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mercredi 14 mars 2012

En thalasso à Pornic



Qui n’a jamais rêvé d’une escapade, le temps d’un week-end, histoire de changer de rythme et de tout oublier ? C’est bien plus simple à faire qu’on ne le croit et je m’étonne toujours de ne pas m’offrir ce genre de mini-break plus souvent. Une de mes amies, fan de Groupon, nous a dégotté un super-deal : quatre jours à Pornic, petit-déjeuner et soins inclus, à moitié prix. L’affaire était dans le sac et nous voilà à Nantes, avec Easy Jet, après un vol d’une heure environ.

Un taxi navette nous a déposées à la porte de l’hôtel. Les formalités d’arrivée remplies,  nous nous sommes installées dans une belle chambre avec vue sur l’océan, avec des chaises longues et une immense terrasse. La première de nos missions a été de nous remplir d’urgence la panse avec des crêpes, accompagnées de cidre, comme il se doit. Après quoi nous avons marché jusqu’au petit village de Pornic, en empruntant la route des douaniers qui longe l’océan. Les restaurants se succèdent au bord de l’eau, des crêperies, bien évidemment, mais aussi beaucoup de poisson : sardines grillées, moules, noix de Saint-Jacques, fruits de mer… L’embarras du choix, en quelque sorte. 




L’acclimatation ainsi faite, nous voilà prêtes à affronter notre première demi-journée de soins. Tout d’abord, la douche à affusions : des pommes de douches vous arrosent assez fermement d’eau de mer, alors que vous êtes couchée sur le ventre. Au bout de cinq minutes, on vient vous dire de vous retourner, comme une crêpe, c’est de circonstance. Vient ensuite la massothermie : un lit sous lequel roulent et tournent des billes chaudes, qui vous massent de la tête aux pieds.. Ce soin-là ne m’a qu’à moitié convaincue, car les boules étaient dures et c’était par moments carrément un peu douloureux. Sans doute ne suis-je pas assez grasse. Ensuite, une demi-heure d’aquagym, c’est toujours très amusant. Puis le délice ultime, le bain aux algues : une baignoire-jacuzzi dans laquelle on vous oublie pendant 17 minutes.

Au programme le lendemain : l’argile des Moutiers, un emplâtre très chaud sur le dos et les épaules. On vous enveloppe tel un rôti dans du papier cellophane, le temps que ça agisse. Ensuite, une demi-heure de stretching dans le bassin, avec une monitrice qui a sans doute l’habitude de travailler en milieu hospitalier. Puis le bain aux huiles essentielles, à nouveau la baignoire-jacuzzi dans laquelle le temps s’arrête pendant 17 délicieuses minutes. Et pour terminer, le jet pression, la thalasso comme je me l’imaginais: vous vous tenez contre le mur pendant qu’on vous fusille avec un jet d’eau très puissant, par devant et par derrière.  Si après un tel traitement, vous êtes encore tendu et stressé, c’est qu’on ne peut vraiment rien pour vous !

le jet pression
L’hôtel Alliance est vraiment très agréable et bien conçu. Le personnel est compétent et aimable, sans être obséquieux. En effet, bien que la thalassothérapie soit tout de même quelque chose de plutôt luxueux et du domaine du superflu, l’ambiance n’était ni mondaine ni snob. Tout le monde est là pour être bien et pour être heureux. La clientèle était essentiellement française. Vous pouvez choisir de manger un menu bio dans l’un des deux restaurants de l’hôtel. Le petit-déjeuner était toutefois le seul point noir, le seul élément stressant dans cet oasis de bonheur. La salle était conçue de sorte à créer un embouteillage devant le buffet, entre les clients qui arrivent, ceux qui se servent et le personnel qui passe dans tous les sens, soit pour placer les convives, soit pour débarrasser les tables. En arrivant, on doit s’annoncer, signer une feuille et on ne peut pas choisir sa table. Et les chanceux qui ont obtenu une place à la fenêtre n’en profitent souvent pas : ils lisent le journal ou tournent simplement le dos à la mer. Quel gâchis !

L'hôtel Alliance à Pornic
La piscine, ou plutôt le bassin avec des buses massantes, était aussi un peu décevante. Non seulement, ils arrêtaient les bouillonnements dès qu’il y avait un cours d’aquagym – c’est-à-dire quasiment tout le temps – mais les buses n’étaient pas très nombreuse ni très intéressantes. A Mondorf-les-Bains par exemple (Luxembourg), il y a un véritable parcours de massage, qui commence par la nuque, puis les épaules, le dos, etc… Il est également possible d’aller dehors, même en hiver, tout en restant dans l’eau chaude, comme c’est le cas aussi à Loèche-les-Bains ou encore aux bains de Lavey.


Méditation créative

Les soins de base proposés dans notre offre nous ont amplement suffi, mais on aurait pu s’offrir bien d’autres massages, conventionnels ou ayurvédiques, modelages, soins du visage, réflexologie, réequilibrage des énergies ou ambiances planantes en sus. Comme par exemple le Sovitsu, une relaxation progressive, qui développe l’expérience corporelle du ici-et-maintenant, enrichissant ainsi la perception du schéma corporel et la prise de conscience des sensations. Pourquoi ne pas se laisser tenter par un matin slave : bain aux essences de tourbe, extraits de fucus, prêle et noisette dans une baignoire furo fait d’essence de pin japonais. Il est possible aussi de loger dans la bourgade de Pornic et de venir à l’hôtel pour la journée ou pour des soins ponctuels. L’hôtel met des peignoirs à la disposition de ses hôtes en échange d’une caution et les mules de bain sont obligatoires. Des sandales de plage sont aussi recommandées si on y va à une saison qui permet la trempette dans l’océan.

Nous sommes revenues requinquées, de corps et d’esprit, les poumons rincés à l’air marin et la peau revitaminée par le soleil. Nous avons découvert le kir breton (liqueur + cidre) et le curé nantais (fromage) sur toast, ainsi qu’une conserverie très frustrante, car quand on voyage en avion, on peut difficilement emporter 15 boîtes et pots de maquereau à la moutarde, de sardines millésimées marinées au muscadet ou de tourteau à tartiner, surtout si on n’a qu’un bagage à main. Bref, rien que du bonheur, une expérience à recommencer sans modération.



lundi 27 février 2012

Mâcher du coton

Notre époque multiplie les conférences internationales. Les participants s’y expriment en plusieurs langues et pourtant se comprennent à l’instant même. Que sont, qui sont les êtres relégués dans l’ombre grâce auxquels la communication se réalise ? En quoi consiste leur travail singulier, à première vue impossible ? Pourquoi l’interprète n’est-il pas le frère du traducteur ? Si on plonge au tréfonds de son âme,que ramène-t-on à la surface ?
Voilà les mots qui figurent en exergue d’un drôle de livre, paru en 1971, écrit par John Coleman-Holmes, interprète de conférence. L’ouvrage a dû faire l’effet d’un pavé dans la mare à l’époque, car si l’auteur y décrit les joies, horreurs et visages d’un métier jeune, il y brocarde aussi ses contemporains, ses collègues de l’époque. Parmi les interprètes de moins de 55 ans, quasiment personne ne connaît ce livre. En revanche, les vieux de la vieille l’ont lu ou en ont entendu parler et peu en disent du bien. L’auteur n’était sans doute déjà pas très populaire et le fait qu’il étende le linge sale en public n’a sans doute pas arrangé les choses. Les victimes de ses railleries – maquillées derrière des pseudonymes parfaitement transparents pour quiconque les connaissait – lui vouent certainement encore aujourd’hui une haine aussi féroce qu’inextinguible. En ayant trouvé un exemplaire à la bibliothèque de l’Ecole de traduction et d’interprétation à l’époque de mes études, je l’avais trouvé plutôt amusant. L’ayant relu vingt ans plus tard, j’ai été absolument fascinée de constater à quel point rien n’avait changé en quarante ans. Je ne m’attarderai pas sur les piques taquines, ironiques, voire méchantes qui émaillent le texte, car ne connaissant pas les personnes visées, je n’en perçois pas vraiment la portée. Ce qui est cocasse, en revanche, c’est de reconnaître les situations quotidiennes propres à notre profession, qui a bien sûr énormément changé et évolué – et pas forcément dans le bon sens – depuis le procès de Nuremberg. Pour l’auteur, l’invention de l’interprétation simultanée équivaut à une malédiction qui nous a relégués au fond des salles, dans des bocaux vitrés où nous devenons invisibles. En effet, si les délégués étaient conscients de notre présence et du travail que nous faisons, ils auraient sans doute quelques scrupules à nous arroser de leurs flots de paroles.


C’est ainsi que Coleman-Holmes écrit que l’interprète se voit bousculé et empêché d’accomplir ce pourquoi on le paie. ll m’ôte les mots de la bouche ! C’est exactement ce que je pense chaque fois qu’un délégué lit trop vite et sur un ton monotone un texte que nous ne recevons pas (accent incompréhensible en option). Il constate aussi que les victimes que nous sommes n’osent pas élever la voix pour que cesse cette incongruité, ce scandale d’illogisme : entraver la chose dont on a besoin qu’elle marche. Il ajoute que si c’est là la situation qui existe aujourd’hui (à son époque), elle existera sans doute encore demain – c’est-à-dire : aujourd’hui. Ma parole, il a dû voir ça dans une boule de cristal ! Depuis que la simultanée a fait disparaître les interprètes, l’orateur fait cavalier seul. Il parle aussi vite que le cœur lui en dit, lit un texte qu’il découvre en même temps que nous, saute des pages sans prévenir (dans l’hypothèse où il aurait donné son texte, non traduit, cela va sans dire), marmonne en se détournant du micro, cite à fond de train un chapelet de chiffres, tourne les pages de son document en frôlant le micro, couvrant ainsi ses propos et nous empêchant d’entendre le doux nectar de son discours. Le délégué n’en n’a cure. Et dans la salle flottera l’impression que les interprètes n’ont pas été à la hauteur. Quant à nous, nous essayons de nous blinder et de nous consoler en nous disant qu’à l’impossible nul n’est tenu. A nous de trouver des exutoires pour pouvoir continuer à nous regarder dans la glace. Cette sourde douleur, cette pénible frustration finit par créer une certaine complicité entre interprètes, car nous partageons tous cette chutzpah qui nous permet de continuer à faire notre travail la tête haute.

 L’auteur nous décrit comme des chiens savants assis dans des bocaux de verre, qui font de la tachytraduction, en abordant des sujets aussi divers que la monnaie scripturaire (sic) dans les Etats africains, le chlore, les femmes-policiers, les accélérateurs linéaires de particules, le bois, les oligo-éléments, les feux et balises de pistes d’atterrissage, le vol à voile, le lait, la neuropsychologie industrielle. J’ajouterais encore à cela les objectifs du millénaire pour le développement, le Règlement (CE) nº 647/2004, le réchauffement climatique, l’accès au marché des produits non-agricoles, la dette grecque, Fukushima, les MGF 1), les transports routiers, les pirates somaliens et j’en passe et des meilleures….
Il est dommage que les gens qui connaissent ce livre n’en n’aient retenu que le côté médisant. «Personnellement, j'avais trouvé ce livre assez indigeste; je crois même que je ne l'avais pas lu jusqu'au bout» … ou encore «Je me souviens seulement que je n'avais pas du tout aimé le livre, qui relevait plus de la fiction que de la réalité, me semble-t-il» : voilà quelques unes des réactions que j’ai obtenues de la part de l’ancienne génération, qui se réjouit certainement que ce témoignage ait atterri aux oubliettes. Il s’en vend encore quelques exemplaires, sous le manteau, comme un secret bien gardé. Puis un beau jour, plus personne ne s’en souviendra.

Le moment est sans doute venu de lui donner une suite, une mise à jour, une version Rev 1, un update qui décrirait nos chers délégués qui lisent directement l’écran de leur ordinateur, voire de leur smartphone ou encore les interventions via Skype, les changements d’affectations de dernière minute qu’il nous faut découvrir sur l’intranet de notre employeur du moment, la difficulté d’accéder à un réseau WiFi alors qu’on attend de nous que nous connaissions le nom du président du Turkménistan… A quelques détails près, rien de bien nouveau sous le soleil.



Mâcher du Coton, de John Coleman-Holmes, paru en 1971 aux éditions Entre-Temps (épuisé, sauf sous le manteau)

En italiques, les citations et emprunts à l’auteur


1) Mutilations génitales féminines
Paru dans le blog du site de l'aiic

lundi 23 janvier 2012

De l’enfer au paradis


On n’est jamais si bien que chez soi, comme je le disais déjà dans un de mes précédents textes. Mais si l’envie nous prend de voyager, on est bien obligé de loger à l’hôtel, à l’auberge, en chambre d’hôtes ou en Bed & Breakfast. Il n’est pas toujours facile de trouver l’endroit idéal, près de la gare ou près du centre, le petit hôtel original et sympathique ou la chaîne internationale et anonyme. Les guides de voyage offrent des suggestions et tripadvisor.com permet d’éclairer quelque peu notre lanterne, mais ce n’est pas toujours suffisant pour trouver chaussure à son pied.

Ainsi, lors de mon récent voyage à Naples, j’avais choisi l’hôtel - appelons-le: The Business Hotel, recommandé par le guide de voyage Hachette (Un grand week-end à Naples) et ne recevant que des avis dithyrambiques sur tripadvisor. Trois étoiles et 86€ la nuit, je me suis dit que ça devait être correct et confortable. Mon désenchantement a été inversement proportionnel à mes attentes. La porte de l’hôtel était certes constellée de macarons Michelin, Petit Futé et autres, mais j’ai eu de la peine à lui trouver la moindre qualité. J’y étais si malheureuse que j’ai décidé de déménager dès le premier jour.

Tout ça pour un téléphone qui ne fonctionne pas!

Tout d’abord, l’accueil à la réception a été exécuté rapidement, sans chichis, du genre: voici votre clé et votre télécommande, au revoir. La chambre était petite et sombre, mais avec double vitrage, du côté petite rue et non pas du côté grand boulevard. Toutefois, l’ennui avec les villes du sud, c’est qu’elles ne connaissent pas le chauffage, car pour quelques mois dans l’année, ça n’en vaut pas la peine. Ma chambre, constamment du côté de l’ombre, était aussi froide qu’une cave. Pour ne rien arranger, la fenêtre de la salle de bain n’était pas isolante du tout et laissait passer un joli petit filet d’air froid. La température en journée était de 14°, mais descendait à 6° la nuit. Il ne pouvait pas faire beaucoup plus chaud dans ma chambre qu’à l’extérieur. Il y avait bien une climatisation bruyante, mais qui ne soufflait que de l’air froid. Voilà qui est suffisant pour vous déprimer complètement et pour gâcher votre séjour. La télévision n’offrait que des chaînes italiennes. La WiFi n’était gratuite que dans le lobby, avec la porte ouverte en permanence sur le froid et plein de gens bruyants. Le petit-déjeuner était servi par une porte de prison, qui posait la boisson chaude sur le comptoir en gueulant «Cappuccino!», au client de venir le chercher.

Tout ça pour 86€ la nuit, alors que ça n’en valait que 50 maximum, hors saison et sans chauffage. J’avais si froid la nuit que je dormais toute habillée. Ça ne correspondait vraiment pas à ce que je croyais trouver, raison pour laquelle j’ai décidé de déménager au Mercure 2), dans la rue d’à-côté. Lorsque j’ai quitté l’hôtel, le réceptionniste m’a demandé, plutôt sèchement: «Pourquoi partez-vous?» J’avais envie de lui répondre: «Parce que votre hôtel est merdique» mais j’ai simplement dit que j’avais d’autres projets, ce qui était parfaitement vrai.


L’hôtel Mercure ★★★★ coûtait le même prix et c’était un vrai bonheur: une chambre moderne et propre, silencieuse, chaude, avec une belle salle de bains, une bouilloire, autre chose que des chaînes italiennes à la télé et l’internet gratuit et qui fonctionne dans la chambre; un magnifique buffet de petit-déjeuner, dans une grande pièce claire, il y aurait même une terrasse, si nous étions en été. Le genre de chambre dans laquelle on pourrait envisager de passer la journée s’il pleuvait des cordes. Le genre d’hôtel dans lequel on aurait envie de revenir, alors que l’autre, je n’avais qu’une seule envie, c’était d’en fuir.
Breakfast with a view!

Reste le mystère de tripadvisor: qui sont ces gens qui ont trouvé The Business Hotel merveilleux et sympathique? Ils y ont sûrement séjourné en été. Ou alors, ce sont des amis des patrons, qui remplissent le site de leurs avis enchantés. Un autre client qui était tout aussi malheureux que moi a aussi déménagé au Mercure. Il m’a dit que le patron du Business l’avait encouragé à écrire un avis sur son hôtel, il semblait en avoir besoin. Reste à voir si le client déménageur écrira un avis poli ou sincère....

Ce qui est incompréhensible, c’est que deux hôtels, qui sont comme le jour et la nuit, sont offerts au même prix. En Italie du sud, les autorités responsables du tourisme ont sans doute d’autres chats à fouetter que de vérifier les prix demandés et le classement par étoiles. Et puis, pour avoir trois étoiles, il suffit sans doute d’avoir une télé (avec un maigre choix de chaînes), un coffre-fort (ridicule, plus petit qu’une boîte à chaussures, avec une drôle de clé qu’on doit sûrement demander à la réception et qui sera certainement aussi payante), un téléphone (qui ne fonctionne pas), un mini-bar (vide, sauf une bouteille d’eau plate) et un chauffage fictif. Au Mercure, le coffre était assez grand pour que j’y mette mon petit Mac. Et la bouilloire, c’est hyper trop cool! Je n’ai pas pour habitude de loger dans des chaînes quand je suis en vacances, mais après tout, pourquoi pas: on sait au moins à quoi s’attendre et si on est mal accueilli, il y a toujours moyen de se plaindre à la direction centrale.

Struffoli, spécialité napolitaine du nouvel an, servie au petit-déjeuner

Quant au nombre de fois où on m’a dit: «ah! toi qui viens du nord, tu supportes bien le froid!», les gens n’y comprennent vraiment rien. C’est dans les pays du sud qu’on vit toutes portes et fenêtre ouvertes en décembre et en janvier, ce n’est qu’un mauvais moment à passer...
* * * * *
Voir aussi: Voir Naples et mourir

mardi 17 janvier 2012

Dans les coulisses de Roméo et Juliette

Un cheminement lyrique qui se déroule depuis neuf mois vient d’aboutir et de s’achever : l’apprentissage, la préparation, les répétitions et les cinq représentations de l’opéra über-romantique de Charles Gounod, Roméo et Juliette, au théâtre de l’Alhambra de Genève. Le moment est maintenant venu de vivre un deuil, non plus celui des amants de Vérone, non pas la fin des haines séculaires, qui virent naître leurs amours…. mais la fin de notre deuxième vie, celle de la scène, celle de l’émotion, celle de la musique et de l’amitié qui nous ont accompagnés et liés pendant tous ces mois. Ce sera aussi la fin d’une barbe de circonstance que les hommes se sont laissé pousser, afin de mieux incarner leur personnage.


José Pazos
Cette œuvre, je la connais maintenant par cœur, l’ayant entendue environ 1.528 fois, dans l’ordre et dans le désordre, avec ou sans solistes, avec piano, avec orchestre et, ces derniers jours, des coulisses. Loin de m’en lasser, je l’apprécie de plus en plus, car je ne cesse d’en découvrir de nouvelles facettes. La musique de Gounod pénètre directement dans mon cœur, mon corps et mon cerveau précisément parce que je la connais maintenant si bien.

Ce qui est frustrant, c’est que nous avons passé tous ces mois à mettre au point cette représentation pour que le public soit ravi et comblé et nous voilà condamnés à ne pas voir le produit fini, car nous devons rester dans les coulisses, nous taire et nous tenir tranquilles. Les répétitions nous ont toutefois permis de voir ce qui se passe sur scène, ainsi, lorsque j’entends la harpe jouer une série de notes ascendantes, je vois - glouglouglouglou - Roméo boire le poison qui lui sera fatal. Quelques petits espaces permettent aussi d’espionner l’action, mais les places y sont rares.

Ce spectacle sera un des derniers avant la rénovation de l’Alhambra, théâtre oh ! combien charmant mais terriblement vétuste. Etant donné que la salle était conçue pour être un cinéma, elle n’a pas de véritables coulisses, ni de loges ; aucune isolation phonique à l’arrière-scène, aucune isolation thermique non plus et pas de moniteurs permettant de suivre ce que voient les spectateurs. Lorsque les choristes n’interviennent pas, ils se tiennent cois, enveloppés dans des châles, des écharpes et des laines polaires et font de leur mieux pour résister à la tentation de bavarder avec leurs camarades. A noter que les enfants étaient souvent plus disciplinés que les adultes!


En coulisses, nous vivons le revers du spectacle : nous voyons arriver un Roméo prosaïque, qui empoigne une bouteille d’eau, alors qu’un instant auparavant, il soupirait encore d’amour ; nous voyons revivre Tybalt et Mercutio, pourtant tous deux morts dans un combat à l’épée ; en coulisses, les hommes chantent Mystérieux et sombre, Roméo ne nous entend pas ! et nous, les femmes, chantonnons avec eux, sotto voce ; les uns et les autres font aussi du play-back avec les solistes, c’est une occasion rare, il faut la saisir ! Les porteurs de lunettes remettent leurs bésicles dès qu’ils sortent de scène. Chacun a un rôle à jouer, en sus de notre personnage de citoyen de Vérone, qu’il s’agisse de déplacer des éléments scéniques, de recoudre des boutons, de cuisiner des quiches et des gâteaux pour l’entracte, de construire ou de démonter le décor, de faire des relations publiques, de recoller des bottes, de s’occuper de la billetterie ou du programme. Chacun a la possibilité de mettre la main à la pâte et d’apporter sa pierre à l’édifice. Et le résultat est tout simplement magnifique !


Un déluge de compliments nous parvient jour après jour et notre bonheur à jouer cette pièce s’en trouve chaque fois décuplé. Il y a de nombreux néophytes et béotiens parmi le public, des gens qui viennent voir leurs amis ou leurs parents sur scène et qui découvrent que l’opéra, ce ne sont pas forcément des walkyries statiques qui poussent des cris aigus pendant des heures, mais que c’est au contraire l’émotion à l’état pur : la haine, l’amour, la mort, le chagrin, la réconciliation et bien d’autres choses encore. Certaines personnes ont trouvé le prologue si oppressant qu’elles n’étaient pas certaines de pouvoir rester jusqu’au bout, d’autres ont pleuré, d’autres encore sont revenues plusieurs fois. Quelle chance nous avons de pouvoir assister à toutes les cinq représentations ! Et quelle tristesse maintenant que tout ceci est derrière nous ! Espérons que nous pourrons renouveler cette expérience.

Je compare souvent ma profession à celle de chanteur lyrique: les compétences requises s’acquièrent généralement dès l’enfance ou l’adolescence. Comme eux, nous sommes payés au contrat ou au cachet et avons des engagements irréguliers et sporadiques, dont la fréquence dépend non seulement de nos compétences, mais aussi de notre renommée. Nous travaillons avec notre voix et redoutons les bronchites et les extinctions de voix, car si nous ne pouvons pas travailler, nous ne sommes pas payés non plus. Les deux professions sont auréolées d’un certain prestige, alors qu’elles sont des plus précaires. Nous travaillons souvent hors de notre domicile, ce qui implique des valises et des nuitées d’hôtel et nous avons par conséquent des vies de couple parfois difficiles et les amitiés se perdent.

On pourrait aussi comparer les tessitures aux cabines: toute œuvre aura une soprano et un ténor (la cabine anglaise et la cabine française), souvent une basse (la cabine espagnole et/ou allemande), parfois une alto (la cabine russe) et, plus rarement un contre-ténor (la cabine japonaise ou turque), à la différence que nous travaillons toujours à deux et que les sons que nous produisons sont bien moins harmonieux. Il semblerait que les musiciens d’orchestre aient le même type de conditions de travail que nous, c’est-à-dire 2 x 3 heures de travail maximum par jour, mais eux, ils arrivent à faire respecter cette limite. Je peux bien m’imaginer que leur travail demande le même genre de concentration intense que le nôtre.

L’opéra est un art très complet, car il ne suffit pas d’avoir des qualités vocales, mais il faut aussi savoir transmettre l’émotion et être capable de se rattraper si une réplique manque ou si un poignard vient à tomber au mauvais moment. Savoir l’allemand, l’italien ou le russe, savoir danser ou encore manier l’épée seront bien sûr des atouts!




Distribution :  José Pazos (Roméo), Sacha Michon (Capulet), Sébastien Eyssette (Tybalt), Davide Autieri (Mercutio), Nathanaël Tavernier (Frère Laurent), Etienne Hesperger (Gregorio), Larissa Rosanoff (Stephano), Marcos Garcia Gutiérrez (le Duc), Jean-Claude Cariage (Pâris). Direction d’orchestre: Nicolas Le Roy



vendredi 6 janvier 2012

Voir Naples et mourir


Naples n’est pas une belle ville. Elle l’a certainement été, au vu des nombreux monuments et châteaux forts qui gardent le port, mais visiblement, les Napolitains s’en fichent et laissent leur ville se délabrer lentement. Mais quand on n’est pas beau, on trouve d’autres moyens de se faire aimer et de se rendre sympathique. Ainsi, Naples se révèle être une ville très attachante pour quiconque se donne la peine de gratter un peu au-delà de la première impression. Il ne faut pas s’attendre à y trouver l’équivalent de Venise, de Rome ou de Florence, c’est tout.



C’est aussi une ville délaissée par le tourisme de masse. Le quartier espagnol, avec son cadrillage de petites rues étroites, n’est pas sans rappeler La Valette. Peu de commerces, si ce n’est quelques épiceries, quasiment aucun bar ou bistrot, mais des Vespa en veux tu, en voilà et du linge suspendu à toutes les fenêtres. Le jour où le tourisme frappera Naples, ce quartier sera envahi par des boutiques vendant des t-shirts et des cartes postales et il aura aussi son lot de caricaturistes et de musiciens de rue. La Via Toledo marque la frontière entre ce quartier populaire et le quartier monumental : le Palais Royal, la Galerie Umberto I, le Théâtre San Carlo, la Piazza del Plebiscito et son célèbre café Gambrinus.


C’est une rue commerçante, mais avec de petits magasins locaux et quelques enseignes d’un temps révolu. Ni H&M, ni Swarovski en vue, pas le moindre Starbucks. Un peu plus loin, la Via Tribunale et sa parallèle, Spaccanapoli, sont en voie de devenir des rues touristiques. La via San Gregorio d’Armeno, du moins en ce mois de décembre, propose tout ce qu’il faut pour créer sa crèche de Noël. Il y a trois funiculaires à Naples, qui vous permettent de monter sur ses collines et admirer le panorama : la ville apparaît alors comme un invraisemblable fourmillement d’immeubles et de rues, avec le Vésuve en toile de fond. Le quartier de Chiaia – via Chiaia, via Filangeri – offre une atmosphère toute différente, cossue, tranquille, bourgeoise.


La majorité des voyageurs préfèrent sans doute se tourner vers les environs de Naples, a priori plus intéressants. Le Molo Beverello est le point de départ des ferries vers Capri, Ischia ou Procida, mais la billetterie est organisée comme au Maroc : un guichet par compagnie, à vous de voir laquelle propose le prochain départ. Tous les guichets n’acceptent pas les cartes de crédit. La traversée dure entre 45 minutes et une heure. A nouveau, Ischia m’a fait penser à Malte, avec ses constructions des années -60 qui paraissaient un peu décaties et construites de façon anarchique. La lumière du mois de décembre accentuait bien sûr cette impression. Capri est bien plus chic, l’été, ça doit ressembler à Saint-Tropez, à en juger par les boutiques du downtown, Moschino, Ferragamo et consorts.

Si on quitte cette rue du shopping, au bout de 30 minutes de marche environ, on pourra admirer les Faraglioni, trois rochers qui s’élèvent de la mer, puis, un peu plus loin, la villa Malaparte, qui ressemble à un navire rouge échoué sur un écueil (elle ne se visite pas). L’autre moitié de l’île, Anacapri, semble un peu plus modeste. La villa San Michele 1), ayant appartenue à Axel Munthe, médecin et philantrope suédois, vaut le détour, pour son panorama, ses jardins et ses œuvres archéologiques.

Dans la direction opposée et au départ de la gare, avec le train de banlieue Circumvesuviano, on peut visiter Herculanum (Ercolano) et Pompeï, qui valent bien évidemment le détour. Le premier site peut se visiter en une heure ou deux, alors que pour tout voir dans le deuxième, il faudrait une journée tout entière. Les objets, fresques et mosaïques d’Herculanum et de Pompeï sont exposés au Musée national d’archéologie, en ville de Naples.


On peut également monter sur le Vésuve au départ d’Ercolano, mais les jours fériés et la météo nous en ont empêchés. Nous nous sommes consolés en allant visiter Solfatara 2), un drôle de site volcanique à Pozzuoli (champs phlégréens). Ça sentait le soufre avant même que nous n’y soyions arrivés. On a l’impression d’avoir atterri sur la lune, le sol est gris et nu et des fumerolles de soufre s’échappent des entrailles de la terre. En deux ou trois endroits, on voit carrément de petits cratères qui crachent de la fumée en faisant un bruit de chaudière. Etrangement, il y a un camping contigu au site. La petite bourgade de Pozzuoli est charmante et certainement très agréable au printemps, avec ses restaurants de bord de mer. S’y trouve également un colisée, le troisième le plus vaste d’Italie, mais que nous n’avons pas réussi à visiter.

Avant notre départ, tout le monde nous a averti contre les voleurs, les pick-pockets et l’insécurité omniprésente dans cette ville gangrénée par la Camorra. Sans doute est-ce plus tranquille en hiver, mais je me suis sentie parfaitement en sécurité. L’ambiance générale est certes plutôt pauvre, il y a de nombreux marchands de rue, qui n’ont parfois même pas d’étalage, mais qui proposent des chaussettes, debout dans la rue. Et dès qu’il se met à pleuvoir, des vendeurs de parapluie apparaissent comme par enchantement. Lorsque nous demandions notre chemin, les gens ont toujours été adorables et très serviables. Et la seule fois où nous avons pris un taxi, le chauffeur a mis le compteur et n’a fait aucun détour inutile. Comme quoi, certains préjugés méritent d’être corrigés. Naples n’est probablament pas pire que Paris ou Genève 3). Par contre, nous avons très mal mangé : la pizza a beau être napolitaine, je préfère de loin celles qu’on trouve chez nous, idem pour les pâtes. Toute la semaine, nous avons survécu avec de la gastronomie d’aire d’autoroute ou de station de ski. La clientèle manque sans doute pour tenir de véritables trattorias.

Nous avons vu énormément de choses en une semaine, mais le temps nous a manqué pour tout voir. Il y aurait encore eu des balades à faire à Ischia et à Capri ; nous n’avons pas vu la troisième île, Procida ; nous avons raté la montée au Vésuve et le Colisée de Pozzuoli ; nous n’avons pas vu Sorrento ni la côte amalfitaine ; nous n’avons pas pu visiter le Castel Nuovo ou Maschio Angioino, ni le Castel dell’Uovo pour des raisons d’horaire. J’ai bu du caffè alla nocciola – délicieux ! - à deux reprises, mais pas au Gambrinus. Autrement dit, une nouvelle visite s’impose !

lundi 26 décembre 2011

Le quartier où le temps s'est arrêté

On croit souvent bien connaître sa ville. Et pourtant, il suffit de prendre le temps de flâner tranquillement dans ses rues, à pied et en ouvrant les yeux pour découvrir de drôles de choses. Ainsi le quartier de Saint-Gervais, plus précisément les rues Vallin et des Corps-Saints, qui vous font entrer dans une sorte de quatrième dimension, hors du temps, hors du progrès, loin du bruit et de la fureur de la grande métropole que Genève est en train de devenir. Ici, vous ne trouverez ni cybercafés ni vidéo-clubs – déjà has been, une étape que ce quartier à sautée – vous ne trouverez pas non plus de salon de piercings-tatouages ou de kebab. Si vous voulez faire un voyage dans le passé et retrouver une ambiance sixties, ôsez donc prendre un de ces ruelles que les citadins ignorent et ouvrez tout grand vos mirettes.



Vous y trouverez bien sûr une brocante, mais ce qui est bien plus étonnant, en plein cœur d’une des villes les plus chères au monde, vous pourrez y acheter un râteau, des pièges à rats et des graines chez Dufournet, A la Bonne Graine 1). Juste en face, se trouve l’hôtel Saint-Gervais 2),
un hôtel – oui, une étoile, ça existe en plein centre ville – dans lequel trois chambres se partagent une salle de bain sur le palier à chaque étage. Il est classé 66/110 par les voyageurs qui contribuent à Tripadvisor 3), qui reconnaissent que s’il est fort modeste, il offre un excellent rapport qualité-prix dans une ville qui ne connaît pas l’hôtellerie low cost.


Toujours dans la même rue, une boucherie – espèce en voie de disparition, non pas parce que les gens deviendraient végétariens, mais parce qu’ils préfèrent les grandes surfaces – un cordonnier et, paradoxe ultime : un détaillant en machines à écrire ! Si votre iPad vous déçoit et que vous en avez plus que marre des e-mails, voici votre salut. Idem si vous avez rangé votre vieille Remington, faute de ruban encreur, la maison Thiéry est là pour vous.

Ils pourront aussi vous fournir une caisse enregistreuse, de celles qui fonctionnent sans code à barres. Ensuite, deux salons de coiffure, l’un pour messieurs, où il y a en permanence une demi-douzaine de jeunes hommes qui attendent leur coupe, ce qui signifie soit que le patron est vraiment très sympa ou que ses prix défient toute concurrence ; juste à côté, un salon pour dames avec des casques séchoir pour votre mise en plis à bigoudis. Une imprimerie et un luthier viennent encore compléter cet inventaire nostalgique. Il ne manque plus que le marchand de polaroïds ou de radio-cassettes.


Au coin de la rue des Corps-Saints et de la rue Vallin, on trouve ce magasin extraordinaire

qu’est Lyzamir 4) : une épicerie orientale et mondialiste, où vous pourrez acheter du riz ou des pois chiches en vrac, du manioc frais, un narguilé, du sumac ou du curcuma, de l’eau de rose, de la mélisse, du sirop de dattes, du café à la cardamome et bien d’autres choses encore.Une autre épicerie orientale clôt la rue à son autre extrêmité, à l’angle avec Coutance.
En descendant la rue Vallin, vous rencontrerez un deuxième cordonnier, c’est à se demander comment les deux échoppes du quartier parviennent à résister à Mister Minit. Enfin, un

mini-lavomatic vous permettra de laver votre linge sale pour 5,-




Côté amont de ce lieu où persiste une vie d’une autre époque, se trouve le temple de Saint-Gervais, l’un des premiers lieux de culte de Genève, une église funéraire ayant été bâtie en cet endroit au Vème siècle déjà.

Sa crypte est l’un des plus vieux monuments chrétiens intégralement conservés en Suisse. Le temple s’appelle désormais l’Espace Saint-Gervais 5), car en plus d’être un lieu de recueillement, il accueille diverses activités culturelles et musicales.

Côté aval, le réveil est brutal, avec l’hôtel Mandarin Oriental, qui nous ramène dans l’univers bling-bling du fric conquérant, l’autre facette de notre bonne ville, faite de mille contrastes, composée d’une centaine de nationalités ou plus et connaissant des écarts entre riches et pauvres dignes de certains pays du tiers monde.

Les enseignes n’ayant pas changé ces vingt ou trente dernières années se comptent sur les doigts d’une main. Qui se rappelle le magasin de tissus Chez Joseph, a l’emplacement du McDonald’s de Rive ? Qui se rappelle les deux cinémas, le Dôme et le Rex, je crois, à l’emplacement de l’actuel Rex ou encore le temps où l’Alhambra était un cinéma ? Le Contis (actuel C&A) ? Le Radar et la Crémière, remplacés désormais par Benetton. Le Grand Passage, devenu Globus. C’était aussi l’époque où aucun immeuble n’avait de digicode. Autre temps, autre mœurs !

1) 5, rue des Corps-Saints, 1201 Genève. Commerce de gros de céréales, de semences et d'aliments pour le bétail, commerce de détail de fleurs et de plantes
2) 20, rue des Corps-Saints, 1201 Genève, www.stgervais-geneva.ch

vendredi 2 décembre 2011

Hauch der Hydra – Helga Murauer


Synopsis : Sara Fazzan, interprète de conférence (cabine allemande avec l’italien en langue B et d’autres langues dans sa combinaison, comme l'anglais et le français, en train d’apprendre le portugais), entend par hasard des bribes de conversation entre deux Italiens qui envisagent d’assassiner un homme politique devenu gênant. Elle se trouve impliquée, bien malgré elle, dans une course poursuite impitoyable et doit constamment chercher à échapper à ceux qui lui veulent décidément beaucoup de mal. Le roman nous emmène dans différents lieux et nous décrit l’incroyable pouvoir de la mafia, ainsi que la dure vie des témoins protégés.
Contrairement au roman de John le Carré dont il était question dans le premier article de cette série, la profession d’interprète de conférence est décrite ici dans sa réalité, étant donné que l’auteur appartient elle-même à ce corps de métier. Cette histoire pourrait arriver à n’importe qui, mais notre travail nous donne sans doute plus souvent qu’à d’autres l’occasion d’entendre des choses qui devraient rester privées.

L’héroïne est, malgré elle, témoin d’un échange entre deux personnages qui trament de noirs desseins. Ce n’est toutefois pas en cabine, en sa qualité d’interprète, qu’elle entend ces propos, mais dans la salle de repos. La conférence pour laquelle elle travaille, un congrès syndical, se tient vraisemblablement dans un hôtel, en tous cas dans un lieu où des cabines mobiles auront été montées à titre provisoire. La salle de repos des interprètes aura, elle aussi, été bricolée à l’aide de rideaux et de paravents, ce qui explique de façon parfaitement vraisemblable les circonstances qui font démarrer cette aventure décoiffante.

La cathédrale de Florence

Les interprètes étant des personnes extrêmement mobiles, ils n’ont pas de bureaux, mais des pièces qui leur sont réservées, avec quelques fauteuils, quelques téléphones, éventuellement un ou plusieurs ordinateurs, un tableau d’affichage. C’est le lieu où on trouve un peu de silence, où on peut déposer son manteau ou sa valise, où on donne rendez-vous à des collègues. Ce genre de coin tranquille n’est généralement pas prévu dans les hôtels ou autres sites improvisés où les conférences peuvent avoir lieu. C’est pourquoi, dans ce roman, cet espace n’est délimité que par de fines cloisons.

L’auteur décrit de façon tout à fait réaliste le déroulement d’une réunion. Les interprètes sont à deux dans une cabine et font chacune à leur tour une demi-heure. La deuxième réunion où travaille l’héroïne est toutefois différente : il s’agit cette fois-ci de chuchotage, mais le vrai, pas la version cinéma. Il n’y a qu’un participant germanophone qui ne comprend pas l’italien. L’interprète se place à ses côtés et chuchote simultanément en allemand ce qui se dit en italien dans la salle. Lorsque le germanophone – un commissaire européen – prend la parole en allemand, elle prend des notes pour restituer ensuite le message en italien, par après, c’est-à-dire en consécutive. Les participants qui comprennent l’allemand rient lorsque le commissaire fait des plaisanteries, en revanche, les italophones qui dépendent de l’interprète ne rient que lorsque celle-ci répétera le message, en italien. Contrairement à Bruno Salvador 1), qui fixe une bouteille de Perrier et parle sur un ton monotone, Sara Fazzan s’adresse à son public et parle avec une intonation animée. Elle ne rendrait pas service à son commissaire allemand si elle ne le faisait pas.


On croit souvent que la consécutive est plus facile. En effet, la simultanée paraît tout simplement magique et surhumaine, un tour d’acrobatie impossible pour le commun des mortels. En réalité, la plupart des interprètes chevronnés préfèrent de loin la simultanée. Non seulement elle nous permet de nous cacher dans nos cabines, qui sont en général placées loin, au fond de la salle, mais la durée de mémorisation du message à transposer est bien plus courte. N’oubliez pas que nous répétons les idées de quelqu’un d’autre et lorsqu’il s’agit du décret-loi N° 4561/02 sur le droit hypothécaire luxembourgeois ou encore des limites maximales de résidus de ractopamine, on préfère évacuer ça le plus vite possible. En consécutive, nous sommes sous les feux de la rampe, avec plusieurs dizaines de paires d’yeux braqués sur nous. Il faut savoir parler en public, ne pas être perturbé par le trac et être capable de relire les notes qu’on a prises à la hâte, parfois debout dans l’obscurité, alors que l’orateur raconte en quatrième vitesse l’histoire du château dans lequel se déroule le dîner de gala.

Contrairement aux conférences en simultanée, avec cabines et écouteurs, les prestations de chuchotage et/ou consécutive peuvent se faire seuls, ce qui est le cas ici. Après avoir terminé le travail proprement dit, Sara Fazzan est encore priée de servir de truchement, tard le soir, entre le commissaire et quelques journalistes. Lorsque les conférences se déroulent dans des lieux isolés – belles villas sur le lac de Côme, châteaux, croisières ou autre – les interprètes sont généralement plutôt farouches et préfèrent décliner les invitations au dîner ou au cocktail 2). En effet, nous savons d’expérience que nous finissons souvent par devoir interpréter entre des convives ou alors répondre aux sempiternelles questions : « Mais comment faites-vous ? Et vous parlez combien de langues ? »

Cabines mobiles
C’est à l’occasion de ce contrat d’un jour en chuchotage que les choses commencent à se corser pour notre héroïne. Elle n’a qu’une envie : prendre la poudre d’escampette ! Mais c’est impossible. En supposant qu’elle trouve le moyen matériel de s’en aller de ce lieu isolé, son absence serait immédiatement remarquée. En effet, même en simultanée, où on nous ignore royalement – l’interprétation étant réalisée par le petit bouton qui se trouve sur le pupitre des délégués – si les interprètes sont absents ou qu’il y a un problème technique avec la sono, la réunion ne peut tout simplement pas commencer.

Nous suivons ensuite la protagoniste dans une réunion à Bruxelles, probablement à la Commission européenne. Un Italien s’exprime (mal) en français, mais lorsqu’il repasse à l’italien, c’est Sara qui se charge de l’interpréter. Il arrive très souvent que les orateurs passent d’une langue à l’autre ; les interprètes doivent alors se relayer s’il s’agit d’une langue que l’un ou l’autre ne connaît pas. Lorsque l’orateur parle sa langue maternelle – ici : l’italien – il s’exprime bien mieux, plus clairement, son débit est facile à suivre et à comprendre, donc plus agréable à interpréter et le message peut être fidèlement transposé. C’est ce que nous ne cessons de demander, mais, pour une raison mystérieuse, les délégués préfèrent tous s’exprimer en globish 3) ou en BSE 4) (Badly Spoken English). Ils pensent que cela va plus vite et qu’ainsi, tout le monde les comprendra mieux. S’ils savaient…. Lorsque c’est ensuite au tour d’un orateur germanophone de prendre la parole, Sara parvient enfin à échanger quelques mots avec sa collègue, puisque la cabine allemande n’a alors rien à interpréter.

Ponte Vecchio, Firenze
Notre héroïne doit constamment fuir, se cacher et se méfier de tous. Mais quand elle travaille, elle est si concentrée qu’elle parvient, pendant quelques instants, à oublier les mafieux qui sont à ses trousses. Son métier est idéal, car il lui permet de changer constamment de lieu, en fonction de ses différents engagements. Tout le monde associe la vie d’interprète aux voyages. Ce n’est certainement pas faux mais, même si le travail proprement dit reste toujours le même, la fréquence des voyages et le type de destination dépendront énormément du domicile de l’interprète et de sa combinaison linguistique. En effet, si vous êtes basé à Genève ou à Bruxelles, qui concentrent un grand nombre de réunions, il se pourrait bien que vous ne voyagiez jamais, surtout si vous n’avez que des langues banales. En revanche, si vous habitez à Vienne ou à Londres, vous aurez souvent à vous déplacer, surtout si vous avez le russe ou le suédois. Les collègues qui sont domiciliés en Afrique ou en Asie font couramment de très longs voyages et passent la majeure partie de leur vie ailleurs que chez eux.

Le roman commence dans la petite localité de Senigallia, en Italie, d’où nous partons pour Lisbonne, puis Bruxelles ; nous visiterons ensuite le lac de Côme, Florence, Paris, Salonique, Prague, Tenerife, Tuscania (Italie), Malte, Londres et pour finir : retour à la case Florence, domicile de l’héroïne. Le roman décrit la vie presque ordinaire d’une interprète de conférence. Ce qui m’a intriguée, c’est que Sara Fazzan ne semble pas être en possession d’un ordinateur portable ni d’un téléphone mobile, ce qui est parfaitement inconcevable de nos jours. L’autre chose invraisemblable, c’est la romance avec un commissaire européen, mais c’était sans doute nécessaire pour les besoins de l’intrigue. N’oublions pas qu’il s’agit d’une œuvre de fiction et toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite !

Hauch der Hydra, par Helga Murauer, Collection Bitter Böse, éditions ViaTerra
ISBN 978-3-941970-04-5
Le roman n'est pas encore traduit en français.

Texte paru dans la revue Hieronymus (www.astti.ch), décembre 2011
Texte paru dans Communicate (www.aiic.net) en avril 2013
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1) Le personnage du chant de la mission, de John le Carré
2) Dans le précédent article, j’écrivais qu’il n’y avait jamais de cocktails à la fin de la journée de travail. Cela peut bien sûr arriver, mais nous devons souvent y travailler (discours de bienvenue, etc.)
3) Global English
4) Egalement l’abréviation de Bovine Spongiform Encephalopathy

Voir aussi: Le Chant de la Mission de John le Carré et The Summer Before the Dark de Doris Lessing



Interview de l’auteur:

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’écrire ce roman? Ich habe wie viele Dolmetscher im Laufe meines Berufslebens gelegentlich kurze Gespräche, Bemerkungen etc. gehört, die unwissentlich bei offenem Mikrophon gemacht wurden und keineswegs einen öffentlichen Charakter hatten. Bei einer Plauderei mit Kolleginnen über diese Missgeschicke entstand die Idee, dies in einem Buch zusammen mit einigen wahren und vielen erfundenen Begebenheiten der italienischen Politik zu behandeln. Darüber hinaus wollte ich aber auch ein wenig über das Leben einer Konferenzdolmetscherin schreiben, die vorwiegend fern von ihrem Wohnort arbeitet - meine persönliche Erfahrung und natürlich auch die vieler Kolleginnen.

S’agit-il d’un premier roman? Qu’avez-vous écrit d’autre? Hauch der Hydra ist mein erster Roman. Ich habe außerdem einige Kurzkrimis in verschiedenen Anthologien und ein paar Essays und Reiseberichte in einer italienischen Zeitschrift veröffentlicht.

Dans quelle mesure est-ce autobiographique? Avez-vous entendu des choses que vous n’auriez pas dû entendre? L’héroïne a-t-elle la même combinaison linguistique que vous? Autobiografisch ist in meinem Text vor allem die Liebe zu den Sprachen, die Arbeit in der Kabine, die Reisen, die beschriebenen Orte, an denen ich auch gearbeitet habe. Wie Sara Fazzan lebte auch ich bis vor kurzem in Florenz, wohnte ebenfalls in der Altstadt und benutzte vor allem das Fahrrad als Transportmittel. Unsere Sprachkombination ist ebenfalls ähnlich, Portugiesisch habe ich aber nie gelernt. Sonst, glaube ich, ähneln wir uns nicht, außer natürlich das ganz unwillkürlich Persönliche, das beim Schaffen eines Charakters fast unvermeidlich mit einfließt.

Comment vos collègues ont-ils accueilli votre roman? Von meinen Kollegen habe ich viele sehr freundliche und positive Rückmeldungen bekommen, da sich wohl mehrere in Sara Fazzan wiedergefunden haben oder viele Parallelen zu ihrem Leben sahen.

Avez-vous d’autres projets littéraires? Zur Zeit arbeite ich an den letzten Kapiteln eines weiteren, ebenfalls politisch gefärbten Thrillers. Diesmal ist die Hauptfigur eine junge Geologin, die in Libyen in der Zeit von Gaddafis Machtergreifung für eine Erdölgesellschaft arbeitet. Es geht um Erdöl, Korruption, Wirtschaftsinteressen und wie Gaddafi seinen praktisch unblutigen Putsch vollbrachte, dazu kommt natürlich - wie könnte es anders sein - eine Liebesgeschichte, aber auch der Konflikt Israel/Palästina, der in den arabischen Ländern immer präsent war. Ich habe selbst sechs Jahre in Libyen gelebt und war auch zu jener Zeit in Tripolis.

Où peut-on se procurer votre roman? Hauch der Hydra kann bei www.amazon.de, direkt beim Verlag (www.viaterra-verlag.de) oder im Buchhandel bestellt werden.