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dimanche 20 mai 2012

Le suédois est intraduisible



Ceci est le troisième texte  sur ce sujet et ce ne sera sans doute pas le dernier, malheureusement. Le suédois est une langue exotique, certes, mais nettement moins que le finnois ou le chinois. Elle est très proche de l’allemand et de l’anglais et je ne comprends pas pourquoi sa transposition en français est si douloureuse.
M’étant mise à apprendre la langue d’IKEA il y a environ deux, trois ans, je suis maintenant en mesure de lire les romans de Sjöwall & Wahlöö  dans le texte. Presque. C’est pourquoi je m’appuie sur la traduction française pour combler les trous. Pauvre de moi... à force de m’arracher les cheveux, je serai bientôt chauve.


Le titre de l’opus, écrit en 1970, est intraduisible, je le reconnais: Polis, Polis, Potatismos. Il a été traduit une première fois en 1972, de l’anglais, aux éditions Planète, sous le titre Meurtre au Savoy. Il a été revu et corrigé en 1986, à partir de l’original suédois, sous le titre Vingt-deux, vlà des frites, aux éditions 10/18. Le titre est la seule véritable amélioration apportée à ce roman. Il s’agit d’une comptine pour enfants, il y est question de purée de pommes de terre et les frites sont un équivalent amusant. Quant au reste...
J’ai eu à tiquer sur des phrases comme « Aviez-vous déjà rencontré M. Palmgren antérieurement?» (chapitre 15) ou encore «Il lui a fallu faire la preuve de son identité» (chapitre 14). «Elle a un casier?» devient «Elle a un pedigree?» dans la version revue et corrigée. C’est de l’argot, certes, mais le but était d’aligner la traduction sur l’original suédois, qui dit: Finns hon i straffregistret? Straffregistret n’est pas de l’argot et le traducteur n’a pas à modifier le niveau de langue des personnages du roman. 



L’action se passe à Malmö, dans l’extrême-sud de la Suède et l’enquête s’étend jusqu’à Copenhague. Le ferry part dans vingt-minutes (tjugo minuter) ont écrit les auteurs au chapitre 19. Etrangement, la VF, passant par la version anglaise, nous apprend que le ferry lève l’ancre dans cinq minutes! Ce qui est encore plus étrange, c’est que la version revue par un traducteur comprenant le suédois donne le départ dans cinq minutes également. Ce n’est pas bien grave, c’est juste incompréhensible. Le mot tjugo (prononcer tchougou) est-il aussi difficile à traduire que Gemütlichkeit ou empowerment? En outre, si le ferry part dans cinq minutes au moment où les protagonistes envisagent de faire la traversée, ils le ratent, à moins d’être des super-flics dotés de super-pouvoirs. Pendant mes études de traduction, on nous a appris qu’il fallait parfois remplacer un verbe par un substantif ou encore changer de perspective. Mais moi qui suis traductrice-jurée, il ne me viendrait pas à l’idée d’écrire qu’une personne est née en 1905 si elle est née en 1920. C’est une question de détail, mais qui a son importance. 


A bord du ferry, les deux policiers mangent du wienerschnitzel, l’escalope viennoise n’existant bien sûr pas en français. Et quand un personnage dit The show must go on, en anglais dans le texte, la version revue et corrigée à partir de l’original suédois dit platement: Le spectacle continue. En voilà une amélioration bienvenue au texte! Un cendrier en laiton devient un grand cendrier et un costume à carreaux (rutig kostym) devient un petit costume à carreaux. Pourquoi petit? Il fait très chaud et Paulsson sue «sang et eau». Le témoin explique qu’il n’a pas bien pu voir l’assassin, car tout s’est passé très vite; la version revue et corrigée dit: «J’ai été surpris et je n’ai pas eu le loisir de le photographier». WTF? De nos jours, on pourrait, à la rigueur, imaginer que tous les convives sortent dare-dare leur iPhone pour prendre une photo du tueur au moment où il entre dans la salle et tire, à bout portant, sur Viktor Palmgren tenant son discours, mais en 1986... ? Idem au chapitre 18: «Paulsson l’examina avec soin et le photographia». Pas très discret comme filature, surtout si le suédois dit: inregistrera det i sitt minne (littéralement: l’enregistra dans sa mémoire). 



Martin Beck jette un coup d’oeil à son collègue Månsson et, en 1986, ça devient « Martin Beck jetta un coup d’oeil en coulisse à Månsson». Bizarre... vous avez dit bizarre? Ailleurs, Martin Beck fait un clin d’oeil à son collègue; dans la version 1986, il lui «décoche une œillade»1). On se croirait dans Carmen ou Manon Lescaut. Le but de la nouvelle mouture était, je vous le rappelle, de se rapprocher de l’original suédois, qui dit knep ihop ena ögat, ce qui signifie bien un simple clin d’œil. «Nous nous téléphonions par-ci par là» (då och då), tout francophone comprendra que cela signifie «de temps en temps». «Est-ce que, par hasard, vous connaîtriez quelqu’un qui eût été susceptible de vouloir la mort de Viktor Palmgren?» En Suède, les flics s’expriment à l’imparfait du conditionnel (2ème forme), qu’on se le dise. Il est ensuite question de la maîtresse de l’un d’entre eux. Ils se voyaient par-ci par-là et «cet arrangement leur convenait fort bien» disent les deux versions, y compris celle revue par un traducteur comprenant le suédois. Sauf que l’original dit trivdes ihop, ce qui signifie qu’ils se sentaient bien ensemble.
Enfin, leur excursion au Danemark terminée, «les deux Suédois» retournent prendre le bateau, ce que n’ont évidemment pas écrit les auteurs. Imagine-t-on Frédéric Dard écrire «les deux Français» s’agissant de San Antonio et de Bérurier? S’ils sont en mission à l’étranger et que leur nationalité est pertinente dans la narration, oui. On pourra arguer que c’est le cas ici, puisque Beck et Månsson reviennent de Copenhague. Les traducteurs ont sans doute voulu rappeler à leurs lecteurs que l’action se passe en Suède, mais le côté smörgåsbord du texte français ne cesse de nous le rappeler, merci.
Apprendre le suédois est un passe-temps pour interprète en mal de sensations fortes. Ça ne me servira sans doute jamais à rien, si ce n’est à lire les polars suédois en version originale. C’est toujours ça de gagné!



PS: le titre fait allusion à une comptine qui dit: Polis, polis, potatisgris, ce qu’un des traducteurs a  traduit de façon très apte par: "Police, police, cochons mangeurs de patates". Un enfant qui ne sait pas encore bien parler a déformé le dicton en parlant de purée de pommes de terre, ce qui lui est beaucoup plus familier.

A la toute fin du roman (chapitre 27), on peut lire ceci: "Je crois que le plus sûr est de charger quelqu'un de le tenir à l'œil pour l'instant. (..) Quelqu'un qui, en service, ne mange pas de patate écrasée. Månsson dévisagea Beck ahuri."
Il y a de quoi, en effet...
* * * * *
Polis, Polis, Potatismos de Maj Sjöwall et Per Wahlöö, Nörstedts Förlag, Stockholm, 1970
Meurtre au Savoy, éditions Rivages/noir, traduit de l’anglais par Michel Deutsch en 1972
Vingt-deux, v’là des frites, éditions 10/18, traduction revue et corrigée à partir de l’original suédois par Philippe Bouquet en 1986
L’essentiel des commentaires ci-dessus portent sur le seul chapitre 19 (et un peu le 18) .
Œillade dans le Petit Robert: «Clin d’œil constituant un appel, une invite amoureuse ou coquette.» Il s’agit de deux flics dans un ascenseur.

Un article du Guardian sur la série de romans de Sjöwall & Wahlöö
Voir aussi:

mardi 15 mai 2012

De la difficulté à s’intégrer

Votre serviteur sur la table, en 1960
Ma famille a quitté la Finlande en 1964, cela fait près d’un demi-siècle. Ma mère a passé la majeure partie de sa vie à l’étranger. De plus, elle a dû quitter le village de son enfance en 1939, à l’âge de 10 ans, pour échapper aux grosses bottes soviétiques. Elle ne s’est jamais vraiment remise de ce premier déracinement et le deuxième, en 1964, reste gravé au plus profond de son âme.

C'est l'année où nous sommes partis pour l’Allemagne, le pays ami et allié qui nous a aidés à résister aux Russes et à rester en-deçà du rideau de fer. C’était aussi le pays dont les troupes ont mis le feu à la Laponie avant de se retirer. Mais c’est foncièrement un pays dont la mentalité nous est proche, d’autant plus que la Finlande a été fortement marquée par le réformateur allemand Martin Luther et que la culture de notre pays est profondément protestante. Notre séjour ne devait être que provisoire, ce qui a rendu la chose bien plus facile.

La période allemande
En 1967, nous sommes partis pour la Suisse, plus précisément Genève. Il a fallu changer de langue, changer de style et de mentalité, bien que la Suisse reste encore assez proche de l’Allemagne. Mais Genève, c’est presque déjà la France.... J’avais six ans et demie à l’époque et je me suis fondue dans le paysage sans même m’en rendre compte. J’ai appris à lire et à compter en français, alors que j’avais fait le jardin d’enfants en allemand, et je jouais au Monopoly en anglais avec nos voisins américains. J’ai aussi appris à fêter le Fourth of July et Halloween - tout comme l’Escalade - et je chantais Obladi-Oblada des Beatles par coeur. Mon père restait dans sa sphère professionnelle et rentrait le soir dans sa famille, où nous parlions finnois. Quant à ma mère... elle a bien dû se débrouiller pour apprendre à demander des côtelettes chez le boucher ou à communiquer avec le concierge italien. Nous avons tous fini par trouver nos marques et à suivre des chemins qui nous sont devenus familiers.

La période genevoise

En 1974, ce fut le tremblement de terre: IBM Europe ferme ses bureaux en Suisse. Mon père avait le choix entre être muté à Paris, Milan, New York ou Bruxelles (La Hulpe). J’y repense beaucoup ces jours-ci, où les employés de Merck Serono 1) se voient offrir le choix entre Boston, Pékin, Darmstadt ou la porte. Il a choisi la Wallonie, ce qui m’a permis de rester en terrain francophone. La transition a été beaucoup plus difficile cette fois-ci. Etait-ce parce que nous étions tous plus vieux, donc moins souples? Etait-ce parce que nous étions, pour la première fois, en terres catholiques, c’est-à-dire dans une sphère culturelle qui nous était inconnue? Etait-ce parce que la Belgique n’a pas de charmes immédiatement apparents, avec son ciel bas et gris et ses immeubles sales et tristes? J’ai mis un an à me faire des amis et à trouver ma place. J’ai laissé le Plat Pays entrer dans mon coeur, au point d’en attraper l’accent. Je croyais pouvoir enfin laisser pousser des racines quelque part, mais non: en 1976, nouveau boum-patatras: le départ pour la Finlande, terre de mes ancêtres.


Mon papa, bien avant tous nos déménagements
Pour mon père, c’était une impasse professionnelle et il était profondément malheureux. Il était comme un lion en cage, d’autant plus qu’il sentait le souffle impérialiste soviétique nous souffler dessus. Ma mère, qui a pourtant eu à souffrir de première main de l’invasion russe, était bien plus sereine: elle était enfin de retour au pays. Quant à moi, j’ai vécu mon adolescence en hibernation, le temps de passer mon baccalauréat en finnois, entourée d’une forme d’esprit et de codes de comportement que je ne comprenais pas. J’ai passé ma confirmation comme on avale une potion amère. En trois ans, je n’ai pas réussi à me faire d’amis, les Finlandais me considérant sans doute comme une étrangère. J’étais trop latine, j’étais entourée de l’aura de keski-Eurooppa, terme qui désigne tout ce qui se trouve au sud du Danemark (sans le bloc de l’Est, à l’époque). Bref, je n’ai pas réussi à m’intégrer dans mon pays d’origine. J’étais comme un poisson échoué sur une plage de la Baltique et mon seul désir était de replonger dans l’eau pour retrouver des latitudes plus méridionales et surtout francophones.

En 1981, l’année de l’arrivée au pouvoir de Mitterrand, mon père a retrouvé un poste à Paris, ce qui lui a permis de respirer à nouveau. Ma mère l’a suivi, forcément, mais sans doute à contre-coeur. Je ne l’ai jamais entendue se plaindre des ces éternels déménagements. Une fois établis en France, mes parents sont devenus très actifs au sein de l’association des Amis de la Finlande, puis à l’Institut finlandais, inauguré en 1991. Bien que vivant à Paris, ils ne fréquentaient que des Finlandais, ne parlaient que finnois (mon père travaillait en anglais), le français étant réservé pour les démarches administratives, pour faire les courses ou pour aller au restaurant. Mes parents parlaient pourtant un excellent français. Aucune nuance, aucun mot d’argot n’échappe à ma mère et elle pourrait sans doute même participer à un concours d’orthographe.

Vappu (Source: wikimedia Commons)
Ce désir de rester coincé dans sa culture d’origine, de s’accrocher à ses racines, bien qu’on ait quitté son pays depuis des décennies, ne cesse de m’étonner. J’ai longtemps pensé que c’était une lubie de mes parents, mais pas du tout. Les "jeunes" Finlandais, c-à-d ceux qui sont plus jeunes que mes parents, ceux qui n’ont pas vécu à l’ombre du rideau de fer, ceux qui ont pris le train d’internet et du téléphone mobile en marche, ceux qui sont allés aux quatre coins du monde en vacances, font exactement la même chose. Les Finlandais travaillant pour l’UE mettent leurs enfants à l’école européenne, en section finlandaise. Ils y apprennent certes le français et l’anglais, mais comme langue étrangère. Ils choisissent souvent de passer leur bac en anglais, car il est réputé moins difficile que le bac en français. Voilà donc des enfants qui ont grandi en Belgique ou au Luxembourg, qui n’ont que des amis finlandais et qui parlent mal le français ou le luxembourgeois. Ils ont appris à apprécier l’importance de Juhannus (la Saint Jean) ou de Vappu, le 1er mai, qui n’est pas la fête du travail en Finlande, mais la fête des étudiants et, de façon plus générale, la fête du printemps.


Juhannus

Ce choix risque fort de se payer cher plus tard dans la vie. Ces enfants auront peut-être de la peine à postuler pour des emplois s’ils parlent moins bien la langue du pays que les autres candidats. Ils seront des étrangers dans le pays qui les a vus grandir. Leurs amis d’enfance se seront éparpillés dans le monde - ou pas, et alors, ils pourront continuer à fêter le six décembre 2) entre eux. Arrivés au soir de leur vie, comme ma mère, ce sera encore plus difficile. Les amis et connaissances finlandaise se font de plus en plus rares. Fort heureusement, le courrier électronique et facebook permettent de remédier à une ouïe défaillante. Ma mère commence à envisager d’entrer dans un home, pour ne plus souffrir de solitude. Cela signifierait pourtant être entourée de Français et de se voir servir du potage et du fromage aux repas. Elle connaît bien sûr toutes les coutumes locales, mais ce ne sont tout simplement pas les siennes. Va-t-elle oser Le Grand Pas Vers Un Monde Nouveau? A bientôt 83 ans, un nouveau déménagement et un nouveau choc culturel l’attend à nouveau. Dire que certaines personnes finissent leurs jours dans la maison qui les a vus naître....

Idylle finlandaise

Il existe dorénavant un étage italien dans un EMS à Berne

  1. Le 24 avril 2012, la société Merck Serono annonce la fermeture de son site genevois; 1250 personnes perdent leur emploi ou se voient proposer un poste à Boston, Pékin ou Darmstadt
  2. Fête de l’indépendance de la Finlande

dimanche 22 avril 2012

Ton chien une médaille aura...


... et à la sueur de ton front, tu l’obtiendras.
Voilà la devise de tout détenteur de chien à Genève. Etant devenue, bien malgré moi, la semi-maman d’une adorable chienne, j’ai tout loisir d’observer ce que cela représente d’avoir un animal de compagnie. C’est beaucoup d’amour, de plaisir et de moments amusants, mais c’est aussi beaucoup de contraintes, de soucis, de frais et d’emm... administratifs.

Commençons par le commencement. Adopter un chien à la SGPA  coûte 250 CHF, ce qui couvre les frais vétérinaires, les vaccins, la stérilisation et la puce ANIS , qui permettra de vous retrouver si vous étiez tenté d’abandonner votre chien sur une aire d’autoroute. Il faudra ensuite vous équiper d’une ou de plusieurs laisses, ainsi que d’un modèle pour la voiture, qui s’accroche comme une ceinture de sécurité; une ou de plusieurs gamelles, des jouets, une couverture ou un panier; de la nourriture et des friandises, bien évidemment. Si vous pensez qu’il vous suffit maintenant de jouer avec votre toutou, vous vous trompez lourdement! Si vous prenez un chien adulte, il aura certainement déjà appris à être propre et aura aussi acquis certains comportements corrects, mais il reste encore à créer le lien entre vous et la bête, pour qu’elle revienne quand on l’appelle, par exemple.
Viennent ensuite les démarches administratives. Les détenteurs de chiens doivent s’acquitter d’un impôt, ce qui est bien normal. Mais il ne suffit pas de payer et basta, ce serait trop simple. Tout chien et tout maître doivent suivre quatre cours d’éducation canine obligatoires, en vue d’obtenir l’attestation correspondante, qu’il vous faudra ensuite présenter pour obtenir la médaille qui prouvera que vous êtes en règle. Si votre chien pèse plus de 25 kg et/ou fait plus de 56 cm au garrot, vous devrez passer un TMC, le test de maîtrise et de comportement et passer à la caisse en conséquence. Ne reste plus alors qu’à trouver un éducateur canin, avec l’aide de google. Entre ceux qui ne répondent ni au téléphone ni aux e-mails, entre ceux qui vous disent: «Ah? Parce que vous voudriez suivre des cours?», ceux qui reçoivent leurs élèves les jours ouvrables pendant les heures de bureau.... ce n’est pas si simple que ça en a l’air. Nous avons fini par trouver une école pour chiens, les dimanche matins à 10h, en rase campagne, il faut donc impérativement avoir une voiture.



Nous avons réussi à faire les quatre cours dans le délai imparti, en dépit de plusieurs dimanches d’un froid polaire ou de pluies diluviennes. C’était très sympathique d’être en forêt, avec toute une ribambelle de chiens de toutes les tailles et de toutes les couleurs. L’ambiance était celle d’une cour d’école: les toutous se jaugent les uns les autres, il y a les petits et les grands, les timides, les fanfarons, les grandes gueules, les désobéissants, les premiers de classe et notre petite chérie, que nous couvions des yeux, en espérant qu’elle sera sage et qu’elle ne nous couvrira pas de honte. Le cours est ponctué de plusieurs récrés, au cours desquelles tout ce petit monde peut courir et jouer ensemble. On ne peut pas vraiment dire que nous ayions appris grand chose, étant donné qu’on nous disait de faire tel ou tel exercice et si notre chienne n’y arrivait pas, le moniteur nous disait: «il faudrait qu’elle reste à sa place» ou «il faudrait qu’elle revienne quand vous l’appelez». Certes. Notre choupette est relativement obéissante*), mais comme ça, tôt le matin, quand on n’a pas encore eu le temps de lui donner de grande balade d’une heure pour la défouler et qu’elle est entourée de plein de nouveaux copains, elle était trop distraite et excitée pour faire attention à nous. Toujours est-il que nous avons rempli notre devoir, 4 x 25 CHF + 30 CHF pour l’attestation, ne restait plus que le reste du chemin à parcourir, à savoir trouver la police municipale.



A nouveau, c’est google qui a volé à ma rescousse, car personne n’était capable de me dire où elle se trouvait. L’éducatrice canine habitant du côté français n’en n’avait pas la moindre idée, le réceptionniste à la police cantonale non plus. Ayant finalement trouvé leur site internet, j’y ai aussi trouvé la liste des documents à rassembler:
  1. la confirmation de l'enregistrement du chien à la banque de données ANIS (puce électronique);
  2. l'attestation d'assurance responsabilité civile spécifique pour "détenteur de chien";
  3. le certificat de vaccination, avec vaccin contre la rage obligatoire avec une protection vaccinale valide. ... ;
  4. l'attestation de suivi du cours théorique ou le justificatif de sa dispense délivré par le service de la consommation et des affaires vétérinaires (SCAV);
  5. l'attestation de suivi du cours pratique ou le justificatif de sa dispense fourni par le SCAV;
  6. la pièce d'identité du propriétaire.
A noter que si vous avez été détenteur d’un chien avant le 1er septembre 2008 et que vous arrivez à le prouver, vous serez dispensé de suivre le cours théorique. La médaille coûte 10 CHF et l’impôt proprement dit 107 CHF pour le premier chien (147,- pour le deuxième et 207,- dès le troisième). Les années suivantes, le bordereau pour l’impôt devrait arriver automatiquement par la poste, il ne sera plus nécessaire d’aller transporter tous ces documents au guichet de la police municipale.
Il ne reste plus qu’à penser à lui donner du vermifuge et de l’anti-tiques et à renouveler les vaccins le moment venu. Avoir un chien demande beaucoup de patience et de tolérance, il faut organiser sa vie autour de son compagnon, en sachant qu’il faut lui donner au moins quatre sorties par jour, non seulement pour lui permettre de faire ses commissions, la petite et la grande (penser à toujours avoir plusieurs sacs à crotte sur soi, ça peut servir), mais aussi pour sa santé mentale et son bien-être. Laisser un chien tout seul toute la journée dans un appartement est cruel et égoïste. Les chats supportent cela bien mieux, surtout s’ils sont à deux (ou trois).
En échange de tout ce travail, de tous ces frais et de tous ces efforts, on a un ami fidèle et sincère - un chien est incapable de mentir ou d’être hypocrite - et tout plein de léchouilles! Obsédés de l’hygiène s’abstenir...

Moi, tant qu'on me donne des bananes...
*) grâce à une série de cours d'éducation au clicker, l'objet d'un prochain texte


Voir aussi: Parlez-vous chien?

Loi genevoise sur les chiens

dimanche 1 avril 2012

Une ville en voie de disparition



Mon cinéma de quartier va probablement devoir fermer ses portes et disparaître, victime d’une hausse de loyer et de la nécessité de passer à la projection numérique. Il n’est ni le premier ni le dernier à subir la pression de la modernité qui avance à la façon d’un rouleau compresseur. Une kyrielle de cinémas a disparu ces dernières années et, le plus triste, c’est qu’il n’y a rien à la place, rien qu’une enseigne vide, pas même un kebab ou un Starbucks pour occuper les lieux et donner un peu de vie à nos rues.


rue de Chantepoulet

Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas aux cinémas. Deux restaurants Mövenpick, pourtant florissants, ont mis la clé sous la porte. L’un a été remplacé par un horloger de luxe, l’autre a été repris par un autre restaurant, mais qui n’a pas marché. Depuis environ deux ans, c’est une arcade borgne, vide et abandonnée. Les vitrines orphelines sont de plus en plus nombreuses en ville, les commerçants se faisant expulser ou partant d’eux-même quand on leur annonce que leur loyer va doubler, voire tripler. Seules les boutiques de luxe et les bijouteries peuvent dorénavant avoir pignon sur rue à Genève. 

rue de Chantepoulet

Dans mon quartier, ce sont des galeries d’art moderne qui occupent des espaces de création où l’air, l’intellect et des murs blancs immaculés se disputent des lieux qui ne sont généralement occupés que par une personne, assise seule derrière un ordinateur portable. Les postes de quartier ferment les unes après les autres, déplaçant leur services dans la boulangerie ou la pharmacie voisines. Les agences de voyage doivent avoir quelque chose de plus à offrir pour pouvoir régater avec internet. Le point de vente des CFF à la place Longemalle va fermer pour cause de triplement du loyer. Les clients auront le choix entre faire la queue pendant des heures à Cornavin ou acheter leur billet en ligne, pardi!


Fermé depuis une...

Les disquaires et les libraires tirent la langue, victimes des achats sur internet. Quant au vidéo-clubs, leurs jours sont comptés. Non seulement, il est très simple de télécharger gratuitement des films et des séries télé, mais les fournisseurs d’accès et les chaînes de télévision numérique proposent des films à commander d’un simple clic sur sa télécommande. On peut également louer des films pour 6,- via iTunes ou amazon, sans devoir quitter ses pantoufles.


... dizaine d'années

Les logements devenant de plus en plus inabordables, il devient tout simplement impossible pour le citoyen lambda, membre de la classe moyenne, de se loger, ni en ville ni à la campagne. Le centre ville ne sera bientôt occupé que par des bureaux, des banques, des bijouteries et des boutiques de grands couturiers. Ces gens-là font fonctionner les restaurants à midi et les bars après la fermeture des bureaux, mais c’est tout. Tout le reste pourra fermer et disparaître à jamais. Un restaurant de couscous a failli se faire déloger par une banque, qui s’était pourtant installée bien après, car les odeurs de cuisine les incommodaient. Quant au mythique Relais de l’Entrecôte, il a pu être sauvé un in extemis – mais pour combien de temps ? – grâce au tollé qu’a provoqué l’annonce de son expulsion.

ex-Au Paradoxe Perdu*), arcade vide depuis avril 2011

Nous vivons déjà dans le monde de 1984 de Georges Orwell pour ce qui est du fichage omniprésent de nos moindre faits et gestes. Notre visage est enregistré par d’innombrables caméras dans les lieux publics, tout paiement par carte laisse une trace, votre ordinateur sait tout ce que vous faites, votre téléphone mobile aussi. Nous allons bientôt vivre chacun calfeutré dans notre appartement et nous recevrons tout par internet, sur nos écrans télé, sur nos ordinateurs, nos smartphones et nos tablettes. Des frigos intelligents peuvent déjà vous signaler que vous allez être à court de lait ou de beurre, bientôt ils enverront automatiquement une commande en ligne au supermarché de votre choix. Nous pourrons vivre entièrement cloîtrés chez nous, ce qui nous permettra aussi d’être à l’abri de la délinquance urbaine. Qui va encore flâner dans des boutiques, alors qu’on peut tout commander moins cher sur internet ? Qui a encore besoin d’un épicier de quartier ? Les dépanneurs qui vendent des cigarettes et de l’alcool, même en pleine nuit, se portent en revanche très bien. 

Bd de Saint-Georges
Que faut-il penser d’une société où on peut acheter des bijoux et des robes de haute couture d’une part, des cigarettes et de l’alcool d’autre part, mais où les cinémas, les bistrots sympas, les librairies – en gros, toute activité commerciale normale - meurent à petit feu ; une ville où se déplacer, que ce soit en voiture ou en transports publics, devient un véritable parcours du combattant ; une ville dont la population active doit s’exiler dans le pays voisin, faute de logements abordables. Genève va bientôt ressembler à une ville fantôme dans laquelle les méga-riches se barricaderont dans des résidences sécurisées pendant qu'une faune interlope rôdera dans les rues. L’ambiance est indéniablement en train de changer et pas forcément pour le mieux.

Rue Paul-Bouchet
Voir aussi: Qui a tué le petit commerce?


*) actuellement au 23, rue des Bains, 1205 Genève / le magasin a fermé ses portes le 16.6.2015, mais continue d'exister sur internet www.auparadoxeperdu.com

dimanche 18 mars 2012

Genevoiseries


le chantier du tram Cornavin-Onex-Bernex (TCOB)
Qu’est-ce qu’une genevoiserie ? Ce mot est une création de nos amis et concitoyens suisse allemands, pour qui tout ce qui se trouve et se passe outre-Sarine est un peu olé-olé. En effet, la Suisse est parcourue d'une barrière de röstis qui apparaît à l’occasion de chaque votation, avec la prévisibilité des hirondelles au printemps. Les suisse allemands passent pour des Neinsager, le canton d’Appenzell est généralement le vainqueur dans cette catégorie. Les suisse romands quant à eux, appelés Welsches par les totos, passent quasiment pour des Français : ce n’est que laisser-aller et rouspétance. Au centre, la Suisse dite primitive, non pas à cause de leur mentalité ou de leur mode de vie, mais simplement parce que ce sont les premiers cantons, fondateurs de la Confédération helvétique. Dans son roman Mars, paru en 1977, Fritz Zorn qualifiait déjà Genève de Sündenbabel et de nid de communistes.

le welsche tel que vu par les totos
Et la genevoiserie, dans tout ça ? Chaque canton a sa particularité : Neuchâtel a l’industrie horlogère, Fribourg le mondialement célèbre gruyère, Zurich concentre le fleuron de l’industrie et de la banque suisse et Berne accueille le siège du gouvernement fédéral. Genève a non seulement le jet d’eau, l’horloge fleurie et le siège européen de l’ONU, mais elle se distingue par son aptitude particulière à tout faire foirer. La genevoiserie – aussi connue sous sa dénomination originale de Genferei – est en effet un projet qui peut être séparément ou cumulativement  accepté par tous mais si mal ficelé qu'il se démonte de lui-même en coûtant très cher, est bloqué par un conflit stérile entre autorités, ou encore qui ne se fait jamais mais revient sans cesse sur le tapis.


A Genève, on maîtrise l'orthographe
La traversée de la rade illustre fort bien cette définition : on en parle depuis des générations, l’idée à été soumise en votation à moult reprises mais elle n’a toujours pas abouti. Le principe d'une traversée du lac a été accepté en votation populaire à 68% en 1988, mais si le projet devait se faire un jour, on peut être relativement certain que le devis explosera, que les gabarits seront trop petits dès son inauguration et que les points d’arrivée (pont ou tunnel : that is the question !) seront forcément mal choisis et mal conçus. Voilà sans doute la raison pour laquelle le peuple ne cesse de voter non à toutes les propositions qui lui sont faites. Le CEVA 1)  a déjà fait couler des niagaras d’encre et a suscité des débats houleux.  La population craint un foirage et un ratage de grande envergure, un projet pharaonique qui ne sera jamais utilisé par personne, alors qu’il aura vidé les caisses publiques. Le récent remaniement des transports publics genevois nous sert un peu de répétition générale : on nous avait promis monts et merveilles, efficacité, rapidité, convivialité. Au lieu de cela, la grogne est généralisée, les trams bondés, le peuple excédé. Le réaménagement de la place Bel-Air, en chantier pendant des années, avec tous les désagréments que cela a pu supposer, se révèle être un fiasco total. Non seulement la terre entière y converge pour se croiser dans l’anarchie la plus totale (trams, bus, voitures  – qui n’ont rien à faire là – piétons, pick-pockets, cyclistes, scooters, mendiants et musiciens), mais les abribus ne protègent ni du vent ni de la pluie - probablement pas non plus du soleil, attendons l'été pour en avoir le coeur net. Pour couronner le tout : pas un seul banc, pas un seul arbre. La genevoiserie dans toute sa beauté : ça dure une éternité, ça coûte très cher et au final, c’est complètement raté.

Les travaux de la place Bel-Air (photo J. Piroué)
Un autre bon exemple est la mise en place de l’interdiction de fumer dans le canton de Genève. En 2008, le peuple a massivement voté en faveur de l’interdiction (79,2% de oui) et les cendriers ont disparu des lieux publics, cafés et restaurants. C’était sans compter un noyau d’irréductibles fumeurs, les Dissidents de Genève, qui ont fait recours et qui ont obtenu gain de cause. Comment est-il donc possible de révoquer le résultat d’un scrutin populaire de la sorte ? C’est fort simple : dans leur incompétence crasse, les autorités genevoises ont adopté un règlement d’exécution, c’est plus simple et ça va plus vite, oubliant de promulguer tout d’abord une loi à laquelle se rapporterait ledit règlement d’exécution. Et hop ! à la consternation générale, les fumeurs se sont remis à enfumer le monde. Le temps de faire les choses en bonne et due forme, l’interdiction de fumer est finalement entrée en vigueur en septembre 2009, avec cette fois-ci 81,7% de citoyens qui ont voté contre la cigarette. Mais quelle perte de temps, d’énergie et d’argent !



Les genevoiseries sont si nombreuses qu’un groupe de citoyens a décidé d’attribuer le Prix Genferei au plus méritant, afin de départager les nombreux candidats à la cacade la plus lamentable. En 2011, ce prix est revenu à la chancelière et au Conseil d’Etat qui ont oublié d’envoyer un représentant aux obsèques de Monseigneur Genoud, évêque de Fribourg, Genève et Lausanne. Oui : oublié. D’aucuns ont argué que, Genève canton protestant etc… mais il n’en reste pas moins que Mgr Genoud était aussi l’évêque de Genève. L’affaire Kadhafi a suivi au coude à coude, mais n’a pas réussi à remporter la palme 2)
Les candidats sont déjà en lice pour le Prix Genferei 2012 : ira-t-il au Conseiller d’Etat Mark Muller, pour sa bagarre musclée dans une boîte de nuit la nuit de la Saint-Sylvestre (à 5h du matin, c’était déjà en 2012) ? Ou encore à Eric Stauffer, pour son lancer du verre d’eau en pleine réunion du Grand Conseil? Le musée d’art et d’histoire est aussi sur les rangs, pour avoir désigné comme vainqueur du concours pour la rénovation du bâtiment le seul candidat (Jean Nouvel) n’ayant pas respecté le cahier des charges. Et nous n’en sommes qu’au mois de mars… le ciel nous protège !





L’actualité évoluant sans cesse, cette page sera probablement régulièrement mise à jour. Watch this space !

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1) Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse : projet de train RER de ceinture
2) Pour rappel, la police avait arrêté Hanibal Kadhafi qui faisait du grabuge dans une chambre d’hôtel de grand luxe de la place. Une crise diplomatique majeure s’est ensuivie, un conseiller fédéral s’est déplacé à Tripoli pour essayer, en vain, d’obtenir la libération de deux ressortissants suisses emprisonnés (retenus en otages) en Libye, leur permis de travail n’étant soudain plus valable.

Voir aussi:

mercredi 14 mars 2012

En thalasso à Pornic



Qui n’a jamais rêvé d’une escapade, le temps d’un week-end, histoire de changer de rythme et de tout oublier ? C’est bien plus simple à faire qu’on ne le croit et je m’étonne toujours de ne pas m’offrir ce genre de mini-break plus souvent. Une de mes amies, fan de Groupon, nous a dégotté un super-deal : quatre jours à Pornic, petit-déjeuner et soins inclus, à moitié prix. L’affaire était dans le sac et nous voilà à Nantes, avec Easy Jet, après un vol d’une heure environ.

Un taxi navette nous a déposées à la porte de l’hôtel. Les formalités d’arrivée remplies,  nous nous sommes installées dans une belle chambre avec vue sur l’océan, avec des chaises longues et une immense terrasse. La première de nos missions a été de nous remplir d’urgence la panse avec des crêpes, accompagnées de cidre, comme il se doit. Après quoi nous avons marché jusqu’au petit village de Pornic, en empruntant la route des douaniers qui longe l’océan. Les restaurants se succèdent au bord de l’eau, des crêperies, bien évidemment, mais aussi beaucoup de poisson : sardines grillées, moules, noix de Saint-Jacques, fruits de mer… L’embarras du choix, en quelque sorte. 




L’acclimatation ainsi faite, nous voilà prêtes à affronter notre première demi-journée de soins. Tout d’abord, la douche à affusions : des pommes de douches vous arrosent assez fermement d’eau de mer, alors que vous êtes couchée sur le ventre. Au bout de cinq minutes, on vient vous dire de vous retourner, comme une crêpe, c’est de circonstance. Vient ensuite la massothermie : un lit sous lequel roulent et tournent des billes chaudes, qui vous massent de la tête aux pieds.. Ce soin-là ne m’a qu’à moitié convaincue, car les boules étaient dures et c’était par moments carrément un peu douloureux. Sans doute ne suis-je pas assez grasse. Ensuite, une demi-heure d’aquagym, c’est toujours très amusant. Puis le délice ultime, le bain aux algues : une baignoire-jacuzzi dans laquelle on vous oublie pendant 17 minutes.

Au programme le lendemain : l’argile des Moutiers, un emplâtre très chaud sur le dos et les épaules. On vous enveloppe tel un rôti dans du papier cellophane, le temps que ça agisse. Ensuite, une demi-heure de stretching dans le bassin, avec une monitrice qui a sans doute l’habitude de travailler en milieu hospitalier. Puis le bain aux huiles essentielles, à nouveau la baignoire-jacuzzi dans laquelle le temps s’arrête pendant 17 délicieuses minutes. Et pour terminer, le jet pression, la thalasso comme je me l’imaginais: vous vous tenez contre le mur pendant qu’on vous fusille avec un jet d’eau très puissant, par devant et par derrière.  Si après un tel traitement, vous êtes encore tendu et stressé, c’est qu’on ne peut vraiment rien pour vous !

le jet pression
L’hôtel Alliance est vraiment très agréable et bien conçu. Le personnel est compétent et aimable, sans être obséquieux. En effet, bien que la thalassothérapie soit tout de même quelque chose de plutôt luxueux et du domaine du superflu, l’ambiance n’était ni mondaine ni snob. Tout le monde est là pour être bien et pour être heureux. La clientèle était essentiellement française. Vous pouvez choisir de manger un menu bio dans l’un des deux restaurants de l’hôtel. Le petit-déjeuner était toutefois le seul point noir, le seul élément stressant dans cet oasis de bonheur. La salle était conçue de sorte à créer un embouteillage devant le buffet, entre les clients qui arrivent, ceux qui se servent et le personnel qui passe dans tous les sens, soit pour placer les convives, soit pour débarrasser les tables. En arrivant, on doit s’annoncer, signer une feuille et on ne peut pas choisir sa table. Et les chanceux qui ont obtenu une place à la fenêtre n’en profitent souvent pas : ils lisent le journal ou tournent simplement le dos à la mer. Quel gâchis !

L'hôtel Alliance à Pornic
La piscine, ou plutôt le bassin avec des buses massantes, était aussi un peu décevante. Non seulement, ils arrêtaient les bouillonnements dès qu’il y avait un cours d’aquagym – c’est-à-dire quasiment tout le temps – mais les buses n’étaient pas très nombreuse ni très intéressantes. A Mondorf-les-Bains par exemple (Luxembourg), il y a un véritable parcours de massage, qui commence par la nuque, puis les épaules, le dos, etc… Il est également possible d’aller dehors, même en hiver, tout en restant dans l’eau chaude, comme c’est le cas aussi à Loèche-les-Bains ou encore aux bains de Lavey.


Méditation créative

Les soins de base proposés dans notre offre nous ont amplement suffi, mais on aurait pu s’offrir bien d’autres massages, conventionnels ou ayurvédiques, modelages, soins du visage, réflexologie, réequilibrage des énergies ou ambiances planantes en sus. Comme par exemple le Sovitsu, une relaxation progressive, qui développe l’expérience corporelle du ici-et-maintenant, enrichissant ainsi la perception du schéma corporel et la prise de conscience des sensations. Pourquoi ne pas se laisser tenter par un matin slave : bain aux essences de tourbe, extraits de fucus, prêle et noisette dans une baignoire furo fait d’essence de pin japonais. Il est possible aussi de loger dans la bourgade de Pornic et de venir à l’hôtel pour la journée ou pour des soins ponctuels. L’hôtel met des peignoirs à la disposition de ses hôtes en échange d’une caution et les mules de bain sont obligatoires. Des sandales de plage sont aussi recommandées si on y va à une saison qui permet la trempette dans l’océan.

Nous sommes revenues requinquées, de corps et d’esprit, les poumons rincés à l’air marin et la peau revitaminée par le soleil. Nous avons découvert le kir breton (liqueur + cidre) et le curé nantais (fromage) sur toast, ainsi qu’une conserverie très frustrante, car quand on voyage en avion, on peut difficilement emporter 15 boîtes et pots de maquereau à la moutarde, de sardines millésimées marinées au muscadet ou de tourteau à tartiner, surtout si on n’a qu’un bagage à main. Bref, rien que du bonheur, une expérience à recommencer sans modération.



lundi 27 février 2012

Mâcher du coton

Notre époque multiplie les conférences internationales. Les participants s’y expriment en plusieurs langues et pourtant se comprennent à l’instant même. Que sont, qui sont les êtres relégués dans l’ombre grâce auxquels la communication se réalise ? En quoi consiste leur travail singulier, à première vue impossible ? Pourquoi l’interprète n’est-il pas le frère du traducteur ? Si on plonge au tréfonds de son âme,que ramène-t-on à la surface ?
Voilà les mots qui figurent en exergue d’un drôle de livre, paru en 1971, écrit par John Coleman-Holmes, interprète de conférence. L’ouvrage a dû faire l’effet d’un pavé dans la mare à l’époque, car si l’auteur y décrit les joies, horreurs et visages d’un métier jeune, il y brocarde aussi ses contemporains, ses collègues de l’époque. Parmi les interprètes de moins de 55 ans, quasiment personne ne connaît ce livre. En revanche, les vieux de la vieille l’ont lu ou en ont entendu parler et peu en disent du bien. L’auteur n’était sans doute déjà pas très populaire et le fait qu’il étende le linge sale en public n’a sans doute pas arrangé les choses. Les victimes de ses railleries – maquillées derrière des pseudonymes parfaitement transparents pour quiconque les connaissait – lui vouent certainement encore aujourd’hui une haine aussi féroce qu’inextinguible. En ayant trouvé un exemplaire à la bibliothèque de l’Ecole de traduction et d’interprétation à l’époque de mes études, je l’avais trouvé plutôt amusant. L’ayant relu vingt ans plus tard, j’ai été absolument fascinée de constater à quel point rien n’avait changé en quarante ans. Je ne m’attarderai pas sur les piques taquines, ironiques, voire méchantes qui émaillent le texte, car ne connaissant pas les personnes visées, je n’en perçois pas vraiment la portée. Ce qui est cocasse, en revanche, c’est de reconnaître les situations quotidiennes propres à notre profession, qui a bien sûr énormément changé et évolué – et pas forcément dans le bon sens – depuis le procès de Nuremberg. Pour l’auteur, l’invention de l’interprétation simultanée équivaut à une malédiction qui nous a relégués au fond des salles, dans des bocaux vitrés où nous devenons invisibles. En effet, si les délégués étaient conscients de notre présence et du travail que nous faisons, ils auraient sans doute quelques scrupules à nous arroser de leurs flots de paroles.


C’est ainsi que Coleman-Holmes écrit que l’interprète se voit bousculé et empêché d’accomplir ce pourquoi on le paie. ll m’ôte les mots de la bouche ! C’est exactement ce que je pense chaque fois qu’un délégué lit trop vite et sur un ton monotone un texte que nous ne recevons pas (accent incompréhensible en option). Il constate aussi que les victimes que nous sommes n’osent pas élever la voix pour que cesse cette incongruité, ce scandale d’illogisme : entraver la chose dont on a besoin qu’elle marche. Il ajoute que si c’est là la situation qui existe aujourd’hui (à son époque), elle existera sans doute encore demain – c’est-à-dire : aujourd’hui. Ma parole, il a dû voir ça dans une boule de cristal ! Depuis que la simultanée a fait disparaître les interprètes, l’orateur fait cavalier seul. Il parle aussi vite que le cœur lui en dit, lit un texte qu’il découvre en même temps que nous, saute des pages sans prévenir (dans l’hypothèse où il aurait donné son texte, non traduit, cela va sans dire), marmonne en se détournant du micro, cite à fond de train un chapelet de chiffres, tourne les pages de son document en frôlant le micro, couvrant ainsi ses propos et nous empêchant d’entendre le doux nectar de son discours. Le délégué n’en n’a cure. Et dans la salle flottera l’impression que les interprètes n’ont pas été à la hauteur. Quant à nous, nous essayons de nous blinder et de nous consoler en nous disant qu’à l’impossible nul n’est tenu. A nous de trouver des exutoires pour pouvoir continuer à nous regarder dans la glace. Cette sourde douleur, cette pénible frustration finit par créer une certaine complicité entre interprètes, car nous partageons tous cette chutzpah qui nous permet de continuer à faire notre travail la tête haute.

 L’auteur nous décrit comme des chiens savants assis dans des bocaux de verre, qui font de la tachytraduction, en abordant des sujets aussi divers que la monnaie scripturaire (sic) dans les Etats africains, le chlore, les femmes-policiers, les accélérateurs linéaires de particules, le bois, les oligo-éléments, les feux et balises de pistes d’atterrissage, le vol à voile, le lait, la neuropsychologie industrielle. J’ajouterais encore à cela les objectifs du millénaire pour le développement, le Règlement (CE) nº 647/2004, le réchauffement climatique, l’accès au marché des produits non-agricoles, la dette grecque, Fukushima, les MGF 1), les transports routiers, les pirates somaliens et j’en passe et des meilleures….
Il est dommage que les gens qui connaissent ce livre n’en n’aient retenu que le côté médisant. «Personnellement, j'avais trouvé ce livre assez indigeste; je crois même que je ne l'avais pas lu jusqu'au bout» … ou encore «Je me souviens seulement que je n'avais pas du tout aimé le livre, qui relevait plus de la fiction que de la réalité, me semble-t-il» : voilà quelques unes des réactions que j’ai obtenues de la part de l’ancienne génération, qui se réjouit certainement que ce témoignage ait atterri aux oubliettes. Il s’en vend encore quelques exemplaires, sous le manteau, comme un secret bien gardé. Puis un beau jour, plus personne ne s’en souviendra.

Le moment est sans doute venu de lui donner une suite, une mise à jour, une version Rev 1, un update qui décrirait nos chers délégués qui lisent directement l’écran de leur ordinateur, voire de leur smartphone ou encore les interventions via Skype, les changements d’affectations de dernière minute qu’il nous faut découvrir sur l’intranet de notre employeur du moment, la difficulté d’accéder à un réseau WiFi alors qu’on attend de nous que nous connaissions le nom du président du Turkménistan… A quelques détails près, rien de bien nouveau sous le soleil.



Mâcher du Coton, de John Coleman-Holmes, paru en 1971 aux éditions Entre-Temps (épuisé, sauf sous le manteau)

En italiques, les citations et emprunts à l’auteur


1) Mutilations génitales féminines
Paru dans le blog du site de l'aiic