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lundi 7 juillet 2014

Dom Sebastiāo, roi malheureux

Dom Sébastien par Cristóvão de Morais 
Le roi Sébastien Ier, Dom Sebastiāo, fut roi du Portugal de 1554 à 1578. Il était le dernier héritier de la dynastie des Avis. Fruit d’une longue succession de mariages consanguins, il était de faible constitution et sans doute pas bien brillant intellectuellement. Son père est mort peu avant sa naissance, la nuit de la Saint-Sébastien; sa mère a rejoint son pays, l’Espagne, à peine sortie des couches; c’est ainsi que le petit Sebastiāo fut élevé par des Jésuites, qui ont fait de lui un fanatique religieux qui refusa le mariage et se donna pour mission de faire briller le christianisme chez les Maures. Il montera sur le trône à l’âge de quatorze ans et mènera son pays à la perte.

En l’an de grâce 1578, ignorant tous les avis contraires, il décida d’emmener la fine fleur de l’aristocratie et de l’armée portugaise au massacre. La bataille d’Alcazar Quibir ou Ksar el Kébir (la grande forteresse), au Maroc, a exterminé l’armée portugaise et a fait tomber le Portugal aux mains de l’Espagne de Philippe II. Cet affrontement porte le nom de Bataille des trois rois 1). Les Portugais ont quitté Lisbonne fin juin et la bataille décisive eut lieu le 4 août 1578. Ils sont partis à l’assaut du Maroc en plein été et n’étaient qu’au nombre de 17.000; leurs opposants quant à eux, animés de l’esprit de la Guerre Sainte et se trouvant sur leurs propres terres, étaient 30.000. C’était un affrontement déséquilibré, une guerre illégitime et anachronique, étant donné que ce pauvre Sebastiāo  pensait vaincre l’Islam, instaurer une monarchie chrétienne universelle et arriver jusqu’en Terre Sainte. La dernière croisade de la chrétienté méditerranéenne, selon Fernand Braudel.

Batalha de Alcácer-Quibir (1578), Museu do Forte da Ponta da Bandeira, Lagos

On ne retrouva jamais le corps du malheureux roi Sébastien. Le traumatisme de cette guerre stupide qui mit un terme à l’expansion coloniale et à l’existence même du royaume du Portugal a profondément marqué le peuple portugais. Le roi devint une figure mythique, personne ne voulant croire à sa mort ni à sa disparition. Plusieurs imposteurs en ont profité pour se faire passer pour lui. Puis est née une croyance, le sébastianisme, selon laquelle le retour du roi marquerait une renaissance et un nouvel essor pour le Portugal. Ce mythe perdurerait encore aujourd’hui, ce qui est compréhensible pour un pays qui a perdu sa grandeur d’autrefois et qui est aujourd’hui économiquement à genoux. Il en reste en tout cas l'expression: Ficar a espera de Dom Sebastião, qui signifie attendre quelque chose qui n'arrivera jamais.....
2)


Un tel drame, une telle destinée offre un livret tout trouvé pour un opéra. C’est Gaetano Donizetti qui s’en est emparé, pour en faire un opéra dramatique en grande pompe et en cinq actes, sur un livret d’Eugène Scribe, d’après une pièce de théâtre de Paul Foucher. Il s’agit de Dom Sébastien, roi de Portugal, dont la première eut lieu en 1843 à Paris. Bien que l’œuvre ait connu un immense succès au XIXème siècle, jouée en français (V.O.), en italien et en allemand, plus particulièrement dans l’empire austro-hongrois (180 fois rien qu’à Vienne), il n’y eut plus que deux représentations entre 1900 et 1945, puis huit depuis l’après-guerre, la dernière remontant à 2006 à New York 3). On peut se demander pourquoi cet opéra est ainsi tombé dans l’oubli. Il est vrai que c’est une œuvre très guerrière, demandant beaucoup de chœurs d’hommes, une distribution quasiment exclusivement masculine et une mise en scène grandiose: le port et la ville de Lisbonne, l’Inquisition, une procession funéraire... Mais les grandes maisons d’opéra n’ont généralement que peu de contraintes budgétaires. 

Selon le cahier qui accompagne le CD, le ténor ayant créé le rôle, Gilbert-Louis Duprez, était alors un homme dont la voix avait connu des jours meilleurs. C’est assez étonnant, étant donné que le morceau de bravoure du rôle de Dom Sébastien, Seul sur la terre, demande plusieurs contre-ré-bémol, ce qui n’est pas à la portée du premier ténor du dimanche venu.


Seul sur la terre - Lawrence Brownlee

Gilbert-Louis Duprez aurait d’ailleurs été le premier à chanter cette note en voix de poitrine, ouvrant la voie à une technique de chant nouvelle. Parmi les autres personnages, citons la seule femme, Zaïda, une belle mahométane convertie au christianisme, envoyée au bûcher pour apostasie et adultère. Les inquisiteurs la traiteront en outre de relapse, de femme impie et de parjure. La présence du poète Camões sur le champ de bataille n’est pas historiquement avérée. En 1572, il dédia son épopée Les Lusiades au jeune roi Sébastien 1er et assista, six ans plus tard, au départ des troupes portugaises vers leur sort fatal au Maroc. Il a toutefois un magnifique duo avec le roi lorsqu’ils se retrouvent tous deux en haillons dans les rues de Lisbonne, ayant miraculeusement survécu à la bataille. A noter également un chef arabe, Abayaldos, ainsi que quelques inquisiteurs. Les choeurs chantent à tue-tête la victoire d’Allah, qui veut la victoire, la vengeance et du sang. Au quatrième acte, Zaïda et Dom Sébastien sont tous deux condamnés au bûcher, mais en sont sauvés, car le roi accepte de signer l’acte de cession de son royaume à l’Espagne. Cela ne peut se faire ouvertement, raison pour laquelle les gardes les laissent s’évader. Toutefois, l’échelle de corde par laquelle ils s’échappent d’une tour est coupée par un soldat, précipitant les amants dans l’Atlantique.

Tous les ingrédients d’un opéra dramatique sont ainsi réunis. Ne reste plus qu’à espérer que cette œuvre finira par retrouver les scènes lyriques, car elle le mérite amplement.

Reconnaissance du corps de Dom Sébastien, par
Caetano Moreira da Costa Lima (1835-1898)
Voir aussi: 
Revue l’Histoire, N° 63: La triste destinée du roi Sébastien, par Lucette Valensi

Dom Sebastien de Portugal sur YouTube :

1) la bataille de l'Alcazar Kébir est orthographiée de différentes façons : « bataille d'Alcácer-Quibir » (en portugais), bataille de l'Alcácer Quibir (en français), et bataille d’Alcazarquivir (en espagnol)
2) Les cavaliers de la gloire de Souhail Ben Barka
3) Performance history, Tom Kaufman, in: livret accompagnant le CD Opera Rara 

samedi 21 juin 2014

La démocratie, c’est difficile


Pour bien faire, mille jours ne sont pas suffisants, pour faire mal, un jour suffit amplement. Proverbe chinois
Il y a parfois des expériences dans la vie qui vous ouvrent les yeux. N’étant pas née de la dernière pluie, j’ai déjà vécu bien des choses et connu bien des déconvenues. Les amis qui n’en sont pas, les gens sur qui vous comptiez et qui vous laissent tomber sans explication.... Le mensonge et l’hypocrisie sont présents bien plus souvent qu’on ne le croit. Sans devenir ni parano ni cynique, il convient d’ouvrir l’œil et le bon et surtout ne pas systématiquement faire confiance.

C’est ainsi que j’ai récemment pu faire l’expérience in vivo du fonctionnement - or lack thereof - de la démocratie. On s’exaspère face à des Poutine ou des Mugabe qui s’accrochent au pouvoir, on soupire avec condescendance face aux urnes bourrées dans les républiques bananières, mais on retrouve tout cela dans de mini-sociétés constituées juste à côté de chez nous. Je songe en particulier à une certaine association qui offre une véritable observation digne d’un laboratoire de sciences politiques.

Le mot «association» signifie, en principe, qu’un groupe de gens s’allie pour construire quelque chose ensemble. Mais certains, surtout s’ils sont membres fondateurs, estiment que l’Association est leur chose, qu’elle leur appartient et que les autres ne sont là que pour être à son service, bénévole, cela va de soi. D’autant plus si ladite association a pour seul but de promouvoir la carrière d’une personne proche de son propriétaire. A l'heure actuelle, on peut lire sur internet que l'association est dirigée par sa Directrice artistique. Pendant ce temps-là, le Comité fait tapisserie.

L’Association de droit suisse, pour pouvoir profiter de soutiens financiers suisses et de coups de pouce de la Ville de Genève, doit bien évidemment être domiciliée à Genève, même si son propriétaire habite en réalité dans le Grand Genève, c-à-d en France. C’est ainsi qu’elle cherchera une personne bienveillante qui voudra bien offrir sa boîte aux lettres, du bon côté de la frontière. Jusque-là, pas de problème, ce sont des arrangements très courants et pas bien méchants, pour autant que Madame Boîte-aux-Lettres soit quelqu’un qui participe à la vie de l’Association. Madame est même si gentille qu’elle permettra qu’on utilise un scan de sa signature pour les nombreux dossiers de demande de subvention.

Selon le droit suisse, le Président d’une association doit être domicilié en Suisse. Jusque là, le droit est respecté. Là où ça se corse, c’est quand Madame la Présidente, celle qui prête sa boîte aux lettres, se rend compte que toutes les décisions sont prises dans son dos. Ça devient carrément désagréable lorsqu’on lui demande d’entreprendre des démarches, comme d’annuler le contrat d’un artiste, alors qu’elle ne sait pas du tout ni de qui, ni de quoi il s’agit. Un peu comme un ministre qu’on enverrait à une conférence de presse sur la crise au Mali, alors qu’il n’a participé à aucune des réunions stratégiques ayant mené à ladite crise. C’est alors que la Présidente décide de prendre les choses en main. Et c’est alors que tout commence à déraper.

Ses tentatives d’investigations se heurtent à un mur. La propriétaire de l’Association n’aime pas qu’on se mêle de ses affaires. Certes, mais toute association a un Comité, une sorte de parlement miniature, qui devrait discuter du bon fonctionnement des opérations, notamment du point de vue budgétaire. La Cheffe, qui estime que l’Association lui appartient, est une personne très sensible et très émotive. Elle se mettra à pleurer dès qu’on la contredit et dira ne pas comprendre pourquoi on l’attaque. Il ne sert à rien de lui expliquer que les questions posées sont légitimes, car elle refuse d’entendre. C’est alors que s’instaure un réseau de résistance plus ou moins clandestine, avec échanges de mails et rendez-vous de discussion, qui sont immédiatement perçus comme de la conspiration et des tentatives de coup d’Etat, même si la Cheffe est parfois présente. Le clan de Madame Chef, seule Propriétaire de l’Association, recourt alors à la stratégie du mensonge et de la calomnie, en faisant passer l’opposition pour des intrigantes et des conspiratrices.


La Présidente, à partir du moment où elle a découvert que sa signature avait servi sur divers courriers dont elle n’avait aucune connaissance, ainsi que sur une quarantaine de contrats - sur lesquels il est écrit «Fait en deux exemplaires», alors qu’il y a trois signatures et dont elle n’a, bien évidemment, reçu aucune copie - décide de contrer les tentatives de diffamation en choisissant la politique de la glasnost, autrement dit, de la transparence. Tout le contraire du complot, des manigances et de la déformation grossière.

Elle donne sa version des choses aux personnes qui risqueraient de prendre pour argent comptant ce que raconte Madame Chef, puisqu’ils la connaissent depuis longtemps et la prennent pour une personne correcte et respectable. La Présidente trouve particulièrement injuste et paradoxal qu’elle n’ait pas le droit de savoir ce qui se passe, alors même qu’on appose sa signature sur des courriers, sans qu’on ne juge utile de lui demander son avis. La Cheffe, se sachant en tort, a tout d’abord trouvé un Bouc Emissaire, qu’elle a envoyé au bûcher, sous les hourras de la foule. Mais maintenant que le Bouc est parti depuis plusieurs mois, il lui devient plus difficile de défendre sa gestion dictatoriale des choses. La Présidente fera une parfaite victime pour lui succéder. Peu importe que celle-ci ait réussi à rassembler des fonds, au-delà de tout ce qu’on pouvait espérer, pour financer un projet pharaonique dont la Cheffe refuse d’assumer la responsabilité. Elle n’a jamais consulté son Comité, alors à qui la faute? Au Bouc Emissaire, bien sûr, à qui elle avait donné les pleins pouvoirs. Enfin, selon elle....



Notre dictature miniature n’a pas eu recours aux pots-de-vin, car il faut des moyens pour cela. Quant aux fausses factures, il y en a sans doute eu, on pourrait presque le prouver. Les budgets sont établis avec pas mal de créativité et d’inventivité, toujours dans le sens des dépenses somptuaires et du déficit chronique. Mais étant donné que le compte postal de l’Association se superpose aux comptes familiaux de la Cheffe, ça n’a pas réellement d’importance. Et, à l'heure qu'il est, c'est le mari de la cheffe qui est le trésorier de l'association, on n'est jamais trop sûr. Et les contrats intéressants et bien payés sont d'office attribués à la copine de la Cheffe, sans appel d'offres ni devis.

La Présidente se dit qu’il faut décidément beaucoup de courage pour être dissident dans des régimes de type Assad ou Kim Jong Un, surtout si on est seul et isolé. Elle est, fort heureusement, entourée de personnes lucides qui voient clair dans les manigances de la Cheffe. Elle recommande à certaines personnes de ne pas trop manifester leur sympathie à son égard s’ils veulent continuer à pouvoir fonctionner dans l’Association sans qu’on ne les attaque, un peu comme autrefois en Allemagne de l’Est. Le plus simple est de baisser la tête et de fermer sa gueule, ainsi, on évite les ennuis. La Présidente recourt au dazibao - le présent billet - pour informer le monde qu’il y a quelque chose de pourri au Royaume de la Cheffe de l’Association. Enfin, elle compte sur la justice poétique pour assurer sa vengeance, qui est, comme chacun le sait, un plat qui se mange froid, voire très froid. Elle n’exclut pas de donner un petit coup de pouce au destin... Ma foi, à la guerre, tous les coups sont permis.



Si quelqu'un t'a fait du mal, ne cherche pas à te venger. Va t'asseoir au bord de la rivière et bientôt tu verras passer son cadavre. Proverbe chinois

La justice poétique ou justice immanente est un procédé littéraire par lequel la vertu finit par être récompensée ou le vice puni : dans la littérature moderne, elle prend fréquemment la forme d'une ironie du sort étroitement liée à la conduite, bonne ou mauvaise, du personnage. .... 


Faux dans les titres
1
Celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite,

aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique,

ou aura, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre,

sera puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
2
Dans les cas de très peu de gravité, le juge pourra prononcer une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire.