De tous temps, j’ai plutôt eu une bonne opinion des syndicats, même s’ils sont à l’origine de grèves qui emmerdent tout le monde. Il m’arrive même de travailler pour les fédérations syndicales internationales, qui prennent la défense de travailleurs vulnérables qui sont au service de grandes multinationales, considérées, de façon pavlovienne, comme des monstres qui exploitent le prolétariat. Les syndicats sont des empêcheurs de tourner en rond, qui, comme toute forme d’opposition, ont au moins le mérite de susciter le débat et de faire bouger les choses, dans le bon sens, peut-on espérer.
Mais
voilà. Il arrive aussi que le syndicalisme se trompe de cible, en prenant
aveuglément la défense du pauvre travailleur vis-à-vis du vil employeur, qui
est, forcément, une créature dickensienne qui fouette sa main-d’œuvre pour la
faire travailler plus dur, tout en la privant de sa dignité d’être humain.
Pourtant, combien de fois n’ai-je entendu dire, en conférence, que les PME sont
les principales créatrices d’emploi? En effet, sans odieux employeur
capitaliste, pas de travail non plus et, par conséquent, pas de revenus pour
les gentils travailleurs victimes de la cupidité de leur patron.
Par
ailleurs, les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas appris à gérer leurs émotions ni
leurs frustrations. Tout leur est dû, sur un plateau d’argent, s’il vous plaît,
et à la première contrariété, ils explosent, provoquant une avalanche, doublée
d’un tsunami. Ils ne discutent pas, ils attaquent. Certains partent même faire
le djihad, tellement ils ont la haine. Ils n’ont aucune idée des réalités du
monde du travail: il faut se lever tôt, tous les jours, il faut arriver à
l’heure et non, on ne peut pas prendre de pauses à tout bout de champ. Et puis,
il faudrait travailler aussi.... mais bof.... c’est trop ennuyeux et puis,
c’est fatiguant.
Alors
quand ils se font licencier parce qu’ils ne fichent rien et ignorent les instructions
de leur employeur, ils s’estiment victimes de la plus grande des injustices. Ils
sont incapables de se demander si leur licenciement pourrait, éventuellement,
être la conséquence de leur attitude au boulot et de faire le lien entre la
cause et l’effet. Et, au lieu d’en parler, au lieu de discuter ou de dialoguer,
ils vont pleurer dans le giron du syndicat, qui volera immédiatement au secours
de ces pauvres chous sans défense, sans douter un seul instant de leurs dires,
ni vérifier si leurs accusations sont fondées.
C’est
ainsi qu’un tout petit patron, qui a de la peine à survivre face aux loyers qui
explosent et face à la concurrence féroce du e-commerce, reçoit, début décembre
pour des faits remontant à la deuxième moitié du mois de novembre, un courrier
comminatoire l’accusant de «faits pénalement répréhensibles» et le sommant de
se présenter à une séance de conciliation, avec ordre de donner réponse dans
les trois jours. Le syndicat refuse de se rendre compte que le petit patron
devra fermer boutique pour répondre à ces injonctions, étant donné qu’il ne
peut pas s’absenter de son poste, contrairement à bon nombre de salariés et
contrairement au secrétaire syndical, dont c’est le boulot.
Lors de la
séance de conciliation, on comprendra rapidement que «les faits pénalement
répréhensibles» ne sont que le fruit de l’incompréhension des quatre jeunes (de
19 à 27 ans) qui attaquent celui qui était leur ami encore quelques jours plus
tôt. Ils accusaient leur patron de ne pas payer leurs charges sociales, croyant
sans doute que ces charges sociales viendraient s’ajouter à leur salaire. Cela
a permis de découvrir que l’un d’entre eux, qui pleurait à chaudes larmes parce
que son patron ne respectait pas une loi dont celui-ci ignorait l’existence,
était plutôt en situation indélicate lui-même – mais nous ne nous étendrons pas
sur le sujet.
Le
patron sera alors le seul à se faire remonter les bretelles et il fera ce qu’il faut
pour se mettre en règle. En effet, il ignorait que la Convention collective de
travail (CCT) pour le secteur de la vente de détail, négocié entre les
syndicats et les mastodontes du commerce de détail (Migros, Globus et
consorts), s’applique exactement de la même manière aux petits commerces de
quartier. Personne ne l’en a informé, mais nul n’est censé ignorer la loi. Le
citoyen lambda qui essaiera de se renseigner découvrira qu’un arrêté
d’extension est entré en vigueur le 1er octobre 2014, mais ça signifie que la
CCT s’appliquait à tous les commerces déjà bien avant cette date. Logique et
parfaitement clair.
La CCT
impose un salaire minimum obligatoire, pourtant refusé en votation populaire au
printemps 2014, précisément parce que cela allait pousser les petits
exploitants et les petites entreprises à la faillite. La CCT augmente ce
salaire minimum chaque année, le but étant de parvenir à 4000,-/mois en 2018,
auxquels il faut ajouter les charges sociales, qui augmentent
proportionnellement. Autant dire que tous les petits commerces auront disparu
d’ici-là, la tendance est déjà clairement visible.
Avec
l’extension de la CCT, une Commission paritaire syndicats-employeurs a été
créée, dont le but est de surveiller les employeurs et les entreprises. Les
travailleurs, quant à eux, sont forcément purs comme la blanche colombe qui
vient de naître.
Du fait de
cette même CCT qui a force de loi, il n’existe plus de petits boulots
d’étudiants. Les gamins n’ayant aucune expérience du monde du travail doivent
être rémunérés exactement de la même manière que des adultes responsables et
mûrs. Faut-il dès lors s’étonner que personne ne souhaite les embaucher?
Sachant, de plus, que ces jeunes enfants gâtés iront vous dénoncer au syndicat
dès le moindre malentendu. On feint ensuite de s’étonner face au phénomène du
chômage des jeunes. Evidemment qu’ils arrivent dans le monde professionnel sans
avoir la moindre idée de quoi que ce soit, comment pourrait-il en aller
autrement?
A
l’avenir, nous irons faire nos courses chez Migros, Manor et Interdiscount, sur
amazon et eBay. Les grands magasins ont des pointeuses qui décomptent les
arrivées tardives et les pauses cigarette, ils ont aussi des départements
juridiques capables d’affronter le syndicat. Quant au e-commerce, fini les
flâneries et les achats sur impulsion, les surprises qu’on découvre au hasard
d’une vitrine. Finie l’animation dans les quartiers, les arcades seront
remplacées par des bureaux ou par Starbucks & C°.
Et si
d’aventure vous étiez tenté d’engager du personnel, soyez prudent ! Il est
moins risqué de tuer quelqu’un en roulant bourré (l’ébriété étant considérée comme une circonstance atténuante) ou encore de dealer de la coke (il suffit de
perdre ses papiers et on vous relâchera illico). Il est aussi recommandé
d’engager un juriste et un comptable, afin de ne pas se tromper dans le calcul
des charges sociales, des vacances, du 13ème mois, de la LPP et
n’oubliez surtout pas l’assurance perte de gain en cas de maladie, sinon, vous
vous ferez taper sur les doigts !
Le texte
de la CCT 2013-2018 https://www.ge.ch/cct/EnVigueur/dati/cct/doc/68721.pdf
A noter
que les kiosques ne sont pas tenus de l’appliquer, ce qui explique leur
prolifération. Les accordeurs de piano non plus…
Les Suisses disent non à 76% au salaire minimum : ICI
« Les milieux économiques, le gouvernement et les partis de centre et de droite ont au contraire fait valoir que ce salaire minimum, «le plus élevé du monde», n’aurait pas été supportable pour de nombreuses entreprises. Celles-ci auraient été contraintes de se restructurer, de délocaliser à l’étranger voire même de mettre la clé sous la porte. »
CQFD