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mercredi 12 octobre 2011

Le carnaval des animaux


Sur une pierre tombale chauffée par le soleil, un chat se prélassait comme seuls savent le faire ces bienheureuses bêtes. Ci-gît Aymeric de Lallumyère 1764-1801, Homme pieux, grand patriote, bienfaiteur aimé de tous. Ses autres prouesses ont été dévorées par la mousse et par le temps. En face de lui, une femme termine son pique-nique à la hâte. Déjà 13 :15, son patron l’attend, ainsi qu’une pile de dossiers à traiter. Un dernier rayon de soleil, un dernier coup d’œil au paisible matou et elle se met en route. A peine est-elle sortie du cimetière que le tumulte de la ville réduit à néant ces quelques instants de calme. Bus, tram, bruit et poussières, un vélo la frôle, coups de klaxon, elle attend sagement que le feu passe au vert. De l’autre côté de la rue, Charlène et Albert lui sourient d’un air princier. A ses côté, un jeune tatoué et piercé s’élance sur son skateboard. Attendre aux feux, c’est pour les vieux. Lui aussi est pressé, il a rendez-vous avec ses potes au skatepark. Il échappe de peu à un taxi qui l’envoie au diable, lui et tous ceux de son espèce. Le chauffeur doit arriver au plus vite à la gare, son client ne peut pas se permettre de rater son train.


Sur une butte aux confins de la ville, un paon fait la roue, des cochons laineux farfouillent dans la boue de leur museau pendant qu’un charmant bambin arrache les feuilles d’un buisson qui n’a pourtant rien fait pour mériter ça. Une armada de chiens s’ébat sur une vaste étendue herbeuse en courant vainement après des bâtons dont leurs maîtres semblent vouloir constamment se défaire. Des framboises poussent sans faire de bruit dans les jardins familiaux adjacents. Ah! quelle merveilleuse quiétude! Dire qu’en contrebas, les bus vrombissent, les motos pétaradent et les cyclistes font leur numéro de haute-voltige. Deux mondes parallèles qui ignorent tout l’un de l’autre.


Un samedi sur la Grande Plaine. Des éléphants piétinent, des lions paressent, des poneys tournent en rond. Une tribu nomade se protège du soleil à l’ombre d’un half-pipe sur lequel des adolescents dépensent leur trop-plein d’énergie. On voit de tout par ici, des flâneurs de tous âges et de toutes les couleurs, les uns sont là pour acheter, les autres pour musarder. On y trouve de vieux livres, des chapeaux, des olives et des amandes, des bijoux, des chaises et des tableaux. Une ambulance longe ce petit monde sur une tangente, deux droites destinées à ne jamais se rencontrer.


Pendant ce temps-là, les téléphones sonnent sans discontinuer dans l’étude Lambert & Lambert. Cela fait belle lurette que les télex ne crépitent plus, les courriels et les textos ayant pris le relais depuis bien longtemps. Deux partenaires de l’étude négocient âprement avec leur client via Skype, il n’y a pas une seconde à perdre. Dans un bureau adjacent, les secrétaires s’affairent à écrire des lettres ou à classer des documents très importants. Là non plus, il n’y a pas une minute à perdre. C’est alors qu’un pigeon vient se poser sur le rebord de la fenêtre et jette un regard incrédule et scandalisé dans la cuisine: la machine à café se morfond, personne ne semble avoir le temps ici de venir la faire chanter.


Deux étages plus bas, dans le sous-sol, Lady Gaga s’époumonne en criant Just Dance! Une vingtaine de femmes en tops et en leggings lèvent leurs gambettes en rythme pendant que leur prof de gym scande: «Huit ! Sept ! Six ! Allez, allez ! C’est bientôt fini !» La sueur coule, les calories fondent mais les esprits rêvent de filets de perches, avec des frites et de la sauce tartare, s’il vous plaît! Par la fenêtre, on voit défiler les pieds des passants, les roues des poussettes et les pattes des chiens.


En route pour l’Andalousie, Fritz la cigogne voit tout cela de très haut. Que de frénésie, que de hâte, de cupidité et d’ambition! Les citadins semblent vouloir aller toujours plus vite, toujours plus loin, travailler plus pour gagner plus, pour avoir une plus belle voiture, perdre quelques centimètres pour être encore plus belle et désirable, se dépêcher pour ne pas rater son train, son bus, son cours de yoga, arriver au supermarché avant qu’il ne ferme. Mais Fritz s’en moque. Il ira se poser, comme chaque année, sur une tourelle de la cathédrale de Salamanque et laissera derrière lui le vacarme des carrousels de la fête, le tumulte du défilé des travestis ainsi que la pétarade des feux d’artifice. Pour faire la fête, les humains ont besoin de faire du bruit, beaucoup de bruit.


Fièrement perché sur son nid, Fritz fera entendre son claquètement qui ira se mêler au son des castagnettes et du cante jondo. Autres lieux, autres sons, autres parfums et autres lumières. Et pourtant, c’est la même planète.


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Texte présenté au concours littéraire organisé par les bibliothèques de Carouge « La ville invisible : Au-delà des larges avenues, derrière les façades rénovées, il y a dans la ville des architectures faites des empreintes de ceux qui l’habitent, la traversent ou la modifient par leur présence. »

Les textes primés :

http://www.carouge.ch/jahia/webdav/site/carouge/shared/Bibliotheque/docs/Plaquette%20Ville%20invisible%20%28concours%20litteraire%29.pdf

samedi 8 octobre 2011

Dachau


Par deux fois, j’aurais eu l’occasion de visiter Auschwitz et je n’ai pas osé. Par peur d’être confrontée à l’horreur à l’état pur et par peur du voyeurisme. D’autre part, il y a le devoir de mémoire et celui de rendre hommage aux victimes de la barbarie. C’est ainsi que j’ai pris mon courage à deux mains et me suis rendue sur le site du mémorial du camp de concentration de Dachau, près de Munich. Mémorial est bien le mot exact, car il ne reste plus grand chose, si ce n’est les murs des bâtiments, disons, administratifs (accueil des nouveaux arrivants, prisons - eh oui, il y avait une prison à l’intérieur du camp - salles d’interrogatoire et de torture, etc...). Deux baraquements ont été reconstitués, le reste du terrain est marqué par de longs rectangles recouverts de gravier, représentant l’emplacement des constructions disparues. L’espace, la superficie sont tout simplement impressionnants, car ils donnent à imaginer le nombre de personnes qui ont été détenues ici. Devant les baraquements, une immense cour qui servait à faire l’appel: matin et soir, les prisonniers devaient se tenir debout, au garde à vous, et si le nombre de détenus n’était pas le bon, ils devaient rester ainsi pendant des heures, qu’il neige ou qu’il vente.


Dachau était le premier camp de concentration à avoir été bâti, quelques semaines seulement après l’arrivée au pouvoir de Hitler. Dans les premiers temps, on n’y envoyait que des Allemands, dissidents politiques et autres dégénérés (au yeux du régime, s’entend). C’est le camp qui a servi de modèle à tous les autres et qui était le centre de formation des SS. Par la suite, il allait accueillir non seulement des juifs, mais aussi des communistes, des homosexuels, des témoins de Jéhovah, des gitans et quiconque refusait de marcher droit. Trente-sept nations y étaient représentées. Tout comme à Auschwitz, le portail porte la devise Arbeit macht frei. Quel donc est l’esprit pervers qui a pondu cette phrase?1)


Les troupes américaines ont libéré le camp de Dachau le 29 avril 1945. Le Comité international de Dachau a été fondé en 1958 et c’est en 1965 que le site a été transformé en mémorial. Les Allemands (de l’ouest, il faut le préciser) sont les seuls à avoir fait ce douloureux travail de mémoire (Vergangenheitsbewältigung, littéralement: maîtriser le passé) qui consiste à se regarder en face et à assumer les horreurs commises, afin d’éviter que l’histoire ne se répète. Les Français et les Polonais ont beaucoup de peine à avouer leur zèle coupable dans la collaboration. La lecture du roman Sarah’s Key de Tatiana de Rosnay, m’a appris que ce n’est qu’en 1995 que le président Chirac a rappelé - révélé, pour certains - la terrible rafle du Vel’ d’Hiv du 16 juillet 1942 et le rôle très actif de la police française. La rue Nélaton n’évoque rien à l’homme de la rue et pourtant c’est l’adresse de ce lieu de sinistre mémoire. Et qui a entendu parler de Beaune-la-Rolande? Aujourd’hui, le camp de Drancy est habité tout normalement par des locataires qui ignorent sans doute tout des fantômes qui les hantent la nuit. La Cité de la Muette, ça vous dit quelque chose?




Cependant, je retournerai à Dachau, car c’est aussi un ravissant petit village, avec une vieille ville bucolique et un château entouré d’un charmant jardin. J’ai toujours trouvé étonnant que des gens puissent avoir Dachau comme adresse postale, mais c’est un fait que cette localité, autrefois un havre pour peintres et poètes, est plus ancienne même que la ville de Munich, distante de seulement 18km, car la première mention du lieu remonte à l’an 805 contre 1158 pour sa grande voisine.

Et si quelqu’un vous disait qu’il habite à Pithiviers, cela vous choquerait-il? 2)


http://www.kz-gedenkstaette-dachau.de/, qui permet une visite très virtuelle du site (-> Übersichtsplan -> virtueller Rundgang), en anglais ou en allemand

1) C'est le général SS Theodor Eicke qui ordonna l'apposition de la phrase à l'entrée des camps de concentration et des camps d'extermination, notamment Auschwitz, Dachau, Gross-Rosen, Sachsenhausen, et à la prison de la Gestapo de Theresienstadt en République tchèque. Avant cela, cette phrase avait été utilisée par la société allemande IG Farben au-dessus du fronton de ses usines (wikipedia)

2)
le camp où a été envoyée Irène Nemirovski

dimanche 2 octobre 2011

Genève, Cité du Crime



En me rendant au poste de police de mon quartier pour un renseignement, que je n’ai pas obtenu, je tombe sur une Chinoise, un peu perdue, qui ne comprenait pas bien où se trouvait la porte d’entrée. Normal, le bâtiment est en travaux. Elle se dirige vers le guichet et se rend vite compte que la préposée ne parle que le français. N’écoutant que mon cœur professionnel, je vole à sa rescousse. Son père s’était fait voler son portefeuille (argent, permis de conduire, carte de crédit) en sortant de la gare de Cornavin pour monter dans un bus. Scénario archi-classique. J’ai traduit à l’employée du guichet, qui a reçu ce récit plutôt mollement, l’air de dire « que voulez-vous qu’on y fasse ». Elle a tendu un formulaire à ces braves gens et leur a dit de s’asseoir et d’attendre. Ça risquait de durer un peu, car c’était la pause de midi, leur dit-elle.

En résumé : au poste de police judiciaire, dont la porte est banalisée, on ne trouve qu’un seul employé à la pause de midi, ledit employé ne parlant que le français. Les plaignants sont priés d’attendre une durée indéterminée. On se serait vraiment cru dans une caricature de pays en développement.

Je demande à la Chinoise d’où elle vient. New York. Ils viennent de New York et se sont fait plumer comme des bleus dans la bonne cité de Calvin. Ce n’est vraiment pas la peine que nos édiles fassent de coûteux voyages1) pour passer 24h à Big Apple, il suffirait qu’ils veuillent bien écouter les témoignages des touristes et des autochtones qui subissent les pick-pockets, jour après jour.

It’s really not safe here, is it ? me dit-elle, consternée.
No, it’s not and the authorities don’t really care, lui réponds-je.
And all those gypsies ! C’est elle qui l’a dit…. Il y en a sans doute plus chez nous qu’à Nouillorque.
30 cambriolages par jour


Evidemment, tant que le crime rapporte, en toute impunité, il n’y a pas de raison que ça change. Si vous pouvez gagner 1000 CHF en cinq minutes, vous seriez idiot de vous en priver. En supposant qu’on vous attrappe, vous pouvez être relativement certain d’être à nouveau dans la rue dans les 24h qui suivent, peut-être même avant. Je connais personnellement cinq*) victimes qui se sont fait détrousser, à des degrés variables de violence. C’est une expérience que je ne souhaite à personne, pas même à mon pire ennemi.



Alors vous tous qui me lisez aux quatre coins de la planète, sachez que si vous venez à Genève :

- n’ayez que le strict minimum nécessaire d’argent liquide sur vous et pas dans la poche arrière de votre pantalon
- si vous devez passer à un distributeur de billets, vérifiez qui est derrière vous et ne laissez personne voir votre code ; autrement, vous risquez fort de vous faire bousculer par un/des inconnu(s), avec les conséquences qu’on imagine
- ne posez pas votre veste ni votre sac à main sur le dossier de votre chaise au bistrot
- méfiez-vous de quiconque s’approche de vous, surtout si c’est pour gentiment vous aider à porter vos sacs ou pour nettoyer votre veste, que l’individu en question vient de souiller, par exemple en vous vomissant dessus (Tribune de Genève du 30.9.2011)
- ne vous laissez pas distraire par de jeunes gars qui jouent avec un ballon de foot ou qui jettent quelque chose parterre devant vous (pièces de monnaie, briquet…)
- évitez les transports publics aux heures de pointe
- n’écoutez pas de musique (iPod, walkman, radio) en marchant dans la rue, vous risquez de ne pas entendre la personne malintentionnée qui s’approche derrière vous

- ne jouez évidemment pas au « bonneteau », vous n’avez aucune chance de gagner (prétendu jeu qui consiste à deviner où se trouve une petite boulette cachée sous une de trois boîtes d’allumettes)
- si quelqu’un veut vous offrir une bague en or qu’il vient soi-disant de trouver parterre, ignorez-le ; si un inconnu vous offre des fleurs : fuyez !
- verrouillez les quatre portières de votre voiture quand vous circulez en ville, même de jour et ne laissez rien de visible dans l’habitacle quand vous vous stationnez
- à la gare ou à l’aéroport, ne posez pas votre mallette sur le sol pendant que vous prenez votre billet ou parlez à quelqu’un au guichet, elle risque fort de disparaître
- si vous avez un iPhone, un iPad ou un appareil photo sophistiqué, ne le montrez pas en public: vous serez repéré et agressé peu de temps après
- évitez de porter des bijoux en or visibles, on vous les arrachera
- si vous cherchez du hashish, de l’ecstasy, de l’héroïne ou de la cocaïne, vous en trouverez sans peine partout en ville, moins cher qu’en France, l’abondance de l’offre faisant baisser les prix ; s’il arrive que la police importune quelque peu ces pauvres dealers, la justice s’empresse de les relâcher.

C’est malheureux d’en arriver à un tel degré de paranoïa, mais c’est malheureusement justifié. Les victimes sont des personnes trop confiantes, pas assez méfiantes. Il est vrai aussi que nous vivons à une époque d’énormes écarts entre riches et pauvres, mais les vols, les cambriolages et les agressions ne sont pas la meilleure façon de répartir la richesse. Si une fée me donnait trois vœux… encore faudrait-il savoir comment formuler sa demande : faire disparaître le désir de voler ? L’envie et la convoitise ? Le besoin de flamber et d’avoir plus et mieux qu’autrui ? Imaginez tout ce qui changerait si le vol n’existait plus : plus de cadenas, plus de serrures,plus de verrouillage central, plus de codes PIN, plus d’alarmes… tout un pan de l’économie s’effondrerait. Ma foi, on ne peut pas gagner sur tous les fronts !


Downtown Geneva, c'est-à-dire mon quartier






1) 120.000, c’est le montant de l’escapade de trois conseillers d’Etat à Washington du 13 au 16 septembre. La facture comprend notamment les billets d’avion et l’hôtel (26.000,-), la contribution à une soirée à l’ambassade (50.000,-) et du vin genevois (15.000,-), a indiqué hier la chancellière. (Tribune de Genève, 30.9.2011)

Conseils trouvés sur la page de l’International Police Association, Genève :

1. Transportez votre argent liquide et vos cartes de crédit dans des portefeuille et des poches séparés. Si possible, divisez l'argent entre votre portefeuille et vos poches (Ne mettez pas les oeufs dans le même panier). Mieux : utilisez une ceinture à poches.
2. Mettez votre portefeuille dans une poche intérieure de votre veste ou dans une poche avant de votre pantalon.
3. Au milieu d'une foule, gardez les mains dans les poches : celles d'un voleur ne s'y glisseront pas...
4. Plus petit est votre sac, moins il offrira de prise à un pickpocket. Tenez-le fermement et serré devant vous ou sur le côté, mais avec la languette d'ouverture de la fermeture éclair à l'avant. S'il comporte un rabat ou une poche extérieurs, tournez ce côté-là vers vous. Un sac ouvert en haut est une invitation pour un malfaiteur.
5. Conservez précieusement les photocopies de votre carte d'identité, permis de conduire, cartes de crédit, ainsi que les numéros à appeler d'urgence en cas de vol.
6. Ne brandissez jamais d'argent ou de bijoux en public; devant un kiosque à journaux, à un arrêt d'autobus ou dans une gare, par exemple.
7. Lorsque vous faites vos courses, attention aux entrées des grandes surfaces, sur les tapis roulants, dans les ascenseurs, dans les rayons de soldes, les lieux de démonstrations, et partout où se rassemblent beaucoup de gens. Redoublez de vigilance au moment où vous payez : vous risquez de poser votre sac et vos paquets sur le comptoir. Une chose après l'autre : d'abord, rangez soigneusement votre porte-monnaie, ensuite, occupez-vous de vos courses. Ne cédez pas au stress...
8. Avant d'utiliser une billetterie, regardez bien autour de vous. Si vous vous sentez observé, allez ailleurs.
Placez-vous tout près du distributeur de façon que personne ne puisse identifier votre code ni repérer la somme retirée. En aucun cas, ne vous laissez distraire par un bruit, des paroles ou quelqu'un qui voudrait ''vous aider''... Dans le doute, après le retrait, si vous êtes près de votre domicile, marchez 50 mètres en sens opposé et vérifiez que vous n'êtes pas suivi. Si tel est le cas, dirigez-vous vers une connaissance, entrez dans un commerce proche ou un commissariat.

Les ruses des pickpockets
Le pickpocket opère souvent avec un ou des complices qui créent une diversion.
1. ''Attention aux pickpockets !'' Méfiez-vous quand vous entendez crier cette phrase : votre réaction naturelle est d'esquisser un geste vers votre argent et cela indique où il se trouve. Par contre, si cette phrase est marquée sur un panneau indicateur, redoublez de vigilance car cela veut dire que de nombreux vols ont été effectués dans cet endroit.
2. Un ''accident'' : un voyageur trébuche devant vous en descendant de l'autobus, ou une personne laisse tomber des paquets ou des pièces dans un lieu de passage...
Sans tomber dans la paranoïa, dans ces deux cas, entre autres, la confusion momentanée qui s'ensuit permet à un voleur d'agir.
3. Une ''bagarre'' : une dispute éclate et les gens se bousculent pour s'écarter. Lorsque tout est terminé, c'est vous qui avez perdu...
4. ''Oh! désolé.'' Une personne traverse en courant un hall de gare ou dans la rue, vous bouscule, ou vous renverse de la nourriture (glace, boisson, etc) sur vous. Elle s'arrête pour ''vous aider'', puis repart en courant de plus belle, avec votre portefeuille...
5. Vous êtes assis dans le train. Observez aux alentours et fixez brièvement dans les yeux celles et ceux qui sont assis autour de vous. Sachez qu'un quart de seconde en croisant le regard d'un voleur, suffit en général à le décourager car il se sent ''repéré''. Méfiez vous de celles et ceux qui se proposent de vous ''aider''...
Prenez garde aux allées et venues dans le couloir central, les pickpockets traversent souvent le train en longueur et séparés de leur complice de quelques mètres, afin de repérer une victime potentielle. Surveillez vos bagages laissés dans le box à bagages vers la sortie, ainsi que ceux qui sont dans le box au dessus de vous. Votre veste est posée sur l'adossoir, ne laissez pas d'objets de valeur dans les poches, même intérieures. Ces précautions sont également valables lorsque vous êtes au restaurant.
6. Dans les aéroports ou d'autres lieux publics, prenez toujours garde à vos bagages, ne les laissez jamais sans surveillance, une fraction de seconde suffit à un voleur pour vous prendre votre mallette, même ''coincée'' entre vos pieds lorsque vous êtes au téléphone ou à un guichet.
7. Dans le métro, prenez garde également à certains enfants qui font la quête, accompagnés de leur soeur ou de leur mère et méfiez-vous des personnes qui se collent à vous.
Comportement face à un voleur
Lorsque vous êtes en présence d'un voleur qui a tenté ou qui tente de vous voler, faites du scandale, élevez la voix et dites : ''Mais enfin ! que faites-vous ! Au voleur !!''; les voleurs agissent en général dans la discrétion et ont une sainte horreur d'être un centre d'attention. Si vous avez l'occasion de vous faire aider, retenez-le et appelez la police.

Quelques ''détails qui tuent''
Généralement, les voleurs professionnels marchent vite, suivis de quelques mètres par leur(s) complice(s).
Ils se retournent souvent (pour voir s'ils sont suivis), ils ''photographient'' les lieux en observant bien autour d'eux (pour repérer leurs victimes). Ou alors, ils marchent tranquillement dans la foule, comme de ''bons touristes'' pas pressés, aimant se coller à leur victime lors d'un croisement, devant les vitrines ou devant un spectacle. Ils agissent vite et habilement, très souvent, on ne se rend compte de rien.
Ils sont souvent bien habillés, en sombre, avec des chaussures à semelles gommées (c'est plus pratique pour courir...). Le rôle du complice consiste à faire le guet ou/et se prépare à faire diversion.
Ils sont généralement originaires d'Amérique du Sud, d'Europe de l'Est (Balkans) ou du Nord ou d'Afrique du Nord.

Profil type du ''client potentiel''
Les voleurs affectionnent particulièrement les hommes d'affaires, les dames âgées, les mères de famille occupées par leur enfant, les femmes au porte-monnaie rempli pour le lèche-vitrine, les touristes, une personne qui lit, qui est occupée, qui somnole ou qui est inattentive et peut-être VOUS...
Ne vous laissez pas distraire et SOYEZ VI-GI-LANT (e)

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*) les cinq victimes de mon entourage (ces deux dernières années):
1. Une amie s'est fait arracher son sac à main sous la menace d'une aiguille souillée, en plein après-midi, en se rendant au parc. Le malfrat - un multirécidiviste très bien connu de la police - a été rattrapé par un prof de gym du fitness adjacent. Le malfrat a tout de même pris 9 mois de prison ferme, ce qui est exceptionnel à Genève. Il est probablement à nouveau actif dans nos rues.
2. Ma nièce de 17 ans s'est fait agresser par un gang de jeunes latinos, très bien connus des services de police, de nuit, dans un parc. Elle a perdu son sac et tout son contenu (clés, téléphone mobile, porte-feuille, carte d'identité, etc..). Il est clair qu'elle ne devrait pas aller dans les parcs tard le soir, car nos parcs appartiennent à toutes sortes de drôles de gens dès la nuit tombée, à nous d'éviter d'y aller.
3. Un ami a posé sa mallette au sol chez Burger King. Le temps de passer sa commande et hop! sa mallette avait disparu. Elle contenait malheureusement pas mal d'argent. Les caméras de surveillance étaient bidon, c-à-d dissuasives mais non fonctionnelles.
4. Une collègue s'est fait pick-pocketer son portefeuille en montant dans le train, selon la tactique bien connue "oh! je me suis trompé de wagon!": un complice redescend du train avec deux grosses valises pendant que l'autre complice fait mine de monter. La victime est coincée entre les deux personnages sur l'escalier et, dans la bousculade, elle perd son porte-feuille. Ma collègue venait de passer au distributeur de billets et les complices ont vu son code. Elle a perdu BEAUCOUP d'argent, même si elle a immédiatement téléphoné à sa banque pour tout bloquer.
5. Une amie a laissé son sac dans sa voiture, qu'elle ne quittait que pour 5 minutes. A son retour: une vitre cassée et son sac disparu (permis de conduire, carte d'identité, photos des gamins, etc....)

Je me suis aussi fait cambrioler, mais il y a environ 20 ans de cela, alors je ne compte pas ça dans ces statistiques.

jeudi 29 septembre 2011

En ville à vélo


«T’es à vélo?!?!?» s’écrient immanquablement les gens quand ils me voient enfiler mon gilet de chantier orange avec des bandes fluo. «Non, je vais en discothèque, c’est du dernier chic et ça fait un effet boeuf avec les stroboscopes» ai-je envie de répliquer. En réalité, cette réaction n’a rien d’étonnant, car circuler à vélo en ville tient à la fois du courage et de la témérité, voire de l’inconscience. D’ailleurs, la première consternation passée, j’entends quasi-immédiatement: «T’es bien courageuse!»

Voilà environ trente ans que la Petite Reine me transporte fidèlement de par la ville et de par le canton. Il m’est même arrivé de faire Ferney-Voltaire - Gaillard aller-retour dans la même journée, mais pas en une seule fois, faut pas pousser.... C’est vraiment le mode de transport idéal pour avoir quelque chance d’avancer raisonnablement en ville. Le seul inconvénient, outre la pluie, c’est qu’il faut se méfier de tout le monde. La priorité ne compte pas vraiment pour les deux-roues, les pistes cyclables non plus, car elles sont idéales pour déposer un passager ou des livraisons, voire pour se stationner, après quoi, la portière s’ouvre du côté rue sans crier gare et surtout sans regarder. Les giratoires sont de vrais coupe-gorge et les piétons un danger omniprésent. Il faut se méfier des rues à notre droite: la voiture derrière nous s’y engouffrera moyennant une habile queue de poisson, la voiture venant d’en-face itou. En un mot, les cyclistes sont invisibles. C’est bien pourquoi je deviens un zèbre fluo au crépuscule et, contrairement à bon nombre de mes congénères, je veille à avoir un phare qui fonctionne. Je complète la tenue de combat de divers catadioptres et loupiotes supplémentaires.

Après avoir garanti sa survie, tant bien que mal, il ne reste plus qu’à trouver des raccourcis et des itinéraires malins pour éviter les voitures. Certaines rues moins fréquentées ont des pistes cyclables à contre-sens, qui sont de véritables cadeaux empoisonnés, car les automobilistes ne s’attendent pas à nous voir arriver. Les trottoirs nous sont interdits, mais parfois, on n’a vraiment pas le choix. J’emprunte très souvent les passages cloutés, doucement, en respectant les piétons; s’il le faut, je mets pied à terre. Au Quai du Seujet, un ascenseur astucieux permet d’éviter une montée très pénible. On peut y mettre jusqu’à trois vélos. L’ambiance y est toujours très sympathique, les gens échangent quelques mots et une drôle de complicité s’installe pendant les quelques secondes que dure le trajet.

La vue à l'arrivée au 6ème étage

Franchement, je ne comprends pas les gens qui s’obstinent à prendre leur voiture pour se déplacer en ville. Ils avancent à la vitesse de l’escargot, ils s’énervent contre les feux qui restent verts 4 secondes et rouges 120 secondes, ils tournent en rond à la recherche d’une place de stationnement, à moins qu’ils ne choisissent le parking souterrain où chaque minute coûte son pesant de caviar. Et je ne parle même pas du risque d’agression. Avec le vélo, on échappe même au car-jacking! Le vélo-jacking n’a sans doute pas encore été inventé.


Rien d’étonnant alors à ce que la plupart des villes d’Europe encouragent le deux-roues en ville, avec des formules de bicyclettes publiques payantes qui se garent sur des bornes prévues à cet effet. La Scandinavie et les Pays-Bas ont évidemment été les pionniers en la matière. Plus près de nous, Paris a lancé ses Vélib’, Strasbourg a le VelHop, Bruxelles le Villo! Dans les années -80, Genève a connu les vélos roses, à partager fraternellement et gratuitement. La nature humaine étant ce qu’elle est, ces pauvres petites choses sans défense ont très rapidement été vandalisées, jetées dans le Rhône ou cadenassées par de petits esprits égoïstes et pas baba-cool pour deux sous.

En attendant que notre bonne ville trouve le bon nom rigolo pour son système de vélo-partage, ce serait déjà une bonne chose si on pouvait avoir des parkings sécurisés, par exemple à la gare. Cela éviterait les vols et le sabotage. Le justicier masqué qui crève les pneus des vélos mal garés pourrait enfin prendre un peu de repos et le cycliste lambda n’aura plus besoin de racheter une sonnette tous les quinze jours.

Je rêve d’une ville où les bicyclettes seront plus nombreuses que les voitures. L’ambiance sera plus sereine et l’air plus respirable. Il y aura forcément encore des kamikazes qui fonceront aveuglement comme si la terre leur appartenait, mais peut-être qu’on parviendra à les amadouer. Je rêve aussi d’une sonnette involable et insabotable. Cet accessoire coûtant entre 3,- et 4,- quand il est neuf, sa valeur sur le marché noir doit tourner autour de 1 roupie de sansonnet. Quand il n’est pas possible de le voler, parce qu’il a été collé à l’Araldit, eh bien on se console en cassant le heurtoir. Ah, les petits plaisirs de la méchanceté gratuite!

Parking à vélos aux Pays-Bas

Voir aussi: Terroriste, tendance deux-roues

vendredi 2 septembre 2011

Le chant de la mission – John le Carré



Synopsis
:
Fils naturel d'un missionnaire catholique irlandais et d'une villageoise congolaise, Bruno Salvador, alias Salvo, a gardé de son enfance africaine une passion immodérée pour les langues. Devenu interprète éminent, il est régulièrement sollicité par de grandes entreprises et des tribunaux, mais aussi par le Renseignement britannique. Envoyé sur une île perdue pour une mission d'interprétariat lors d'une conférence secrète entre des bailleurs de fonds occidentaux et des chefs de guerre rivaux dont l'objectif affiché est de rétablir l'ordre et la paix en République démocratique du Congo, il devient malgré lui le seul témoin des machinations cyniques qui s'ourdissent dans l'ombre pour dépouiller de ses richesses un pays déjà ravagé par la guerre. Or l'amour qu'il porte à Hannah, la belle infirmière congolaise, a rallumé en lui l'étincelle de la conscience africaine qui couvait sous l'éducation catholique rigide jadis reçue à l'école de la Mission. Le naïf Salvo saura-t-il s'affranchir des inhibitions qui le brident pour devenir le héros d'un noble et dangereux combat ?
La profession d’interprète de conférence est auréolée de glamour, de mystère et de fascination. The Mission Song de John le Carré 1) reprend un à un tous les clichés et tous les poncifs qui circulent à notre sujet : les interprètes sont des demi-dieux qui tutoient les grands de ce monde ; ils voyagent en classe affaires et descendent dans les hôtels de standing, car rien de moins grandiose ne rendrait justice à leur gloire. Que de fadaises !


Voyons un peu ce que cela donne. Le personnage principal de ce roman, Bruno Salvador, annonce la couleur dès la deuxième phrase en indiquant quelle est sa profession : I am […] by profession a top interpreter of Swahili and […] the languages of the Eastern Congo […] hence my mastery of French 2). Voilà de quoi nous laisser perplexes. Personnellement, je ne connais aucun interprète qui déclamerait urbi et orbi qu’il est parmi les meilleurs de sa profession. On imagine tout aussi mal une cantatrice ou un chirurgien se présenter ainsi : je suis une personne éminente, c’est moi le meilleur. En outre, on comprend mal s’il interprète vers le swahili à partir du français ou vers l’anglais à partir du lingala. Ainsi, dès la première page, l’auteur étale au grand jour sa parfaite incompréhension de notre profession, ce qu’il confirme d’ailleurs au fil des pages suivantes. En effet, notre héros interprète dans tous les sens, même entre langues africaines. Il œuvre toujours seul, plusieurs heures d’affilée et son travail consiste essentiellement à être au service de la police ou de l’hôpital. Il sert de truchement entre ces instances et quelque pauvre diable africain. Voilà ce qu’il appelle être un top interpreter alors qu’en réalité, cela s’appelle être interprète communautaire, une variante de la profession qui ne demande aucune formation particulière, si ce n’est de savoir l’albanais, l’arabe ou l’urdu, selon la vague de réfugiés du moment. Il dit avoir un Master of Science degree in Translation and Public Service Interpreting. Pardon ? Il a aussi réalisé de nombreux interpreterships. Pas sûr qu’on trouve ce mot dans le dictionnaire… 3) Le terme top interpreter me ferait à la rigueur penser à ceux de mes collègues qui travaillent pour le G20 ou au sommet de Davos, mais ils n’utiliseront jamais ce qualificatif en parlant d’eux-mêmes, étant donné que, dès le contrat suivant, ils feront une réunion parfaitement terre à terre, sans le moindre chef d’Etat à l’horizon. Notre profession nous permet certes parfois de côtoyer, de très loin et cachés dans nos cabines, des gens qui ont leur photo dans le journal, mais elle nous contraint aussi constamment à rester humbles et à ne faire que de l’à-peu-près, étant donné qu’il nous est impossible de chercher le mot exact sur l’instant si nous ne le connaissons pas.

C’est la femme du héros, journaliste, qui travaille jusqu’à pas d’heure et qui lui téléphone pour lui dire qu’elle est retenue par une interview très importante. Du coup, il va passer la soirée tout seul au cybercafé. Le roman a été écrit en 2006, date à laquelle tout interprète digne de ce nom a un laptop et la WiFi à la maison. A l’hôpital, ce sont les infirmières qui lui donnent des instructions, voire des ordres, et qui signent un rapport attestant de la qualité satisfaisante du travail effectué, ce qui ne se fait évidemment jamais. Bruno Salvador travaille en free-lance. A qui va-t-il donc présenter son rapport de mission ? Les infirmières le prient instamment de répéter fidèlement les questions à interpréter, ce qui est une insulte : demanderait-on à un dentiste de bien faire son plombage ? Notons en outre qu’il n’y a personne d’autre que les infirmières pour prendre note des réponses du patient rwandais. Une des infirmières étant congolaise, Bruno Salvador interprète de swahili en kinyarwanda et retour, bien évidemment.


Les traducteurs ne sont pas en reste dans ce roman, jugez plutôt : Never mistake, please, your mere translator for your top interpreter. An interpreter is a translator, true, but not the other way round. A translator can be anyone with half a language skill and a dictionary and a desk to sit at while he burns the midnight oil : pensioned-off Polish cavalry officers, underpaid teachers, and anyone else who is prepared to sell his soul for seventy quid a thousand. He has nothing in common with the simultaneous interpreter sweating it out through six hours of complex negociations. Your top interpreter has to think as fast as a numbers boy in a coloured jacket buying financial futures. Better sometimes if he doesn’t think at all, but orders the spinning cogs on both sides of his head to mesh together, then sits back and waits to see what pours out of his mouth (p.14). On reste sans voix. La seule chose qui soit en partie exacte, c’est qu’il vaut mieux parfois ne pas réfléchir à ce qu’on dit, parce que le raisonnement de l’orateur n’est pas toujours parfaitement limpide ni cohérent.

Non seulement nous ne travaillons pas plus de trois heures à deux en cabine 4), mais il n’arrive jamais au grand jamais qu’au terme de la journée – between close of business and the cocktail frenzy – les délégués viennent vers nous en disant : Hey, Salvo… ! 5) Les délégués prennent grand soin de nous ignorer car, à leurs yeux, nous faisons partie du personnel, au même titre que les huissiers et les femmes de ménage. Ils ne connaissent bien évidemment pas nos prénoms. Ils ne connaissent d’ailleurs pas nos noms de famille non plus. Quant au mythe des cocktails façon jet set, vous repasserez. Non seulement il n’y a pas de cocktails, mais, une fois le travail terminé, tout le monde détale, comme des rats quittant le navire, qui pour aller chercher ses enfants, qui pour se rendre à son cours de yoga, de gym ou de tango, ou simplement faire des courses. Nous menons des vies très prosaïques en somme, contrairement à ce que veut la légende, qui a décidément la vie dure.

Les interprètes de le Carré exécutent d’autres tâches que nous, comme la transcription des enregistrements, sans doute obtenus au moyen d’écoutes placées ici ou là, assis chacun seul dans une cabine, dans une salle contenant quarante cubicles, supervisées par un floor manager installé sur une galerie dominant le tout (p.40). Notre top interpreter se sent très fier de travailler pour MI6. Une de nos collègues anglaise a en effet travaillé de la sorte, il y a fort longtemps, mais cela n’a rien à voir avec de l’interprétation, bien que cela puisse servir de passerelle vers ce métier.


Un peu plus loin (p.60), Bruno Salvador raconte qu’il lui arrive d’avoir le privilège d’assister à des high-level conferences, où les délégués prononcent tous leur discours en anglais à la tribune. Forcément, puisque c’est international. C’est dans les corridors qu’il officie, servant de lien entre les délégués, dans leurs langues respectives, en aller-retour 6), cela va de soi. Dommage qu’il ne nous explique pas comment les délégués trouvent l’interprète qu’il leur faut. Suffit-il de traîner au bar en attendant qu’on vous harponne en passant ? C’est bien évidemment l’inverse qui se passe dans la réalité : chaque organisation a un chef interprète qui répartit les équipes dans les cabines des différentes salles, en fonction des langues demandées et des horaires de travail. Il est inconcevable que nous allions faire des heures supplémentaires dans les corridors ou au bar, c’est probablement même interdit. Ce serait en tout cas très mal vu. Nous pouvons bien sûr rendre service à quelqu’un qui ne sait pas comment prendre son ticket de bus, mais cela s’arrête là.

People expect their interpreters to be small, studious and bespectacled (p.57). Ouf ! Moi qui craignais plutôt qu’on ne nous imagine toutes en tailleur Mugler et sac YSL (costard Hugo Boss et cravate Hermès pour les messieurs). A vrai dire, on trouve de tout parmi nos rangs : des petits et des gros, des jeunes et des (parfois très) vieux, des Birkenstock ou des Vuitton. Pas de gothiques ou de punks heavy metal toutefois, je vous rassure.

Non seulement notre ami anglophone traduit un contrat, donc un texte de nature juridique, de français en swahili, mais il pratique aussi une sorte de simultanée spontanée sans cabine, vers le français cette fois-ci, qui n’est pas vraiment de la consécutive non plus, puisqu’il termine quasiment en même temps que l’orateur (p.127). Il nous donne en passant un précieux tuyau : il parle sur un ton monotone en fixant une bouteille de Perrier placée devant lui, pour ne pas regarder son public dans les yeux. En effet, cela risquerait de créer une connivence immédiate avec l’un ou l’autre des participants, ce qui nuirait bien sûr à l’objectivité de son travail. A l’ETI 7), on nous apprend, au contraire, à lever le nez de notre bloc-notes (en cas de véritable consécutive) afin de nous adresser à ceux qui nous écoutent. C’est la moindre des politesses. Lorsque l’orateur boit une gorgée d’eau à la fin de son intervention, Bruno Salvador fait de même, non pas parce qu’il aurait soif, mais parce qu’il habite entièrement la personne qu’il interprète. I become what I render (p.127). Je n’invente rien. Et lorsque le discours comporte des noms propres français, il ne les répète pas. On voit mal ce que ça donne dans la pratique : il suit l’orateur, mais laisse un blanc quand celui-ci prononce des noms français ? Par exemple : "En arrivant à l’aéroport … vous prenez le train jusqu’à la gare de … puis vous suivez le Boulevard … ". Décidément, non, ça ne marche pas comme ça.

Toutes les grandes conférences internationales, c’est bien connu, ont des imprévus, des cock-ups comme les appelle l’auteur. At any other conference, I would have taken matters over at this point, because top interpreters must always be prepared to act as diplomats when called upon and I have done so on many an occasion (p.123). Mais où diable va-t-il chercher tout ça ? Quand on pense que nous devons éviter à tout prix de descendre dans la salle chercher des copies du document dont ils sont en train de parler ! Un interprète est désigné chef d’équipe et c’est à lui seul d’interagir avec les participants, en demandant parfois le feu vert de son supérieur avant d’aller se faire remarquer. Quant à jouer les diplomates, le ciel nous en préserve ! Nous sommes rarement au courant des enjeux de la discussion et nous sommes bien les derniers à qui on demandera d’intervenir.


Le héros se plaint ensuite de ne pas être mis au courant de toutes les intrigues liées à l’opération pour laquelle il travaille : I’m just the interpreter (p.182), constate-t-il avec amertume. Eh oui, c’est bien là notre sort, répéter les choses dans une autre langue et rien d’autre. On ne nous demande pas notre avis et on ne va certainement pas nous mettre dans le secret des dieux, tout comme un traducteur ne saura pas ce qui se trame dans l’entreprise dont il traduit le rapport annuel. Au cours de sa mission, Salvo se voit confier le même genre de tâches qu’il exécutait pour MI6, dans le Chat Room, à savoir traduire des écoutes. Mais pendant qu’il fait ce qu’on imagine être de la simultanée, avec des écouteurs sur la tête, il prend des notes, what Mr Anderson likes to call my Babylonian cuneiform […] a bit of speedwriting, a bit of shorthand (p.180). Eh bien justement non : les notes de consécutive devraient être faites de symboles, ce qui facilite le passage d’une langue à l’autre. Décrypter de la sténo française ne favorise pas la consécutive vers l’anglais et prendre des notes en sténo anglaise en écoutant du français vous fait perdre de précieuses ressources (temps, mémoire). Une fois de plus, le Carré n’a pas fait son travail de documentation sur notre profession. Salvo restitue fidèlement ce qu’il entend dans ses écouteurs, sans censurer ou arranger comme le font certains de ses collègues, nous dit-il. C’est sans doute un fantasme très tentant, toutefois, la supercherie serait très vite découverte et il n’y aura plus qu’à se recycler dans un métier qui ne nécessite aucun rapport de confiance. Imaginez un peu qu’on doive recruter les interprètes en fonction de leurs opinions politiques et de leur religion, pour être sûr qu’ils ne trahissent pas le message. Un traducteur arrangerait-il le texte à traduire pour qu’il soit plus conforme à ses propres idées ? Ensuite, notre top interpreter, écoutant deux Africains parler leur langue ethnique, ne comprend pas Union Minière des Grands Lacs, alors qu’il maîtrise par ailleurs suffisamment bien le français pour interpréter vers cette langue. Il n’est finalement pas si top que ça… Et il garde ses écouteurs sur la tête alors que la séance d’écoute est terminée. Un défaut professionnel sans doute. C’est ce qui lui permettra d’entendre des choses secrètes !

Ses clients ou employeurs, comme on voudra, lui disent constamment : Tell them that, will you, old boy (chapitre 12). Non seulement il ne devrait pas être nécessaire de lui dire ce qu’il a à faire, mais ce ton paternaliste et condescendant est intolérable et inconcevable dans la vraie vie. En français, ça donne : "Dites-leur ça aussi, mon vieux".

Bruno Salvador ne travaille jamais réellement en simultanée. Il interprète à l’hôpital ou dans des corridors et, à l’occasion de la conférence secrète du roman, il fait une sorte de chuchotage. La seule fois où il a des écouteurs sur le crâne, il prend des notes en sténo. Il nous explique que sa technique prévoit des notes spéciales dans la marge pour indiquer les nuances (p.221) : une plaisanterie, des insinuations, du sarcasme, quoique le sarcasme ne se laisse pas aisément interpréter. Ma foi, ça n’engage que lui.

Ses clients insistent constamment pour qu’il participe à leurs cocktails et à leur repas, ce qu’il accepte bien évidemment, car a top interpreter must never be a killjoy (p.223). On ne cesse de l’admirer et de le féliciter, il est au centre de l’attention de tous et on le remercie à la fin de son contrat, though not lavishly (p.218). Eh bien, welcome to the real world ! Après avoir été couvert de louanges et de remerciements, il se voit remettre une enveloppe contenant 7.000 USD en liquide pour 24 heures de travail, certes entièrement seul et sans la moindre pause. C’est un montant tout à fait conforme à l’idée répandue qui veut que les interprètes soient surpayés. Merci John d’enfoncer le clou ! A mon avis, même les vrais top interpreters, ceux qui travaillent pour la CIA ou le Quai d’Orsay, ne sont pas payés autant que ça. Une fois de retour en Angleterre, il raconte à sa maîtresse tout se qui s’est passé pendant les négociations secrètes. No comment.

Dans ce roman, il y a toutefois une bonne idée qui vaut la peine d’être retenue. Quelqu’un demande à Bruno Salvador – ou à Brian Sinclair, car on lui a donné une identité secrète le temps de cette mission – quelles langues il interprète. Il répond qu’il n’a pas le droit de le dire! (p.254) Quand je pense au nombre de fois qu’on m’a posé cette question, multiplié par tous mes collègues qui ont aussi eu à y répondre, je m’étonne que personne n’ait encore songé à répliquer ça.


Bruno Salvador a laissé son cœur en Afrique, où il a passé son enfance, et ne peut tolérer de rester passif face à l’outrage imminent dont il a eu connaissance en sa qualité de sound-thief, un qualificatif qu’il s’attribue volontiers. C’est pourquoi il entreprend de retranscrire ses notes de consécutive environ 24 heures après les avoir prises. N’importe quel interprète worth his salt vous dira que c’est tout simplement impossible. Nous nous focalisons tant sur le message à transposer, en évacuant chaque phrase pour faire place à la suivante, que nous avons beaucoup de peine à nous rappeler ce qui est passé par nos oreilles. Quant à relire des notes qui ne servent que de béquille à une mémoire à très court terme, on peut certes essayer, mais à mon avis c’est une preuve qui ne vaudra pas tripette devant un tribunal.

Ce qui est affligeant dans ce roman, c’est qu’il n’y a absolument rien qui corresponde à la réalité, du début à la fin. En effet, notre top interpreter déballe des secrets d’Etat à sa maîtresse et va ensuite tout révéler à la presse. De mémoire d’homme, aucun interprète n’a jamais trahi le secret professionnel. C’est sans doute dû au fait que nous oublions tout ce que nous avons entendu aussitôt que nous quittons la cabine, mais aussi au fait que cela équivaudrait à scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Imaginez donc un médecin qui irait révéler tout ce qu’il a entendu dans l’intimité de son cabinet. Un suicide professionnel. Les écuyers et les gardes du corps n’ont, ma foi, pas ces scrupules.

A la fin du roman, notre héros est déchu de sa nationalité britannique, pour haute trahison. Il écrit au fils de sa maîtresse : An interpreter, even a top one, when he has nothing to interpret except himself, is a man adrift (p.330). En d’autres termes, si vous avez d’autres occupations que votre travail, vous n’êtes pas un vrai de vrai et vous n’êtes en tout cas pas top. Il est intéressant de constater que l’auteur remercie différentes personnes qui lui ont permis de se documenter sur les mercenaires, sur le métier d’infirmière et sur le Congo oriental. Il n’a pas jugé bon de se renseigner sur notre profession, ayant sans doute eu besoin de modeler la chose sur le déroulement de sa narration.

Quant au roman en tant que tel, l’intrigue est à la fois simple et compliquée. J’avoue que j’ai renoncé à suivre les différentes ethnies et leurs chefs respectifs. Le texte est hautement répétitif – chaque fois qu’il regarde l’heure, c’est toujours sur la montre de sa tante Imelda. Disons que si Harlan Coben et Barbara Cartland avaient un enfant, il écrirait sans doute un livre de cette trempe.

Texte paru dans la revue Hieronymus (www.astti.ch), septembre 2011

Voir aussi:  Hauch der Hydra de Helga Murauer et The Summer Before the Dark de Doris Lessing
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1) Editions Hodder, 2006; les numéros de page renvoient à cette édition
2) " … interprète éminent de swahili […] et de langues du Congo oriental […] d’où ma maîtrise du français " ; traduction de Mimi et d’Isabelle Perrin, éditions du Seuil, 2007
3) Une équivalence trouvée sur internet serait interprétariat, un terme honni par toute la profession, car cela ressemble trop à secrétariat.
4) Dans les organisations internationales, nos conditions de travail sont définies par l’équivalent d’une convention collective : deux séances de trois heures maximum par jour, avec deux interprètes par cabine.
5) Le personnage s’appelle Bruno Salvador, mais tout le monde l’appelle Salvo – notamment les délégués (page 15).
6) D’anglais en swahili et de swahili en anglais, par exemple
7) Ecole de traduction et d'interprétation de Genève

jeudi 25 août 2011

Profession : Touriste


Les vacances sont faites pour se reposer, dit-on. En réalité, partir en vacances est tout un travail. Il faut d’abord étudier les différentes façons de parvenir à la destination de son choix (voiture, train, avion), trouver la meilleure formule (eBookers, Easy Jet ou pas, avion ou ferry, autoroute ou route nationale), choisir un hôtel (près de la gare ou centre ville, consulter Trip Advisor, comparer les prix) et enfin s’atteler devant son ordinateur pour effectuer toutes les réservations (modifiables ou pas, assurance annulation ou pas). Rien que tout ça, c’est épuisant. Et ce n’est que le commencement…

Il faut ensuite étudier le lieu où on a l’intention de se rendre. Qu’y a-t-il à voir, que faut-il absolument faire, que ne faut-il rater à aucun prix. Ayant parlé de mon projet d’aller à Florence, une amie m’a donné ce sage conseil : "Si tu veux avoir une chance de visiter la galerie des Uffizi, réserve ton billet par avance sur internet !" Ce que j’ai fait et j’ai drôlement bien fait. Le billet m’a coûté 20€ au lieu de 11€, mais j’ai réussi à entrer dans le musée à 8h30 et à admirer tranquillement la Naissance de Vénus. Dès 9h, des hordes de Japonais commençaient à envahir la salle. Comme j’avais de l’avance sur la foule, la visite de la galerie s’est déroulée tout à fait normalement. C’est en sortant du bâtiment que j’ai constaté qu’une longue file de candidats à la visite attendait patiemment son tour.




On retrouve la même file de 100 mètres de long devant l’entrée de la cathédrale de Florence, Santa Maria del Fiore, dont la visite n’en vaut pas vraiment la peine. J’ai choisi la file plus courte, celle qui permet d’escalader les 463 marches de la coupole pour admirer le panorama de la ville. Toutes les églises de Florence sont très vides et assez décevantes. Les œuvres ont sans doute été déplacées dans des musées.


Au bout de la première journée déjà, je commençais à souffrir du syndrome de Stendhal : l’overdose d’œuvres d’art. Mais aussi l’overdose de tout ce qui entoure le tourisme, qui a totalement phagocyté le vieux centre de Florence. Trop de Vierges à l’Enfant et trop de Jésus sur la Croix, mais aussi trop de David de Michel-Ange sous toutes les formes possibles et imaginables – cartes postales, magnets, mugs, parapluies, cravates, slips – trop de sacs en cuir, petits et grands, trop de masques vénitiens… On voit beaucoup de belles choses, mais la laideur semble avoir pris le dessus. Ici, le tourisme est resté bloqué quelque part dans les années -80. Les kiosques vendent le genre de babioles que plus personne n’achète de nos jours et les bijoux dans les vitrines des échoppes du Ponte Vecchio m’ont paru particulièrement hideux. On peut voir un peu partout des Africains ou des Pakistanais qui vendent des lunettes de soleil ou des reproductions de Klimt ou encore de la Chapelle Sixtine, un des nombreux avatars de la mondialisation, sans doute.



Les Uffizi auraient bien besoin d’une rénovation, bon nombre de tableaux étaient gâchés par des reflets mal placés et les légendes étaient particulièrement inintéressantes : on y détaille par le menu qui a passé commande de l’œuvre en question et en quelle année elle est entrée au musée. Ils feraient mieux de nous rappeler pourquoi Judith a coupé la tête de Holophernes ou de donner quelques notions d’histoire de l’art. Dans quasiment tous les monuments, les prix, les heures d’ouvertures, les avertissements ("la montée à la coupole est déconseillée au personnes souffrant de maladies du cœur, interdiction d’introduire des liquides") sont affichés à l’intérieur, c-à-d une fois que vous avez fait la queue pendant 40 minutes.

La modernité, en revanche, se voit chez ces guides touristiques qui utilisent le bidule 1) : ils chuchotent dans un micro et leurs ouailles écoutent le commentaire dans leurs écouteurs. L’avantage est double : non seulement, ils ne vous obligent pas à suivre leurs commentaires en espagnol, japonais ou hongrois, mais personne ne risque de se joindre au groupe pour profiter du tour guidé gratuitement.
Une journée de travail qui commence à 8 ou 9 heures me fait frémir tellement c’est tôt, pourtant je n’hésite pas à mettre mon réveil sur 7:15 pour aller visiter un musée ou pour aller escalader la Tour de Pise. A nouveau, j’avais acheté mon billet à l’avance sur internet, mais tout comme à Florence, la technologie n’arrive pas jusqu’au cerveau des employés du guichet : leur ordinateur ne peut absolument pas vous donner la veille votre billet pour le lendemain 2). Décidément, la vie du touriste est dure et semée d’embûches. A l’aube, tu te lèveras et les merveilles du monde seront à toi.

Contrairement au musée des Offices où on gagne plusieurs heures d’attente, il n’est pas utile d’acheter par avance son billet pour la Tour de Pise. Non seulement, on trouve aisément une place 3), mais la montée n’en vaut pas vraiment la peine. L’inclinaison ne se remarque pas à l’intérieur et la vue de Pise, ville plutôt laide et sans intérêt, ne mérite pas le détour. Le site proprement dit – la Piazza dei Miracoli : cathédrale, campanile, baptistère et cimetière – est spectaculaire, mais se visite en une demi-journée. Une drôle de maladie semble s’emparer des touristes qui visitent ce lieu. Où que l’on tourne son regard, on voit des gens qui lèvent les bras en souriant vers celui qui les prend en photo. A leur retour au pays, ils montreront fièrement à leur amis que ce sont eux qui ont empêché la Tour de Pise de s’écrouler. Sacré gag !

Pour autant qu’on ait bien préparé son voyage – crème solaire, Imodium, itinéraire vers l’hôtel, devises locale, tenues décentes pour les visites d’église, adaptateur de prise, chapeau et lunettes de soleil, appareil photo – et évité ainsi tout pépin fâcheux, on rentrera chez soi comblé et heureux, les yeux pleins d’images. On aura alors du plaisir à retrouver son foyer et sa petite routine. Quel soulagement de ne plus devoir chercher sur le plan où on se trouve ! Quel plaisir que de savoir, sans réfléchir, quel bus il faut prendre ! Jouer au touriste est très divertissant, mais je n’en ferais jamais mon métier.

Un jeu amusant à faire avec vos amis grands voyageurs est le Travel Bingo : chacun à son tour mentionne un site ou une destination (les chutes du Niagara ! l’Empire State Building ! Lisbonne !) et ceux qui y sont aussi allés lèvent la main. Libre à vous ensuite de décider ce qu’il advient à ceux qui ont des lacunes dans leur tableau de chasse (payer une tournée, faire la vaisselle ou ôter un vêtement, version Strip Travel Bingo !)
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1) Appareil d’interprétation : l’interprète chuchote dans un micro et les délégués ayant besoin de cette langue portent des écouteurs; généralement utilisé lors de visites sur site, quand il n'y a pas de cabines.
2) L’achat sur internet vous donne droit à un bon à échanger au guichet contre le billet d’entrée proprement dit. L’agence qui sert d’intermédiaire prend une commission et l’achat par avance sur internet revient plus cher.
3) Le nombre de visiteurs est bien évidemment limité et on y entre par groupes

vendredi 12 août 2011

Voyage en Normalitude


Chaque fois que je vais à Saint-Jean-de-Luz (pays basque français), je suis frappée par l’atmosphère particulière qui y règne. Je vous parle bien sûr de la haute saison, qui connaît un doublement voire un triplement de la population. La ville et la région sont très fréquentées, essentiellement par des familles françaises. Des gens tout à fait ordinaires. Des gens tellement ordinaires qu’ils en deviennent extraordinaires.

Apparemment, la majorité des Français va en vacances en France. Ils y vont en voiture et aiment faire du camping. Il doit y avoir une dizaine de campings rien qu’à Saint-Jean-de-Luz et environs immédiats. Des Français moyens. Tiens... une expression qu’on n’entend plus. On parle certes de la France d’en-bas, mais ces vacanciers-ci tapent un peu plus haut. La classe moyenne va au camping, la classe moyenne-supérieure va à l’hôtel. L’élite va dans le Lubéron ou à Saint-Tropez, ou alors carrément aux Maldives. La France d’en-bas, quant à elle, ne va pas en vacances du tout.


Le vacancier normal va à la plage. Il est amusant d’observer cette population balnéaire. Au Pays de la Normalitude, les familles ont 1,5 bébé / enfant. Les papas s’appellent Jean-Pierre ou Patrick et j’ai entendu une maman appeler son petit garçon Martin. Martin … ! Et non pas Brayann ou Ethan [pron : étang]. Les fillettes ne s’appellent ni Cassandre ni Océane. On joue au tennis de plage, on lance un frisbee, on fait des mots croisés, on lit le best seller de l’été. Tout le monde est très calme et courtois. On ose laisser ses affaires sur sa natte de plage le temps d’aller se baigner, car on sait qu’on retrouvera tout intact et intouché à son retour.

Il y a beaucoup de monde partout, il faut parfois se battre dans la file pour les glaces, mais de façon générale, tout le monde cohabite pacifiquement et partage fraternellement l’espace de vie disponible. Des familles et encore des familles, qu’on ne vienne pas nous dire que la natalité est en baisse. Des couples de retraités également. Mais très peu de yuppies ou de gays ostensibles, pas de survêt’s et pantalons baggy, pas de tatoués-piercés, pas de disco-techno-ecstasy-à-Ibiza, ni carrés Hermès ni sacs Vuitton. Non, ceci n’est vraiment pas l’endroit pour ça. Je me rappelle toutefois que quand je suis venue à Saint-Jean-de-Luz seule, personne ne me regardait de travers ; les serveurs enlevaient le deuxième couvert sans poser de questions, comme si c’était la chose la plus normale au monde. Ailleurs, on ne vous apporte pas la carte tant que votre vis-à-vis n’est pas arrivé et parfois, on peut attendre très longtemps.


Au Pays de la Normalitude, il n’est pas rare que les familles aient des chiens. Sauf que les chiens ne sont pas des enfants. Les chiens ne sont pas admis dans les stations service. Les chiens ne sont pas admis sur les plages. Ils ne sont évidemment pas admis dans les églises, les musées, les châteaux. Il faut donc feinter et s’arranger ; aller acheter son pique-nique à tour de rôle ; aller à la plage en toute fin de journée. Les enfants peuvent hurler et pisser dans le sable, mais ce n’est bien sûr pas pareil. Il faut aussi trouver un hôtel qui accepte les animaux de compagnie, mais ce n’est encore pas trop difficile.

La Normalitude implique également qu’on ait l’usage de ses deux jambes. Les vacanciers, qui se déplacent tous en voiture, stationnent très volontiers leur véhicule sur le trottoir. Bien obligé, il n’y a tout simplement pas assez de places de stationnement et les transports publics sont pour ainsi dire inexistants. Il y a bien une handiplage et une audio-plage (pour les non-voyants), mais à mon avis, les handicapés ne peuvent pas vraiment aller ailleurs, la ville n’étant pas du tout organisée pour eux. Même en étant valide, on doit constamment se faufiler entre les voitures et les poussettes.

Alors remercions le ciel d’avoir la possibilité physique et les moyens matériels de partir en vacances, car ce n’est pas donné à tout le monde.

Ze French petit-déjeuner