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mercredi 30 octobre 2013

Viens chez moi, j’habite chez une mamie!



La délinquance, le vol, l’abus de faiblesse peuvent revêtir de nombreuses formes. On connaissait déjà l’arnaque du faux neveu: une personne, généralement d’Europe de l’est, parlant l’allemand, contacte une personne âgée, seule et isolée et joue la comédie du lointain neveu perdu de vue. La langue allemande sert ici de preuve de parenté et renforce l’illusion du lien de famille. Mais il apparaît bien vite que ce pauvre parent lointain a des soucis d’argent, qu’il est malade, qu’il a besoin d’acheter une villa et la pauvre mamie ou le pauvre pépé qui a le cœur sur la main vole immédiatement au secours de son cher neveu, qu’il n’a jamais vu et qu’il ne reverra bien évidemment jamais. En effet, aussitôt l’argent liquide encaissé - souvent des montants considérables - le neveu retourne dans sa pampa imaginaire et ciao bonsoir! Et voilà les économies de toute une vie envolées en quelques secondes.

Une variante de la fausse familiarité se fait jour et il semble à nouveau que ce soit une spécialité qui nous vient d’Europe de l’est. Des personnes faussement bienveillantes offrent leurs services à des personnes âgées, à nouveau seules, isolées et idéalement souffrant de solitude, en échange d’un toit sur leur tête d’hypocrite. Il peut s’agir de menus travaux, de faire les courses ou le ménage, voire simplement de tenir compagnie. La personne âgée est ravie, elle n’est plus seule et cette personne serviable est si gentille!

Mais il faut bien vite déchanter. L’invité devient petit à petit envahissant, prend des libertés, achète pour quatre en allant faire les courses, utilise le téléphone pour des appels à l’étranger, installe de plus en plus de meubles et de fourbi, commence à inviter ses amis.... La pauvre mamie n’est plus chez elle, mais elle est trop polie et trop gentille pour oser se plaindre. Elle commence à avoir peur de son invité(e) et ne parvient plus à reconquérir son espace. L’incruste utilise la voiture de son hôte, lui emprunte de l’argent, voire se sert carrément dans le portemonnaie. 

La Tribune de Genève a déjà consacré deux articles à ce phénomène (26.9 et 24.10.2013). Une dame de 88 ans a fini par se jeter par la fenêtre de désespoir. Une autre octogénaire a hébergé une femme et son fils pendant cinq ans, à ses frais, bien entendu.


En règle générale, il faut se méfier des inconnus qui sont gentils et qui vous offrent spontanément leur aide sans prétendument rien demander en retour. Les personnes qui vous aident à porter votre valise à la gare vous feront les poches. D’autres, qui aident les personnes âgées à porter leurs courses à la maison, les agresseront aussitôt la porte de l’appartement ouverte. Adieu liquidités et bijoux de famille! La pauvre victime se retrouve souvent frappée et bâillonnée et décède quelques mois plus tard.

Il faut se méfier d’une personne dont on ne sait rien. Quelqu’un que personne d’autre que vous ne connaît. Quelqu’un qui refuse de vous donner le numéro de téléphone d’un proche, au cas où... Quelqu’un dont rien n’est vérifiable, quelqu’un qui vous raconte avoir travaillé ici ou avoir une maison quelque part. Quelqu’un qui a une Jaguar ou un manteau de fourrure, alors qu’elle pleure misère.

Apprendre à vivre seul(e) est difficile à tout âge, mais dans ses vieux jours, ça l’est tout particulièrement. Comment concilier le désir d’avoir de la compagnie et la nécessité impérieuse de se protéger? Comme le veut la sagesse populaire, mieux vaut être seul que mal accompagné. Et comme disent les Américains: You’ve gotta learn to be your own best friend.


A noter qu’il n’est pas nécessaire pour la victime de porter plainte. En effet, elle craint généralement les représailles et reste enfermée dans sa peur. Un voisin, un travailleur social et, bien sûr, les proches, les membres de la famille peuvent alerter la police.

samedi 28 septembre 2013

Vivre dans un labyrinthe


Rue du Village-Suisse
Les autorités de la bonne ville de Genève font de leur mieux pour organiser la vie urbaine de telle sorte qu’il devienne le plus compliqué possible de se rendre d’un point A à un point B. Le réseau des bus et des trams a été remanié – suscitant l’ire et la révolte de la population tout entière – les distributeurs de billets qui ne rendaient pas la monnaie ont été remplacés par des distributeurs qui ne prennent pas les billets de banque et qui mettent environ trois minutes entières à vous donner votre titre de transport, mais uniquement lorsqu’ils ne sont pas en panne. Les trottoirs ont été élargis et les pistes cyclables ont deux voies, une dans chaque sens, afin de rétrécir au maximum l’espace disponible pour la circulation automobile. On obtient ainsi de jolis bouchons, qui deviennent encore plus beaux pour peu qu’il y ait un accident ou une panne quelque part en ville. La solution : n’avoir besoin d’aller nulle part ou seulement tout près et circuler à pied ou à vélo.


Rue du Village-Suisse


Mon quartier a été entièrement reorganisé de sorte à transformer les grands axes en culs-de-sac, en double sens unique voire en double sens interdit. Vous n’avez jamais qu’une seule option aux carrefours : soit tourner à droite, soit tourner à gauche, soit aller tout droit. La rue de la Puiserande est dotée d’un feu rouge qui ne devient jamais vert (c’est fait exprès) : lorsqu’il n’est pas rouge, il clignote et vous pouvez attendre environ une demi-journée avant de parvenir à sortir de là. Entre la moitié et un tiers des places de stationnement ont été supprimées, afin de favoriser les contacts et la convivialité dans le quartier, enfin débarrassé des voitures. En effet, il suffit de supprimer les places de stationnement pour que les automobilistes cessent de tourner en rond pendant des heures à la recherche d’une place de parking. Les habitants, qui paient leur macaron 180,-/an (bientôt 200,-) n'ont qu'à aller dans les parkings payants.
Double sens interdit à la rue du Vélodrome
C’est pourquoi mon sang n’a fait qu’un tour lorsque j’ai constaté, à mon grand désarroi, qu’un segment de rue, occupé pendant environ deux ans par des pavillons scolaires temporaires, n’allait plus jamais redevenir un axe de circulation. Au lieu de revenir au statu quo ante, le parc Gourgas va y être étendu, supprimant ainsi définitivement une vingtaine de places de stationnement et obligeant tout le monde à se rabattre sur l'avenue Sainte-Clotilde, qui reçoit déjà toute la circulation qui ne peut plus aller ailleurs. Ayant contacté les services de la ville, j’ai reçu une réponse environ deux semaines plus tard, mon courriel ayant fait tout un parcours d’un service à l’autre, d’un bureau à l’autre, un peu comme les automobilistes qui cherchent une issue qui leur permette d’aller quelque part.

Espace de rencontre à la rue Gourgas

On m’informe ainsi que "l'autorisation de fermeture de ladite rue en zone piétonne a été accordée par le Département de l'urbanisme en ce début d'année (APA n° 35434) et que cette demande et son acceptation ont fait l'objet de publications officielles. La réalisation de ces travaux se fera conjointement aux rénovations de réseaux en sous-sol prévus dans le quartier dès 2014." Autrement dit, après les pavillons temporaires, nous aurons un chantier pendant un an ou deux, après quoi la rue deviendra définitivement et irrévocablement une extension du parc. Un argument avancé pour la fermeture et suppression de ce tronçon d’une trentaine de mètres est que cela permet d’améliorer la sécurité des chers bambins qui fréquentent l’école attenante au parc. Peu importe que ces enfants doivent forcément fouler les trottoirs urbains pour se rendre à l’école ou à leur cantine à midi, leur sacro-sainte sécurité prime sur le droit d’avancer avec un véhicule.


Suppression utile d'une douzaine de places de stationnement
Pour l’instant, l’espace libéré par les pavillons est désespérément inerte et dépourvu de vie, tout comme un autre bout de rue, adjacent au même parc, qui a été fermé à la circulation afin de créer un espace de rencontre. Il a été condamné à la circulation à l’essai, mais tout indique que ces quelques mètres vont rester désertiques ad vitam eternam, même si aucune rencontre n’y aura jamais lieu.



Bon nombre de rues sont ainsi devenues très calmes, désertes, mortes et vides. Soit parce qu’elles sont inaccessibles ou parce que le gens évitent tout bonnement le quartier, sachant qu’il est devenu un véritable gymkhana (définition: une épreuve réservée à des automobiles ou des motocyclettes, qui se déroule sur un parcours hérissé d'obstacles et de difficultés diverses). Faut-il s’en plaindre ? Sans doute que non. Face à l’adversité, enfourchons notre vélo, même si cela signifie se faire détester de tous : les automobilistes immobilisés haïssent ces créatures ailées qui les dépassent avec autant d’aisance que d’arrogance. La solution idéale ne serait-elle pas de fermer toutes les rues: plus de bouchons, plus de voitures et plus besoin de chercher de places de stationnement. Les enfants pourront aller à l'école en toute sécurité et la ville deviendra un seul et immense espace de convivialité. En un mot: le paradis!

Pendant les travaux, en 2011


Pour info: un nouvel espace convivial et arboré sera aménagé sur l'ilôt Sainte-Clotilde, voir ICI. Un nouveau chantier avec rues coupées en perspective. Ce "lieu de détente, de passage et de convivialité pourra être investi de manière quotidienne ou occassionnelle". Fin des travaux prévue pour 2016. 
 

samedi 31 août 2013

Comment importer/exporter un véhicule


Nul n’est censé ignorer la loi, mais le citoyen qui veut être en règle doit s’armer de patience et se former en autodidacte aux règles et procédures administratives de son pays et parfois même du pays voisin. C’est ce qui m’est arrivé en ce mois d’août, où j’ai consacré une bonne partie de mes vacances à exporter et à importer des véhicules pour aller les immatriculer dans le pays où ils n’étaient pas auparavant.


Pour exporter un véhicule de France et l’importer en Suisse :

Jour N° 1 : Il faut commencer par se rendre à un poste frontière doté de bureaux de douane. Vous irez tout d’abord à la douane suisse, qui vous dira d’aller voir un transitaire pour les démarches. Le transitaire vous enverra à la douane française pour obtenir l’EUR.1. On vous demandera un titre de cession (vente du véhicule), la procuration de la personne qui cède sa voiture et une photocopie de sa carte d’identité. Ma mère me faisait don de sa voiture et j’avais curieusement l’impression que la dame des douanes françaises se creusait très fort la tête pour se demander quels documents manquants elle pouvait bien me demander. Mais voilà qu’il est 11 :58 et il ne me restait plus qu’à revenir à 13 :30, après la pause du déjeuner. L’étape suivante consiste à aller voir un transitaire qui, en échange de 100€ -  prévoir du liquide, s’il vous plaît - vous remplira le formulaire EUR.1, nécessaire pour passer à la douane suisse. Etant donné que ce formulaire devait être signé par ma mère, j’ai dû retourner chez elle.

Au jour N° 2, je suis retournée chez le transitaire, à qui j’ai présenté l’EUR.1 signé, la carte grise du véhicule, une estimation de l’argus établie par un garagiste, la procuration et la carte d’identité de ma mère, ainsi que ma propre carte d’identité. J’ai ensuite poussé la porte de la douane suisse avec le formulaire cryptique rempli par le transitaire. On m’a donné le sésame de l’immatriculation, à savoir le formulaire 13.20A  doté d’un numéro de matricule, qui figurera ensuite sur la nouvelle carte grise suisse. J’ai aussi dû passer à la caisse pour la taxe automobile et la TVA (700 CHF au total). Droits de douane zéro. Une fois que j’avais le 13.20A en main, avec son numéro de matricule, j’ai pu prendre rendez-vous à l’Office cantonal des automobiles et de la navigation  – le bureau des autos – pour la visite technique. Heureusement, au mois d’août, j’ai obtenu une date assez rapidement. Ne pas oublier de contacter une assurance pour obtenir une attestation. Je ne comprends pas très bien comment ça marche, mais on vous établit, gratuitement, une attestation qui vous couvre pendant un mois, casco complète, en attendant que vous obteniez vos nouvelles plaques.



Me voilà donc avec une voiture en plaques françaises et il m’a fallu ruser pendant environ deux semaines pour trouver des cases blanches, afin de pouvoir me stationner sans trop de frais, en attendant la visite technique. Au jour N° 3, la voiture doit être préparée par un garagiste pour la visite, avec un lavage du châssis et du moteur (405 CHF + frais divers). Le jour N° 4 venu, mon rendez-vous à 8 :15 s’est déroulé sans heurts et, au bout des 45 minutes qu’a duré l’inspection technique (150 CHF), j’ai commencé à faire la queue à l’immatriculation. J’avais tous les documents avec moi : l’ancienne carte grise française, le 13.20A et son numéro de matricule, le certificat de conformité original, obtenu au prix de 150€ auprès des bureaux de GM à Argenteuil, l’attestation d’assurance, le formulaire de demande d’immatriculation téléchargé sur internet, mes anciennes plaques genevoises, ainsi que la preuve, obtenue au prix du sang, de la sueur et des larmes auprès de la sous-préfecture de Gex – voir ci-dessous – que le véhicule qui les portait autrefois est désormais immatriculé en France, ma mère et moi ayant fait un échange de véhicules. Je devais encore déposer les plaques françaises, qui étaient évidemment encore sur la voiture, étant donné qu’il est interdit de rouler sans plaques. Pour cela, je suis retournée vers les services techniques, où on m’a cassé les rivets qui retenaient les plaques d’immatriculation avec une perceuse. En échange, j’ai posé mes plaques GE sur le tableau de bord. Retour à la case garagiste, afin qu’on m’installe mes plaques d’immatriculation. Bonne nouvelle : ma voiture ayant un code d’émissions B04, elle n’a pas besoin de faire le contrôle anti-pollution, c’est tout ça d’économisé. Je n’attends plus que la facture d’immatriculation (c-à-d l’impôt sur les véhicules) et ma nouvelle police d’assurance. La boucle est bouclée du côté Suisse.



Pour exporter un véhicule de Suisse et l’importer en France :

C’est évidemment beaucoup plus compliqué….

Dans ce sens-là, il faut aussi commencer par un petit ballet entre la douane française et le transitaire. Je ne me rappelle plus très bien, mais je crois que c’est d’abord le transitaire qui m’a donné des formulaires à porter à la douane française, qui m’a demandé une procuration de ma mère (afin de me permettre d’exporter mon véhicule, donc), la carte grise et une valeur à l’argus afin d’établir le montant de la TVA. Le véhicule ayant dix-sept ans, il est hors argus, mais selon un adage bien connu, « en douane, la valeur zéro n’existe pas ». Et comme l’argus s’arrête à dix ans… eh bien, la dame des douanes a pris l’argus à dix ans. En France, les voitures cessent de perdre de la valeur une fois qu’elles atteignent dix ans. C’est ainsi que j’ai payé 112€ de TVA sur une voiture qui ne vaut plus rien. Quand j’ai demandé à la fonctionnaire des douanes où et comment faire passer la visite technique au véhicule, elle m’a répondu que ça ne se faisait plus. J’ai ensuite payé 40€ au transitaire afin d’obtenir tous les papiers nécessaires afin de passer à l’étape suivante, à savoir la sous-préfecture de Gex (01).

La semaine de dix-sept heures


Ayant bien étudié les heures d’ouverture, je me rends un beau jour à la sous-préfecture afin de réaliser les démarches, en me doutant bien que ça ne se fera jamais en une seule fois. Je prends un ticket pour faire la queue, tout en constatant qu’il n’y a aucun tableau qui indiquerait où on en est. En réalité, le système est très simple et assez astucieux : les employés du guichet gueulent dans la petite pièce bondée : « le trois cents soixante-dix-sept ! » Et comme, d’un guichet à l’autre, ils ne savent pas où ils en sont, il arrive qu’on entende gueuler : « le trois cents soixante et onze ! – C’est la femme enceinte que vous avez eue tout à l’heure ! – Ah… alors le trois cents soixante-douze ! Le trois cents soixante-treize ! » Et comme ça pendant littéralement une heure.

Arrive mon tour et je présente fièrement tous les documents que j’ai : le formulaire de demande d’immatriculation, la procuration de ma mère me permettant d’immatriculer le véhicule en son nom, la photocopie de sa pièce d’identité, la carte grise, le reçu de TVA, le certificat de conformité, une feuille de ma main disant que je cède le véhicule à ma mère à titre gracieux, le formulaire du transitaire….. « - Et le rapport de la visite technique ? » Damned, la pièce manquante ! Et la dame des douanes, qui devrait pourtant connaître les démarches administratives françaises, qui m’a dit, sic, que ça ne se faisait plus ! Diantre, fichtre et patatras ! J’ai fait la queue pendant une heure pour rien. Non : pas pour rien. Je sais maintenant que je dois passer une visite technique. Quand je demande où ça se passe : « Quand vous prenez la route qui descend vers Ferney, il y a un giratoire et c’est là.   - Vous auriez l’adresse ou le numéro de téléphone ? – Ah non, ça, on n’a pas. » Fort heureusement, le garage où ma mère est cliente sait où il faut aller et ils peuvent faire ça pour nous, au prix de 60€.


Quelques jours plus tard, je retourne à la sous-préfecture avec la pièce manquante. Je fais la queue pendant trente minutes seulement. A côté de moi, une dame anglophone me demande comment se prononce son numéro, afin qu’elle puisse savoir quand ce serait son tour. Arrivée au guichet, je présente sagement toute ma palette de documents… « - Et le justificatif de domicile ? » Au secours, Seigneur, ayez pitié de moi…. Et pourquoi ne me l’ont-ils pas dit l’autre jour, quand la seule pièce manquante était la visite technique ? Quand j’ai demandé s’il y avait un site internet qui informerait le citoyen de tous les documents
nécessaires, l’employée au guichet m’a répondu : « On n’a pas le droit de publier ça. » Alors là, les bras m’en sont tombés et je suis restée sans voix. Elle m’a quand même donné une feuille, que je garde pour le cas où j’aurais à refaire toutes ces démarches, qu’à dieu ne plaise. Après un bref aller-retour Gex-Divonne-les-Bains, me revoilà à la sous-préfecture avec le justificatif de domicile requis (ayant moins de six mois). Ce qui est rassurant, c'est que cela signifie qu'ils n'ont pas de base de données recensant tous les citoyens avec leur domicile. 

Heureusement que j’avais commencé mes démarches dès potron-minet,  ce qui m’a permis de revenir à temps avant la fermeture des portes. Je n’ai pas eu à refaire la queue, mais j’ai quand même dû attendre que l’employée qui s’était occupée de moi se libère. Pendant ce temps-là, j’ai fait une série de respirations profondes, en me disant que s’ils osaient encore me demander un autre papier, il risquait d’y avoir du sang sur les murs. Après quelques instants d’un suspens intolérable, on m’a dit que je pouvais passer à la caisse, où, en échange de 157€, j’ai obtenu un certificat d’immatriculation provisoire, me permettant d’aller faire faire et poser de nouvelles plaques françaises sur le véhicule (42€). En échange, j’ai pu récupérer mes plaques genevoises et aller m’immatriculer en GE dès le lendemain. La boucle est bouclée et l’itinéraire se poursuit avec la dernière étape de l’immatriculation en Suisse. 



Ayant passé près de trois semaines à collectionner des formulaires et des attestations, à payer des taxes, frais et émoluments divers et à rendre visite à des garagistes et visites techniques, je me suis retrouvée toute orpheline une fois que je n’avais plus rien à faire. Cela a été l’occasion de réaliser une comparaison culturelle entre la Suisse et la France. Une dame qui attendait, comme moi, pour s’immatriculer à Genève m’a dit : « C’est formidable ici comme tout marche, ça fonctionne, ça va vite, ils ne vous enquiquinent pas sans arrêt…. Je suis pourtant Française, mais les Français, je ne les supporte plus ! » Attention, ce n’est pas moi qui le dis ! En France, si vous avez besoin de quelque chose, que ce soit d’un ouvrier, d’un artisan ou d’une démarche administrative, vous pouvez être certain que ça prendra plusieurs jours, voire plusieurs semaines avant que vous ne commenciez à voir le bout du tunnel.

En synthèse, dans un pays comme dans l’autre, il vous faudra :

  • Le certificat de conformité original, sorte de carte d’identité du véhicule, avec les spécifications techniques
  • Un titre de cession, contrat de vente ou lettre attestant d'un cadeau
  • La carte grise
  • Un formulaire d’immatriculation
  • Les documents douaniers (13.20A et/ou EUR.1)
  • L’attestation de l’assurance (en Suisse)
  • Le rapport de la visite technique (en France)
  • Une procuration de la part de la personne qui vous cède son véhicule ou pour qui vous allez immatriculer le véhicule. En France, il faut aussi une procuration de la part de la personne qui recevra le véhicule que vous lui cédez a titre gracieux.
  • Un justificatif de domicile (facture EDF ou autre) datant de moins de six mois (en France).

Je me suis longtemps cassé la tête avec la façon de faire se croiser les plaques d’immatriculation des deux véhicules. En France, elles allaient forcément changer, étant donné le nouveau système d’immatriculation. Du côté Suisse, je pouvais garder mes anciennes plaques, à condition de pouvoir les récupérer, sans pour autant laisser l’ancien véhicule tout nu. Il est strictement interdit de rouler sans plaques. A Genève, on peut demander des plaques provisoires, pour 96 heures maximum. J’ai aussi appris que les garagistes ont des plaques spéciales, qui leur permettent de déplacer des véhicules, sans pour autant que ce soit l’immatriculation correspondant au véhicule. 

Il est peu probable que doive recommencer ce ballet de sitôt et, en supposant que je me lance à nouveau dans l’import-export de véhicules, les démarches auront probablement changé. J’espère toutefois que ce texte pourra aider ceux qui voudraient savoir par quel bout commencer…. Mon conseil : commencez par demander le certificat de conformité auprès du constructeur, c’est l’alpha et l’omega de toutes les démarches et c’est le papier qui prend le plus de temps à obtenir.


Ne me reste plus qu’à vous souhaiter bonne chance et bonne route !


Voir aussi: Tapons dièze au pays des Shadoks

samedi 10 août 2013

Musiques en Drôme



Coline Serreau et Alexis (?) de Broca, pianiste
La Drôme est un lieu qui a un charme certain, qui semble attirer tout particulièrement les mélomanes. On y trouve déjà les cigales et les olives de la Provence toute proche, sans tomber dans des lieux éculés et hyper-touristiques tels qu’on en trouve dans le Lubéron ou ailleurs (Gordes, Vaison-la-Romaine, Avignon etc...). La Drôme a su préserver sa nature authentique et sa simplicité. Elle est trop rustique pour les bobos des villes, elle attire en revanche les bons vivants, amateurs de dolce vita, loin du bruit et de la fureur des grandes villes.

Tournée 2013
C’est ainsi que la réalisatrice Coline Serreau a choisi la Drôme pour y emmener sa Chorale du Delta en tournée, pour la septième fois en ces mois d’été 2013. Ils sont une vingtaine, accompagnés de quelques musiciens, pas forcément toujours les mêmes. Il y avait cette fois-ci un jeune pianiste qui s’appelait Alexis (?) de Broca, et deux jeunes violonistes, Nathanaël Serreau et Madeleine Besson. Nathanaël est certainement le fils de, quant à Madeleine, elle est la fille de Coline Serreau et de Benno Besson. Elle a non seulement joué du violon en début de concert, mais chanté en soliste dans deux negro spiritual. Elle était absolument renversante et elle vaut bien Aretha Franklin et consorts. Un nom dont j’ai pris bonne note. Parmi les autres musiciens, un violoniste du nom d’Oleg ... et une violoncelliste chinoise. Les erreurs et omissions sont entièrement dus à ma mémoire défaillante, étant donné qu’aucun programme ou brochure n’est distribué à l’occasion du concert.

Tournée 2012
C’était la deuxième fois que j’assistais à leur concert, au Sanctuaire Saint-Joseph de Roussas. Le programme était quasiment le même, ils ont un certain répertoire qu’ils font tourner au rythme effréné de leur tournée (35 concerts d’une durée d’une heure et demie environ en 21 jours). J’ai retrouvé une choriste et soliste assez étrange qui m’avait déjà frappée l’année dernière. Elle a une voix angélique lorsqu’elle chante en solo, mais semble se cacher derrière le dernier rang du chœur et se déplacer d’un pupitre à l’autre pendant les morceaux d’ensemble. On m’a expliqué qu’elle est elle-même chef de chœur et qu’elle s’amuse à passer d’une voix à l’autre. Elle s’appelle Reta Kazarian, aussi un nom à retenir.

Sanctuaire Saint-Joseph de Roussas

Le lendemain du concert de la Chorale du Delta, c’était au tour de l’Académie provençale des Amis de Stuttgart (A.P.A.S.) de se produire dans le même sanctuaire Saint-Joseph de Roussas, qui se trouve tout au sommet du vieux village, juste à côté du château. C’était la 22édition cette année. Cette tradition a été lancée en 1991 par un couple franco-allemand, les Bogucz. Le mari, Stanislas, était violoniste à l’Orchestre de chambre de Stuttgart. Il faisait venir - et sa veuve et sa fille perpétuent la tradition - de jeunes musiciens à Roussas, afin de donner une série de concerts dans les villages du coin. Il s’agit de jeunes professionnels, qui donnent des concerts de très bonne qualité, avec un répertoire classique, mais avec des œuvres peu connues, comme par exemple le Quatuor américain N°12 op 96 de Dvorak ou encore une Introduction de Ravel pour flûte, clarinette, harpe et quatuor à cordes. Les recettes des concerts ont permis la restauration des orgues du Sanctuaire.


J’ai eu moi-même le plaisir de chanter dans la Drôme, en 2012, avec l’Ensemble vocal Florilège de Genève. Nous avons chanté à La Laupie et à Comps. Il est question d’y retourner en 2014 et, pourquoi pas, chanter à Roussas également. Le Sanctuaire Saint-Joseph semble se prêter à merveille aux concerts, l’acoustique y est bonne et le lieu spectaculaire, avec une vue panoramique sur les alentours.
Alors rendez-vous dans la Drôme en 2014, pour aller écouter la Chorale du Delta, l’A.P.A.S. et Florilège.




Voir aussi:

mercredi 31 juillet 2013

The Interpreter de Suki Kim




You must never forget your language; once you do, you no longer have a home.


Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre de ce roman, le premier d’une jeune Américaine d’origine coréenne, la profession d’interprète n’est pas au coeur de l’intrigue. Ce n’est qu’un moyen, presque une coïncidence, permettant à la protagoniste, une jeune interprète judiciaire, de démêler l’écheveau entourant le meurtre de ses deux parents, tous deux abattus d’une seule balle en plein coeur.

Le roman décrit la vie des immigrés coréens aux Etats-Unis - plus particulièrement à New York - qui travaillent douze heures par jour et sept jours sur sept, dans des échoppes de fruits et légumes. C’est certainement l’expérience personnelle de l’auteur qui lui permet de décrire ce que ressent la génération 1,5, c’est-à-dire ces enfants d’immigrés, la deuxième génération, ceux qui ne sont plus vraiment Coréens, mais pas Américains non plus; ces enfants qui doivent servir d’interprètes à leur parents, que ce soit devant les services d’immigration, le fisc ou encore le médecin ou les pompes funèbres.

C’est ainsi que Suzy Park, l’héroïne du roman, finit par devenir interprète coréen-anglais pour les autorités américaines, comme l’était sa grande sœur Grace avant elle. Who’s side are you on? est une question qui revient comme une rengaine tout au long de l’intrigue. En effet, les Coréens convoqués devant la justice finissent souvent par être expulsés du pays ou condamnés pour avoir employé de la main-d’œuvre clandestine et Suzy Park est tiraillée entre sa conscience professionnelle et la nécessité de garder son job d’une part et le désir d’aider ses compatriotes soumis à l’interrogatoire d’autre part. 

Suki Kim
Au hasard de ses affectations professionnelles, elle sera confrontée à un témoin qu’on interroge pour une affaire de dumping salarial et de travail au noir. Il a connu ses parents, assassinés cinq ans plus tôt, sans que le crime n’ait jamais été résolu. Elle ne résistera pas à la tentation de remplacer les questions idiotes du District Attorney (Quel genre de contrat ont vos travailleurs? Suivent-ils une formation?) par des questions qui lui paraissent plus pertinentes, comme par exemple: Que s’est-il passé, il y a cinq ans, lorsque les époux Park ont été abattus? Avez-vous une idée de qui pouvait leur vouloir du mal? Elle doit alors garder son sang-froid lorsque le témoin lui répond que les Park n’étaient pas exactement populaires au sein de la communauté coréenne et qu’il n’y avait pas grand monde pour pleurer leur mort. Elle doit aussi veiller à ne pas perdre le fil de l’interrogatoire et servir des réponses bidon mais néanmoins cohérentes au sujet de la santé et sécurité au travail dans les épiceries coréennes.

On retrouve le même genre d’astuce, de tromperie même, dans The Greek Interpreter d’Arthur Conan Doyle. Un homme maîtrisant le grec est kidnappé par des bandits afin de servir d’interprète lors de l’interrogatoire d’un vieillard qu’ils détiennent. Il détourne le jeu des questions-réponses afin de venir en aide à la victime, afin de la sauver ainsi que sa fille. Le héros de Corazón tan blanco de Javier Marias, quant à lui, se vante de déformer un dialogue entre deux chefs d’Etat, ce qu’aucun interprète sain d’esprit ne rêverait de faire, à moins de souhaiter mettre rapidement un terme à sa carrière. N’oublions pas non plus que lors de rencontres de haut niveau, chaque partie apporte ses propres interprètes et vient accompagné de toute une suite. Une telle supercherie est donc parfaitement impensable.


Suki Kim donne une image réaliste du travail de l’interprète, une profession qu’elle pratique certainement elle-même. Pas de glamour ni de limousines, pas de champagne dans des réceptions clinquantes. C’est une agence qui lui indique où aller, quel jour et à quelle heure, en lui laissant un message sur son répondeur. Suzy Park envoie ensuite un compte rendu de sa prestation et touche une rémunération qui ne semble pas être mirobolante. Les habits chics qu’elle porte lui ont été offerts par son amant, un homme d’affaires qui lui téléphone des aéroports du monde entier. 

Même si l’interprétation judiciaire n’est pas exactement comparable à l’interprétation de conférence, les grandes lignes restent les mêmes: 
«It cannot be due to her bilingual upbringing, since not all immigrant kids make excellent interpreters. What she possesses is an ability to be at two places at once. She can hear a word and separate its literal meaning from its connotation. This is necessary, since the verbatim translation often leads to confusion. Languages are not logical. Thus an interpreter must translate word for word and yet somehow manipulate the breadth of language to bridge the gap. While one part of her brain does automatic conversion, the other part examines the linguistic void that results from such transference. It is an art that requires a precise and yet creative mind. Only the true solver knows that two plus two can suggest a lot of things before ending up at four» (chapitre 8).

L’auteur décrit aussi la neutralité et l’impartialité dont doit faire preuve l’interprète, même si elle se trouve entre le marteau de l’autorité américaine et l’enclume du compatriote interrogé. «The interpreter is the shadow. The key is to be invisible. ... One of the job requirements was no involvment: shut up and get the work done.» (chapitre 2). Toutefois, lorsqu’elle commence à toucher à la vérité et à comprendre ce qui s’est tramé derrière la mort de ses parents, elle sent qu’elle doit renoncer à son rôle d’intermédiaire linguistique: An interpreter cannot pick sides (chapitre 23). Elle efface tous les messages de l’agence et dort pendant des heures et des jours: The dream of the interpreter who no longer remembers her language. Suzy Park a non seulement perdu ses parents cinq ans plus tôt, mais elle ne reverra plus jamais sa sœur Grace, qui parcourt le roman tel un fantôme, un souvenir, Grace qui a été l’interprète de leurs parents quand Suzy était trop petite pour comprendre. Enfin, Suzy doit renoncer à sa profession, car sa conscience ne lui permet plus de continuer sur cette voie.


C’est l’histoire d’un double meurtre, mais c’est surtout l’histoire de deux cultures diamétralement opposées et de la difficulté de se trouver à cheval et en porte-à-faux entre les deux. La célébration de Thanksgiving semble être l’étalon absolu de l’américanité, quelque chose qui restera à jamais étranger et inaccessible à la génération 1,5 à laquelle appartient l’héroïne. La très belle plume de Suki Kim démontre toutefois qu’on peut très bien trouver sa place dans The Land of the Free, tout en gardant la fierté de ses racines. Un roman qui se lit avec plaisir et qu’on pourrait très bien adapter au cinéma. A bon entendeur...!
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The Interpreter de Suki Kim, paru en 2003 aux éditions Picador, New York, ISBN 0-312-42224-5
Paru en français aux éditions Calmann-Lévy en 2004, sous le titre L’interprète, traduction de Maire Boudewyn, ISBN 978-2702134955 

Voir aussi:
Arthur Conan Doyle,1893, The Greek Interpreter 

Javier Marias,1992, Corazón tan blanco

Aussi paru sur le blog de l'aiic

vendredi 21 juin 2013

Les tribulations d’un centenaire polyglotte




ATTENTION: SPOILERS!

Ne lisez ce texte que si vous avez déjà lu ce roman ou n’avez pas l’intention de le lire!

Le centenaire qui sauta par la fenêtre et disparut - ou Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, selon son titre officiel en français - est un best-seller d’un auteur suédois, Jonas Jonasson, traduit en de nombreuses langues et dont l’adaptation cinématographique est prévue pour bientôt (réalisé par Felix Herngren, sortie décembre 2013). Ce qui m’a frappée dans ce roman est non seulement son intrigue formidable et son humour très pince-sans-rire, mais aussi le fait qu’il y soit beaucoup question de langues.

Il y a tout d’abord le père du personnage principal, Allan, celui qui deviendra centenaire, qui part pour la Russie, à l’époque de la révolution bolchévique. Il constatera qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que le peuple russe soit analphabète, il n’y a qu’à regarder l’alphabet qu’ils ont (chapitre 4)! Le père a eu la mauvaise idée de prêter allégeance au tsar juste avant l’avènement de Lénine; Allan, devenu orphelin, se voit contraint d’aller travailler à l’usine, plus précisément une usine d’explosifs, où il fera la connaissance d’Esteban, un Espagnol qui a atterri là grâce aux services d’un prêtre-interprète incompétent, qui n’a pas compris qu’Esteban savait cueillir des tomates et rien d’autre. L’Espagnol apprendra le suédois et le Suédois l’espagnol. Les deux amis partiront ensuite pour l’Espagne à l’époque de la guerre civile (chapitre 7).



Ayant, un peu par hasard, sauvé la vie du Caudillo, Allan se voit offrir le voyage pour rentrer au pays. Il choisit cependant de prendre le premier bateau en partance et atterrit ainsi aux Etats-Unis (chapitre 9). Il explique à l’interprète des services d’immigration qu’il vient de Suecia et montre la lettre de recommandation que Franco lui a remise. C’est parce qu’il parle l’espagnol qu’on l’envoie à Los Alamos, où il apprendra l’anglais en servant le café à ces messieurs du Projet Manhattan. Ayant donné un sérieux coup de pouce aux Américains pour leur bombe atomique, Allan deviendra potes avec Harry Truman, qui l’envoie en Chine pour faire sauter quelques ponts et ainsi soutenir le Kuomintang dans sa lutte contre le communisme. Il apprendra évidemment le chinois, à force de fricoter avec le cuisiner qui accompagne le groupe de résistants à ce pantin de Mao (chapitre 11).

Une fois sa mission en Chine terminée, Allan décide de rentrer en Suède, en franchissant l’Himalaya à pied ou, pourquoi pas, à dos de chameau. Le marchand de chameaux veut lui refiler sa fille pour le même prix, mais celle-ci ne parle qu’un dialecte tibétain. Allan se dit alors qu’il préfère encore bavarder avec sa monture. En route, il rencontre trois autres voyageurs et tente de communiquer avec eux: il essayera l’espagnol, le chinois, le suédois... C’est finalement l’anglais qui leur permettra de s’entendre. Il s’agissait de révolutionnaires iraniens, qui espéraient importer le communisme dans leur pays (chapitre 11). Arrivé à Téhéran et au terme de quelques rebondissements explosifs, Allan ira frapper à la porte de l’ambassade de Suède où il sera admis grâce au fait qu’il parle le dialecte du Södermanland et que les locuteurs de cette langue ne courent pas les rues en Iran (chapitre 13).

Après plusieurs détours, Allan se retrouve en Union soviétique. Il a été kidnappé pour sa bonne connaissance de la dynamite et de sa participation à l’élaboration de la bombe atomique. Il se retrouvera à table avec Stalin, Beria et quelques autres convives, ainsi qu’avec un personnage parfaitement insignifiant, qui n’a reçu ni à boire ni à manger et que tout le monde ignore: il s’agit de l’interprète. Celui-ci tombera dans les pommes quand Allan suggère à Staline de raser sa moustache. Notre héros finira par être condamné à trente ans de goulag. Lors de son transfert, il fait la connaissance de Herbert Einstein, le demi-frère d’Albert, qui a grandi en Italie et qui a été kidnappé pour les mêmes raisons qu’Allan, sauf qu’il y a eu erreur sur la personne. Entre l’italien et l’espagnol, les deux compères arrivent à se comprendre et deviendront les meilleurs amis du monde (chapitre 16). Après cinq ans passés à Vladivostock, Allan parle couramment le russe et rafraîchit son chinois en bavardant avec les marins qui accostent souvent au port.



Ayant réussi à s’évader dans des circonstances rocambolesques, les deux amis se dirigent à pied vers la Corée du Nord. Ils ont réussi à chiper les uniformes d’un maréchal soviétique et de son chauffeur, ainsi que leur véhicule. Allan, qui parle le russe, jouera le rôle du chauffeur et Herbert ne doit apprendre qu’une seule phrase: «Je suis le maréchal Meretskov d’Union soviétique. Conduisez-moi à votre dirigeant». Malheureusement, il est aussi bête que son demi-frère est intelligent et, incapable de mémoriser ces quelques mots, il dira: « Je suis le dirigeant, conduisez-moi en Union soviétique». Fort heureusement, le garde nord-coréen ne comprend pas le russe et Allan, jouant les interprètes, lui transmet la bonne phrase, en chinois (chapitre 18). Arrivés auprès de Kim-Il-Sung, Allan parvient à bavarder tant avec le Grand Timonier en visite qu’avec le Leader Bien-Aimé, ce qui lui permettra de sauver sa peau, ainsi que celle de Herbert.

Les deux amis, quittant la Corée du Nord, atterrissent à Bali où Herbert s’éprend d’une serveuse aussi bête que lui, qui a appris l’allemand par erreur. Son père voulait lui faire apprendre la langue de la puissance coloniale, le néerlandais, pensant ainsi améliorer ses perspectives d’avenir. Manque de bol, il s’est trompé de méthode Assimil, mais cela a fini par tourner à l’avantage de la jeune femme, puisque Herbert et elle ont ainsi pu exprimer leur amour l’un pour l’autre dans la langue de Goethe. En dépit de sa stupidité, la jeune femme, Amanda, a réussi à devenir ambassadeur d’Indonésie et se fait envoyer à Paris. Nous sommes en mai 1968. Elle est invitée à se présenter à l’Elysée pour son accréditation, au moment même ou Lyndon B. Johnson est en visite. Madame l’ambassadeur est accompagnée d’un interprète barbu et chevelu (Allan) qui ressemble au Bon Sauvage de Bornéo. Allan reformule de A à Z les propos d’Amanda, qui sont d’une bêtise insondable et reconnaît l’interprète du président américain, qui est précisément celui qui s’était évanoui quelques chapitres plus tôt. C’était en réalité un espion soviétique! (chapitre 23).

Allan finira par rentrer au pays, ayant passé la majeure partie de sa vie en tant que clandestin, prisonnier ou détenteur d’un faux passeport, émis par les autorités du pays correspondant. Il est athée, apolitique et polyglotte, avec un penchant certain pour la gnôle.

Ayant lu le roman en suédois, en le comparant à d’autres versions linguistiques (en guise de béquille), j’ai pu constater que la traduction allemande est sans aucun doute la meilleure, la plus fidèle. Le traducteur anglais a très souvent pris la liberté de supprimer des phrases, voire des paragraphes entiers, sans que cela ne se justifie aucunement (jeux de mots intraduisibles, par exemple). Quant à la version française, la traductrice a carrément inventé des mots nouveaux: une personne qui s’exprime dans la langue natale ou encore quelqu’un qui part pour le Lettland (capitale: Riga).

On aimerait bien lire la suite des aventures de ce sympathique centenaire, qui affirme que rien ne dure éternellement, si ce n’est la bêtise humaine.


samedi 8 juin 2013

Scripta volant, verba dolent - ou comment réduire à néant la communication multilingue internationale




Before we embark on the actual discussion, let me remind you that if you have prepared written statements, please provide copies to the interpreters beforehand. You can do so via the Secretariat on the podium. And furthermore please read at a reasonable pace to ensure optimum translation.


L’éloquence du bon vieux temps est une espèce en voie de disparition, du moins dans les organisations internationales. Notre métier devrait être consacré à la communication orale, mais de plus en plus souvent, nous nous retrouvons à faire de la traduction non seulement simultanée, mais aussi spontanée et aveugle. Cela équivaut à faire du monocycle les yeux bandés: pas impossible, mais nettement plus difficile et avec un risque de chute nettement accru.


Bien souvent, la communication est faible voire inexistante entre le secrétariat de la réunion et les interprètes; quant aux délégués, ils ignorent en général jusqu’à notre existence. C’est ainsi qu’ils liront leur discours, voire leur thèse de doctorat, sans soucier le moins du monde de savoir si leur message passe dans les autres langues. Pour les anglophones, les autres langues n’existent d’ailleurs tout simplement pas. Ou alors, ils pensent que ce sont des assistantes trilingues qui lisent leur discours, dans les cabines magiques, loin, là-haut, et qui convertissent leur texte dans les autres versions linguistiques. Après tout, il n’y a qu’à répéter ce qui est écrit, ce n’est pas bien sorcier... Et pendant ce temps-là, nous pleurons des larmes de sang et nous nous arrachons les cheveux par touffes entières, en nous demandant ce que nous sommes venus faire dans cette galère. 

Demosthenes Orator

Il faut reconnaître qu’il arrive que nous recevions le texte, parfois même avant qu’il ne soit lu. Cela peut être un discours prononcé (très vite) en espagnol, avec l’accent brésilien et qui nous sera distribué (mal) traduit en anglais, prétendument pour nous faciliter la tâche; une intervention rédigée à la main, avec flèches, ratures et rajouts, le tout plus ou moins intelligible; un discours en arabe ou en chinois, tel quel; ou alors le délégué prononce autre chose que le texte qui nous a été distribué. La mention Check Against Delivery signifie que c’est à nous de remarquer quand l’orateur s’écarte de ce qui est écrit. Les discours très importants sont en général distribués à l’extérieur de la salle, a posteriori  – on pense aux journalistes, mais pas aux interprètes.



Les langues exotiques peuvent aussi, moyennant un peu d’organisation, avoir voix au chapitre. Dans ce cas-là, un discours en farsi sera traduit en anglais et un représentant de la délégation iranienne viendra en cabine anglaise montrer du doigt à l’interprète, qui lit, où on en est dans le texte. Et les autres cabines prennent alors en relais sur la cabine anglaise. Dans la salle, on n’y voit que du feu!

De plus en plus souvent, les délégués lisent directement sur l’écran de leur ordinateur, voire de leur téléphone, selon le credo du Paperless Office ou du Paper Smart Meeting. C’est sympa pour les arbres, mais pas très sympa pour nous. Imaginez donc devoir traduire à partir de phrases entendues une fois - verba volant - et débrouillez-vous! Nos propos deviennent parfois scripta manent, grâce aux procès-verbalistes, pour lesquels j’ai souvent une pensée émue après avoir massacré le discours du Bangla Desh ou de la République de Corée. A l’impossible nul n’est tenu.

Le gros problèmes avec les discours lus, qui sont le plus souvent rédigés par quelqu’un d’autre que l’orateur  – pardon: le lecteur – qui découvre en même temps que nous ce qu’il a à dire, c’est qu’en lisant, on prononce des mots, mais on laisse la pensée au vestiaire. La réflexion était bien là au moment de la rédaction; ensuite, il n’y a plus qu’à lire de façon désincarnée et sans la moindre intonation. Cela rend notre travail très difficile, puisque les mots qui sortent de la bouche du délégué ne sont plus rattachés au message, n’ont plus aucune émotion, aucune tonalité, aucune intention. Si la lecture se fait dans une langue étrangère pour le délégué, la mauvaise prononciation, les accents toniques, absents ou mal placés, rendent le propos parfaitement abscons (the angel of refraction, par exemple, au lieu de angle). Dans ces moments-là, notre seule consolation est de nous dire que ceux qui, dans la salle, se passent de nos services, n’y comprennent rien non plus. En général, ils lisent le journal, sont plongés dans leur iPad ou envoient des textos, le compte rendu leur permettra de savoir ce qui a été dit. Très souvent nous observons, la rage au ventre, une assistante passer dans les rangs à la fin de la réunion pour ramasser les copies, pour les traducteurs et les procès-verbalistes. Les interprètes n’en n’ont pas besoin, voyons, puisque leur travail est oral.


Malgré les multiples demandes adressées aux participants de bien vouloir donner leur discours au secrétariat pour faciliter le travail des interprètes, rien ne change.  Ils ne semblent tout simplement pas comprendre comment ça fonctionne ni saisir que ce ne sont pas des machines qui traduisent automatiquement leurs discours. Un délégué aurait même rétorqué: « Les Etats sont souverains. S’ils veulent lire vite, ils sont libres de le faire. » Ma foi, ils sont alors aussi libres de rester incompris du reste du monde.


Voir la vidéo Smart Speaking at International Meetings par le groupement Calliope


Si seulement nos délégués pouvaient lire (et comprendre) ceci:
https://mannerofspeaking.org/2012/02/13/reading-a-speech/

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Recommandations que le BIT adresse aux délégués :

1.    Lorsque vous prenez la parole

-    Enlevez votre oreillette et éloignez-là du micro (pour éviter un pénible retour sonore)

-     Parlez directement dans le micro (ne tapez pas dessus pour le tester, afin de ménager, une fois de plus, le tympan de tous les participants)

-     Parlez de manière détendue à une allure raisonnable (la plupart des orateurs ont tendance à s’exprimer beaucoup plus vite qu’ils ne le croient)

2.    Exprimez-vous dans votre langue maternelle lorsque vous savez que l’interprétation est assurée dans cette langue.

3.    Souvenez-vous que l’on vous comprend mieux lorsque vous parlez que lorsque vous lisez. En effet, lorsque vous lisez, la musique naturelle de votre voix – porteuse de tant d’informations – s’affaiblit. Les délégués, et aussi les interprètes, éprouvent davantage de difficultés à saisir l’intention et la portée de votre message. Par ailleurs, lorsqu’on lit, on lit souvent trop vite pour être bien compris, même par les auditeurs de même langue maternelle. Dans ces conditions, le volume d’informations que les interprètes peuvent traiter efficacement devient limité (et il en va de même pour toute autre personne qui vous écoute).

4.    Si, malgré tout, vous décidez de lire, assurez-vous que les interprètes – qui distinguent instinctivement le discours lu du discours parlé – ont reçu à l’avance un exemplaire de votre discours. Ils pourront ainsi vous servir le mieux possible en préparant votre texte.

5.    Lorsque vous vous référez à tel ou tel document, prenez le temps de donner la référence correcte. Utilisez les numéros des paragraphes plutôt que les numéros des pages, car ces derniers changent selon les versions linguistiques et peuvent être source de confusion.

6.    Faites de même lorsque vous mentionnez des chiffres ou des noms propres, et veillez à ce que chacun comprenne les acronymes que vous souhaitez utiliser.

7.    Assurez-vous que votre téléphone portable est désactivé pendant toute la durée des travaux de la réunion : en effet, les téléphones portables produisent des interférences sonores dans les installations techniques et ils peuvent alors avoir l’effet d’interrompre la communication au sein de la réunion.