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vendredi 24 juillet 2015

Qui a tué le petit commerce ?



De tous temps, j’ai plutôt eu une bonne opinion des syndicats, même s’ils sont à l’origine de grèves qui emmerdent tout le monde. Il m’arrive même de travailler pour les fédérations syndicales internationales, qui prennent la défense de travailleurs vulnérables qui sont au service de grandes multinationales, considérées, de façon pavlovienne, comme des monstres qui exploitent le prolétariat. Les syndicats sont des empêcheurs de tourner en rond, qui, comme toute forme d’opposition, ont au moins le mérite de susciter le débat et de faire bouger les choses, dans le bon sens, peut-on espérer. 

Mais voilà. Il arrive aussi que le syndicalisme se trompe de cible, en prenant aveuglément la défense du pauvre travailleur vis-à-vis du vil employeur, qui est, forcément, une créature dickensienne qui fouette sa main-d’œuvre pour la faire travailler plus dur, tout en la privant de sa dignité d’être humain. Pourtant, combien de fois n’ai-je entendu dire, en conférence, que les PME sont les principales créatrices d’emploi? En effet, sans odieux employeur capitaliste, pas de travail non plus et, par conséquent, pas de revenus pour les gentils travailleurs victimes de la cupidité de leur patron.



Par ailleurs, les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas appris à gérer leurs émotions ni leurs frustrations. Tout leur est dû, sur un plateau d’argent, s’il vous plaît, et à la première contrariété, ils explosent, provoquant une avalanche, doublée d’un tsunami. Ils ne discutent pas, ils attaquent. Certains partent même faire le djihad, tellement ils ont la haine. Ils n’ont aucune idée des réalités du monde du travail: il faut se lever tôt, tous les jours, il faut arriver à l’heure et non, on ne peut pas prendre de pauses à tout bout de champ. Et puis, il faudrait travailler aussi.... mais bof.... c’est trop ennuyeux et puis, c’est fatiguant. 


Alors quand ils se font licencier parce qu’ils ne fichent rien et ignorent les instructions de leur employeur, ils s’estiment victimes de la plus grande des injustices. Ils sont incapables de se demander si leur licenciement pourrait, éventuellement, être la conséquence de leur attitude au boulot et de faire le lien entre la cause et l’effet. Et, au lieu d’en parler, au lieu de discuter ou de dialoguer, ils vont pleurer dans le giron du syndicat, qui volera immédiatement au secours de ces pauvres chous sans défense, sans douter un seul instant de leurs dires, ni vérifier si leurs accusations sont fondées.

C’est ainsi qu’un tout petit patron, qui a de la peine à survivre face aux loyers qui explosent et face à la concurrence féroce du e-commerce, reçoit, début décembre pour des faits remontant à la deuxième moitié du mois de novembre, un courrier comminatoire l’accusant de «faits pénalement répréhensibles» et le sommant de se présenter à une séance de conciliation, avec ordre de donner réponse dans les trois jours. Le syndicat refuse de se rendre compte que le petit patron devra fermer boutique pour répondre à ces injonctions, étant donné qu’il ne peut pas s’absenter de son poste, contrairement à bon nombre de salariés et contrairement au secrétaire syndical, dont c’est le boulot.



Lors de la séance de conciliation, on comprendra rapidement que «les faits pénalement répréhensibles» ne sont que le fruit de l’incompréhension des quatre jeunes (de 19 à 27 ans) qui attaquent celui qui était leur ami encore quelques jours plus tôt. Ils accusaient leur patron de ne pas payer leurs charges sociales, croyant sans doute que ces charges sociales viendraient s’ajouter à leur salaire. Cela a permis de découvrir que l’un d’entre eux, qui pleurait à chaudes larmes parce que son patron ne respectait pas une loi dont celui-ci ignorait l’existence, était plutôt en situation indélicate lui-même – mais nous ne nous étendrons pas sur le sujet.

Le patron sera alors le seul à se faire remonter les bretelles et il fera ce qu’il faut pour se mettre en règle. En effet, il ignorait que la Convention collective de travail (CCT) pour le secteur de la vente de détail, négocié entre les syndicats et les mastodontes du commerce de détail (Migros, Globus et consorts), s’applique exactement de la même manière aux petits commerces de quartier. Personne ne l’en a informé, mais nul n’est censé ignorer la loi. Le citoyen lambda qui essaiera de se renseigner découvrira qu’un arrêté d’extension est entré en vigueur le 1er octobre 2014, mais ça signifie que la CCT s’appliquait à tous les commerces déjà bien avant cette date. Logique et parfaitement clair. 



La CCT impose un salaire minimum obligatoire, pourtant refusé en votation populaire au printemps 2014, précisément parce que cela allait pousser les petits exploitants et les petites entreprises à la faillite. La CCT augmente ce salaire minimum chaque année, le but étant de parvenir à 4000,-/mois en 2018, auxquels il faut ajouter les charges sociales, qui augmentent proportionnellement. Autant dire que tous les petits commerces auront disparu d’ici-là, la tendance est déjà clairement visible.

Avec l’extension de la CCT, une Commission paritaire syndicats-employeurs a été créée, dont le but est de surveiller les employeurs et les entreprises. Les travailleurs, quant à eux, sont forcément purs comme la blanche colombe qui vient de naître.

Du fait de cette même CCT qui a force de loi, il n’existe plus de petits boulots d’étudiants. Les gamins n’ayant aucune expérience du monde du travail doivent être rémunérés exactement de la même manière que des adultes responsables et mûrs. Faut-il dès lors s’étonner que personne ne souhaite les embaucher? Sachant, de plus, que ces jeunes enfants gâtés iront vous dénoncer au syndicat dès le moindre malentendu. On feint ensuite de s’étonner face au phénomène du chômage des jeunes. Evidemment qu’ils arrivent dans le monde professionnel sans avoir la moindre idée de quoi que ce soit, comment pourrait-il en aller autrement?   

A l’avenir, nous irons faire nos courses chez Migros, Manor et Interdiscount, sur amazon et eBay. Les grands magasins ont des pointeuses qui décomptent les arrivées tardives et les pauses cigarette, ils ont aussi des départements juridiques capables d’affronter le syndicat. Quant au e-commerce, fini les flâneries et les achats sur impulsion, les surprises qu’on découvre au hasard d’une vitrine. Finie l’animation dans les quartiers, les arcades seront remplacées par des bureaux ou par Starbucks & C°.

Et si d’aventure vous étiez tenté d’engager du personnel, soyez prudent ! Il est moins risqué de tuer quelqu’un en roulant bourré (l’ébriété étant considérée comme une circonstance atténuante) ou encore de dealer de la coke (il suffit de perdre ses papiers et on vous relâchera illico). Il est aussi recommandé d’engager un juriste et un comptable, afin de ne pas se tromper dans le calcul des charges sociales, des vacances, du 13ème mois, de la LPP et n’oubliez surtout pas l’assurance perte de gain en cas de maladie, sinon, vous vous ferez taper sur les doigts !



A noter que les kiosques ne sont pas tenus de l’appliquer, ce qui explique leur prolifération. Les accordeurs de piano non plus…




Un SMIC à 3300 euros, le point de vue français : ICI

Même Migros et Globus tirent la langue: ICI

Les Suisses disent non à 76% au salaire minimum : ICI
« Les milieux économiques, le gouvernement et les partis de centre et de droite ont au contraire fait valoir que ce salaire minimum, «le plus élevé du monde», n’aurait pas été supportable pour de nombreuses entreprises. Celles-ci auraient été contraintes de se restructurer, de délocaliser à l’étranger voire même de mettre la clé sous la porte. »

CQFD

Voir aussi: Une ville en voie de disparition