Le Palais des Nations à Genève |
Et vous faites
quoi comme travail ? Interprète ? Oh ! mais alors vous
travaillez pour l’ONU ?
Combien de fois
n’ai-je pas vécu ce dialogue… Si seulement les gens savaient… Oui, l’ONU, comme
Nicole Kidman, mais en réalité : non. Théoriquement oui, bien sûr. L’ONU
travaille avec des interprètes, même que j’y ai travaillé, mais la politique en
matière de recrutement a beaucoup changé ces dernières années et les
restrictions budgétaires ne sont pas pour nous avantager.
Les Nations Unies ne
sont pas un grand recruteur à Genève, sauf peut-être pour les collègues qui ont
le russe, soit en langue active, soit en langue passive 1), tout d’abord parce que
l’ONU a beaucoup d’interprètes fonctionnaires, les free lance n’étant engagés
que comme surnuméraires, ce qui est tout à fait normal. L’organisation a
ensuite eu la brillante idée d’importer ses agents de Nairobi quand ceux-ci
n’avaient pas grand-chose à faire. Cela coûte un billet d’avion et le logement
à l’hôtel, mais l’un dans l’autre, le calcul est censé être rentable. Puis, ils
ont commencé à recruter à la dernière minute, pour ne surtout pas se retrouver
avec du personnel qui serait payé à ne rien faire parce que les réunions ont
été annulées. Aux dernières nouvelles, ils recrutent de petits jeunes, payés au
tarif débutant, qu’ils jettent dès qu’ils ont atteint les 150 jours fatidiques
qui les font passer dans la catégorie qui coûte trop cher. Par ailleurs, ils
engagent leurs propres retraités, qui sont sans doute libres quand on les
appelle la veille pour le lendemain.
Rares sont donc les
free lance domiciliés à Genève qui ont le privilège de travailler pour cette
auguste institution qui fait rêver les foules (forcément, ça fourmille de
Nicoles Kidman dans les corridors !). Il sont rares, les free lance
genevois qui ont encore un badge de l’ONU, car on ne nous l’accorde que si nous
avons un contrat, c’est-à-dire jamais. Pour pénétrer dans le site sacré, il
faut pouvoir montrer le sésame d’une autre organisation internationale, qui doit
obligatoirement porter une date (valable, cela va de soi).
Alors que cette
organisation nous fait bien sentir que nous sommes des pestiférés qui coûtent
cher et qu’elle préférerait se couper le bras plutôt que de nous recruter, vlà-t’y
pas qu’un quelconque manager a eu la brillante idée d’imposer des formations
obligatoires à tout le personnel, y compris à celui qui n’y travaille pas/plus.
Trois de ces cours peuvent être faits en ligne, à savoir : Harcèlement,
Intégrité et Sécurité sur le terrain. Les deux premiers cours nous apprennent
qu’il faut être honnête, loyal et ne pas embêter ses petits camarades.
Autrefois, le cours de Sécurité sur le terrain n’était demandé qu’à ceux qui
devaient se rendre au Kosovo ou en Afghanistan. Maintenant, vous devez le faire
même si vous habitez rue de la Servette et que vous prenez le bus pour vous
rendre à la Place des Nations. Il est vrai que Genève est devenue une ville
dangereuse. Ce module de formation vous apprend à reconnaître une mine anti-personnel
sur la photo d’un sol recouvert de cailloux et de rocailles : pour cela,
il suffit de balader le curseur sur l’écran jusqu’à ce qu’on la trouve. On vous
apprend que faire de votre personnel de maison en cas d’évacuation ou encore la
marche à suivre si des guérilleros vous arrêtent à un barrage routier. On vous
dit d’installer des barreaux à vos fenêtres si vous habitez au rez-de-chaussée
et, qu'en cas de canicule, vous ne devez surtout pas boire de bière. Vous ne devez
pas boire du tout, car l’alcool, c’est Le Mal, il vaut mieux mourir de
désyhdratation. Ce cours est à renouveler tous les trois ans, même si vous
n’avez pas eu le moindre contrat au cours de ladite période et même si vous ne
sortez pas des frontières du canton.
Des cabines qui ne sont pas aux normes (ici, deux personnes travaillent dans un espace de 150x180 cm) |
Comme si cela ne
suffisait pas, l’ONU nous a convoqués à nous rendre en personne au Palais des
Nations pour suivre un séminaire sur l’éthique. On ne nous dit pas comment nous
sommes censés entrer dans le bâtiment, puisqu’on ne nous délivre plus de badge.
Voulant m’acquitter des mes obligations et ayant déjà fait les trois premiers
cours obligatoires, je me suis dit que ce serait dommage de s’arrêter en si bon
chemin. J’ai donc consacré une demi-journée de mon temps personnel, à titre
grâcieux, pour m’entendre poser la question : « qu’est-ce que l’éthique
pour vous ? » J’ai appris que la corruption, c’est pas bien et que si
mon chef reçoit des cadeaux, je dois lui faire une remarque. J’ai aussi appris
que je devais bien faire mon travail et ne pas faire de photocopies
personnelles avec les machines de mon employeur. Bref, je n’ai pas perdu mon
temps et je pensais être enfin en règle.
Des équipements audio des années 1970 |
Et voilà qu’arrive une
nouvelle convocation à un séminaire de formation obligatoire pour tout le
personnel, y compris les free lance qui n’ont pas vu la couleur d’un contrat
depuis plusieurs années : le VIH-sida dans le lieu de travail du système
des Nations unies, comment prévenir la maladie et, surtout, comment apprendre à
ne pas rejeter les personnes séropositives. Il s’agit à nouveau d’une
demi-journée, dans les murs du Palais des Nations, à titre bénévole, cela va de
soi. Je ne suis pas la seule à qui la moutarde est montée au nez. La secrétaire
qui nous a envoyé la convocation a été inondée de mails qui allaient du
poli-diplomatique au carrément furieux. Tout le monde a souligné que des
formations obligatoires imposées par l’employeur doivent se faire sur le temps
de travail, ce qui semble être quelque chose de nouveau pour l’administration
de l’ONU. Peut-être devraient-ils suivre une formation sur l’intégrité et
l’éthique ? Nous n’avons jamais reçu de réponse à nos protestations, en
revanche, nous avons reçu un rappel nous intimant l’ordre de suivre la formation
sur le VIH-sida sur le lieu de travail. J’ai décidé de faire la morte, mes
collègues en font sans doute autant. Finalement, qu’avons-nous à perdre ?
N'entre pas qui veut! |
Mon certificat pour
Basic Security in the Field, qui m’a pris trois heures, n’est plus valable
depuis le 1.6.2012. Je ne sais pas comment se transmet le sida, ni ce qu’est
une trithérapie. En un mot, je ne suis tout simplement pas apte à travailler
pour les Nations Unies. Heureusement
qu’il y a d’autres organisations qui ont besoin de nous, tout balourds,
corrompus et malhonnêtes que nous sommes, incapables d’éviter le danger et
odieux envers les séropositifs. Le pire, c’est que si nous devons suivre ces
cours, c’est sans doute parce qu’une boîte de consultants a obtenu – en échange
d’une gratification – un juteux contrat, qui prévoit une rémunération en fonction du nombre
de participants inscrits. Et c’est nous qui devons suivre des cours sur le
harcèlement (en l’occurrence : comment le subir) l’éthique et
l’intégrité !
Le Palais des Nations au temps de l'innocence (aucune barrière, pas de bornes anti-chars!) |
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Les méandres de l'administration : ICI
Toute ressemblance etc.....
La Stratégie d’apprentissage des Nations Unies sur le VIH/sida et l’ONU avec nous visent à faire en sorte que tous les membres du personnel aient des connaissances de base sur l’infection à VIH et ses répercussions.
Norme ISO pour une cabine d'interprétation: largeur :
2,50 ; profondeur : 2,40 ; hauteur : 2,30
1) La langue active, ou
langue A, est la langue maternelle de l’interprète, celle qu’il parle dans le micro ; les langues passives, ou
langues C, sont celles que l’interprète comprend et écoute pour les transposer
dans sa langue A. La langue dite B est une langue que l’interprète maîtrise
suffisamment bien pour interpréter vers celle-ci.
Voir aussi : Relais, pivots et retours (1)