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dimanche 17 octobre 2010

Mars – Fritz Zorn


"Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul".

C’est sur ces mots que commence le récit d’un homme en colère. Fritz Angst a choisi comme pseudonyme la colère (Zorn) plutôt que la peur (Angst) qui était son vrai nom de famille. Dans ce livre choc paru en 1977, il règle ses comptes avec la trop bonne éducation que sa très bonne famille lui a donnée. Pour son malheur, il est né de parents très aisés, vivant dans un des plus beaux quartiers d’une ville riche dans un pays riche, c’est-à-dire la Goldküste, à Zurich, en Suisse. Il en est mort à 32 ans des suites d’un lymphome qui, selon lui, était l’aboutissement de toutes ses névroses, de toutes ses frustrations, de toutes ses émotions retenues, de ses larmes ravalées. Son livre est devenu un best-seller – il n’a pas vécu assez longtemps pour jouir de ce succès post mortem – et il n’a malheureusement rien perdu de son actualité.

Ses parents étaient des gens très bien, très respectables, irréprochables. Mais la seule façon de ne jamais perdre cette illusion de perfection était de ne jamais se compromettre, de ne jamais rien faire qui soit ridicule, déplacé, vulgaire ou excessif. Ils n’écoutaient que de la bonne musique et ne lisaient que de bons livres, c’est-à-dire des œuvres d’artistes morts. La variété, le jazz et la littérature moderne, donc facile, ne franchissaient pas le seuil de leur univers clos et protégé. Un peu comme Ariane et Solal dans Belle du Seigneur 1), qui cherchent à tout prix à préserver la merveilleuse perfection des premiers jours d’une relation amoureuse.

Chez eux, tout n’était qu’harmonie. Tout le monde était toujours d’accord avec tout le monde, pas le moindre conflit ou désaccord ne venait jamais troubler leur sérénité. Cela n’était possible qu’en restant tiède ou indifférent. Vis-à-vis de tiers, ils attendaient toujours de savoir d’abord ce que pensait leur interlocuteur, afin de ne surtout pas le froisser en étant d’un autre avis. Paradoxalement, une recherche aussi utopique de la perfection vous mène forcément droit dans le mur.



Dans les années -70, la sexualité était encore fortement taboue. A l’école, l’éducation sexuelle consistait en une présentation strictement anatomique de la mécanique de la chose. On leur a en outre appris qu’en Amérique, un certain pourcentage de jeunes garçons se masturberaient, ce qui était bien sûr une grave déviance. Mais pas de quoi s’inquiéter : ça se passe loin, là-bas, de l’autre côté de l’Océan. Le jeune Fritz a grandi dans un milieu si pudibond, qu’il avait même de la peine à prononcer des mots tels que "corps ou jambe", des mots comme "poitrine ou sexe" ne franchissaient jamais ses … lèvres (sûrement encore un mot interdit !). La conséquence logique en a été qu’il a été incapable d’avoir la moindre relation, le moindre contact avec les femmes.

Tout en reconnaissant qu’on n’est pas forcément plus heureux dans les goulags soviétiques, l’auteur se lance dans une diatribe contre le calme tranquille qui caractérise la Suisse. Ce qui m’a rendue attentive au fait que le mot Ruhe se traduit de dix façons différentes en français : le silence, le calme, la sérénité, le repos, la paix, la tranquillité, l’ordre, la retraite, la lenteur et même la mort (le repos éternel). On ne doit surtout pas déranger ni faire de bruit, il faut toujours être comme il faut (en français dans le texte). Et quand on meurt, il ne faut surtout pas le dire à voix haute, on dira plutôt que quelqu’un s’en est allé.

Fritz, quant à lui, veut lancer un cri urbi et orbi, convaincu qu’il est de ne pas être un cas isolé. Il veut que son expérience serve à sauver d’autres pauvres diables, victimes, comme lui, de leur éducation et de leur milieu. Il parvient à la conclusion que, contrairement aux personnages d’opéra, qui meurent d’amour, sa mort à lui est due à un manque d’amour, à une parfaite incapacité de ressentir des émotions vis-à-vis d’une femme ou de n’importe quelle personne. Il règle ses comptes avec son milieu, sa famille, le système, mais aussi avec Dieu : "un Dieu qui a inventé la Gestapo, les camps de concentration et la torture devrait exister rien que pour qu’on puisse lui casser la figure". Pour lui, Dieu incarne tout ce qui est comme il faut, le calme, l’harmonie, l’évitement de tout conflit, de toute émotion, en bref : la non-vie. C’est pourquoi il lui préfère le diable et l’enfer, où au moins, on a une chance d’exister.

Jusqu’à la fin, Zorn se battra contre le mal qui le ronge. Sa colère ne lui permet pas de capituler et son livre se clôt sur ces mots : "Je me déclare en état en guerre totale".

Kindler Verlag, Munich, 1977
Gallimard, 1979 pour l'édition française
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1) Belle du Seigneur, Albert Cohen, Gallimard 1968

vendredi 11 juin 2010

To baby or not to baby



Lorsque la Finlande a adhéré à l’Union européenne en 1995 et que j’ai commencé à travailler régulièrement pour les Institutions européennes, j’ai eu l’occasion de faire la connaissance d’un grand nombre de Finlandais, qu’il s’agisse de collègues ou d’autres personnes. Ce qui m’a frappée, c’est que toutes ces personnes, quasiment sans exception, me demandaient "si j’avais de la famille". Et moi d’expliquer que mes parents ceci, ma sœur cela…

Un beau jour, j’ai enfin compris que ce qu’on me demandait réellement c’était si j’étais mariée et si j’avais des enfants. En Finlande, cette question, qui passerait pour plutôt indiscrète partout ailleurs, est la façon la plus courante et la plus naturelle d’entamer la conversation avec un(e) inconnue(e). Il paraît acquis que tout le monde a sa petite famille, ce qui permet ensuite de se raconter mutuellement combien d’enfants chacun a, les dents de lait, les oreillons du petit dernier, les cours de piano, le club de foot ou les louveteaux, bref une conversation sans réel danger. On évite ainsi de parler de soi.

Ayant compris cela, je me suis mise à répondre à cette inévitable question par la négative, par ailleurs fidèle à la vérité : "Non, je n’ai pas de famille", ce qui jetait un petit froid. Ah… de quoi va-t-on parler, alors… ? En disant cela, je m’entendais dire : "Je n’ai pas de famille, je suis toute seule, je suis orpheline, personne ne m’aime…", alors que pour moi, la famille englobe aussi ses propres parents, ses frères et sœurs, les nièces et les neveux, Papy et Bonne Maman, le cousin Georges, Tatie Danièle et Tonton Marcel, en l’occurrence Kirsti täti et Atski eno (1). C’est sans doute là le sens français du terme "famille"; en finnois on distingue la famille nucléaire, perhe, de suku lorsqu’on englobe tout l’arbre généalogique, ce terme signifiant la lignée (Geschlecht en allemand, mais on n’utilise ce terme que chez Wagner ou dans la littérature ancienne, il me semble).

La Finlande a beau passer pour un pays moderne, pionnier du droit de vote des femmes, une femme président, etc… les traditions ont malgré tout la peau dure. Si on veut être dans la norme, on se marie et on fait des enfants. Cette question m’énerve parfois tant que j’ai envie de répondre que je suis divorcée ou veuve, que j’avais des enfants mais qu’ils sont tous morts ou encore que je suis lesbienne, tendance cuir. Mais à quoi cela servirait-il ?

En Suisse, en France ou n’importe où ailleurs, on ne me demande pas quel est mon état civil ni quelle est ma vie sexuelle – comme le fait Uncle Geoffrey dans le Journal de Bridget Jones : So… Bridget, how’s your sex life ?, question qu’on ne pose évidemment jamais aux couples mariés.

Avoir des enfants ou pas ne devrait pas être un banal sujet de conversation, c’est quelque chose de beaucoup trop sensible pour un grand nombre de personnes : ceux qui n’arrivent pas à en avoir, ceux qui en ont trop, ceux qui ont un enfant handicapé ou caractériel, voire délinquant ou toxicomane. Et encore faut-il trouver un homme vaguement potable pour les faire, ces satanés gamins ! Non, je n’ai pas d’enfants et, à ce jour, je ne l’ai jamais regretté. C’est une lourde responsabilité, un travail à plein temps et un engagement qui dure toute la vie.
Thanks, but no thanks !

***

Dans un prochain billet, vous découvrirez ce que je pense des gynécologues. Par exemple, celui qui m’a dit : "Oh, mais vous allez avoir 39 ans ! Il serait temps de penser à faire des enfants !" Il ne m’a plus jamais revue.
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(1) tante Kirsti et oncle Atski ; en finnois, il y a un mot à part pour désigner l’oncle du côté maternel. On m’a dit qu’en arabe, il y a environ 45 mots pour désigner un cousin ou une cousine, selon le côté de la famille, le degré, la 1ère, 2ème ou 3ème épouse, etc…



Illustration tirée de www.mamannonmerci.blogspot.com