de ciseaux, il nous faudra ouvrir notre valise devant tout le monde, sortir l’objet du crime, le confier aux gardes et penser à le récupérer le soir en partant. Pour obtenir le badge magnétique qui permet d’éviter tout ça, il faut présenter un extrait de casier judiciaire, renouvelable tous les deux ans. Il est clair que l’interprète free lance qui vient travailler représente un facteur de risque majeur. La situation a peut-être changé, je ne travaille plus pour le SCIC depuis l’élargissement aux nouveaux pays membres (2004).


L’Office européen des brevets a un système astucieux de porte-monnaie électronique inclus dans le badge, ce qui est vraiment très pratique. On charge la puce à l’automate, puis on paie son café, son repas de midi ou son journal au kiosque en plaçant l’objet sur un lecteur qui débite le montant correspondant. Le badge magnético-électronique de l’ONU de Genève permettait de passer par les portiques à grilles, même lorsque les gardes ont fini leur service, ce qui est bien commode tard le soir ou le samedi. Il m’aurait même permis d’entrer à l’ONU à New York. Mais voilà…. l’ONU ne recrute quasiment pas de free lance et, pour des raisons de sécurité évidentes, ne nous renouvelle pas notre sésame tant que nous n’avons pas de contrat. En effet, nous risquerions de pénétrer dans le bâtiment alors que nous n’avons rien à y faire pour, par exemple, aller y rencontrer des collègues.

Personne ne semble avoir songé à rationnaliser les choses de sorte à nous permettre de n’avoir qu’une seule pièce d’identification. Les organisations internationales de Genève faisant toutes partie de la grande famille des Nations unies pourraient se mettre d’accord pour avoir un badge unique et centralisé ; idem pour les institutions européennes. Elles pourraient aussi reconnaître que, au bout de dix ou vingt ans, les interprètes de conférence free lance qui travaillent pour elles sont des personnes fiables et qu’il n’est plus nécessaire de leur demander de montrer patte blanche année après année. Elles craignent sans doute que nous venions profiter des délicieux repas de leurs cantines respectives. Un badge unique permettrait aussi de réduire l’empreinte écologique : une dizaine de plaquettes en plastique par personne, renouvelées année après année, ça pollue énormément et ça consomme beaucoup d’électricité.



When I try to enter the Council building on summit day with the wrong badge  *)

Le but d’un badge est de trier le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire les personnes autorisées et légitimes de celles qui n’ont rien à faire là. Jamais nous ne pouvons oublier la précarité de notre statut ou nous reposer sur des droits acquis. Et si décembre est le mois des cadeaux et des cartes de vœux, janvier est le mois du renouvellement des bagdes.



1) Bureau international du travail, Cour de Justice Européenne, Office européen des brevets, Organisation mondiale du commerce, Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, Organisation des Nations unies, Parlement européen et le Service commun d’interprétation de conférences, désormais la DG INTE, qui regroupe les services d’interprétation de la Commission européenne et du Conseil.

*) http://interpretationisnotgoodforyou.tumblr.com/ 

jeudi 3 janvier 2013

Entre deux voix de Jenny Sigot Müller


Synopsis: Une jeune interprète fait ses premiers pas dans la profession. Elle se rend vite compte qu’il est difficile de se faire une place sur le marché et que les interprètes expérimentés craignent la concurrence que représente la jeune génération. Certains sont prêts à tout pour la faire disparaître.... Un roman à suspense, entrelardé d’une histoire d’amour, qui cherche à brosser un tableau de notre profession.

Le métier d’interprète de conférence est foncièrement toujours le même: il s’agit de transposer un message, de préférence oral, d’une langue à l’autre. Pour ce faire, les interprètes de conférence qui travaillent en simultanée se partagent, à deux, une cabine dans laquelle ils travaillent avec des écouteurs et des micros. Toutefois, selon qu’on soit fonctionnaire à la Cour de Justice européenne ou free lance en Amérique du sud, notre rythme de vie quotidien sera totalement différent. En lisant les aventures de Sonia Clancy, héroïne de Entre deux voix, je constate que mon expérience professionnelle ne correspond en rien au vécu d’une jeune interprète basée à Zurich.


Partager un espace exigu avec un(e) collègue qu’on n’a pas choisi n’est certes pas toujours facile, mais tout le monde fait un effort pour que la cohabitation se passe bien. Pour l’auteur, déterminer qui commencera à travailler en premier, qui prendra la première demi-heure dans notre jargon, donne lieu à toutes sortes de stratégies et de mini-drames. Il est vrai qu’on a souvent de la peine à se décider. Dans certaines organisations, où les réunions commencent systématiquement en retard, la première demi-heure est pour ainsi dire un cadeau. Dans d’autres, on doit s’organiser avec les autres cabines pour couvrir les relais 1), auquel cas ce sont les éventuels rendez-vous des uns et des autres ou le besoin de pouvoir passer un coup de fil à un moment précis qui décideront qui commence ou pas. Etre chef d’équipe vous fera prendre la demi-heure qui coïncide avec la fin prévue de la réunion. Et parfois on tirera au sort, mais il n’y a aucun avantage ou supériorité à être celui qui commence ou pas.

L’auteur nous décrit des interprètes qui insistent pour être assis à gauche ou à droite, d’autres qui notent les erreurs de leur collègue dans un petit carnet. Il y en a même qui allument le micro de leur collègue à leur place. Ce sont sans doute des us et coutumes qui ont cours outre-Sarine, car je n’ai jamais eu vent de ce genre de pratiques. Il semblerait aussi que la lumière s’éteigne et que la musique retentisse chaque fois qu’une réunion commence, un peu comme si on était au cinéma. Personnellement, cela ne m’est jamais arrivé, sauf peut-être au commencement d’un congrès syndical, lorsqu’on veut marquer le coup avec un son et lumière. J’apprends aussi que les interprètes donnent toutes sortes de noms à leur lieu de travail: la cabine, bien sûr, mais aussi la boîte, la cabane, la prison, les catacombes, le cockpit, la maison, la cage, les kits de verre... on pourrait encore ajouter le carnotzet ou le tipi, pourquoi pas? Les cabines que fréquente l’auteur sont en verre sur 360°, raison pour laquelle elle les compare à des cages de verre. Elle appelle ses collègues des cocabinières, alors que le terme que nous utilisons est concabin(e).

La cage de verre
Une des questions qu’on nous pose éternellement, après «mais comment vous faites?» ou encore «vous parlez combien de langues» est: «Vous travaillez pour une agence?» Patiemment, nous répondons pour la 739ème fois que non, nous ne travaillons pas pour une agence, nous sommes free lance, mais Sonia Clancy reçoit ses offres de travail, ses «mandats», par le biais d’une agence, qui semble toujours l’appeler la veille pour le lendemain. Elle n’a que l’anglais et le français, certes aller-retour, mais on l’envoie à Bruxelles faire un comité d’entreprise européen, où une dizaine d’interprètes chuchotent chacun pour leur délégué 2). Or, quiconque a déjà participé à une réunion en chuchotage sait fort bien qu’à dix langues, c’est tout simplement impossible à cause du brouhaha que cela entraîne. Plus personne ne parvient à entendre quoi que ce soit. Et puis, que se passe-t-il si le représentant des travailleurs danois voulait prendre la parole? Un retour en consécutive 3)? On y passerait une semaine. A moins qu’il ne s’agisse d’un comité d’entreprise où il n’y a que le Big Boss qui parle et les délégués travailleurs ne font qu’écouter sagement.
 
Le chemin de cette jeune interprète est semé d’embûches. On lui fait remarquer qu’elle aura de la peine à percer, étant donné qu’elle n’est pas bilingue. Voilà encore une idée reçue que les professionnels ne cessent de combattre: pour devenir interprète, nul besoin d’être bilingue, il faut surtout avoir une langue maternelle solide, qui ne dérapera pas sous l’effet du stress ou de la vitesse. Les bilingues sont souvent alingues et n’ont pas de vraie langue maternelle. Il y a bien sûr de vrais bilingues, mais ils sont plutôt l’exception que la règle. Quid alors des interprètes qui ont quatre langues passives? Devraient-ils être pentaligues?




Anglais-français ne suffit pas toujours
Ensuite, il y a les collègues chevronnés qui la redoutent, car elle leur fait concurrence. Il y en a même une qui l’enferme dans la cabine - la cage de verre - au terme de la journée de travail. C’est vraiment à se demander comment elle a pu faire, étant donné qu’il n’y a pas de verrous aux portes des cabines (pourquoi y en aurait-il?), ni à l’intérieur ni à l’extérieur. Il arrive bien que des gens frappent à notre porte avant d’entrer, ce qui est totalement absurde, car nous ne pouvons ni crier «Entrez!» ni nous lever pour ouvrir la porte.

L’auteur nous décrit la grande variété de sujets que nous avons à traiter dans notre vie professionnelle. Lorsqu’un avocat a besoin d’une interprète anglais-français au CERN, à Genève, on fait venir Sonia Clancy de Zurich, car on ne trouve pas d’interprètes dans la ville qui abrite une demi-douzaine d’organisations internationales. Une fois son badge en main, elle va partout-partout, car aucune porte ne lui résiste. Lorsqu’on la recrute pour une conférence médicale, elle se prépare en ingurgitant des séries télé américaines à haute doses, pour s’habituer à la vue du sang. Elle travaillera pour l’assemblée générale d’une compagnie pharmaceutique qui se déroule dans un stade, un lieu assez grand pour accueillir des milliers d’actionnaires. Elle aura même l’occasion d’interpréter le président des Etats-Unis, qui se déplace à Zurich à l’occasion de l’attribution d’un championnat sportif à une ville-hôte. Celui-ci insistera pour qu’elle pose à ses côtés sur la photo officielle, qui fera la une de tous les journaux dès le lendemain.


Décidément, j’ai beau avoir quelques heures de vol avec mes vingt-deux ans d’expérience dans la profession, je ne me reconnais pas du tout dans la description qu’en donne Jenny Sigot Müller. Elle affirme notamment que les interprètes ont une autre voix lorsqu’ils travaillent, d’où le titre de l’opus. Nous revêtirions une voix de travail, un peu comme l’avocat qui revêt sa robe. Cela ne m’a jamais frappée. Il est clair que nous passons notre temps à prononcer des idées qui ne sont pas les nôtres, mais notre voix reste la même. Je ne peux que constater que le marché zurichois m’est totalement étranger et que nos vécus ne coïncident manifestement pas.


La rivalité existe, c’est indéniable. Certains collègues sèment des insinuations malveillantes pour éliminer la concurrence, sans forcément qu’il y ait de clivage jeune/vieux. Il est vrai aussi que certains jeunes interprètes arrivent en conquérants, comme si le monde n’attendait qu’eux. Ceux-là seront plutôt fraîchement accueillis par leurs aînés et le jour où on apprend qu’ils sont devenus fonctionnaires à l’ONU, tout le monde pousse un soupir de soulagement, car cela signifie qu’on n’aura plus à les croiser (voir L’ONU a mal à ses interprètes). Il y a, par ailleurs, beaucoup de nouveaux venus qui savent avoir la bonne attitude, tout en faisant preuve de compétence et de collégialité et qui s’intègrent harmonieusement dans le petit univers que nous formons. Cela vaut pour n’importe quel groupe humain. Le nouveau qui débarque, quel que soit son âge ou sa profession, aura intérêt à commencer par faire profil bas et observer ce qui se fait et ce qui ne se fait pas.





Si ce roman avait pour but de faire connaître notre profession, on aurait alors aimé qu’il soit un peu plus proche de la réalité. La fiction permet certes une grande liberté, mais point trop n’en faut non plus. Lorsque Sonia Clancy se fait enfermer dans la cabine par sa collègue (???), elle regrette que les écouteurs aient déjà été rangés dans une valise (???) et qu’il soit par conséquent impossible de se relier aux haut-parleurs dans la salle (???). On nage en pleine science fiction. Elle se lie d’amitié avec divers délégués, ce qui est généralement très mal vu. On attend de nous une certaine distance et une certaine discrétion.



Je vais sans doute passer pour une vieille aigrie qui n’aime pas voir arriver de brillants jeunes concurrents. Je souhaite néanmoins beaucoup de succès littéraire à Jenny Sigot Müller, même si cela signifie que nous aurons encore beaucoup de mythes à détricoter. Je me console en me disant que les films et les séries-télé sur les chirurgiens esthétiques ou les médecins légistes sont encore plus fantaisistes que tous les romans qui décrivent notre profession. La fiction est tellement plus marrante que la réalité!




Quatrième de couverture:Jusqu’où iriez-vous par amour ? est une question fréquente. Mais jusqu’où iriez-vous par haine ? Jusqu’où ?Sonia Clancy, jeune interprète de conférence diplômée a tout pour réussir. Elle est motivée, sérieuse, douée pour les langues. Mais c’était sans compter sur un détail ou plutôt une personne qui allait croiser son chemin.Très vite, la cabine, son lieu de travail, se transforme en cage de verre et entre ses parois oppressantes, Sonia risque à tout moment de perdre sa voix.Premier roman de Jenny Sigot Müller, « Entre deux voix » ouvre les portes de la cabine d’une interprète de conférence, ce huis clos méconnu du public où tout devient possible, même l’impensable.

Voir aussi:
Le site du roman : ICI  
Jenny Sigot Müller au journal télévisé du 30 novembre 2012: ICI
Article dans Migros-Magazine: ICI
La page facebook du roman: ICI
Disponible sur amazon.fr: ICI
Interview dans WSLintern: ICI 
(Institut fédéral de recherche sur la forêt, la neige et le paysage WSL)


Relais, pivots et retours (2)
Relais, pivots et retours (3)

2)  Jenny Sigot Müller lit un extrait de son roman: ICI
Aussi sur vimeo

3) L’interprète chuchote dans l’oreille du délégué. Lorsque celui-ci veut prendre la parole, l’interprète prend des notes et reproduit le message dans une autre langue. C’est l’interprétation consécutive, qui ne peut fonctionner qu’entre deux langues. On peut également traduire une phrase à la fois, sans prendre de notes.

samedi 22 décembre 2012

L’aula du Collège de Saussure



Le collège de Saussure à Onex dispose d'un très bel auditorium. Comme je le disais dans mon précédent texte, le choix d’une salle de spectacles est lié à toute une série de contraintes. La salle et la scène doivent être suffisamment grandes, sans être trop chères. On préférerait un lieu au centre ville, mais à défaut de grives, on mange des merles et c’est ainsi qu'on est parfois contraint de choisir l’aula du Collège de Saussure. Il s’agit d’une salle pouvant accueillir jusqu’à 400 personnes et qui sert au collège jusqu’à 18h. Au-delà, il s’agit d’une infrastructure indépendante, avec des coulisses, des loges et une régie son et lumière.
En répétition
La salle est peu connue et difficile à trouver pour des gens peu aventureux et il vaut la peine de venir faire un repérage à l’avance. Le tram vous amène tout près (ligne 14, arrêt Les Esserts), mais ensuite, il faut cheminer dans l’obscurité sans jamais vraiment savoir si va dans la bonne direction. Si on vient en voiture, il y a un parking public au shopping Lancy Centre, mais qui ferme à 21h30. C’est aux organisateurs du spectacle de payer un garde pour qu’il reste ouvert jusqu’à la fin de la représentation, ce qui augmente le coût de la location de la salle de 25%.

Les infrastructures scéniques sont plutôt bonnes, mais il n’y a aucun moyen de communication entre les coulisses et les loges. La location d’un système de casque et de micro entre la régie-scène et les lumières, indispensable pour donner le feu vert aux comédiens/chanteurs/chef d’orchestre/autre, coûte 200,-. Il faut payer plus de 1000,- pour pouvoir utiliser les lumières de scène. Il faut ensuite obligatoirement rémunérer le technicien du collège, car il est interdit de faire venir son propre technicien-lumières. Ainsi, une salle qui est plutôt bon marché au départ finit par coûter une somme rondelette.

A la sueur de ton front.....

Il y a un assez vaste espace à l’extérieur, une sorte de lobby, qui permet de monter un bar, pour lequel il faut demander une autorisation, payante, cela va de soi. Il n’y a toutefois ni point d’eau, ni évier (pour vider les fonds de verre ou se laver les mains), il n’y a pas de frigo non plus. Autrement dit, il n’y a pas de bar ni de buvette, c’est le système camping. Il faut en outre impérativement tout débarrasser chaque soir, si on ne veut pas subir les conséquences du passage des collégiens le lendemain. Il est possible d'emprunter un frigo, mais il doit être déménagé, aller et retour, chaque soir de représentation.

Les lieux sont bien conçus pour accueillir des spectacles. Les places en amphitéâtre offrent une bonne visibilité de partout. Les coulisses sont assez grandes, il y a plusieurs séries de rideaux qui permettent de dissimuler ce qui doit rester caché. Il est aussi possible de passer de cour à jardin sans devoir trottiner derrière la scène. Les loges sont grandes, mais il n’y a que deux cabinets de toilette (1x hommes, 1x dames) et une seule douche, condamnée. L’aula a dû être construit dans les années 1970 et n’est pas exactement moderne. Il n’y a par exemple pas de monte-charge et on le sent passer quand il faut transporter les décors, les costumes et tous les accessoires dont on a besoin (réverbères, fausse neige, petites maisons, plateaux de victuailles en plastic, poêle ancien, hareng, table, chaises, lit, tapis, etc...). Il n’y a pas de réseau mobile non plus, ce qui est très fâcheux lorsque des camarades sont restés dehors...

En effet, pour des raisons de (fausse) sécurité, les portes se rabattent et ne s’ouvrent pas de l’extérieur. En théorie. Un soir de représentation, les loges ont été visitées par des indésirables, qui ont malheureusement fait une très bonne soirée. Les gens n’ont toujours pas compris que Genève est devenue la Cité du Crime et qu’il ne faut jamais avoir plus de 20,- en liquide sur soi, dans sa culotte de préférence. Certaines personnes ont perdu beaucoup d’argent pour avoir eu la naïveté de penser que les portes empêchaient les gens d’entrer. Les portes s’ouvrent très facilement à l’aide d’un simple couteau, d’autant plus si les serrures sont à moitié bourrées de papier journal (de très vieux journaux). Les voyous qui rôdent dans le quartier sont sans doute mieux renseignés que l’Office du tourisme s’agissant du programme culturel de l’aula. Ils ont également le chic pour repérer les bleus qui ne se méfieront pas. Les voitures stationnées devant l’aula sont des proies faciles, il ne faut surtout rien laisser de visible sur les banquettes.


Si les spectacles ne font pas salle comble, c'est sans doute parce que le site n'est pas au centre ville, que le lieu est peu connu et pas commode à trouver. Il n’y a que les irréductibles culturophiles pour braver la neige et l’obscurité. 

Il convient de préciser que, de nos jours, des vols ont lieu partout et dans tous les vestiaires, y compris dans les piscines publiques. Soyez prudents!