Zelenogorsk
est une agglomération située à 50km au nord-ouest de Saint-Pétersbourg, sur
l’isthme de Carélie, au bord de la mer Baltique. Avant la Seconde Guerre
mondiale, ce village s’appelait Terijoki et faisait partie de la Finlande. Pour
suivre et comprendre les mouvements de frontières au fil des siècles, voir ICI.
Voyant
arriver les troupes soviétique à l’automne 1939, tous les Caréliens finlandais
ont fait leur baluchon et sont devenus des personnes déplacées, c-à-d des
réfugiés à l’intérieur de leur propre pays. Selon Wikipedia, cela représentait
10% de la population de l’époque, le plus important mouvement de population de
ce pays. Les exilés encore en vie sont de moins en moins nombreux; ma mère, 88
ans, en est une. Elle avait 10 ans lorsqu’elle et sa famille ont dû tout
abandonner (ferme, terres, bétail) pour partir sur les routes et ne jamais
revenir. La perte de cette province a été un véritable traumatisme pour les
Finlandais et, lors de la chute de l’Empire soviétique, d’aucuns ont commencé à
rêver de pouvoir récupérer leur terre tant aimée. Cela ne s’est pas fait et ne
se fera jamais, car on ne peut pas constamment redessiner les frontières et
déplacer des populations. Toutefois, la nostalgie parmi les anciens Caréliens
ne s’éteint pas et ils sont nombreux - en réalité de moins en moins nombreux -
à retourner au village, même soviétique, même russe, pour essayer de retrouver
une maison, un puits ou constater que les bouleaux ont terriblement poussé.
Ma
mère y est allée en 1979, avec un voyage organisé au départ de la Finlande. A
l’époque soviétique, c’était la seule façon possible d’y aller. Le prétexte
était sans doute d’aller prendre les eaux dans ce lieu de villégiature au bord
de la Baltique, mais le groupe était entièrement constitué d’anciens exilés.
Cela a dû être traumatisant de confronter ses rêves, ses souvenirs d’enfance et
ses fantasmes à la réalité, de constater que les Soviétiques avaient soit cassé
soit laissé à l’abandon ces maisons auxquelles les Finlandais de Carélie
avaient été si attachés. Ma mère n’a plus jamais voulu y retourner. Un jour,
elle a reçu un beau livre de photos historiques sur Terijoki, son village, mais
elle m’a dit qu’elle n’arrivait pas à le regarder.
Ayant eu l’occasion de me rendre à Saint-Petersbourg, j’ai décidé de faire ce pèlerinage à la place de ma mère, qui non seulement ne le veut plus, mais ne le peut tout simplement plus, vu son grand âge. C’était une excursion très simple, il m’a suffi de prendre un train régional au départ de la Gare de Finlande (Finlyandsky Vokzal); le voyage dure une heure et l’aller-retour coûte moins cher que deux tickets de bus genevois. Il était intéressant d’observer des Russes ordinaires dans leur vie quotidienne. Des bonimenteurs profitaient de ce public captif pour distribuer des calendriers orthodoxes 2018 ou vendre des ampoules super-puissantes. À noter que la gare - comme le métro, l’opéra ou certaines boutiques de souvenirs - est équipée de portiques détecteurs de métaux.
Une
fois arrivée à Zelenogorsk, je suis allée demander mon chemin dans un centre
commercial. Les Russes ne parlant que le russe et vraiment très peu l’anglais,
il a fallu se débrouiller avec des gestes et des mimiques. J’ai demandé le
vieux village, mais il n’y en a pas - ou plus. Ma mère connaissait le nouveau
nom de sa rue, Krasnaïa Komandirov, qui n’a pas changé après 1989. Pour y
parvenir, il suffit de suivre Prospekt Lenina (avenue Lénine) puis bifurquer.
C’est une rue résidentielle bien tranquille, où se côtoient de vieilles maisons
en bois, qui ont connu des jours meilleurs et de grandes villas appartenant
visiblement à des gens qui font de très belles carrières. S’il y a un village,
il doit être de l’autre côté des rails, car de ce côté-ci, il n’y a aucune
activité commerciale. Au bord de la mer, on trouve un yacht-club, ainsi qu’un parc avec un petit zoo et des carrousels pour les
enfants. Un peu plus loin, deux églises, l’une orthodoxe et l’autre
Finlandaise.
Tout
au long de la rue du Commandant Rouge on voit de belles grandes maisons en
bois, qui semblent témoigner d’une certaine prospérité. Elles ont probablement
été habitées et entretenues pendant les années soviétiques, mais elles sont
maintenant à l’abandon, à moitié brûlées, effondrées, moisies, remplies de
détritus…. L’avantage paradoxal des régimes communistes, c’est que leur incurie
contribue à préserver le passé : tout ce qui n’a pas été détruit a simplement
été oublié et négligé. Ces maisons sont sans doute vides depuis une vingtaine
d’années. Vu leur année de construction, elles n’ont ni l’eau courante, ni le
chauffage central et les toilettes sont/étaient au fond du jardin. Quiconque
voudrait construire sur ces parcelles doit commencer par débarrasser une
vieille épave, bien trop abîmée pour être rénovée.
Il
est intéressant de constater que le yacht club s’appelle Terijoki (l’ancien nom
finlandais) et que l’église finlandaise propose des cours de finnois. Qui
peuvent bien être les élèves ? Qui donc, en Carélie désormais russe, veut
apprendre le finnois ? Et pourquoi ai-je voulu voir le lieu d’origine de ma
mère et de mes grands-parents, qui n’a plus rien à voir avec ce qu’il était
autrefois ? La sœur et le frère de ma mère ont quitté cette vallée de larmes,
la tombe de son père à Zelenogorsk n’existe plus. Quant à moi, qui ai perdu
mes racines finlandaises, je sais bien qu’elles ne sont pas non plus en
Carélie. Je suis souvent retournée voir les lieux où j’ai vécu, sachant que ça
n’apporte pas grand-chose, si ce n’est la confirmation du temps passé. J’ai
néanmoins l’impression d’avoir maintenant bouclé la boucle. Les années qu’il me
reste à vivre sont devant moi et non pas derrière.
La plage de Zelenogorsk/Terijoki |
Le gouvernement populaire de Finlande (marionnette de l’URSS), discours de propagande soviétique
Un blog - en finnois - qui parle, entre autres, de Terijoki
Un autre blog - en anglais avec des photos de lieux que je n'ai pas vus. Un deuxième voyage s'impose!
2 commentaires:
Merci Tiina! Pour aller de l'avant, il faut souvent retourner en arrière. Les caréliens déplacés (evakko) ont du quitter leur foyer car Staline voulait reprendre la Finlande, abandonnée dans un instant de faiblesse par Lénine. En 1944, cette Carélie est devenue un territoire tampon censé défendre Léningrad. Humainement, l'accueil des caréliens a transformé la société finlandaise en introduisant une certaine diversité sociale.
La valeur stratégique de la région est maintenant moindre, mais elle est d'autant plus symbolique: La mère patrie russe ne lâchera jamais un hectare de terrain aux étrangers: rappelez-vous le siège de Léningrad! Cela justifie tout.
Une petite fenêtre s'était ouverte dans les années 90 pour que la Finlande récupère ses territoires, mais la facture a été jugée exorbitante par Helsinki.
A noter toutefois que les "evakko" de Carélie ont été très mal accueilis par les Finlandais. On leur disait "Rentrez chez vous, retournez d'où vous venez", alors que la guerre y faisait rage et que les Soviétiques occupaient le terrain.
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