jeudi 15 juillet 2010
There’s no place like home
Avec la vie de bâton de chaise que je mène, il m'arrive forcément parfois – et même souvent – de devoir loger à l'hôtel. C’est une vie qui peut paraître glamour aux yeux de certains, comme le fait de prendre l’avion pour se rendre au travail, mais les choses ne sont pas toujours aussi roses qu’on se l’imagine.
Il y a essentiellement trois raisons d’aller à l’hôtel : dormir, se laver et prendre le petit-déjeuner. Ça paraît tout bête, comme ça, mais les personnes qui conçoivent les chambres d’hôtel n’y ont certainement jamais passé une nuit de leur vie. Je passe sur les chambres bruyantes et exiguës, dans des quartiers chauds ou douteux, car je ne vais évidemment que dans des endroits "très bien".
Justement, à l’occasion d’une conférence, j’ai été logée par l’organisateur dans un hôtel cinq étoiles à Rome, dans lequel je ne retournerai certainement jamais, mais pas à cause du prix (que je ne connais d’ailleurs pas). La chambre était assez grande, donnait sur une cour moche, donc silencieuse, mais la climatisation était archi-bruyante et impossible à éteindre. J’ai passé la nuit avec des boules Quiès et un pull. Ça m’a permis d’apprendre que "bruit" se dit "rumore" en italien : la climatizzazzione fa molto rumore, ou quelque chose du genre. Et la douche : une magnifique salle de bains, avec pleins de petits flacons et de savonnettes parfumées, mais un mitigeur sorti tout droit de l’enfer : on avait le choix entre glacé et bouillant. Heureusement que je n’y ai passé qu’une nuit *). J’ai prolongé mon séjour à Rome, mais les nuitées suivantes, je les ai passées dans un hôtel bien plus ordinaire mais aussi bien plus confortable.
Quasiment tous les hôtels ont été traumatisés par les vols de cintres. Mais qui donc en est réduit à voler les cintres des hôtels ? A cause de ces âmes désespérées, les chambres sont désormais toutes équipées de ces cintres anti-vol archi-agaçants, qui demandent une patience infinie pour coincer le petit clou dans la petite fente du machin qui n’arrête pas de bouger. Grrr.
Le mini-bar : je ne m’en sers jamais, mais quand il n’y en a pas, j’ai forcément un yaourt à mettre au frais ou envie d’un petit whisky avant d’aller me coucher. Une fois que j’avais laissé un yaourt sur le rebord de la fenêtre, j’ai été réveillée au petit matin par un drôle de bruit qui faisait pic-pic-pic très doucement. C’était un oiseau, qui avait percé le couvercle en aluminium et qui s’offrait un petit festin. J’ai été épatée par cette capacité d’adaptation : l’oiseau savait qu’il y avait quelque chose de nourrissant sous le couvercle en alu.
De façon générale, les chambres sont très mal conçues. La lumière est toujours tamisée, à croire que les chambres d’hôtel ne servent qu’aux rendez-vous coquins. Si on a des documents à lire, le mieux est encore d’aller s’asseoir sur la cuvette des toilettes, en général, c’est bien éclairé. Les tables de travail sont rares. On doit se contenter des tables de chevet et de l’éclairage soft pour écrire ses cartes postales. La télévision est souvent mal placée : par exemple au plafond et on doit se coucher sur le lit pour la regarder. Ou alors s’asseoir au bout de lit, sans dossier. Parfois, il n’y a que trois chaînes locales, par exemple en polonais, et CNN. Youpie.
Les salles de bains sont un chapitre à part : une douche minuscule, mansardée ou la baignoire sans rideau ; ou alors la demi-paroi en verre qui vous oblige à vous coincer dans un coin si vous ne voulez pas tout inonder ; les flacons avec de minuscules goulots d’où rien ne sort ; les sachets de gel douche impossibles à ouvrir les mains mouillées ; un porte-savon en forme de grille sur lequel il est impossible de poser le sachet de gel douche qu’on a de toutes façons massacré en tentant de l’ouvrir ; ou alors, pas de savon du tout… Ma préférence va clairement au distributeur de gel-shampooing fixé au mur.
Le petit-déjeuner : il coûte en général plus cher qu’une entrecôte aux morilles. En France, il arrive encore très souvent qu’on vous serve un croissant et un morceau de baguette. C’est absolument délicieux et so very French ! mais certainement très choquant pour des gens soucieux de leur santé. Il arrive souvent qu’on doive se farcir une radio qui est réglée juste assez fort pour faire bruit de fond, mais pas assez pour qu’on puisse suivre les nouvelles. Il m’est arrivé récemment de démarrer ma journée en compagnie de Jimmy Hendrix. Peut mieux faire…
Heureusement, les hôtels sont tous devenus non-fumeurs : une chambre sentant la cigarette froide est totalement déprimante. Un de mes critères de réservation est désormais la WiFi. Les petits hôtels l’offrent généralement gratuitement, alors que les chaînes et les hôtels pour hommes d'affaires la font payer très cher. De nos jours, internet devrait faire partie des services offerts par les hôtels, au même titre que le sèche-cheveux ou la télévision.
Quand je trouve un hôtel qui fait tout juste – calme, oreillers à plume, douche agréable, bon petit-déjeuner – j’y retourne volontiers. Et quand le personnel commence à me reconnaître, je me sens presque at home. Mais en fin de compte, on n’est jamais si bien que chez soi.
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*) sans vouloir être parano… on a sans doute donné à l’interprète une des pires chambres. Je ne voudrais donc pas condamner l’hôtel dans sa totalité. Les ministres et les princesses se voient certainement attribuer de meilleures chambres
vendredi 2 juillet 2010
La caverne d’Ali Baba
Mon ordinateur a commencé à devenir de plus en plus en plus lent, jusqu’à ne plus se réveiller qu’une fois sur deux après avoir été arrêté ou mis en veille. Après plusieurs quasi-arrêts cardiaques (de mon côté) et des sauvegardes d’urgence, j’ai décidé de l’apporter chez Docteur Informatika.
Une tanière magique se trouve à quelques 300 mètres de chez moi : l’établi de l’homme qui répare les ordinateurs, quel que soit le modèle, le processeur ou le millésime de la chose. Lorsqu’on franchit la porte en verre rapiécé, couverte d’affiches, on se retrouve plongé dans la quatrième dimension, peut-être même la cinquième. Parmi des carcasses de toutes les marques et de toutes les tailles, desktops, laptops, câbles ou disques, on trouve toujours deux ou trois personnes, qui sont parfois des clients, mais pas forcément. En effet, on passe chez Informatika pour dire bonjour, pour prendre rendez-vous ou pour rester assis sur un tabouret, parfois plusieurs heures voire plusieurs jours. C’est le souk du XXIème siècle : un capharnaüm avec de la marchandise du sol au plafond, du chenil 1), du brol 2), du fourbi, du bronx tous azimuts, il ne manque que le service de thé à la menthe. Ça discute processeurs, téléchargements ou Coupe du Monde.
Il se passe toujours quelque chose dans la boutique de l’artisan, qu’on ne voit jamais les bras ballants ni derrière un ballon de blanc au bistrot d’en-face. Il s’occupe avec gentillesse et patience de chaque personne qui vient le voir et écoute attentivement l’exposé du problème, tout en continuant à revisser un boîtier ou à faire des copier-collés.
Etant donné qu’il n’y a pas de distributeur de tickets, chacun passe à son tour, selon un système de type fuzzy logic. Tout nouveau venu relègue les anciens d’un cran en arrière dans l’ordre d’attente. Il ne faut surtout pas attendre poliment, car si on n’y prend garde, on risque bien d’y passer plus de temps que prévu. En effet, Docteur Informatika est parfaitement capable de répondre au téléphone tout en continuant à chercher une clé USB ou un disque dur dans le désordre systématique et certainement logique qui envahit tout l’espace autour de lui. Dès qu’il raccroche, il vous écoute, pour autant que vous manifestiez votre besoin de dire quelque chose. Et si vous n’avez rien à dire, vous serez néanmoins le bienvenu dans son échoppe, qui, comme la Maison du Seigneur, est ouverte à toutes les brebis égarées du quartier.
Cela fait maintenant bien deux semaines que mon ordinateur est aux soins intensifs chez lui, son mal mystérieux semblant résister, tel le village d’Astérix, à toutes les tentatives de réanimation. J’ai même vu le bon Docteur écouter le ventre de mon bébé avec un stéthoscope, car il le trouvait trop silencieux. Son petit cœur aurait-il arrêté de battre ?
Pendant ce temps, je me débrouille tant bien que mal avec mon notebook et mon iPhone et j’utilise les imprimantes que je trouve au travail, mais c’est un peu comme d’avoir le bras droit dans le plâtre : j’arrive à faire ce que j’ai à faire, ce serait juste mieux avec un vrai grand ordinateur avec un bel écran qui ne joue pas les Belles au Bois-Dormant.
079-640.55.58 et 022-329.95.19
Ouvert à partir de 15h environ et jusque tard le soir (voire très tard)
vendredi 25 juin 2010
La Visite Chez Le Notaire
Six mois s’étant écoulés depuis le décès de mon père, voici venu moment de signer l’acte de succession. Ma mère, ma sœur et moi nous sommes donc rendues à l’office notarial.
Pendant que nous paraphions et signions les documents, le notaire commence cette phrase : "Chez vous, en Suède…" Ma sœur et moi l’interrompons : "En Finlande". Il reprend : "Oui, donc en Suède… " "En Finlande", reprenons-nous en chœur. Regard stupéfait du notaire qui a) en tant qu’homme et b) en tant que notaire ne doit pas avoir l’habitude de se faire reprendre de la sorte, par deux blondasses de surcroît. Il réfléchit, perplexe, puis dit : "Ah, oui, c’est ce pays tout en longueur ?" "Non, ça, c’est la Norvège." Sa stupeur et sa perplexité vont s’intensifiant.
Mon agenda contient une mini mappemonde et je lui montre la Finlande, là, entre la Suède et la Russie. Ah ! Evidemment, ce n’est pas tous les jours qu’il a des Finlandais dans son office, notre brave notaire. Et voilà que s’en suit l’habituel barrage de questions : Mais vous n’êtes pas dans l’Europe ? Ah oui ?!?! Et vous avez l’euro ? Ah ! Et votre langue, ça ressemble au suédois ? Non ? Au russe, alors ? Non (voir Puhutteko suomea ? ). Et le régime politique ? Et vous payez beaucoup d’impôts, n’est-ce pas (s’il y a bien une chose pour laquelle les pays nordiques sont connus, c’est pour ça) ? Ma sœur et moi échangeons un regard de connivence, elle a visiblement l’habitude, comme moi, de répondre éternellement à ces mêmes questions.
"Et vous retournez souvent à HelsinSKI ?" Ça aussi, c’est un grand classique, mais il n’y a que les Français pour dire ça, quand ce n’est pas : "votre capitale, c’est bien Reykjavik ?" Je commençais à soupçonner qu’il ne cherchât à détourner notre attention et que les documents que nous étions en train de signer avaient peut-être été subrepticement modifiés, afin de nous déposséder des avoirs de mon père. En effet, j’étais en train de signer des documents auxquels je ne comprenais pas grand-chose et pourtant, je me targue d’être tout de même raisonnablement instruite. Par exemple : "Héritiers ensemble pour le tout ou chacun divisèment pour la moitié, sauf à tenir compte des droits du conjoint survivant". Qui reçoit quoi ? La totalité pour tous ensemble ou la moitié chacun ? Mais si nous sommes trois, ça donne quoi ? Et les "rapports de libéralités, mais dont l’exercice est limité aux biens existants… " J’espère bien, les libéralités étant "un don fait avec générosité".
Le cours d’histoire-géo touchant à sa fin, le notaire nous dit : "Ça fera X.XXX,- euros", comme ça, sans facture, sans ventilation des émoluments, taxes et frais de notaire. Ma mère a reçu sous les yeux le chiffre manuscrit et au crayon, inscrit par la secrétaire parmi d’autres notes, et a sagement établi un chèque. La note suivra, mais à mes yeux de Suissesse doublée d’une protestante luthérienne nordique, cette pratique me paraît des plus étranges, étant donné qu’il s’agissait tout de même d’une somme rondelette.
Ma sœur et moi avons vivement encouragé Me Notaire à aller passer des vacances dans notre beau pays. Il me semble que notre visite lui a fait une forte impression. Il ne doit pas lui arriver tous les jours de découvrir des lacunes dans ses connaissances, lui, Le Représentant De L’Etat. Oh ! Ce n’est pas un reproche, loin de là. Moi, c’est tous les jours que je découvre combien de choses j’ignore encore.
PS : ce matin même, un collègue m’interpelle : "Salut, l’Islandaise ! Alors tu vas aller en vacances en Islande ?" Je lui ai simplement répondu que non, la stricte vérité, en somme….
mardi 22 juin 2010
La fierté d’une petite nation
Etant donné qu’il est impossible d’ignorer la Coupe du Monde de football qui est en train de se dérouler en Afrique du Sud, autant suivre les événements dont tout le monde parle. Ce qui me frappe le plus, c’est le parallélisme entre les destinées des équipes de France et de Suisse. Parallélisme est bien le mot juste, puisqu’il s’agit de deux lignes droites condamnées à ne jamais se rencontrer – c’est la fille de mon père qui vous parle, voir le sujet précédent.
La France est omniprésente à Genève, elle nous entoure de partout. De nombreux Français viennent travailler à Genève et les Genevois sont tout aussi nombreux à aller faire leurs courses en France voisine. Tel un vieux couple, les deux nations s’aiment et se détestent, qu’il s’agisse des frontaliers qui viennent travailler en Suisse ou du prix de l’immobilier qui grimpe en France, qu’il s’agisse du CEVA ou du secret bancaire. Genève est indéniablement le plus français des cantons de Suisse. Mais revenons au football…
Alors que l’équipe de France semble avoir perdu avant même que le championnat n’ait commencé, les Suisses sont sur un petit nuage depuis qu’ils ont marqué un but contre l’Espagne, championne d’Europe, qui a sans doute péché par excès de confiance. Les commentateurs radio étaient survoltés, on aurait dit qu’un Suisse venait de marcher sur la lune. Le pays tout entier exulte. J’ai même remarqué une voiture dont les rétroviseurs étaient décorés de petites moufles aux couleurs du drapeau suisse.
Pendant ce temps-là, sur une ligne parallèle, les Bleus nous font la Ferme des Célébrités en direct live. Dans les épisodes précédents, la main de Thierry Henry – les Irlandais doivent se délecter de Schadenfreude (1) – et les mauvaises fréquentations de Ribéry, aussi mineures que vénales; les insultes de vestiaire d’Anelka, le boycott de l’entraînement et la démission vindicative du président de l’équipe ; le sélectionneur Domenech qui qualifie leur comportement d'aberration, d'imbécillité et de stupidité sans nom. Ambiance. Dire qu’on comptait sur eux pour faire passer la réforme du régime des retraites en douceur…
Les Suisses ont perdu 1-0 contre le Chili, mais ils trouvent malgré tout formidable d’être là. Même s’ils ne parviennent pas jusqu’aux huitièmes de finale, ils auront participé, ils auront au moins marqué un but, ils sont contents. Alors que l’équipe de France semble avoir oublié pourquoi ils sont venus loger dans un hôtel dont leurs nuitées accumulées équivalent au PIB du Botswana.
L’Histoire marque indéniablement l’égo des nations. En Irlande, j’ai été frappée par des autocollants sur des voitures disant God made the Irish. Ce qui est certainement vrai, mais pourrait-on imaginer la même chose sur une voiture immatriculée en Allemagne ? Ou encore des t-shirts disant Kiss me, I’m Irish. Imaginez la même chose sur un Français…
Un célèbre D-Jay a sorti un disque intitulé F*** me, I’m famous. Voilà peut-être une idée de t-shirt pour l’équipe de France !
P.S .: à l’heure où nous mettons sous presse, l’Afrique du Sud et la France sont toutes deux éliminées de la Coupe du Monde. Les Sud-africains font la fête malgré tout. La défaite est moins lourde à porter pour les petites nations (au sens footballistique).
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(1) pour les nuls qui n’auraient pas suivi : Thierry Henry a commis une faute de main qui a permis à la France de se qualifier pour la présente Coupe du Monde, écartant l’Irlande.
(1) Pour les nuls bis, Schadenfreude est un mot dont on dit qu’il n’existe qu’en allemand – et en finnois dans une traduction littérale, la joie du dommage – bien que ce soit un sentiment que tous les peuples de la terre sont capables de ressentir : se réjouir des ennuis d’autrui, la vengeance du pauvre.
mardi 15 juin 2010
Métempsycose
Mon père, grand esprit scientifique devant l’éternel, a quitté cette vallée de larmes l’année dernière pour aller rejoindre, du moins je l’espère, les terrains de chasse de ses ancêtres, accueilli sans doute par plusieurs milliers de vierges qui l’attendaient dans des jardins verdoyants.
Nous qui sommes restés de ce côté-ci de l’au-delà avons eu à trier les affaires mortelles qu’il a laissées derrière lui. Comme c’était à prévoir, il y avait beaucoup de banal, mais aussi quelques surprises amusantes ou émouvantes. Comme ce petit carnet gris rempli de formules mathématiques, datant des années -60 et qu’il a religieusement gardé dans un tiroir toutes ces années. J’ai eu à nettoyer, en vue des les donner à recycler, deux de ses ordinateurs portables. J’y ai découvert de très vieilles photos scannées (1), ainsi qu’une photo plus récente de mon père, lors d’une visite au CERN. C’était presque surréaliste de revoir mon père, tel qu’il était ces dernières années, mais avant qu’il ne tombe malade ; une photo que je n’avais jamais vue auparavant. C’était très étrange…. Parcourir ses fichiers m’a permis de me rendre compte à quel point la ville de ses origines lui tenait à cœur, malgré toutes ces années passées à l’étranger. J'ai découvert aussi que, malgré son intelligence excessive, il n’allait pas forcément toujours chercher très loin. C’est ainsi que j’ai réussi à deviner, sur une intuition, le mot de passe de l’un de ses ordinateurs : kuopio(2). What else ?
Nous avons porté six sacs Migros remplis de livres de maths et de physique à la bibliothèque de la faculté de mathématiques, qui était ravie ; un gros sac rempli de salade de câbles et d’adaptateurs en tous genres pour l’association Réalise (3) ; des habits et des chaussures pour Emmaüs, bien sûr ; une trentaine de dictionnaires, que j’ai transportés 5kg à la fois, jusqu’à Strasbourg, où des collègues finlandais ont pris le relais ; une collection de pièces de monnaies d'Iran, d'Argentine, du Japon ou d'ailleurs, datant des années -60 ou plus anciennes, qui ont atterri chez un numismate; et enfin, deux règles à calcul et deux calculatrices avec des fonctions sinus et cosinus, qui ont fait le bonheur de la faculté des sciences. Mon interlocuteur trouvait une de ces calculatrices tellement formidable – il a eu la même dans les années -80, ça l'a rendu tout nostalgique – qu’il ne comprenait pas que je ne souhaite pas la garder. Il est loin de se douter que depuis le jour où j’ai passé mon bac, j’ai pris grand soin de ne plus jamais croiser le moindre logarithme sur mon chemin.
Ainsi, les cendres de mon père, qui s’ennuient dans leur urne, n’ont toujours pas été dispersées conformément à ses vœux. Mais son esprit athée a trouvé le moyen de voyager et de revivre aux quatre coins du canton et au-delà, que ce soit dans un vieil ordinateur qui a trouvé un nouveau foyer, peut-être même en Afrique, par le biais d'un livre sur le dernier théorème de Fermat qui fait sans doute le bonheur d’un étudiant ou encore sur le bureau d’un compatriote qui traduit, comme lui, des modes d’emploi techniques.
A chacun sa réincarnation.
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(1) on peut en voir quelques unes dans le tout premier billet de ce blog
http://tiina-gva.blogspot.com/2010/05/commencons-par-le-commencement.html
(2) ville de Finlande, où mon père a vécu jeune
(3) http://www.realise.ch/
vendredi 11 juin 2010
To baby or not to baby
Lorsque la Finlande a adhéré à l’Union européenne en 1995 et que j’ai commencé à travailler régulièrement pour les Institutions européennes, j’ai eu l’occasion de faire la connaissance d’un grand nombre de Finlandais, qu’il s’agisse de collègues ou d’autres personnes. Ce qui m’a frappée, c’est que toutes ces personnes, quasiment sans exception, me demandaient "si j’avais de la famille". Et moi d’expliquer que mes parents ceci, ma sœur cela…
Un beau jour, j’ai enfin compris que ce qu’on me demandait réellement c’était si j’étais mariée et si j’avais des enfants. En Finlande, cette question, qui passerait pour plutôt indiscrète partout ailleurs, est la façon la plus courante et la plus naturelle d’entamer la conversation avec un(e) inconnue(e). Il paraît acquis que tout le monde a sa petite famille, ce qui permet ensuite de se raconter mutuellement combien d’enfants chacun a, les dents de lait, les oreillons du petit dernier, les cours de piano, le club de foot ou les louveteaux, bref une conversation sans réel danger. On évite ainsi de parler de soi.
Ayant compris cela, je me suis mise à répondre à cette inévitable question par la négative, par ailleurs fidèle à la vérité : "Non, je n’ai pas de famille", ce qui jetait un petit froid. Ah… de quoi va-t-on parler, alors… ? En disant cela, je m’entendais dire : "Je n’ai pas de famille, je suis toute seule, je suis orpheline, personne ne m’aime…", alors que pour moi, la famille englobe aussi ses propres parents, ses frères et sœurs, les nièces et les neveux, Papy et Bonne Maman, le cousin Georges, Tatie Danièle et Tonton Marcel, en l’occurrence Kirsti täti et Atski eno (1). C’est sans doute là le sens français du terme "famille"; en finnois on distingue la famille nucléaire, perhe, de suku lorsqu’on englobe tout l’arbre généalogique, ce terme signifiant la lignée (Geschlecht en allemand, mais on n’utilise ce terme que chez Wagner ou dans la littérature ancienne, il me semble).
La Finlande a beau passer pour un pays moderne, pionnier du droit de vote des femmes, une femme président, etc… les traditions ont malgré tout la peau dure. Si on veut être dans la norme, on se marie et on fait des enfants. Cette question m’énerve parfois tant que j’ai envie de répondre que je suis divorcée ou veuve, que j’avais des enfants mais qu’ils sont tous morts ou encore que je suis lesbienne, tendance cuir. Mais à quoi cela servirait-il ?
En Suisse, en France ou n’importe où ailleurs, on ne me demande pas quel est mon état civil ni quelle est ma vie sexuelle – comme le fait Uncle Geoffrey dans le Journal de Bridget Jones : So… Bridget, how’s your sex life ?, question qu’on ne pose évidemment jamais aux couples mariés.
Avoir des enfants ou pas ne devrait pas être un banal sujet de conversation, c’est quelque chose de beaucoup trop sensible pour un grand nombre de personnes : ceux qui n’arrivent pas à en avoir, ceux qui en ont trop, ceux qui ont un enfant handicapé ou caractériel, voire délinquant ou toxicomane. Et encore faut-il trouver un homme vaguement potable pour les faire, ces satanés gamins ! Non, je n’ai pas d’enfants et, à ce jour, je ne l’ai jamais regretté. C’est une lourde responsabilité, un travail à plein temps et un engagement qui dure toute la vie.
Thanks, but no thanks !
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Dans un prochain billet, vous découvrirez ce que je pense des gynécologues. Par exemple, celui qui m’a dit : "Oh, mais vous allez avoir 39 ans ! Il serait temps de penser à faire des enfants !" Il ne m’a plus jamais revue.
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(1) tante Kirsti et oncle Atski ; en finnois, il y a un mot à part pour désigner l’oncle du côté maternel. On m’a dit qu’en arabe, il y a environ 45 mots pour désigner un cousin ou une cousine, selon le côté de la famille, le degré, la 1ère, 2ème ou 3ème épouse, etc…
dimanche 6 juin 2010
Une maille à l’endroit, une maille à l’envers
Récemment, j’ai vu dans le journal l’avis de décès de ma maîtresse de couture, décédée à l’âge de 88 ans. Ça m’a soudainement replongée 40 ans en arrière. J’ai revu en souvenir cette vieille fille, dont la vie ne devait pas être bien passionnante et qui venait à l’école en Velosolex. Elle aurait pu être un personnage dans un film avec Fernandel et Bourvil. Elle est probablement morte dans le village, que dis-je, dans la maison qui l’a vue naître. Une vie aux antipodes de la mienne.
Et voilà que je me suis mise à repenser à tout ce que cette demoiselle m’a apporté. J’aimais beaucoup le cours de couture, j’aimais beaucoup l’école tout court. J’y apprenais plein de choses amusantes, intéressantes et utiles et j’étais assoiffée de tout apprendre. Pendant mes loisirs, je lisais même le dictionnaire. En lisant Tristan et Iseult, je cherchais des mots comme destrier et hanap, qui m’ont bien servi plus tard dans la vie.
J’adresse mille mercis à Mademoiselle, grâce à qui j’ai tricoté de nombreux pulls, bonnets, moufles, chaussettes, tant pour moi que pour les autres. C’est grâce à elle que je peux resserrer la taille des jupes et raccourcir les ourlets des pantalons que j’achète, toujours respectivement trop larges à la taille et trop longs.
Une de mes amies d’enfance n’a pas du tout les mêmes souvenirs que moi, alors qu’il s’agit pourtant de la même personne : "Je me rappelle qu'elle était d'une méchanceté à toute épreuve. Son souvenir m'est revenu récemment, en association avec l'évocation de mon arrière-grand-mère maternelle à l'occasion du repas de famille à Neuchâtel où je suis allée avec mon mari en avril, arrière-grand-mère à qui j'avais offert les épouvantables pantoufles couleur caca d'oie que Mademoiselle nous avait fait tricoter (à la sueur du front de ma mère, qui tricotait à ma place pour éviter que Mademoiselle ne me traite de "malhonnête" et ne me tape sur les doigts avec sa règle, ce qu'elle avait l'habitude de faire quand on ratait une maille ou qu'on n'avait pas tricoté le nombre considérable (pour l'empotée de ses doigts que j'étais) de rangs qu'elle donnait à faire à la maison."
Je me rappelle parfaitement ces "pantoufles", même que j’ai appris le mot "caca d’oie" en cette occasion. Pour moi, c’était simplement un exercice pour apprendre les augmentations et les diminutions, fort utiles au demeurant pour quiconque prétend tricoter quoi que ce soit d’autre que des maniques.
Je profite de ce blog pour informer toute la galaxie que j’ai même reçu le prix de couture au terme de la sixième année d’école primaire, ce qui m’a d’ailleurs coûté d’abondantes moqueries de la part de ma sœur.
Malheureusement, je ne tricote plus. Ma dernière œuvre remonte à 16 ans, lorsque j’ai tricoté deux petits maillots identiques pour mes nièces qui venaient de naître. Je ne sais même pas si j’y arriverais encore. Probablement que le tricot, c’est comme le vélo, si on n’avance pas on tombe… ou plutôt : ça ne s’oublie jamais. Mais ce qui me manque surtout, c’est le temps et la patience.
* * *
PS : pour contrebalancer ce tableau un peu trop flatteur, je tiens à préciser que j’ai toujours été archi-nulle (empotée, pour reprendre le terme de mon amie ☺) en gym. Pendant toute ma scolarité, j’ai subi l’humiliation d’être la dernière qu’on choisissait dans les équipes de basket ou de volley. Au collège, en Finlande, j’avais des résultats catastrophiques au test de Cooper, qui consiste à mesurer la distance courue en six minutes. Traumatisme éternel.