lundi 27 décembre 2010

Opération Nez Rouge


Depuis quatre ans maintenant, je participe chaque année en décembre, au moins une fois, à l’Opération Nez Rouge, qui consiste à reconduire chez eux des personnes qui ne se sentent plus capables de conduire, que ce soit à cause de l’alcool, de médicaments, de fatigue ou pour toute autre raison. Chaque année, je revois des visages connus, car l’Opération Nez Rouge finit par devenir une sorte de grande famille et, pour certains, une véritable drogue. La règle veut qu’on ne fasse pas plus de trois nuits consécutives, mais certains font le maximum admis, quitte à devenir téléphoniste ou aide-cuisinier 1). Cette année, un participant avait le pied gauche dans le plâtre. Pas de problème : il conduit une automatique !

Il est vrai que cette Opération a un certain charme, un certain parfum d’aventure et de découverte, qu’il s’agisse de ses camarades d’équipes, des "clients" 2) que l’on reconduit chez eux ou des coins perdus du canton ou de France voisine dont on ne soupçonnait pas l’existence. Une équipe Nez Rouge est formée de trois personnes : l’accompagnateur (secrétaire), le conducteur Nez Rouge, qui nous conduit vers les clients et le conducteur-utilisateur, c-à-d celui qui se met au volant de la voiture du client. Ce microcosme forme une cellule qui, étonnamment, fonctionne très bien, malgré des personnalités forcément différentes et une collaboration entre parfaits inconnus. Il y a les maniaques de la carte qui rechignent à utiliser le GPS ou ceux qui connaissent le canton comme leur poche, mais il n’y a jamais de flemmards ou de personnes totalement désorganisées. En effet, les caractériels dépressifs, égoïstes et agressifs ne sont généralement pas prêts à passer une nuit blanche à se mettre bénévolement au service d’autrui. Et surtout : tout le monde est parfaitement honnête, il y a une ambiance immédiate et évidente de confiance mutuelle, un pacte de non-agression tacite, on se tutoie, on ne se moque pas d’autrui, peu importe sa dégaine, sa tronche, son embonpoint ou son Q.I. et, mon dieu, comme c’est agréable !


On trouve autant d’hommes que de femmes parmi les bénévoles et de tous les âges. Ce qui me frappe toutefois, c’est une très nette majorité de Genevois ou du moins de Suisses. Si vous vous demandez où trouver l'homo genevensis, eh bien venez donc faire Nez Rouge ! L’ambiance est plutôt popu, mais toutes les professions et tous les looks sont représentés. Personnellement, ce qui me plaît tant dans cette expérience, c’est de rencontrer des gens que je ne croiserais jamais autrement, qu’il s’agisse de mes partenaires d’équipe ou des clients, mais aussi de découvrir des itinéraires ou des lieux inconnus. Combien de fois ai-je décidé de retourner, de jour et de ma propre initiative, dans ces coins de campagne ou ces restaurants où nous nous rendons!

Il fait souvent bien froid pendant les nuits de décembre, nous avons à affronter la neige et le verglas, mais jamais de clients agressifs ou désagréables. Les gens qui font appel à Nez Rouge ont plutôt le vin gai et ne cessent de nous remercier et de nous dire à quel point nous sommes formidables. Commes ces jeunes que nous avons reconduits vers un village du Mandement; l’un d’entre eux disait qu’il allait faire comme nous l’année prochaine, à quoi son copain a rétorqué : oui, mais alors faut pas être fils de vigneron – hips !

Les courses sont gratuites et bénévoles, mais les usagers donnent généralement un pourboire qui est reversé à une bonne cause 3). L’Opération, quant à elle, est sponsorisée par différentes entreprises, assurances etc… et les voitures sont mises à disposition par l’UPSA 4). A ma connaissance, il n’y a jamais eu d’accident alors que personne ne vérifie nos compétences en matière de conduite. Nous devons toutefois présenter notre permis chaque fois que nous venons.

Cette année, je n'ai pu faire que la nuit de Noël, mais qu’importe, Nez Rouge revient toujours fidèlement en décembre. J’apprends plein de choses à chaque fois et c’est une façon originale de passer le réveillon, loin des convenances et de l’obligation de faire la fête.




http://www.nezrouge-geneve.ch/
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1) Il n’est pas permis d’être au volant plus de deux nuits consécutives
2) L’opération est bénévole
3) www.hopiclowns.ch et www.sport-for-life.ch
4) Union Professionnelle Suisse de l’Automobile

samedi 25 décembre 2010

La Veuve Joyeuse de Franz Lehár


Quelle merveilleuse soirée que cette représentation de la Veuve Joyeuse au Grand Théâtre de Genève ! On m’avait dit pis que pendre de la mise en scène – "ils sont dans un bunker tout le long" – alors que les décors représentent un lieu monumental qui n’est pas sans rappeler le Palais des Nations. Une architecture fasciste, certes, mais n’oublions pas que nous sommes au Ponténégro et que le pays va très mal…

L’œuvre ressemble quelque peu à la Belle Hélène, je me sentais donc en terrain connu : un pays au sud-est de l’Europe, au bord de la banqueroute; il y est beaucoup question d’adultère et de stratagèmes plus ou moins foireux pour sauver la patrie. L’air Femmes ! Femmes ! Femmes ! se prête très bien à un french cancan et on sent qu’Offenbach n’est pas bien loin. La veuve chante l’air de Vilja en nuisette – les metteurs en scène adorent déshabiller les sopranos – mais cela se justifie dans la mesure où elle vient de se substituer à une épouse infidèle. Enfin, les grisettes de chez Maxim’s sont en guêpière et remuent leur popotin. L’intrigue se déroulant dans un pays imaginaire mais néanmoins vaguement balkanique, les personnages parlent parfois en une sorte de sabir slave et s’interpellent par des Gospodin ! Gospodina ! ce qui signifie "seigneur" ou "monsieur" en russe. Tout le spectacle était d’ailleurs multilingue, un mélange entre les versions allemande, française et anglaise. Valencienne, l’épouse du baron Mirko Zeta (José van Dam) était chantée par Jennifer Larmore. Américaine à l’extrême, elle chante, moulée dans une longue robe argentée qui scintillait de mille feux, un air dans le style de Broadway, A Foolish Heart de Kurt Weill, au début du bal. Il s’agit d’un rajout à l’œuvre, mais qui s’y intégrait très bien.


La soirée a été marquée par un de ces contes de fées qui se produisent parfois à l’opéra : le rôle-titre était souffrante et a été remplacée in extemis par une Veuve importée de Vienne, la merveilleuse Elisabeth Flechl. Elle connaissait bien évidemment la partition, mais elle a dû apprendre la mise en scène au grand galop et il a sans doute aussi fallu lui coudre fissa des costumes à ses mesures, fort généreuses au demeurant. Elle doit toutefois assurer la première d’un autre opéra à Vienne le 27 décembre et le Grand Théâtre a dû dénicher une deuxième Veuve de secours, qui aura à peine le temps de répéter ses mouvements. On m’a dit qu’elle apprenait son rôle à l’aide d’une vidéo. Voilà encore un métier qui ne se repose pas pendant les Fêtes de fin d’année !

La Veuve Joyeuse de Franz Lehár a été créée à Vienne en décembre 1905 et connaît un succès inoxydable depuis. Il existe cinq adaptations au cinéma, notamment par Ernst Lubitsch et Eric von Stroheim. La Veuve, Hanna Glawari, ayant hérité de vingt millions au décès de son mari, le baron Mirko Zeta cherche à la pousser dans les bras d’un Ponténégrin, pour que cette fortune reste au pays et le sauve de la faillite. Gospodina Glawari choisira évidemment celui qu’elle cherche à éviter pendant deux heures, Danilo Danilovitch, dont la devise est "aime beaucoup, fiance toi un peu, mais ne te marie jamais !" On devine qu’ils se sont connus autrefois et Danilo l’aime malgré ses millions. Ah ! c’est beau, l’amour ! Surtout à l'opéra...



http://www.geneveopera.ch/

jeudi 23 décembre 2010

L’envers du décor


Depuis la rentrée de septembre, mes semaines sont cadencées par une alternance de répétitions chorales. Je me suis plongée dans différentes œuvres, Dvorak, Poulenc, mais celle qui prend désormais tout mon temps, qui me remplit la tête et les oreilles, c’est la Belle Hélène d’Offenbach. Un des chœurs auxquels je participe s’est lancé dans cette folle aventure. Nous n’avions aucune idée de l’engagement que cela allait demander ni du temps que ça allait prendre. Nous sommes maintenant à un mois du spectacle et à la veille d’une dangereuse pause de fin d’année, au cours de laquelle nous risquons d’oublier tout ce que nous avons assimilé. En janvier, nous allons devoir répéter tous les soirs, puis assurer quatre représentations, ce qui représente deux semaines et demie de travail intense.

L’apprentissage de l’œuvre se fait en plusieurs étapes et selon différentes formules. D’abord celle de la répétition classique: assis par voix, la partition sous les yeux et avec le chef au piano. On chante ensuite mélangés, avec puis sans partition, en marchant, en bougeant les bras. Puis, la mise en scène vient compliquer le tableau: il faut maintenant chanter par cœur, mélangés, en faisant des déplacements et des chorégraphies, tout en faisant des mimiques (l’étonnement, la colère), en agitant éventuellement des objets, en faisant semblant de boire ou encore de jouer aux cartes. Evidemment, le jour où on répète avec l’orchestre, le château de cartes s’écroule et il faut tout recommencer: on se rassied par voix, avec la partition sous les yeux. Selon l’acoustique du lieu, on ne reconnaît pas les départs, on ne trouve plus nos notes, on n’entend plus l’harmonie.

C’est l’occasion aussi d’apprendre quelques ficelles du métier de comédien : toujours regarder le public, ne jamais rester en carafe, c’est-à-dire bêtement debout, les bras ballants, l’air de ne pas savoir ce qu’on doit faire. En cas d’erreur ou d’oubli, assumer à mort et faire croire que c’était écrit dans le scénario. Toujours vivre la situation, quitte à se la raconter mentalement, pour faire croire qu’on est un citoyen grec ulcéré ou un noble en train de faire ripaille. Garder un œil sur l’ensemble de la troupe, afin d’éviter de laisser des trous sur la scène ; dans ce cas-là, se déplacer discrètement pour mieux répartir la foule. Et je vais enfin me rappeler de quel côté sont Cour ou Jardin.


Nous avons reçu nos costumes : une simple tunique qui sera agrémentée de différents accessoires (ceinture, voile) selon le rôle que nous représenterons. Il reste encore à apprendre la discipline en coulisses, c’est-à-dire sortir de scène rapidement, en incarnant son personnage jusqu’au bout, se taire et changer de costume à la vitesse grand V, sans mettre sa culotte à l’envers. Nous serons bien sûr maquillés, les femmes porteront du rouge à lèvres rouge vif, je me réjouis déjà !

Avec tous les éléments qui se mettent lentement en place, l’œuvre commence à prendre forme, à prendre vie. A force d’entendre la musique, les solistes, les interventions du chœur, le tout commence à avoir un sens, même si nous répétons les différents passages dans le désordre et avec de grands trous dans la narration. En effet, nous ne découvrirons l’œuvre dans sa totalité et dans son déroulement chronologique que dans les derniers jours avant la première.

Nul ne sait encore à quoi ressemblera le produit fini. Ce sera peut-être un succès qui cassera la baraque ou alors une triste parodie au comique involontaire. Je vote bien sûr pour la première option. Quoi qu’il en soit, je m’amuse beaucoup avec cette expérience nouvelle. Je viens sans doute d’ajouter une nouvelle corde à mon arc, une plume à mon chapeau et, qui sait, peut-être vais-je être piquée par le virus de la scène. Ce ne sont pas les occasions qui manqueront de brûler les planches à nouveau.

La Belle Hélène de Jacques Offenbach, à l’Alhambra de Genève, du 20 au 23 janvier 2011

samedi 11 décembre 2010

Relais, pivots et retours (2)


En 1995, l’Union européenne a accueilli trois nouveaux Etats membres, l’Autriche, la Suède et la Finlande, passant ainsi de douze à quinze membres. Le régime linguistique est, quant à lui, passé de neuf à onze langues, l’Autriche partageant la même langue que l’Allemagne. Quoique… l’autrichien mériterait presque d’avoir sa propre cabine (voir ci-dessous). En 2004, ce sont dix nouveaux Etats qui ont rejoint le giron de l’UE, apportant par la même occasion dix nouvelles langues à cette véritable tour de Babel.

On pensait que ça ne marcherait jamais, que ce serait ingérable et pourtant…. Ça tourne ! Evidemment, le lituanien passif 1) ne courant pas les rues, ce sera la cabine lituanienne qui "fera le retour" 2), en général vers l’anglais, souvent vers l’allemand, parfois vers le français. Un nombre tout à fait respectable de collègues a fait l’effort d’apprendre le polonais ou le hongrois, ce qui n’est pas une mince affaire. On trouve donc souvent un pivot 3) pour le polonais ou le hongrois en cabine allemande, anglaise voire espagnole. D’autres courageux s’attaquent hardiment au tchèque ou à l’estonien. Les free lance investissent leur temps et leur argent pour acquérir ces langues, sans avoir la moindre garantie de recrutement en retour. Dans les faits toutefois, celui qui maîtrise une ou plusieurs langues dites "de l’élargissement" peut compter sur des engagements réguliers dans les institutions européennes. Le salaire quotidien est le même pour tous, indépendamment du nombre de langues.

Les interprètes de l’UE ont quasiment tous quatre langues passives. Certains en ont six ou sept, voire davantage. Ce sont souvent des langues proches (italien, espagnol, portugais), mais pas forcément. Certains ont, en plus du français et de l’anglais, le néerlandais, le grec et le danois, par exemple ; ou encore le polonais, le suédois et l’italien. Etrangement, tous les collègues de cabine tchèque ont le slovaque et tous les Slovaques ont le tchèque. D’autres ont des combinaisons linguistiques impressionnantes, avec le serbe, le bosniaque, le croate et le serbo-croate 4) (en sus de l’anglais etc…)! C’est pourquoi l’autrichien pourrait parfaitement avoir sa propre cabine. D’ailleurs, le luxembourgeois est dorénavant une langue de travail au Comité des régions. On trouve aussi du catalan ou du galicien, langues qui acquerront sans doute bientôt un statut officiel.



Le gaélique est une des langues officielles, mais uniquement en séance plénière du Parlement européen et uniquement en « passif » (pas de cabine gaélique). Il y aura ainsi deux interprètes – en règle générale, des Irlandais – qui attendent patiemment qu’un député européen prononce quelques mots dans cette langue qu’ils sont bien les seuls à comprendre. Ce qui arrive environ une fois par semaine et ils sont alors dans un tel état de stupeur dû à l’attente interminable qu’ils ne réagissent pas à temps et l’intervention passe à la trappe. De toute façon, les discours en gaélique se limitent en général à Bonjour et Merci, étant donné que c’est quasiment une langue morte ; le délégué passe ensuite à l’anglais. On n’entend pas souvent le maltais non plus. La Commission européenne a eu toutes les peines du monde à trouver des interprètes anglais-maltais et retour, étant donné que Malte est une destination pour des cours d’anglais. Ces collègues-là n’ont, en général, que l’anglais dans leur combinaison linguistique. Tout ceci est dû à des considérations politiques, qui n’ont rien à voir avec une bonne gestion économique. Idem pour les cabines tchèques et slovaques. Lorsque les pays de l’ex-Yougoslavie adhéreront à l’Union européenne, il y aura bien sûr une cabine pour chacun des avatars du serbo-croate.

Parmi les langues passives à l’UE, on trouve aussi le russe, l’arabe, le turc ou le serbo-croate (et tous ses dérivés), car il arrive parfois que ces langues-là soient utilisées dans les réunions des institutions européennes lorsqu’il s’agit de relations avec les pays correspondants.

Les vingt-deux langues actives utilisées lors des séances plénières du Parlement européen sont : l’allemand, l’anglais, le bulgare, le danois, l’espagnol, l’estonien, le finnois, le français, le grec, le hongrois, l’italien, le letton, le lituanien, le maltais, le polonais, le portugais, le néerlandais, le roumain, le slovaque, le slovène, le suédois, le tchèque – plus le gaélique passif. A raison de trois personnes par cabine, cela fait soixante-six interprètes par tranche de travail. Les séances plénières étant très stressantes, la relève se fait au bout de deux heures. Deux équipes le matin, les mêmes deux équipes l’après-midi, une troisième pour la soirée, voire encore une quatrième, si la séance se prolonge jusqu’à minuit, ce qui n’est pas rare. Ce qui vous fait quatre fois soixante-six5) interprètes par jour de session et le catalan et le galicien viendront bientôt étoffer les rangs. Il y a de quoi avoir le vertige !

Dans les autres réunions (commissions parlementaires, groupes de travail, etc…) le nombre de langues représentées dépendra des délégués qui y participant.

Au début d’une réunion de l’Union européenne, nous commençons par repérer quels sont les retours et les pivots. Si la cabine roumaine fait un retour vers le français, nous devons nous taire et éviter d’occuper ce canal en allant chercher le roumain en relais sur une autre cabine.
Vous me suivez toujours ?

Eh oui, les conférences hyper-multilingues sont rocket science !

NB : la composition des équipes est assistée par ordinateur, mais il faut malgré tout tenir compte du facteur humain. Un véritable travail de titan, comparable au Rubik’s Cube.


Texte paru dans la revue Hieronymus (décembre 2010) www.astti.ch
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1) Langue que l’interprète comprend et qu’il traduit vers sa langue maternelle
2) Voir Relais, pivots et retours (1); l’interprète traduit de sa langue maternelle vers une langue étrangère qu’il maîtrise parfaitement.
http://tiina-gva.blogspot.com/2010/09/relais-pivots-et-retours-1.html
3) Voir Relais, pivots et retours (1); interprète qui comprend une langue donnée et sur lequel les autres interprètes se branchent s’ils ne comprennent pas ladite langue. Ainsi, si je ne comprends pas le polonais, j’écouterai alors le canal de la cabine – par exemple – allemande pour suivre l’interprétation que fait mon collègue à partir du polonais. Cela s’appelle "prendre le polonais en relais sur la cabine allemande".
4) Ces langues ne sont pas encore des langues officielles, mais elles figurent néanmoins au palmarès des interprètes qui les ont.
5) 68, si on compte les deux pivots pour le gaélique

lundi 6 décembre 2010

Les forces de la nature


En avril dernier, on a redécouvert la slow-motion et le rythme du bon vieux temps avec l’éruption de l’Eyjafjallajökull, mieux connu sous le petit nom de "volcan islandais", tellement plus facile à retenir et à prononcer. Les avions sont restés cloués au sol, des réunions ont été annulées les unes après les autres et chacun avait un récit d’aventures rocambolesques à raconter. D’aucuns prenaient le taxi de Stockholm à Naples, d’autres passaient par Madrid pour aller de Londres à Varsovie et nul ne savait combien de temps cela allait durer. Et quand ça a été fini, tout le monde a poussé un immense soupir de soulagement avant de remonter aussitôt dans un avion.

Et voilà que c’est la neige qui est venue nous rappeler qu’il vaut mieux rester humble face aux forces de la nature. Un peu partout en Europe, la neige a réussi à tout paralyser. Elle a fait encore plus fort que l’éruption volcanique : cette fois-ci, il n’y avait pas que les avions qui étaient bloqués, mais aussi les routes et les voies ferrées. La seule façon d’aller de A à B était la bonne vieille marche à pied, à petits pas prudents pour ne pas se casser le poignet ou le col du fémur. On voyait bien quelques hardis inconscients rouler à vélo ou en scooter, mais ils n’étaient pas bien nombreux. Les voitures non-équipées de pneus neige n’allaient pas très loin sans froisser de la tôle. Quant aux transports publics, quel désastre ! Les trams circulaient dans une certaine mesure, mais les bus ont mis environ 48h pour s’adapter à la nouvelle donne. Et tout comme dans le cas du volcan, il était difficile d’estimer combien de temps ce petchi allait durer.

A nouveau, chacun y allait de sa petite anecdote ou de son récit d’aventures : ceux qui se sont levés à 4h du matin pour attrapper l’avion de 7 :00, celui de la veille ayant été annulé ; ceux qui sont allés travailler à pied, quitte à marcher 5 ou 10 km ; ceux qui ont choisi de passer la nuit chez des amis, sachant qu'ils ne pourraient pas rentrer chez eux ni en ressortir ; ceux qui renonçaient à aller là où ils devaient aller, sachant que ce qu’ils allaient faire allait être annulé de toutes façons ; la peur de réussir l’aller mais de rater le retour en restant bloqué ; réunions et conférences reportées, faute de participants ; et le courrier postal qui est resté en rade quelque part en rase campagne.


Le redoux est enfin arrivé, mais une journée à 8° n’est pas encore parvenue à faire fondre toute la neige accumulée. Pendant une semaine, nous avons tous été contraints de revoir notre rythme de vie, de renoncer au superflu et de nous concentrer sur l’essentiel ; ralentir les compteurs, ne plus croire que l’immédiat doit fonctionner sans heurts ni retards ; échafauder des plans B pour se passer de ce dont la neige nous a privés et se débrouiller sans.

Quel sera le prochain cataclysme à nous tomber sur la tête ? On nous annonce des inondations, la pluie ayant maintenant succédé à la neige. Pourquoi pas une tempête de sable ? Ou une tornade ? Un nuage de criquets pélerins ? Pendant une semaine, nous sommes tous devenus des Anglais, à ne parler que du temps qu’il fait. Eh oui ! Dans nos logements et nos bureaux chauffés l’hiver et climatisés l’été, on a tendance à oublier qu’on est bien peu de choses sans nos bottes, nos parapluies, nos doudounes ou, à l’inverse, sans nos lunettes de soleil et nos crèmes solaires.

C’est à se demander ce qui est moins pire (ou pire grave comme diraient les djeuns): les grosses chaleurs ou les grands froids. Un peu comme si on devait choisir entre la cécité et la surdité. Il semblerait que le froid et la cécité soient moins durs à supporter que la canicule et la surdité. Il vaut la peine d’y réfléchir, des fois qu’on vous placerait devant ce choix cornélien au Jugement Dernier.



Grosses chutes de neige à Genève et partout en Europe, du 27 novembre au 5 décembre 2010. L’aéroport est resté fermé du mardi soir au jeudi matin ; mardi soir encore, les bus sont rentrés au dépôt, leur circulation ne pouvant plus être assurée sans danger. Des trains ont été annulés et des branches d’arbre se sont brisées sous le poids de la neige. L’hôpital a dû réquisitionner trois salles d’opération supplémentaires et faire des heures supplémentaires pour soigner les fractures. Mais fort heureusement, la Course de l’Escalade n’a pas dû être annulée : la voirie a travaillé une bonne partie de la nuit pour dégager le parcours. Comme quoi, on arrive à déblayer quand c’est vraiment important !

Enfin quelques conseils de bon sens : ne sortir que si c’est nécessaire, ne pas téléphoner en marchant, éviter les escarpins (j’en ai vus !) et regarder où on met les pieds. C’est pourtant simple…
http://www.courrierinternational.com/depeche/newsmlmmd.840d7a82567a8477c9a79365af5a5ac7.291.xml

lundi 22 novembre 2010

On n’arrête pas le progrès


Depuis que la consommation de tabac a été bannie des lieux publics fermés, nos amis les fumeurs vivent un calvaire. Ils souffrent du manque de nicotine, ils se sentent opprimés et rejetés vers le trottoir où ils s’adonnent à leur vice, s’abritant tant bien que mal de la pluie et du vent. Mais voilà que la modernité vole à leur secours : la cigarette électronique ! Bon sang mais c’est bien sûr ! La cigarette Canada Dry : ça ressemble à une cigarette, ça se suce comme une cigarette, ça a le goût de la cigarette, nicotine facultative et fumée inexistante.

L’objet s’achète bien sûr sur internet, mais aussi dans certaines pharmacies. On peut y trouver le modèle Supersmoker, sans nicotine. L’e-cigarette fonctionne avec une cartouche contenant un ersatz de tabac avec, à choix, des arômes de tabac ou de fruits, ainsi que du glycérol. Le fumeur inhale et exhale une vapeur qu’on espère inodorante. Pour 90 CHF, on obtient le set de base, comportant une cigarette, deux batteries et une cartouche (15 cigarettes), la recharge coûtant 39 CHF pour 24 cartouches, c’est-à-dire 360 cigarettes, nettement moins cher que la bonne vieille clope du cowboy Marlboro. Etant donné que la loi interdit de vendre des substances qui mettent la santé en danger, seules les e-cibiches sans nicotine sont autorisées en Suisse. C’est à se demander pourquoi le modèle à base de tabac et de papier est encore en vente libre, mais ça, c’est un autre débat.

La lolette électronique pourrait ainsi être autorisée dans les cafés et les restaurants, puisqu’elle n’incommode pas les autres et n’entraîne pas de fumée passive. Toutefois, les effets secondaires de ce nouveau produit ne sont pas encore connus. Les affirmations des fumeurs invétérés vont être mises à rude épreuve, lorsqu’ils disent qu’ils veulent être libres de consommer du poison et de se détruire s’ils le souhaitent, que ça ne regarde qu’eux et que l’Etat n’a pas à se mêler de leur mode de vie. Sans ses volutes gris-bleutées, l’objet perd la moité de son charme. Qu’à cela ne tienne : il existe des applications pour iPhone permettant de simuler la fumée. Il suffit pour cela de souffler sur son téléphone et voilà que le génie de la lampe d’Alladin vient vous tenir compagnie. L’inconvénient, c’est qu’on ne peut pas consulter ses e-mails pendant qu’on e-fume. On ne peut pas tout avoir, ma foi !

Reste à savoir quelle est l’empreinte écologique de ce produit révolutionnaire. Qu’advient-il des cartouches usées, sont-elles recyclables ? Quelle est la consommation en électricité du paquet de clopes qu’on recharge à l’aide d’une clé usb ou de l’allume-cigare ? Un bonbon à la nicotine ne serait-il pas une solution bien plus simple ? Va-t-on inventer l’e-cigare et l’e-pipe ? L'e-joint ? Le plus simple serait encore d’arrêter. La cigarette électronique peut offrir une aide au sevrage, voir le témoignage ci-dessous.



Voir aussi le sujet précédent : http://tiina-gva.blogspot.com/2010/10/je-hais-la-cigarette.html
http://www.edsylver.com/
http://www.tdg.ch/geneve/actu-geneve/cigarette-electronique-debarque-geneve-2010-11-21

Le témoignage d’un internaute :
Par paduc le 22.11.2010 - 09:35
Comme c’est tout à fait dans le trend de parler de ce qu’on ne connaît pas, d’accuser ou de critiquer sans preuve, permettez que je vous fasse part de mon modeste témoignage :
Grand fumeur, j’ai fumé jusqu’à quatre paquets de clopes par jour, mais je n’en étais qu’à (!) deux ces dernières années. Je me suis intéressé en été 2009 à la cigarette électronique, non pas forcément pour arrêter de fumer mais pour cesser de polluer mon entourage avec ma fumée en ayant la possibilité de « téter » quelque chose qui ressemblait beaucoup à la cigarette. Je me réservais le droit de continuer de fumer à l’extérieur, sans déranger personne ! Concrètement d’ailleurs, je continuais même à l’extérieur à utiliser ma cigarette électronique et j’ai remplacé sans le remarquer le tabac par cet instrument.

Bonheur suprême : cette cigarette qui produisait de la vapeur me permettait ainsi d’exhaler quelque chose qui ressemblait à la fumée. Le geste était préservé, j’avais un semblant d’odeur, (très discrète, elle avait l’avantage de ne gêner personne) et, de surcroît, je pouvais avaler et exhaler une vapeur qui faisait parfaitement illusion.
Les détracteurs de la cigarette électronique accusent cette dernière de contenir du propylène glycol, un produit constitutif du liquide à inhaler qui, sauf erreur, maintient l’humidité du produit. Il s’agirait d’une substance potentiellement dangereuse mais dont on n’a pas encore vraiment mesuré la toxicité.

C’est de la pure désinformation puisque, à ma connaissance, toutes les marques européennes de cigarettes électroniques ont, depuis au moins une année, remplacé le propylène glycol par de la glycérine végétale et l’on ne trouve plus de propylène que dans des liquides dont la fabrication est de provenance douteuse, comme la Chine par exemple.
On accuse également le liquide de contenir de la nicotine, ce qui est parfaitement exact. Mais ce qu’on oublie de dire, c’est que le consommateur a le choix de se procurer du liquide avec ou sans nicotine. Pour ma part, j’ai commencé avec, comme lors de l’utilisation d’un quelconque substitut nicotinique en vente libre dans nos pharmacies, puis, n’en éprouvant plus le besoin, j’ai continué avec des produits sans nicotine.

Ainsi je me suis retrouvé à « vapoter » pendant de long mois une cigarette électronique qui ne contenait ni propylène glycol, ni nicotine !
L’OMS et autres détracteurs de la « e-cigarette » pouvaient hurler au loup autant qu’ils le souhaitaient, pour ma part, mon choix était fait : entre le tabac qui contenait plusieurs centaines de substances cancérigènes répertoriées et la cigarette électronique qui pouvait éventuellement contenir une ou deux substances dont le danger restait à démontrer, je choisissais le moindre mal !
Bien m’en a pris, puisque, alors que je n’avais pas pour but d’arrêter de fumer, je me suis retrouvé à me désintéresser complètement de ce gadget, n’éprouvant même plus le besoin de vapoter.

Alors, messieurs les puristes et les critiques de tout poil, vous pouvez médire autant que vous voudrez sur la cigarette électronique, mais, pour ma part, je constate qu’elle m’a permis de cesser de fumer depuis plus de 15 mois maintenant et même, depuis plus de six mois, de supprimer totalement toute ma gestuelle en rapport avec la cigarette puisque j’ai même renoncé à la cigarette électronique !

Je tenais à témoigner ici afin qu’on arrête de diaboliser un produit qui peut aussi aider certains fumeurs à arrêter complètement même si ce n’est pas le but de la cigarette électronique qui se présente plutôt sur le marché comme « une autre manière de fumer », ce qui, à mon avis est inexact. Pour moi, la cigarette électronique est plutôt une autre manière, une manière non dangereuse, de satisfaire à une gestuelle.

mercredi 10 novembre 2010

Terroriste, tendance deux-roues


Un politicien local a récemment crée le néologisme cycloterroriste pour qualifier les cyclistes indisciplinés qui sillonnent notre bonne ville : ceux qui brûlent les feux rouges, qui roulent sans phare ni casque sur le trottoir au risque de renverser des grand-mères, qui traversent des parcs remplis de bambins comme des Fangio, etc… Ce n’est pas entièrement faux, c’est juste un tantinet exagéré.

Les terroristes sont partout et ils appartiennent aussi à d’autres obédiences qu'à celle des cyclopacifistes. Moi qui circule en ville à pied, à vélo, en scooter, en bus et même en voiture parfois (en mettant 30 minutes pour parcourir 200m, histoire vraie), je puis vous assurer que personne, mais alors personne ne respecte le code de la route. Il va sans dire que les automobilistes sont les plus arrogants et les plus dangereux. J’ai pris l’habitude, quand je passe à l’orange, de regarder derrière moi. Il y a toujours au moins deux véhicules qui passent encore, alors que le feu ne peut être que rouge. Les autoterroristes téléphonent au volant, se garent sur les trottoirs, sur les passages piétons, sur les pistes cyclables et n’hésitent pas à ouvrir leur portière du côté de la rue, au prix d’un homicide par négligence s'il le faut.

On trouve aussi la branche des bussoterroristes qui, vu leur volume considérable, ont toutes les peines du monde à accepter de rester coincés à l’intérieur des lignes jaunes qui délimitent leur territoire. A vélo, quand on voit arriver un bus derrière ou à côté de soi, il vaut mieux, en effet, monter sur le trottoir, quitte à effrayer un caniche. Notre vie en dépend. La piste cyclable coïncide souvent avec les arrêts de bus et la vitesse des deux modes de locomotion étant quasiment identique, ça devient alors un jeu du chat et de la souris, la règle étant qu’il faut arriver à quitter l’arrêt de bus avant que le brontosauroterroriste ne vous fonce dessus.

Mais la race la plus vilipendée est bien celle des scooterroristes. Rien ne les arrête. Ils remontent les files de voitures par la droite, ils squattent les pistes cyclables et se garent sur les trottoirs. Bien obligés, il n’y aucune autre place prévue pour eux. Cela dit, je ne vous souhaite pas d’être dans une ambulance le jour où les scooters décideront de respecter le règlement, car si chacun d’eux occupait la place d’une voiture comme ils devraient le faire, plus rien ne bougera en ville. Il y aura des morts et des blessés, je vous aurai avertis.


Reste la catégorie des saints innocents, des martyres au-dessus de tout reproche : les piétons. Etant donné qu’il ne faut ni permis, ni macaron, ni timbre fiscal, ni casque, ni catadioptre, ni examen de la vue après 70 ans pour marcher dans la rue, les piétons ne sont apparemment pas tenus de faire attention aux autres. Ils traversent la chaussée où et quand ça leur chante, de préférence en surgissant à l’improviste entre deux voitures en stationnement ou dans la nuit la plus noire. Les mamans avec poussette ont une priorité aussi magique qu’automatique. La Force est avec elles.

La ville est totalement congestionnée par la circulation, les innombrables chantiers n’arrangeant en rien la situation. Les autorités cherchent par tous les moyens à décourager les automobilistes en réduisant la voirie disponible et en supprimant des places de parking à tour de bras. Les scooters ne sont ni chair ni poisson, les contraventions suivent le même barême que celui des véhicules à quatre roues, mais rien n’est prévu pour eux, ni parkings ni souplesse dans le code de la route. Quant aux vélos, ils sont transparents, les pistes cyclables offrent des espaces de rêve aux camions de livraison ou aux taxis qui attendent leur client. Les transports publics annoncent, quant à eux, une augmentation de leurs tarifs. Alors que faire ?

De tous les moyens de transports possibles, ma préférence va de loin à la petite reine. Loin d’être idéale quand il pleut, elle permet, par beau temps, d’arriver à l’heure à ses rendez-vous sans devoir se faire de bile au moment de se garer. En pédalant, je réduis non seulement mon empreinte carbone mais aussi mon taux de cholestérol. Mon petit cœur palpite pour me dire merci et je sens, à chaque déplacement, que je me fais du bien.

Si seulement le monde était peuplé de cycloterroristes, la ville serait plus pacifique et bien plus agréable à vivre!

mardi 26 octobre 2010

Un roman français

La baie de Saint-Jean-de-Luz, vue de Sainte-Barbe
Quelle drôle d’expérience que la lecture de ce livre de Frédéric Beigbeder… J’avais l’impression de lire un avatar de Mars de Fritz Zorn (voir le sujet précédent) et en même temps, je lisais les souvenirs d’enfance de mon ex-Jules, dont la prime jeunesse semble être un calque quasi-parfait de celle de ce Parisien mondain.

Tout comme Fritz Angst, alias Zorn, Frédéric Beigbeder a eu le malheur de naître dans une famille aisée. Le Neuilly de son enfance était une sorte de Genève, un village trop propre, où l’air était trop pur… une ville où le temps ne fait que passer. Il n’a jamais manqué de rien, ses parents ne se disputaient jamais. Il a été un adolescent sagement malheureux. Il n’est pas mort d’un lymphome malin, mais il se distingue par une vie de bâton de chaise. C’est sa garde à vue suite à une consommation de cocaïne sur la voie publique, largement relatée par les médias, qui est à l’origine de ce livre. L’enfermement l’a obligé à se pencher sur sa vie et sur ses souvenirs d’enfance qui lui échappaient jusqu’alors.

Ces mémoires sont parcourues de descriptions du pays basque, où l’auteur a régulièrement passé ses vacances – tout comme Jules le fait depuis cinquante ans. L’évocation des plages, Cénitz ou Ilbarritz, du toro de fuego, des macarons de chez Adam, de Biarritz ou de Saint-Jean-de-Luz me chatouille le cœur, car ce sont là des souvenirs d’une des périodes sans doute les plus heureuses de ma vie. Tout comme Jules, Beigbeder avait un grand-père aristocrate et une grand-mère américaine. Tout comme la famille de Jules, ils avaient une belle demeure, la Villa Navarre à Pau, qui est devenue un hôtel de luxe. A la mort de l’oncle de Jules, le baron de … , la belle grande maison ancienne a été vendue. Elle aurait pourtant tout ce qu’il faut pour devenir, elle aussi, un Relais & Château ou en tous cas, une très belle maison d’hôtes. Elle le deviendra peut-être un jour et y séjourner deviendra alors une expérience incontournable.


Frédéric Beigbeder appartenant – à cinq ans près – à la même génération que moi, nous avons les mêmes références culturelles, qu’il s’agisse du lion Clarence qui louchait dans Daktari ou encore des distributeurs de pastilles Pez. Nous ne recevions toutefois pas les frères Bogdanov à dîner à la maison, ni le gratin parisien. Il écrit : ma vie n’est pas plus intéressante que la vôtre, mais elle ne l’est pas moins. Les mémoires d’un contemporain ne sont certes pas moins dignes d’intérêt que celles d’un grand homme dont le nom est entré dans l’histoire et elles ont l’avantage de remuer quelque chose de proche, à quoi ceux de notre génération peuvent s’identifier.

Si un jour je me retrouve en garde à vue ou immobilisée dans un lit d’hôpital, j’aurai sans doute aussi l’occasion de réfléchir à ma vie, d’essayer de faire de l’ordre dans mes souvenirs et dans toutes les émotions qui se bousculent dans le disque dur de ma mémoire. Je ne vais malheureusement plus au pays basque, Jules y va désormais sans moi car, comme le constate très justement Frédéric Beigbeder : l’amour dure trois ans.

Une plage du pays basque...







L’amour dure trois ans, Frédéric Beigbeder, Gallimard, collection folio, 2001



Un roman français, Frédéric Beigbeder, Grasset 2009

dimanche 17 octobre 2010

Mars – Fritz Zorn


"Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul".

C’est sur ces mots que commence le récit d’un homme en colère. Fritz Angst a choisi comme pseudonyme la colère (Zorn) plutôt que la peur (Angst) qui était son vrai nom de famille. Dans ce livre choc paru en 1977, il règle ses comptes avec la trop bonne éducation que sa très bonne famille lui a donnée. Pour son malheur, il est né de parents très aisés, vivant dans un des plus beaux quartiers d’une ville riche dans un pays riche, c’est-à-dire la Goldküste, à Zurich, en Suisse. Il en est mort à 32 ans des suites d’un lymphome qui, selon lui, était l’aboutissement de toutes ses névroses, de toutes ses frustrations, de toutes ses émotions retenues, de ses larmes ravalées. Son livre est devenu un best-seller – il n’a pas vécu assez longtemps pour jouir de ce succès post mortem – et il n’a malheureusement rien perdu de son actualité.

Ses parents étaient des gens très bien, très respectables, irréprochables. Mais la seule façon de ne jamais perdre cette illusion de perfection était de ne jamais se compromettre, de ne jamais rien faire qui soit ridicule, déplacé, vulgaire ou excessif. Ils n’écoutaient que de la bonne musique et ne lisaient que de bons livres, c’est-à-dire des œuvres d’artistes morts. La variété, le jazz et la littérature moderne, donc facile, ne franchissaient pas le seuil de leur univers clos et protégé. Un peu comme Ariane et Solal dans Belle du Seigneur 1), qui cherchent à tout prix à préserver la merveilleuse perfection des premiers jours d’une relation amoureuse.

Chez eux, tout n’était qu’harmonie. Tout le monde était toujours d’accord avec tout le monde, pas le moindre conflit ou désaccord ne venait jamais troubler leur sérénité. Cela n’était possible qu’en restant tiède ou indifférent. Vis-à-vis de tiers, ils attendaient toujours de savoir d’abord ce que pensait leur interlocuteur, afin de ne surtout pas le froisser en étant d’un autre avis. Paradoxalement, une recherche aussi utopique de la perfection vous mène forcément droit dans le mur.



Dans les années -70, la sexualité était encore fortement taboue. A l’école, l’éducation sexuelle consistait en une présentation strictement anatomique de la mécanique de la chose. On leur a en outre appris qu’en Amérique, un certain pourcentage de jeunes garçons se masturberaient, ce qui était bien sûr une grave déviance. Mais pas de quoi s’inquiéter : ça se passe loin, là-bas, de l’autre côté de l’Océan. Le jeune Fritz a grandi dans un milieu si pudibond, qu’il avait même de la peine à prononcer des mots tels que "corps ou jambe", des mots comme "poitrine ou sexe" ne franchissaient jamais ses … lèvres (sûrement encore un mot interdit !). La conséquence logique en a été qu’il a été incapable d’avoir la moindre relation, le moindre contact avec les femmes.

Tout en reconnaissant qu’on n’est pas forcément plus heureux dans les goulags soviétiques, l’auteur se lance dans une diatribe contre le calme tranquille qui caractérise la Suisse. Ce qui m’a rendue attentive au fait que le mot Ruhe se traduit de dix façons différentes en français : le silence, le calme, la sérénité, le repos, la paix, la tranquillité, l’ordre, la retraite, la lenteur et même la mort (le repos éternel). On ne doit surtout pas déranger ni faire de bruit, il faut toujours être comme il faut (en français dans le texte). Et quand on meurt, il ne faut surtout pas le dire à voix haute, on dira plutôt que quelqu’un s’en est allé.

Fritz, quant à lui, veut lancer un cri urbi et orbi, convaincu qu’il est de ne pas être un cas isolé. Il veut que son expérience serve à sauver d’autres pauvres diables, victimes, comme lui, de leur éducation et de leur milieu. Il parvient à la conclusion que, contrairement aux personnages d’opéra, qui meurent d’amour, sa mort à lui est due à un manque d’amour, à une parfaite incapacité de ressentir des émotions vis-à-vis d’une femme ou de n’importe quelle personne. Il règle ses comptes avec son milieu, sa famille, le système, mais aussi avec Dieu : "un Dieu qui a inventé la Gestapo, les camps de concentration et la torture devrait exister rien que pour qu’on puisse lui casser la figure". Pour lui, Dieu incarne tout ce qui est comme il faut, le calme, l’harmonie, l’évitement de tout conflit, de toute émotion, en bref : la non-vie. C’est pourquoi il lui préfère le diable et l’enfer, où au moins, on a une chance d’exister.

Jusqu’à la fin, Zorn se battra contre le mal qui le ronge. Sa colère ne lui permet pas de capituler et son livre se clôt sur ces mots : "Je me déclare en état en guerre totale".

Kindler Verlag, Munich, 1977
Gallimard, 1979 pour l'édition française
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1) Belle du Seigneur, Albert Cohen, Gallimard 1968

samedi 16 octobre 2010

Luxe, calme et volupté


Ma profession est réputée stressante. Pourtant, une journée sans travail l’est souvent bien plus, car on en profite pour faire plein de choses, comme lire vingt-sept courriels, en écrire seize, en effacer quatorze dont dix qui sont des bulletins d’information dont on n’a que faire ; descendre la poubelle en allant faire des courses, passer quelques coups de fils, faire une lessive, consulter internet, lire des journaux et des livres en retard, sortir acheter des billets pour un spectacle… Ciel ! Déjà 16h ! Et moi qui avais pris un rendez-vous pour un massage voluptueux de la tête dans un de ces Urban Spas qui sont très à la mode depuis quelques temps.

Après une petite poussée d’adrénaline pour ne pas arriver en retard, voici que je pousse la porte de ce havre de paix et d’harmonie. Outre la demoiselle de la réception qui me sourit aimablement, un immense labrador-nounours me regarde d’un air triste et vient vers moi quand je l’appelle. Je pénètre ensuite dans ces lieux que je découvre pour la première fois. On me prie de me déshabiller entièrement et d’enfiler un peignoir et des pantoufles, alors que je viens pour une Tête Dans Les Nuages. C’est comme ça, le réglement c’est le règlement et je m’exécute, car je suis une personne obéissante. Je ne peux toutefois pas m’empêcher d’avoir le sentiment d’être entrée dans une sorte d’institution spécialisée… en réalité : oui, je viens d’entrer dans un institut de soins. On me fait patienter dans un petit espace tamisé, agrémenté de bougies parfumées et de musique méditativo-spatiale. C’est alors qu’arrive une jeune femme, tout de noir vêtue, qui me tend la main et qui me souhaite la bienvenue en m’appelant par mon nom, comme chez le dentiste. Elle m’invite à la suivre le long de corridors obscurs, feutrés, parfumés et, une fois arrivée dans la salle de soins, me demande de retirer mes bijoux. Comme pour une mammographie ou pour une radiographie des poumons, en somme. Je dois maintenant retirer mon peignoir et me couvrir d’une serviette de bain. Me voici, nue comme un ver, prête à recevoir mon massage-détente de la tête.


Toujours accompagnée d’une musique d’ascenseur ésotérique, je sens des mains chaudes et huileuses qui me massent la nuque, les épaules, le décolleté… Je connais plus d’une amie qui ne trouverait pas ça relaxant du tout de se faire masser le décolleté par une belle inconnue. Un bel inconnu, ça ne serait pas forcément mieux, d’ailleurs. On en arrive quand même à la tête : oreilles, sourcils, joues. La demi-heure écoulée, ma masseuse m’accorde quelques instants pour remettre mon peignoir et mes bijoux, pendant qu’elle m’attend à l’extérieur. Elle m’attend aussi pendant que je passe au petit coin.

Bref, tout est fait pour que la cliente baigne dans le bien-être et la sérénité, mais cette atmosphère pour personnes vulnérables et potentiellement dérangées m’irrite légèrement. Un peu comme ces magasins diététiques qui vous donnent l’impression que manger est une maladie. Le soin n’était pas désagréable, loin de là, mais un peu moins de cérémonie me conviendrait tout aussi bien. Je ressors de là avec le corps et les cheveux huileux, non sans faire une papouille en retour au labrador, que je trouve tout de même un peu déplacé dans un tel lieu ; pour des raisons d’hygiène évidentes, mais aussi parce que certaines personnes ont peur des chiens, voire y sont allergiques. Du coup, l’effet du massage détente en est réduit à néant.

On dit que de caresser un animal fait baisser la tension artérielle. En fait, plutôt qu’un soin relax-détente méditatif et planant, je préférerais une demi-heure à câliner un chien ou un chat. Au Japon, ils ont des Cat Cafés, où les gens peuvent aller jouer avec des minous tout en buvant leur thé vert. Si un tel endroit existait à Genève, je serais certainement une cliente assidue, j’aurais probablement même la carte de membre Platinum Gold Plus.


The first menu you’ll see at Calico Cat Café in Tokyo has nothing to do with food: it’s the cat selection. But you won’t be dining on any of these adorable felines – they’re just there to provide some companionship while you sip a cup of tea. The watchful staff ensure that guests treat the cats respectfully, and provide complimentary bags of dried cat food that can be used to attract your desired playmate. For many Tokyo residents, owning a cat isn’t realistic, so the city’s 30-odd cat cafés give them a chance to enjoy some “commitment-free cat stroking”.
www.spatio.ch - où vous pourrez entendre de la musique space-relax

samedi 9 octobre 2010

Je hais la cigarette


Un tableau injustement méconnu de Van Gogh, visible à Amsterdam

Un nombre croissant de lieux sont dorénavant – dieu merci ! – non fumeurs. A tel point qu’on a de la peine à imaginer comment il pouvait en être autrement à une époque pourtant pas si lointaine. On s’est tous déshabitué de ce fléau et la fumée et son odeur me sont devenus de plus en plus intolérables. A tel point que si quelqu’un marche devant moi dans la rue en fumant, je m’arrête quelques instants pour lui permettre de prendre de l’avance ; si quelqu’un empeste le monde avec son cigare sur une terrasse de bistrot, je me déplace ou je m’en vais carrément, car qui voudrait boire ou manger à côté d’une puanteur de cadavre en décomposition ? Dire qu’autrefois, on fumait dans les avions ! J’avais pris l’habitude de demander un siège qui ne soit pas au dernier rang des non-fumeurs car autrement, malgré – ou précisément à cause de – l’aération, je prenais tout dans la figure. On toraillait aussi dans les cinémas et dans les salles de cours des universités, mais c’est une époque que je n’ai heureusement pas connue. Il m’est souvent arrivé d’avoir l’impression que quelqu’un fumait dans des lieux pourtant no smoking, mais en réalité, c’était simplement quelqu’un qui revenait de sa pause cigarette à l’extérieur et qui était venu s’asseoir à côté de moi. Cette odeur est si pugnace qu’on a l’impression d’avoir l’original en face de soi, en volutes, en 3D et en couleurs. Et avec la Dolby surround. Récemment, en arrivant en cabine, mes collègues et moi avons toutes eu la même réaction : nez froncé et reniflements, ça sentait la fumée, de façon parfaitement incompréhensible, puisque tout le bâtiment est non-fumeur depuis 2005. Après coup, je me suis dit que quelqu’un avait dû découvrir ce petit coin discret pour assouvir sa passion. Mais bien sûr, des cabines d’interprète, le lieu idéal, voyons, pour aller fumer en cachette ! Un espace confiné, hermétique, sans fenêtres et surtout, auquel personne ne prête la moindre attention. En effet, il est difficile d’imaginer que six personnes doivent travailler dans un espace d’environ 2 mètres sur 6 (il s’agit là d’anciennes cabines, trop petites par rapport aux normes ISO et qui s’enfilent les unes derrière les autres 1)). Finalement, il semblerait que cette pollution atmosphérique soit simplement due à l’aération, qui nous vient tout droit de la cour, dernier refuge des clopomanes. La climatisation ne nous a toutefois encore jamais apporté un si généreux bol d’air impur. L’enquête suit son cours… Mais s’il s’avère que quelqu’un vient fumer dans notre lieu de travail, parce qu’il a la flemme de descendre dans la cour, je suis prête à lui faire subir le sort de Stuntman Mike (voir sujet précédent) ! Récemment encore, c’est dans un aéroport, lieu pourtant hautement aseptisé et climatisé,que j’ai clairement senti une odeur de fumée de cigarette. C’était le bocal à fumeurs qui, bien que soigneusement clos, laissait échapper ses miasmes malodorants chaque fois qu’un client en ouvrait la porte. L’odeur était perceptible environ 50 mètres avant d’arriver à la chose. Par ailleurs, les mégots, que les gens jettent n’importe où et notamment dans l’eau, contiennent des substances hautement toxiques qui mettent des centaines d’années à se décomposer. Mais qu’attend-on pour interdire la cigarette ? On pourrait lui appliquer ce slogan des anti-armée qui disent : Ça tue, [ça pue,] ça pollue et ça rend con, en remplaçant le dernier segment par : ça coûte cher. Et ça ne sert à rien...

1) Les dimensions d’une cabine d’interprète, selon la norme ISO 2603, doivent être de 2,50 m de large, 2,40 m de profondeur et 2,30 m de hauteur. En guise de comparaison, un box pour un cheval, selon les normes suisses, doit mesurer 3,20 x 3,20 mètres, pour un cheval mesurant 160 cm au garrot. Autrement dit, les chevaux sont mieux logés que nous, aussi pour ce qui est de la luminosité et de l’apport en air frais. Mais ceci est un autre débat…

Voir aussi:  On n'arrête pas le progrès
et: Les conspirateurs du tabac

lundi 4 octobre 2010

Frissons de cinéma


De façon générale, je préfère les comédies romantiques ou déjantées, les films ethno ou historiques, avec de beaux costumes, mais il m’arrive aussi parfois de regarder, à mon corps défendant, des "films de mecs", violents, avec des flingues, des dialogues grossiers et des poursuites en voiture.

C’est ainsi que je me suis attelée au visionnage de Deathproof de Quentin Tarantino, un réalisateur sans doute légèrement dérangé quoique talentueux. Et comme toujours, je dois reconnaître qu’un film peut être bon ou intéressant, en dépit de son côté un peu primaire, en l’occurrence une poursuite en voiture spectaculaire, qui se termine par une vengeance et une exécution des plus sommaires. Et moi qui ai signé la pétition de Roadcross 1) pour que les chauffards soient plus durement punis, j’avoue que je ressens une certaine sympathie pour ces furies vengeresses qui règlent son compte à Stuntman Mike. Ce personnage est un cascadeur un peu démodé, dont se moquent les jeunes rassemblés dans un bar et dont la voiture est deathproof, c’est-à-dire résistante à la mort. Parmi les suppléments du DVD, on peut voir un documentaire sur ces hommes et ces femmes qui bravent la mort dans des voitures équipées pour résister à tous les chocs. Certains d’entre eux sont même assez âgés. Comme quoi, on peut mourir en traversant la rue à pied et vieillir pépère en narguant professionnellement la mort.

Les cascadeurs et les interprètes ont ceci en commun qu’ils font un travail difficile et remarquable à plus d’un titre, mais ils le font dans l’ombre. Ce sont Kurt Russel & C° qu’on croit voir faire des tonneaux en voiture, alors que celui qui prend réellement des risques ne doit surtout pas se faire remarquer. Mon métier est considérablement moins dangereux, mais apparemment, on y fait aussi de très vieux os.

La dernière demi-heure de Deathproof est un véritable numéro d’acrobatie. Une femme cascadeuse, Zoë Bell, joue son propre rôle, autrement dit, elle n’est pas doublée dans ces scènes décoiffantes où on la voit sur le capot d’une voiture fonçant à plus de 100 à l’heure en se faisant cogner par celle de Stuntman Mike, qui s’amuse comme un petit fou. Mais comme le dit l’adage : rira bien qui rira le dernier.



Le film a une structure double, en deux épisodes : quatre filles, dont une black, une latino et une blondasse ; deux fois cette réplique : "Is Butterfly / Abernathy your real name ?" adressée à la latino ; des pieds qui sortent par la fenêtre arrière de la voiture ; une des filles qui doit offrir des faveurs sexuelles à un homme, parce que ses copines ont manigancé ça derrière son dos ; une poursuite en voiture dont l’issue sera fatale, mais pas pour les mêmes. Une ambiance seventies et un effet de copie pourrie (pellicule rayée et sauts dans le déroulement), mais les filles ont des téléphones mobiles et elles sortent pour fumer. Il s’agit clairement d'un hommage à la profession de cascadeur, qui reste invisible, mais sans laquelle ce film n’existerait tout simplement pas.

Au rayon des films violents, j’ai aussi vu Inglorious Basterds, Pulp Fiction, Fight Club, Nikita, Orange Mécanique, Robocop 1, Terminator 1, Rocky 1, Nightmare on Elm Street 1, Night of the Living Dead (l’original), Dawn of the Dead (le remake, la caissière m’avertissant qu’il s’agissait d’un film d’horreur !), ainsi que la parodie Shaun of the Dead… et j’en oublie certainement. Je les ai quasiment tous vus malgré moi, mais après coup, je n’ai pas regretté de m’être fait forcer la main. Le succès du genre me laisse toutefois perplexe, car je trouve qu’on y glorifie la revanche personnelle et la peine de mort. Personnellement, ma préférence va de loin à la fiction pacifiste, même si elle n’est pas forcément plus réaliste. Mais après tout, le cinéma est fait pour nous faire rêver et frissonner.

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1) http://www.roadcross.ch/

Un article intéressant: Quentin and the Women
http://glennkenny.premiere.com/blog/2007/10/quentin-and-the.html

lundi 27 septembre 2010

Do you Dirndl ?


Il se trouve que j’ai eu l’occasion récemment de me rendre à Munich et le hasard a voulu que ce voyage tombe en plein Oktoberfest, la fête de la bière qui, comme son nom l’indique, à lieu en septembre. En réalité, ce festival se termine au premier week-end d’octobre et la date en a été avancée, afin de pouvoir profiter des belles journées de septembre.


On y fête la bière, mais en réalité, c’est surtout l’occasion pour tous de s’habiller en costume folklorique. Dès l’aéroport et dans le train de banlieue me conduisant en ville, j’étais entourée d’hommes portant des Lederhosen (culottes de cuir) et de femmes arborant de généreux décolletés sur de magnifiques robes fleuries. Il ne leur manquait que la douzaine de chopes de bière dans les mains. En ville, même topo. A croire que des rayons gamma s’étaient abattus sur Munich, transformant tout le monde en parfait Bavarois, costumés de la tête aux pieds.





La première fête de la bière célébrait les noces de Louis I de Bavière et de la princesse Thérèse, le 12 octobre 1810 ; c’est ensuite devenu une tradition qui fête cette année son bicentenaire. La fête comportait au départ des courses de chevaux et un premier revival des jeux olympiques, bien avant que le baron de Coubertin n’ait cette idée. La mode des costumes traditionnels n’a été lancée qu’en 1972, à l’occasion des Jeux Olympiques de Munich. Les hôtesses étaient vêtues de Dirndlkleid 1), même que l’une d’entre elles, une certaine Sylvia Sommerlath, a ainsi tapé dans l’œil du roi de Suède, devenant par la suite la future maman de la princesse Victoria, qui s’est mariée cette année.


La fête se déroule sur la Theresienwiese, un gigantesque terrain de foire, avec carrousels, trains fantôme, barbe à papa et, bien sûr, d’immenses halles où on mange et où on boit de la bière au litre. J’ai croisé des Ecossais en kilt, ainsi que des Suisses en chemise edelweiss*). A vue d’œil, la moitié des visiteurs porte le costume folklorique bavarois. L’ambiance est très détendue, bon enfant, sans aucune connotation nationaliste du style Deutschland über alles.



Selon un article de la Süddeutsche Zeitung, la mode du Dirdnl et des Lederhosen frappe toute l’Allemagne, de Munich à Hambourg, elle dure même toute l’année ! Il n’est pas du tout ridicule de se promener habillée comme une paysanne endimanchée au mois de mars à Dortmund. J’avais déjà remarqué cela en Autriche : les gens s’habillent volontiers en tenue traditionnelle, chapeaux à plumes, vestes et manteaux de type loden, avec des boutons en corne de cerf. Vivienne Westwood aurait même dit "Si toutes les femmes portaient des Dirndl, il n’y aurait plus de laideur".


On trouve des robes de toutes les couleurs pour une cinquantaine d’euros. On peut même acheter des soutien-gorges spéciaux pour Dirndlkleid, totalement rembourrés. En effet, le monde au balcon fait partie du costume. Si j’ai l’occasion de retourner à Munich fin septembre, chiche que je me lance !


__________________________________________________
1) le mot Dirn signifie jeune paysanne, jeune fille, en y accolant le mot « robe », on obtient Dirdnlkleid. A noter que eine Dirne est une prostituée.

*) il se trouve aujourd'hui (2015)des gens qui affirment que la chemise edelweiss est raciste. En effet, il est raciste d'arborer des tenues typiquement suisses:
http://www.letemps.ch/suisse/2015/12/15/voile-autorise-ecole-chemise-edelweiss-devient-tenue-derange
http://fr.wikipedia.org/wiki/Oktoberfest
http://sz-magazin.sueddeutsche.de/texte/anzeigen/34719

mercredi 15 septembre 2010

La Finlande nouvelle est arrivée !



Le pays de mes ancêtres a bien changé depuis mon d’adolescence et mes trois années de lycée à Helsinki, dans les années -70. C’était l’époque de la finlandisation, l’Union soviétique était encore debout, l’islam n’était qu’une religion exotique dont on ne parlait jamais et les seuls étrangers à vivre là-bas étaient les diplomates qui y avaient été parachutés à leur corps défendant. Les seules personnes à parler le finnois étaient les autochtones et une idée répandue voulait que ce soit une langue impossible à apprendre.

Depuis lors, la planète a effectué une bonne trentaine de révolutions, à tel point que mes parents ne reconnaissent plus la terre qu’ils ont quittée il y a bientôt cinquante ans de cela. La Finlande est devenue cosmopolite, multiculturelle, branchée et cool. Elle est même devenue une destination touristique très courue et pas uniquement pour le folklore lapon. Mon récent vol Helsinki-Copenhague, sur Estonian Air, était plein comme un œuf, avec beaucoup de Japonais et d’Italiens, impossibles à ignorer tant ils faisaient de bruit et de moulinets avec les mains (les Italiens, donc). On entend désormais parler toutes les langues dans les rues d’Helsinki au mois d’août et les brochures touristiques sont même disponibles en russe, ce qui était parfaitement inconcevable avant 1989. Il devient difficile de distinguer les touristes de la population locale et on constate la présence d’une génération de secundos 1) qui parle couramment l’argot finnois, ce qui ne cesse de me surprendre et de m’amuser. Autrefois, la population était si parfaitement homogène que ça me donnait la claustrophobie. D’autant plus que ma différence sautait immédiatement aux yeux des autres : je suis certes finlandaise, j’ai le nom, le faciès et je parle la langue, mais… il y avait quelque chose qui clochait. Aujourd’hui, je me sens presque plus à l’aise quand je suis là-bas.

Lors de mon récent séjour en Finlande, j’ai mangé à deux reprises dans des restaurants népalais. J’aurais pu manger de la paella au renne au marché ou même du renne à la népalaise 2). Dans un effort pour être international, un bistrot proposait même des cannellonis à la maison ; ils mettent de l’ail et du fromage de chèvre partout, alors qu’autrefois, il ne connaissaient que le sel et le poivre et que la cuisine locale ne méritait pas vraiment le détour. Un article de journal relatait la difficulté de respecter le ramadan s’il tombait pendant les mois d’été en Finlande 3).
Dans mon hôtel, j’ai bavardé avec deux Chinois de Bruxelles qui découvraient l’Europe. Ils m’ont demandé ce que je pensais d’Helsinki. Séquence schizophrène : j’ai renoncé à leur expliquer que, étant plus ou moins du pays, mes impressions étaient un peu trop compliquées à exprimer. Very nice ! m’a offert la solution de facilité.

Le monde s’internationalise et se mondialise, à un tel point que même le coin le plus reculé d’Europe est devenu un creuset, un lieu de passage et de brassage. C’est pourquoi je continue de m’étonner et de m’exaspérer quand on me demande – pas plus tard qu’hier encore – comment se fait-il que je parle si bien le français. Dans l’esprit de bien des gens, s’il est normal que des Portugais ou des Chiliens parlent couramment le français ou que des Turcs parlent l’allemand sans accent, les Finlandais, eux, doivent vivre en Finlande, ne parler que le finnois, se déplacer en traineau, manger du renne en invitant le Père Noël à partager leur repas, boire beaucoup, être affligés par les moustiques et payer beaucoup d’impôts.

Quand diable les gens apprendront-ils à think outside the box ?


Lyophyllum shimeji , champignon pour gourmets japonais, dont on a découvert qu’il poussait en Finlande et en Suède et qui se vend 800€/kg. Est-ce là ce qui attire tant les Japonais ?
http://www.sciencedaily.com/releases/2010/06/100628075820.htm

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1) terme utilisé en Suisse pour désigner la deuxième génération d’immigrés ; sans aucune connotation péjorative, car ils sont très bien intégrés et réussissent mieux à l’école que les autochtones.
2) mais quelle est donc cette Népal Connection en Finlande ? On n’a pas de restaurants népalais, ici en Suisse !
3) le ramadan tombant un peu plus tôt chaque année, il tombera bientôt au mois de juin où il ne fait pas nuit du tout. L’islam est un phénomène si récent dans ce pays que la question ne s’est encore jamais posée.

dimanche 5 septembre 2010

Relais, pivots et retours (1)


Pour être interprète, il faut connaître au minimum une langue étrangère, pour interpréter, par exemple, d’anglais en français (anglais passif : langue qu’on écoute ; français actif : langue qu’on parle dans le micro). Mais avec cette combinaison linguistique là, on ne va pas bien loin. Tout change si on "fait le retour", c’est-à-dire que le même interprète travaille d’anglais en français et de français en anglais. Les vrais bilingues étant plutôt rares, une des deux langues est généralement une langue étrangère que l’interprète maîtrise assez bien pour trouver la bonne préposition et la bonne concordance des temps dans le feu de l’action. Passer d’une langue à l’autre nécessite en outre une souplesse cérébrale particulière, chaque langue ayant sa structure propre – et gare aux faux amis !

En général, les interprètes ont une langue dite A, leur langue maternelle, celle qu’ils parlent dans le micro, et plusieurs langues C, les langues passives qu’ils interprètent vers leur langue A. La langue dite B est une langue de retour (voir ci-dessus). Les combinaisons linguistiques disponibles sur un marché donné sont en général le résultat de l’offre et de la demande. Ainsi, à Genève, où sont situées de nombreuses organisations de la famille des Nations Unies, on trouvera plutôt les langues officielles de l’ONU (EN, FR, ES, RU, AR, ZH et DE pour le BIT*). Certains collègues ont aussi PT ou IT , ou d’autres langues encore.

Tous les interprètes ont l’anglais ou le français, mais que se passe-t-il quand un orateur dans la salle parle russe ou arabe ? Le cerveau humain ayant ses limites, il est impossible pour chaque interprète de maîtriser les six langues de l’ONU, dont le chinois et l’arabe, et encore moins les vingt-deux de l’Union européenne. C’est alors qu’intervient le système du "relais". Les équipes sont constituées de façon à avoir – en général dans la cabine EN et FR dans les organisations onusiennes – au moins un interprète qui comprend, par exemple, le russe. Ce collègue s’appelle le "pivot". Si un délégué dans la salle parle russe, les collègues qui ne comprennent pas cette langue régleront leur console de sorte à entendre ce que dit (par exemple) le collègue de la cabine anglaise, qui, lui, interprète de russe en anglais. Cela s’appelle "prendre le russe en relais sur la cabine anglaise". De même, lorsqu’un délégué parle espagnol, les collègues des autres cabines qui ne connaissent pas cette langue se brancheront sur la cabine dans laquelle se trouve le pivot pour l’espagnol et prendront l’espagnol en relais sur cette cabine-là. Si un délégué parle arabe ou chinois, ce sont alors les collègues des cabines chinoise et arabe qui font un retour, étant donné qu’aucun interprète – à part quelques phénomènes – n’a ces langues passives dans sa combinaison. Le retour de l’arabe ou du chinois se fait toujours vers le français ou l’anglais.


Ce système entraîne un léger retard, puisqu’au lieu d’interpréter directement, il y a une étape intermédiaire, le relais. On cherchera aussi à éviter les doubles relais, car cela ne fait qu’aggraver les retards et les risques d’erreur, chacun connaissant le principe du téléphone arabe ! C’est la raison pour laquelle les pivots doivent, de préférence, se trouver dans des cabines de langues courantes. Lorsque le délégué russe ou hispanophone a terminé son intervention, il faut quitter le canal du relais et régler à nouveau sa console sur "floor", c’est-à-dire le son dans la salle.

Il arrive parfois que le délégué qui s’exprime en espagnol, en arabe ou en portugais change soudain de langue. Il faut alors que le pivot dise dans le micro "en anglais" ou "en français" pour que les collègues qui le prennent en relais se rendent compte qu’on est passé à une autre langue. On évite ainsi que la cabine anglaise ou française ne retraduise vers l’anglais ou le français. Les collègues qui sont pivots ont une responsabilité particulière et un stress additionnel, car s’ils se trompent ou si quelque chose leur échappe, tous les autres qui le prennent en relais feront la même erreur ou la même omission. Dans une équipe d’interprètes, on veillera toujours à ce qu’il y ait deux pivots, pour répartir les risques, car il se peut que le collègue-pivot ait une soudaine quinte de toux ou qu’il soit sorti pour téléphoner ou satisfaire un besoin naturel.

Le pivot doit tout particulièrement veiller à parler clairement, bien terminer ses phrases, éviter de marmonner ou d’utiliser des termes rares ou des expressions idiomatiques que les collègues des autres cabines risquent de ne pas connaître. Il doit aussi éviter de laisser de grands silences, car cela déstabilise et inquiète ceux qui le prennent en relais.

Il m’est arrivé une fois qu’une déléguée suédoise, qui écoutait le canal français pour se faire son petit Berlitz pendant la conférence, me dise pendant la pause : "Mais comment faites-vous ? Vous connaissez toutes ces langues et même le chinois !" Autrement dit, le système fonctionne si bien que nos auditeurs – si tout va bien – n’y voient que du feu.

*) AR arabe ; DE allemand ; EN anglais ; ES espagnol ; FR français ; IT italien; PT portugais; RU russe ; ZH chinois

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Un prochain article portera sur le fonctionnement de l’interprétation dans les institutions européennes. Avec vingt-deux langues, on doit forcément compter sur le système des relais.

Texte paru dans la revue Hieronymus (septembre 2010) www.astti.ch


Console d'interprète : les + indiquent les canaux actifs, ceux où l'interprète est en train de travailler. Dans le cas présent, la cabine française se tait (0), car le délégué est en train de s'exprimer en français. Les cabines qui seraient en relais auraient le signe -, ce qui n'est pas le cas ici.