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dimanche 20 mai 2012

Le suédois est intraduisible



Ceci est le troisième texte  sur ce sujet et ce ne sera sans doute pas le dernier, malheureusement. Le suédois est une langue exotique, certes, mais nettement moins que le finnois ou le chinois. Elle est très proche de l’allemand et de l’anglais et je ne comprends pas pourquoi sa transposition en français est si douloureuse.
M’étant mise à apprendre la langue d’IKEA il y a environ deux, trois ans, je suis maintenant en mesure de lire les romans de Sjöwall & Wahlöö  dans le texte. Presque. C’est pourquoi je m’appuie sur la traduction française pour combler les trous. Pauvre de moi... à force de m’arracher les cheveux, je serai bientôt chauve.


Le titre de l’opus, écrit en 1970, est intraduisible, je le reconnais: Polis, Polis, Potatismos. Il a été traduit une première fois en 1972, de l’anglais, aux éditions Planète, sous le titre Meurtre au Savoy. Il a été revu et corrigé en 1986, à partir de l’original suédois, sous le titre Vingt-deux, vlà des frites, aux éditions 10/18. Le titre est la seule véritable amélioration apportée à ce roman. Il s’agit d’une comptine pour enfants, il y est question de purée de pommes de terre et les frites sont un équivalent amusant. Quant au reste...
J’ai eu à tiquer sur des phrases comme « Aviez-vous déjà rencontré M. Palmgren antérieurement?» (chapitre 15) ou encore «Il lui a fallu faire la preuve de son identité» (chapitre 14). «Elle a un casier?» devient «Elle a un pedigree?» dans la version revue et corrigée. C’est de l’argot, certes, mais le but était d’aligner la traduction sur l’original suédois, qui dit: Finns hon i straffregistret? Straffregistret n’est pas de l’argot et le traducteur n’a pas à modifier le niveau de langue des personnages du roman. 



L’action se passe à Malmö, dans l’extrême-sud de la Suède et l’enquête s’étend jusqu’à Copenhague. Le ferry part dans vingt-minutes (tjugo minuter) ont écrit les auteurs au chapitre 19. Etrangement, la VF, passant par la version anglaise, nous apprend que le ferry lève l’ancre dans cinq minutes! Ce qui est encore plus étrange, c’est que la version revue par un traducteur comprenant le suédois donne le départ dans cinq minutes également. Ce n’est pas bien grave, c’est juste incompréhensible. Le mot tjugo (prononcer tchougou) est-il aussi difficile à traduire que Gemütlichkeit ou empowerment? En outre, si le ferry part dans cinq minutes au moment où les protagonistes envisagent de faire la traversée, ils le ratent, à moins d’être des super-flics dotés de super-pouvoirs. Pendant mes études de traduction, on nous a appris qu’il fallait parfois remplacer un verbe par un substantif ou encore changer de perspective. Mais moi qui suis traductrice-jurée, il ne me viendrait pas à l’idée d’écrire qu’une personne est née en 1905 si elle est née en 1920. C’est une question de détail, mais qui a son importance. 


A bord du ferry, les deux policiers mangent du wienerschnitzel, l’escalope viennoise n’existant bien sûr pas en français. Et quand un personnage dit The show must go on, en anglais dans le texte, la version revue et corrigée à partir de l’original suédois dit platement: Le spectacle continue. En voilà une amélioration bienvenue au texte! Un cendrier en laiton devient un grand cendrier et un costume à carreaux (rutig kostym) devient un petit costume à carreaux. Pourquoi petit? Il fait très chaud et Paulsson sue «sang et eau». Le témoin explique qu’il n’a pas bien pu voir l’assassin, car tout s’est passé très vite; la version revue et corrigée dit: «J’ai été surpris et je n’ai pas eu le loisir de le photographier». WTF? De nos jours, on pourrait, à la rigueur, imaginer que tous les convives sortent dare-dare leur iPhone pour prendre une photo du tueur au moment où il entre dans la salle et tire, à bout portant, sur Viktor Palmgren tenant son discours, mais en 1986... ? Idem au chapitre 18: «Paulsson l’examina avec soin et le photographia». Pas très discret comme filature, surtout si le suédois dit: inregistrera det i sitt minne (littéralement: l’enregistra dans sa mémoire). 



Martin Beck jette un coup d’oeil à son collègue Månsson et, en 1986, ça devient « Martin Beck jetta un coup d’oeil en coulisse à Månsson». Bizarre... vous avez dit bizarre? Ailleurs, Martin Beck fait un clin d’oeil à son collègue; dans la version 1986, il lui «décoche une œillade»1). On se croirait dans Carmen ou Manon Lescaut. Le but de la nouvelle mouture était, je vous le rappelle, de se rapprocher de l’original suédois, qui dit knep ihop ena ögat, ce qui signifie bien un simple clin d’œil. «Nous nous téléphonions par-ci par là» (då och då), tout francophone comprendra que cela signifie «de temps en temps». «Est-ce que, par hasard, vous connaîtriez quelqu’un qui eût été susceptible de vouloir la mort de Viktor Palmgren?» En Suède, les flics s’expriment à l’imparfait du conditionnel (2ème forme), qu’on se le dise. Il est ensuite question de la maîtresse de l’un d’entre eux. Ils se voyaient par-ci par-là et «cet arrangement leur convenait fort bien» disent les deux versions, y compris celle revue par un traducteur comprenant le suédois. Sauf que l’original dit trivdes ihop, ce qui signifie qu’ils se sentaient bien ensemble.
Enfin, leur excursion au Danemark terminée, «les deux Suédois» retournent prendre le bateau, ce que n’ont évidemment pas écrit les auteurs. Imagine-t-on Frédéric Dard écrire «les deux Français» s’agissant de San Antonio et de Bérurier? S’ils sont en mission à l’étranger et que leur nationalité est pertinente dans la narration, oui. On pourra arguer que c’est le cas ici, puisque Beck et Månsson reviennent de Copenhague. Les traducteurs ont sans doute voulu rappeler à leurs lecteurs que l’action se passe en Suède, mais le côté smörgåsbord du texte français ne cesse de nous le rappeler, merci.
Apprendre le suédois est un passe-temps pour interprète en mal de sensations fortes. Ça ne me servira sans doute jamais à rien, si ce n’est à lire les polars suédois en version originale. C’est toujours ça de gagné!



PS: le titre fait allusion à une comptine qui dit: Polis, polis, potatisgris, ce qu’un des traducteurs a  traduit de façon très apte par: "Police, police, cochons mangeurs de patates". Un enfant qui ne sait pas encore bien parler a déformé le dicton en parlant de purée de pommes de terre, ce qui lui est beaucoup plus familier.

A la toute fin du roman (chapitre 27), on peut lire ceci: "Je crois que le plus sûr est de charger quelqu'un de le tenir à l'œil pour l'instant. (..) Quelqu'un qui, en service, ne mange pas de patate écrasée. Månsson dévisagea Beck ahuri."
Il y a de quoi, en effet...
* * * * *
Polis, Polis, Potatismos de Maj Sjöwall et Per Wahlöö, Nörstedts Förlag, Stockholm, 1970
Meurtre au Savoy, éditions Rivages/noir, traduit de l’anglais par Michel Deutsch en 1972
Vingt-deux, v’là des frites, éditions 10/18, traduction revue et corrigée à partir de l’original suédois par Philippe Bouquet en 1986
L’essentiel des commentaires ci-dessus portent sur le seul chapitre 19 (et un peu le 18) .
Œillade dans le Petit Robert: «Clin d’œil constituant un appel, une invite amoureuse ou coquette.» Il s’agit de deux flics dans un ascenseur.

Un article du Guardian sur la série de romans de Sjöwall & Wahlöö
Voir aussi:

vendredi 4 juin 2010

Le suédois est-il intraduisible ?



Après m’être grattée la tête de perplexité face à la VF de Millénium, j’ai vécu un sentiment de déjà-vu en lisant un polar de Sjöwall & Wahlöö, un couple suédois qui est devenu célèbre dans les années -60 avec leurs romans policiers réalistes situés en Suède, précurseurs de Henning Mankell et de son mélancolique commissaire Wallander.

Il s’agit de L’Abominable Homme de Säffle, paru en Suède sous le titre Den vedervärtige mannen från Säffle en 1967, selon le livre en suédois que m’a prêté une amie. Déjà là, l’édition française indique qu’il serait paru en 1971. La traduction française, quant à elle, est parue en 1987. Comme avec Millénium, je me réjouissais de lire un de ces romans dont j’avais tant entendu parler. Et assez rapidement, je me suis dit qu’il y avait quelque chose de pourri au Royaume de Suède.

Tout d’abord, les maladresses en français ; oh ! rien de grave, mais suffisamment gênant pour déconcentrer le lecteur un tant soit peu critique. Quelques exemples :

- "Le temps le quittait à toute allure" (p.23) – s’agissant de quelqu’un qui vient de se faire assassiner et qui agonise.
- "Ils avaient mangé de la viande grillée" (p. 24). Je n’ai encore jamais commandé de viande grillée au restaurant. L’original parle de råbiff 1), littéralement raw beef, c-à-d du steak tartare. Etrange…
- "Désirez-vous autre chose, avant que nous n’arrêtions la vente de boissons ?" Ne serait-il pas plus naturel de dire avant que nous ne fermions ? Avant que nous ne fermions le bar ? L’original dit innan kassan stänger, littéralement : avant que la caisse ne ferme.
-"Avez-vous parlé à ceux qui occupent les chambres de chaque côté de celle-ci ? demanda Martin Beck." No comment…
-"Et combien de fois ne me suis-je fait agonir ?" (p.112) On dit que les traductions vieillissent moins bien que la version originale, cette phrase en est bien la preuve 2).

La page 115 est un véritable festival :
"Lorsqu’il s’efforçait d’écrire quelque chose sans faute de suédois ni de frappe" (ça me fait penser à Victor Hugo et son "vêtu de probité et de lin blanc") ... "Il essuya ses verres de lunettes" (pourquoi pas simplement "ses lunettes"?) ... "malgré son écriture tremblée" …" Ils sont venus me prendre mon litre" (il s’agit d’une bouteille de gnôle) 3).

- "Puis il fit des yeux le tour de ceux qui se trouvaient près de lui…" (p.272)
- "Le nombre de ceux qui aimaient Gunvald Larsson se réduisait à une seule unité, facile à désigner : Rönn" (p.372). Quel francophone s’exprime donc ainsi ? Ne serait-il pas plus idiomatique de dire que ses amis se comptaient sur les doigts d’une main ?

Ensuite, les faits culturels suédois qui sont soit effacés soit présentés tels quels : "un sac en papier du monopole de l’alcool" (p. 115, palme d’or des boulettes). Quiconque est allé en Finlande, en Suède ou dans certains Etats des U.S.A. comprendra sans peine, que les autres se débrouillent.

Et puis les généreuses libertés, par exemple :
"Je ne connais pas ce nom-là dans la police". L’original dit : Är ni över huvud tagit polis? 4) c-à-d "Vous êtes de la police, au moins ?" La nuance d’ironie disparaît complètement en français.
Ou encore : Kan jag få använda min egen ? (pistol) qui devient : "Si vous n'y voyez pas d'inconvénient , je préfère utiliser le mien" (de pistolet), alors que la VO dit simplement : Je peux utiliser le mien ? Le traducteur rend l’individu bien plus courtois qu’il ne l’est.

Il est très difficile de prendre un roman – a fortiori un polar – au sérieux, de se plonger dedans jusqu’à en oublier d’aller dormir quand la traduction ne cesse de vous ramener sur le plancher des vaches. A l’occasion du Salon du Livre, j’ai découvert que cette série de dix romans allait paraître dans une nouvelle traduction. D’autant plus que certains d’entre eux (les six premiers) ont été traduits de l’anglais. Il faut croire que le nombre de ceux qui traduisaient du suédois se réduisait à une seule unité dans les années quatre-vingt !
______________________________________
Le roman a été adapté au cinéma sous le titre Un flic sur le toit

(1) la lettre å se prononce o
(2) l'original dit Hur många gånger har jag blivit nerspydd?", ce qui signifie "Combien de fois ne m'a-t-on pas vomi dessus?; reste à savoir si c'est au propre ou au figuré...
(3) l'original dit kvarting, qui est une bouteille de 37,5 cl, mais là, je pinaille...

(4) en allemand, cela donnerait : Sind Sie überhaupt Polizist ? Ce qui m’a rendu attentive au mot über (över) + haupt (huvud) : pourquoi diable dit-on "au-dessus de la tête" pour exprimer un doute empreint d’ironie ?


L’Abominable Homme de Säffle, éditions Rivages /Noir
traduit par Philippe Bouquet, auteur de plus de 100 traductions du suédois, Docteur honoris causa de l'université de Linköping (Suède), Officier des palmes académiques, Chevalier de l'ordre de l'Etoile polaire, Prix de traduction de l'Académie suédoise (1988), Prix de la Fondation suédoise des écrivains (1994), Prix personnel Ivar Lo-Johansson 1995, Nominé pour le prix Aristeion 1999.


Voir aussi: http://tiina-gva.blogspot.com/2010/05/le-phenomene-millenium.html
et: http://tiina-gva.blogspot.com/2012/05/le-suedois-est-intraduisible.html

samedi 15 mai 2010

Le phénomène Millénium

Le succès phénoménal de la trilogie Millénium de Stieg Larsson, me laisse perplexe. A la demande pressante de ma mère, qui a avalé les trois tomes et qui les a même relus plusieurs fois, j’ai fini par me lancer dans le premier tome, Les hommes qui n’aimaient pas les femmes. Et comme c’est un phénomène de société, un peu comme facebook, j’ai essayé, juste pour savoir de quoi qu’ils causent, tous, là… Ma foi, les deux autres tomes attendront.

J’ai tendance à me méfier des best-sellers, pas par préjugé mais par expérience : je n’aime pas Marc Lévy, je n’aime pas Douglas Kennedy, pas même en VO…

Au bout de 50, 100, 150 pages, je commençais à me demander ce qui clochait chez moi, parce que je ne ressentais pas l’effet "pot de nutella", rien à faire. Et puis, j’ai commencé à me rendre compte que c’était terriblement mal écrit. Ou plutôt, terriblement mal traduit. Une bonne traduction sait se faire oublier; la mauvaise ne cesse d’attirer l’attention sur elle. Et ça, c’était avant de découvrir l’article assassin du NouvelObs *), qui m’a rassurée, car je n’étais pas la seule à trouver le texte franchement mauvais. Pour tout dire, vers le milieu, je suis passée à une traduction allemande et c’est le jour et la nuit ! L’allemand est certainement plus proche du suédois, mais ce n’est pas une excuse.

Quelques perles:
"Il fait un peu fonction de l'obligatoire original du village" (à propos d'un peintre) p. 141
"Sa dernière pensée avant de s'endormir fut que le danger était grand et imminent que l'isolement le rende fou" p. 149
"le demeuré local" (l'idiot du village, sans doute...) p. 151
"elle la salua d'un mouvement poli de la nuque" p. 112
"Le signal ne pourrait aussi être que clairement perçu: on amenait le pavillon de la peste flottant au-dessus de la rédaction de Millénium et le journal avait des protecteurs qui n'étaient pas près de céder" p.217
"Les entreprises Vanger... formaient toujours un groupement industriel de poids et capable de jouer sur la place publique si nécessaire" p. 217
"Une conclusion s'imposait progressivement: la seule voie carrossable qu'il pouvait emprunter était d'essayer de trouver les motivations psychologiques des personnes impliquées" p. 225
"Je ne veux pas me réveiller demain matin avec toi ici, avant que j'aie mis de l'ordre dans mes muscles et mon visage" p. 237
"La réceptionniste de l'hôtel perdu des lointains nordiques... n'en n'avait jamais entendu parler" p.356

Les bras m'en tombent et je reste sans voix...
Et puis évidemment, "définitivement" et "éventuellement" utilisés dans le sens anglais, à tout bout de champ.
"... elle s'était éventuellement ... intéressée de loin à un garçon..."
Peut-on tomber éventuellement amoureux ?

Cette traduction d’anthologie a été commise par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain, directeur de la série actes noirs chez Actes Sud, donc pas le premier venu. Cette maison d’édition a toutefois fait ses choux gras avec Millenium, en dépit de sa VF calamiteuse.

En fait, la vie de Stieg Larsson donnerait matière à un roman : sa copine/concubine n’a hérité de rien, étant donné qu’ils n’étaient pas mariés et n’avaient pas d’enfant. Le père et le frère de Larsson, avec qui il n’était pas particulièrement proche, ont tout raflé (un peu comme Henrik Vanger qui ne tient pas à ce que sa fortune aille forcément aux membres de sa famille….).

« Lundi soir, à sa demande, Eva, la veuve de Stieg Larsson, le journaliste d'investigation spécialisé dans l'extrême droite suédoise, et auteur du best-seller Millénium n'était pas invitée à l'avant-première mondiale du film. «Tout cela ne me concerne plus, je veux qu'on me laisse tranquille», suppliait-elle, visiblement émue. Depuis le décès brutal de son compagnon en 2004, des suites d'une crise cardiaque, cette Suédoise connaît un double deuil : la perte de son grand amour avec lequel elle a vécu trente-deux ans. Et la douleur de découvrir que, jamais mariée, sans enfant et faute de testament, elle n'a aucun droit sur l'œuvre qu'elle a vu écrire. La fortune générée par les livres et par le film va au père et au frère de Stieg. » Le Figaro, Culture, 18.2.2009_______________________________
*) L'article du NouvelObs :http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20080417.BIB1139/les-bourdes-de-millenium.html

Voir aussi: http://tiina-gva.blogspot.com/2010/06/le-suedois-est-il-intraduisible.html
et http://tiina-gva.blogspot.com/2012/05/le-suedois-est-intraduisible.html

Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, Millénium 1, de Stieg Larsson, Actes Sud