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lundi 6 juin 2011

Bousculade lyrique


Les retransmissions en direct des représentations du Met de New York dans deux salles de cinéma de la ville remportent un franc succès. La première salle ayant très rapidement affiché complet, une deuxième salle a été ouverte. Sans qu’aucune publicité ne soit faite dans la presse ou ailleurs, tout le monde savait que les abonnements de la saison 2011-2012 seraient mis en vente le 6 juin dès 9 heures. Je m’y suis rendue pour 8h30, m’imaginant ainsi être parmi les premières à faire la queue.

Vain espoir ! Quelqu’un avait pris l’initiative de distribuer des tickets numérotés et j’ai obtenu le N° 71, ce qui n’augurait rien de bon. Plusieurs personnes étaient venues avec une chaise pliante. J’avais emporté un journal, mais j’ai retrouvé tant de collègues que c’était une précaution bien inutile. Chacun y allait de sa petite histoire, certains étaient là depuis 7h30, d’autres sont venus bien plus tôt encore. La distributrice de tickets, quant à elle, devait bien être là depuis 6h du matin. La plupart de ces mélomanes matinaux avaient les cheveux gris ou blancs, mais ils avaient néanmoins la gniaque et le courage de rester debout plusieurs heures dans l’espoir d’obtenir le précieux sésame. Malgré les tickets numérotés, tout le monde s’entassait en se serrant comme des sardines devant les guichets encore fermés. Sans les tickets, ça aurait été bien pire, mais ce système étant parfaitement informel, rien ne garantissait qu’il serait respecté ou qu’il servirait à quelque chose.

Le Metropolitan Opera de New York

Neuf heures ayant sonné, voilà que les guichets s’ouvrent enfin. On se presse, on se bouscule, personne ne comprend vraiment ce qui se passe. On croit voir que le premier acheteur prend dix abonnements, ce qui réduit évidemment d’autant les chances de tous les braves qui se sont levés au chant du coq. On en est au numéro dix, puis au numéro douze. Ça avance lentement… Cent-vingt ! Quoi, cent-vingt ? Il ne reste plus que cent-vingt places ? Ont-ils déjà vendu cent-vingt abonnements ? A raison de quatre abonnements au maximum par client, combien de billets seront partis avant qu’on n’en n’arrive au N° 71 ? Mon dieu…

Voilà déjà plus d’une heure que je poireaute, et encore : d’autres sont là depuis bien plus longtemps que moi. Et voilà qu’on découvre qu’une collègue était venue pour acheter des billets pour des séances individuelles, autrement dit, elle a bravé l’aurore pour des prunes. Nous sommes deux à nous précipiter sur son précieux N° 35 ! Et bien nous en a pris, car le N°40 est rentré bredouille….

Autrefois, ça se passait comme ça au Grand Théâtre, il fallait prendre un numéro et faire la queue. Mais à force de nous offrir des mises en scène avec des danseurs nus qui rampent dans des bunkers post-apocalyptiques, l’opéra local a fini par perdre son public qui le boude. Ils offrent toutes sortes de promotions et de formules spéciales, mais leurs abonnements n’ont décidément plus la cote. Les représentations du Metropolitan Opera de New York sont classiques sans être poussièreuses, mais ne reculent pas pour autant devant la modernité. Leurs sponsors privés n’accepteraient certainement pas les réinterprétations abracadabrantesques, où des gentilhommes portent des imperméables gris en haillons. Et les chanteurs sont bien sûr du plus haut niveau. Au cinéma, on y accède pour 40,-, coupe de champagne incluse. Que demande le peuple ?



Juan Diego Florez dans le Comte Ory de Rossini

Au vu de l’immense succès de ces représentations, il vaudrait la peine d’ouvrir une troisième salle. Elle se remplirait immédiatement. Les théâtres de la place constatent également un certain désamour de leurs abonnés. Etrangement, ils attribuent ce comportement à la crise ou à un changement d’habitudes du public. Il ne leur vient pas à l’idée de se demander si cela pourrait être lié à la qualité – or lack thereof – de leurs spectacles.

Que les laissés-pour-compte se consolent toutefois : des billets pour des séances individuelles seront mis en vente dès le mois d’août. A vos marques ! Prêts ? Départ !


Deborah Voigt dans la Walkyrie de Wagner

http://www.metoperafamily.org/metopera/broadcast/hd_events_next.aspx
et le Gaumont à Archamps (en plus, c'est moins cher...!)

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Dans la Tribune de Genève du 9 juin 2011:
Réveil à l’aube et grogne pour des fanas d’opéras
Pour s’assurer une place lors de la rediffusion des opéras du MET de New York, il fallait se lever très tôt lundi

 Laure Gabus | 08.06.2011 | 22:29

«Ma santé ne me permettait pas de venir plus tôt, quelqu’un a fait la queue pour moi depuis 4 heures du matin. Je suis arrivé à 7 heures», explique Freddy Martell, 76 ans. Comme lui, une centaine d’amateurs d’opéras ont fait le pied de grue dès l’aube devant les guichets des cinémas Pathé Balexert et Rex, les deux points de vente d’abonnements pour la retransmission des opéras du MET de New York.

Les guichets ont ouvert à 9 heures lundi matin et les 600 abonnements se sont envolés immédiatement. Freddy n’a pu en acheter que quatre, le maximum. Mais beaucoup n’ont pas eu cette chance et sont rentrés bredouilles. Les déçus pourront tenter d’acquérir l’une des 150 places individuelles disponibles à chaque rediffusion, mais devront attendre le mois d’août.

Depuis trois ans, Pathé diffuse toute la saison des opéras new- yorkais en direct, d’octobre à avril. Les projections connaissent «un très grand succès», reconnaît Brian Jones, directeur général de Pathé Suisse, et ce «surtout chez les personnes en âge de la retraite». Face à l’importante demande, la société a ouvert une nouvelle salle, l’année dernière aux cinémas Rex.

Freddy Martell déplore la vente aux guichets. «Nous sommes fâchés contre Pathé et fatigués», explique-t-il. L’actif retraité rêve d’un système d’achat d’abonnement semblable à celui du Victoria Hall où il est possible de garder les mêmes places d’une année à l’autre. Pathé ne souhaite pas instaurer un tel système «afin de permettre à tout le monde d’avoir une chance d’acheter un abonnement chaque année», explique Brian Jones.

Et pourquoi ne pas opter pour un système d’achat par Internet? «Une grande partie de nos spectateurs n’ont pas d’ordinateur à la maison ou ne sont pas habitués à acheter par Internet», explique Brian Jones. «Quel que soit le système, la demande sera toujours plus élevée que l’offre, résume Teodor Teodorescu, directeur de Pathé Suisse romande. Il y aura toujours des déçus.» Et donc des lève-tôt.
Et ma lettre au courrier des lecteurs du même journal, 10.6.2011:

Sans qu’aucune publicité ne soit faite dans la presse ou à la radio, un nombre considérable de mélomanes se sont levés à l’aube lundi dernier pour faire la queue en vue d’obtenir l’abonnement 2011-2012 du Metropolitan Opera de New York, diffusées en direct et en HD dans les cinémas Pathé. Quelqu’un avait pris l’initiative de distribuer des numéros, afin d’éviter un carnage et une bousculade au portillon qui aurait pu mal se terminer. Deux salles, le Rex et Balexert, affichaient complet en une heure! Il reste cependant un quota de places à vendre à la pièce, dès le mois d’août où ce sera rebelote, avec la chaise pliante dès 7h du matin. Autrefois, c’était au Grand Théâtre qu’on se bousculait de la sorte. Je le fréquente aussi et j’y ai vu de très beaux spectacles, mais c’est toujours un peu la loterie, on ne sait pas sur quoi on va tomber. Musicalement, c’est toujours au-dessus de tout reproche, c’est la mise en scène qui est souvent du grand n’importe quoi. Pourquoi ne pas ouvrir une ou deux salles disponibles à Genève pour les rediffusions en direct du Met de New York? Je songe à l’auditorium Arditti ou à l’Uptown pour ce qui est des salles actives, sinon, il y aurait encore le Plaza, le Broadway ou l’ABC, qui sont probablement complètement bouffées par les mites à l’heure qu’il est. Pour l'opéra au cinéma voir: http://www.pathe.ch/cinema/geneve/cine_opera.php

mercredi 1 juin 2011

Sifflons dans la nuit !


Pour bien faire son travail, l’interprète doit bien maîtriser ses langues. Il doit connaître les différents niveaux de langue (argotique, familier, rhétorique), les termes courants dans divers domaines (comptabilité, droit, schiste bitumineux ou pêche au chalut), ne pas être désarçonné par les accents des orateurs (indo-pakistanais, écossais, québequois, cubain, australien) et savoir manier la paraphrase au cas où le sens du discours ou le mot juste lui échapperait.

Mais ça ne suffit de loin pas. Il faut aussi savoir qui est celui qui parle, à qui il s’adresse et dans quel but ; savoir d’où il vient (Somalie ou Etats-Unis), connaître son orientation politique (militant de Greenpeace ou représentant du FMI, intellectuel de gauche ou monarchiste) et pressentir quel est le message qu’il veut faire passer. Tous ces éléments forment une sorte d’équation ou de recette de cuisine qui font que le résultat qui sortira du micro sera réussi ou raté : un accent marqué, un discours lu trop vite et un micro détourné de l’orateur et vous aurez un gâteau brûlé ou trop salé ; un discours cohérent, prononcé dans la langue maternelle de l’intervenant sur un sujet connu et l’interprète pourra faire briller tout son talent, en choisissant de belles tournures, agrémentées de termes triés sur le volet. Notre métier nous contraint pourtant à avaler des couleuvres et à apprendre l’humilité, même si on sait qu’à l’impossible nul n’est tenu. Dans quel autre métier doit-on se contenter d’un travail fait "au mieux", tout simplement parce que les conditions ne sont que rarement réunies pour nous permettre de fournir un produit correct ?

Récemment, la séance plénière du Parlement européen débattait des conclusions du Conseil européen tenu le mois précédent. Il y était question du sauvetage de l’euro, de création d’emplois, de tests de résistance des centrales nucléaires, rien que des thèmes courants traités quotidiennement dans la presse. Et voilà qu’un député britannique appartenant au groupe ELD1) prend la parole en disant : "Mr President, I would like to go back to the matter of Libya if I may." Il n’était pas, à proprement parler, hors sujet, le printemps arabe et Lampedusa ayant également été régulièrement évoqués par les eurodéputés. C’est toutefois suffisant pour désarçonner l’interprète. Rappelez-vous qu’au moment où un délégué ouvre la bouche, nul ne sait ce qui va en sortir. Et voilà que Monsieur Godfrey Bloom, car c’est son nom, enchaîne les images, les piques sarcastiques, les tournures britanniques à l’extrême, donc intraduisibles. Le coup de grâce a été : the British Prime Minister… is nothing but a superannuated schoolboy whistling in the dark. Nous avons aussi eu droit à the chickens have now come home to roost et a homicidal baboon, s’agissant de Robert Mugabe. Tout cela, en une minute et demie. Une fois le micro fermé, il ne vous reste plus qu’à vous demander ce qui vient de vous arriver, ce que vous avez fait au bon dieu pour mériter ça et surtout : quel rapport avec la choucroute ?


En réalité, un orateur comme celui-là se fiche pas mal d’être compris du citoyen portugais ou slovaque auquel il est pourtant censé s’adresser. Les débats du Parlement européen sont publics et accessibles en webcasting. Dans le cas d’espèce, le but de l’exercice était de se faire remarquer par sa circonscription et par la presse britannique, et de créer un buzz : le jour même, son intervention était sur YouTube 2).

Nous sommes de véritables caméléons et nous interprétons tous les discours, qu’ils soient prononcés par des hommes ou des femmes, des jeunes, des vieux, des fachos, des gauchos, des végétariens, des militaristes, des Témoins de Jéhovah, des personnages politiques ou des nobodys. Pendant que le micro est ouvert, nous devenons quelqu’un d’autre, nous sommes émus, nous nous indignons, nous haranguons, nous félicitons, nous insultons, nous souhaitons la bienvenue, nous observons une minute de silence, nous nous faisons conciliants et invoquons les statuts ou le règlement. Peu importe que le discours soit technique et rapide, nous demandons simplement qu’il soit cohérent et oralisé. C’est alors que nous pouvons mettre tout notre savoir-faire au service de la communication internationale.


L’anecdote ci-dessus m’a toutefois ébranlée. Vingt ans d’expérience professionnelle au compteur et je me suis retrouvée à faire des bulles comme un poisson dans un aquarium. Disons que j’ai sauvé les meubles. Malgré une quarantaine d’années de pratique de l’anglais, que je me targue pourtant de bien connaître, j’ai appris une expression que je n’avais encore jamais rencontrée auparavant : to whistle in the dark, c’est-à-dire être optimiste et gai alors qu’il n’y a aucune raison de l’être. Pourtant, au cours de la même séance, nous avons entendu : Wir haben alles im Griff, auf dem sinkenden Schiff et Tout va bien, Madame la Marquise, qui offrent de bonnes équivalences.

Décidément, les langues sont un océan insondable et une vie entière ne suffit pas à les découvrir entièrement.


Godfrey Bloom, on behalf of the EFD Group.

Mr President, I would like to go back to the matter of Libya if I may.

When did the political class and the great and the good suddenly catch up with the fact that Colonel Gaddafi is an evil man? When, since that wonderful photograph with you embracing him, Mr President, did you suddenly come to realise that he was a “wrong’un”?

I can tell you that the victims of Lockerbie in Scotland and the victims of IRA atrocities in my country knew very well what sort of scoundrel this man was. But he has got oil and he has got money so you all turned a blind eye, didn’t you?

Well, the chickens have come home to roost. The most absurd figure in all this is the British Prime Minister, who stands there rattling his empty scabbard – having disestablished the Royal Navy, having disestablished the Royal Air Force – making threats from the sidelines, with no aircraft carriers, nothing, and calls himself a Conservative but is just a superannuated schoolboy whistling in the dark.

We talk a great deal about violence against the people, we talk a lot about democracy. And yet we have had a homicidal baboon in Zimbabwe for years now, and we do not do anything about it, do we? We do not care because there is no money and there is no oil. That is so typical of this place: full of hypocrisy and humbug.
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Discours prononcé dans l'hémicycle du Parlement européen le 5 avril 2011

Les transcriptions des interventions des eurodéputés sont disponibles sur
www.europarl.europa.eu quelques jours après qu’elles ont été prononcées. Il y a de pauvres diables qui font ce travail-là. Les traductions suivent, mais bien plus tard.________________________________________
1) Groupe Europe libertés démocratie (droite)
2)

Texte paru dans la revue Hieronymus, www.astti.ch , juin 2011

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Traduction de l'intervention de M. Godfrey Bloom par les services du Parlement européen:


Godfrey Bloom,
au nom du groupe EFD. (EN) Monsieur le Président, je voudrais revenir sur la Libye, si vous me le permettez.
Quand la classe politique et les grands de ce monde ont-ils subitement compris que le colonel Kadhafi était un homme malfaisant? Quand, depuis cette merveilleuse photographie de votre accolade, Monsieur le Président, vous êtes-vous rendu compte que c’était un «sale type»?
Je peux vous dire que les victimes de Lockerbie en Écosse et les victimes des atrocités de l’IRA dans mon pays savaient très bien quel genre de fripouille était cet homme. Mais il a du pétrole et il a de l’argent, alors vous avez tous fermé les yeux, n’est-ce pas?
Eh bien, cela se retourne à présent contre nous. Le plus absurde dans tout cela, c’est le Premier ministre britannique, qui est là à agiter son fourreau vide, ayant séparé la Royal Navy et la Royal Air Force de l’État, et à proférer des menaces depuis les coulisses, sans porte-avions, sans rien, et qui se dit conservateur, mais n’est en fait qu’un écolier ringard qui tente de se donner du courage.
Nous parlons beaucoup de la violence à l’encontre de la population, nous parlons beaucoup de démocratie. Et pourtant, nous avons un babouin meurtrier au Zimbabwe depuis des années maintenant, et nous ne faisons rien pour y remédier, n’est-ce pas? Nous nous en fichons, parce qu’il n’y a ni argent ni pétrole. C’est si typique de cette Assemblée: pleine d’hypocrisie et de fumisterie.

vendredi 13 mai 2011

Bridget Jones, c’est moi!

Renée Zellweger, Bridget Jones' Diary

So, Bridget, how’s your sex life? demande régulièrement tonton Geoffrey. Oh! comme je me reconnais dans ce passage du Journal de Bridget Jones! En effet, personne ne songerait à demander aux couples mariés, the smug marrieds, quelle est la fréquence de leurs rapports sexuels. En revanche, la vie privée des singles, des pas-casées intéresse tout le monde, j’en sais quelque chose. Tout comme celle de Bridget Jones, ma vie sentimentale n’est qu’une succession d’échecs, d’espoirs déçus, de ruptures, de téléphones muets et d’oreillers trempés de larmes. A tel enseigne que j’ai décidé de renoncer à ce qui ne m’apporte que du chagrin et qui fait si mal.

Bien des gens soupçonnent que je suis lesbienne. C’est la seule explication pour une femme sans homme. Evidemment, ils n’oseront jamais me poser la question, mais je sais que cette énigme plane : mais comment fait-elle? J’ai pourtant été mariée, je suis divorcée, je devrais par conséquent avoir un statut social, on devrait pouvoir me caser dans un créneau de normalité. Mais c’est sans doute trop ancien, alors ça ne compte plus. Il y a prescription. Vaudrait-il mieux qu’on soupçonne une relation avec un homme marié, d’où l’invisibilité du partenaire? Franchement, je préfère encore passer pour une mal-baisée que pour une briseuse de ménages.

Ce qui est cocasse, c’est que depuis un an ou deux, je fréquente à nouveau mon dernier ex. On se voit en amis, sans complications, sans obligations et selon nos disponibilités respectives. Mais dans quelle case me mettre, alors? Combien de personnes ne m’ont-elles pas demandé si on s’était remis ensemble? Une amitié entre un homme et une femme, a fortiori entre ex, c’est juste inconcevable. Et voilà que, tout comme Bridget Jones, je dois répondre à la question: "Mais vous couchez ensemble ?" 1) La prochaine fois, je répondrai: "Et toi? A quand remontent tes derniers rapports?", question que ne pose normalement que le gynécologue.



Demande-t-on aux homosexuel(le)s s’ils ont un(e) partenaire et s’il y a pénétration entre eux? Je connais aussi pas mal de gens asexués, je devrais leur demander si les gens reniflent aussi leurs draps. Les gens s’imaginent sans doute que je n’ai qu’à claquer des doigts pour avoir un homme merveilleux à mes côtés. Un jour, ma mère, admirant mes jolis petits pieds, s’est exclamée: "Ah! si j’avais ces pieds-là, j’aurais eu tous les hommes du monde". Je lui ai répondu: "Maman, j’ai ces pieds-là et je suis seule."

Pendant des siècles, la société a persécuté ceux qui refusaient de remplir leur devoir, c’est-à-dire croître, multiplier et remplir la terre (Genèse 1,28). Aujourd’hui, on est devenu un peu plus cool de ce côté-là, mais on est malgré tout tenu d'être en couple.Une de mes amies est d’ailleurs d’avis que faire des enfants est un acte parfaitement nombriliste et narcissique. On veut se voir survivre dans sa descendance.


Bien que blonde, je n’arrive pas à jouer les idiotes, pourtant la meilleure des recettes de séduction. Si une femme est intelligente, il vaut mieux qu’elle soit laide, car ça correspond à quelque chose de normal. Les laiderons ont d’ailleurs en général des maris adorables, fidèles et attentionnés, de beaux enfants sages et des couples solides. Comme disait Gainsbourg, la laideur est supérieure à la beauté en cela qu’elle dure. Elle permet sans doute aussi d’avoir des relations plus sereines avec autrui. Les femmes ne vous perçoivent pas comme une menace et les hommes ne voient pas en vous un trophée. C’est pourquoi il vaut mieux choisir une jeune fille au pair laide, pour que le papa ne soit pas tenté de se faire pouponner par elle.

Les hôteliers sont les seuls à ne pas poser de questions indiscrètes. Ils sont sans doute perplexes quand ils voient arriver un homme et une femme qui passent visiblement leurs vacances ensemble, mais qui prennent des chambres séparées. Ils doivent en voir de toutes les couleurs, alors ce scénario-là est peut-être étrange, mais en tous cas inoffensif. Le secret des couples qui durent réside précisément dans la distance et la séparation, que chacun puisse garder son espace, surtout lorsqu’il s’agit de couples qui se forment à un âge, disons, plus avancé.

Un des avantages qu’il y a à vieillir est que ça devient moins étrange ou anormal d’être seul. Veuve, divorcée ou autre, les gens n’auront bientôt plus envie de me demander si je couche ou pas, et si oui, avec qui. Chaque étape de la vie a ses bons côtés.



PS: à la fin de la Walkyrie de Wagner, Wotan punit sa fille Brünnhilde qui lui a désobéi. Le pire des châtiments qu'il imagine pour elle est le mariage: elle deviendra l'épouse du premier homme qui la verra, fera de la couture au coin de l'âtre et servira son mari. La Walkyrie, désespérée, prie son père de la protéger d'une muraille de flammes, pour que seul un véritable héros puisse accéder à elle. Elle préférerait que son père la transperce de sa lance plutôt que de la livrer à un si triste sort.
So, Brünnhilde, how's your sex life? ;-)

1) la question n'est évidemment pas posée aussi crûment, mais c'est comme ça que je l'entends et c'est bien ce que veulent dire les gens

dimanche 1 mai 2011

The Royal Wedding


Il y a certains événements qu’on ne peut tout simplement pas ignorer, même si on s’en fiche royalement, c’est bien le cas de le dire. Je veux bien sûr parler du mariage du siècle – il y en aura certainement encore d’autres au cours des 89 années restantes – le mariage de Kate et de William, ci-devant duc et duchesse de Cambridge. A noter que Kate Middleton, roturière de son état, n’est pas devenue princesse, les règles techniques de la noblesse n’ayant pas prévu le cas de figure de la bergère qui épouse le Prince Charmant.


Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais parfaitement pu oublier ce qui se passait en cet an de grâce 2011 à l’Abbaye de Westminster. La radio, les journaux, internet, les manchettes des quotidiens dans la rue, tout contribuait à faire converger l’humanité tout entière vers un seul pôle, l’union de deux mortels, faits de chair et d’os comme vous et moi. Au cours de la réunion où je travaillais l’après-midi, les délégués n’arrivaient pas à se mettre d’accord. L’un d’entre eux a dit : "Il y a au moins deux personnes qui ont dit oui aujourd’hui", ce qui a provoqué l’hilarité générale dans la salle, démontrant bien que tout le monde avait compris à quoi il faisait allusion. Les débats n’avaient bien entendu rien à voir avec le carnet rose du Gotha. Il n’en n’allait pas autrement ailleurs, d’après ce que m’ont raconté mes amies : une autre conférence très sérieuse a carrément été suspendue le temps de la cérémonie nuptiale et dans une étude d’avocat de la ville, un écran géant a été installé dans une salle de travail qui a dû en voir d’autres, afin de permettre aux employés de suivre le match : "Alors, ils en sont où ?" On n’imagine pas le nombre de smartphones, de iPad et d’ordinateurs branchés sur WiFi au travail ou au bistrot qui ont également participé à cette communion planétaire.


Le lendemain soir, en zappant paresseusement, je suis tombée sur la cérémonie du mariage sur BBC Entertainment. L’événement est décidément incontournable. Ce qui m’a frappée, c’est que parmi les invités, personne ne semblait capable de chanter le psaume, ils bougaient timidement les lèvres, heureusement qu’il y avait un chœur pour faire les bruits qu’il fallait. Pas même Sir Elton John, quelle arnaque !

C’est aussi l’occasion d’apprendre plein de choses : la veille de son mariage, Kate Middleton aurait fait du shopping, mais le pantalon aurait été trop grand. L’a-t-elle laissé au magasin pour une retouche ? On ne le saura sans doute jamais. Les mariés ont quitté l’Abbaye dans l’Aston Martin de Papa, qui a été transformée pour rouler au bioéthanol distillé avec des surplus de vin britannique, ce qui n’est certainement pas dommage. Des mouvements anti-monarchistes ont certes tenté de profiter de l’événement mais apparemment en vain. Kate a une très jolie sœur, Philippa : va-t-elle, à son tour, trouver noble chaussure à son pied ?


Inévitablement, le faste et le côut indécent de tout ce tralala font débat dans une Angleterre confrontée aux coupes budgétaires en tous genre. Paradoxalement, il semblerait que le peuple apprécie d’oublier ses soucis avec des rêves de princesse. La seule robe de la mariée aurait coûté 30.000 euros ou livres, je ne sais plus (le double de celle de sa soeur), ses chaussures 4.500 CHF, sacrées pompes! D’autre part, le merchandising rapporte des millions, si ce n’est des milliards : mugs et assiettes commémoratives, affiches, cartes postales, t-shirts, chapeaux et tout ce que l’imagination humaine pourra concevoir. On trouve même des objets hyper-collector, comme ce mug Made in China, qui marie Kate à Harry. Mais attention : si l’éventuelle future reine s’appelle Kate sur les tea towels, il faudra dorénavant l’appeler Catherine – ou, mieux encore, duchesse de Cambridge.



La frénésie n’est pas moindre sur facebook, où les liens, vidéos et gags en tous genre pulullent. Un jeu très drôle consiste à se fabriquer un nom d’invité au Mariage Princier, en prenant le prénom de sa grand-mère, le nom de son premier animal de compagnie, suivi de l’adresse où on a habité dans son enfance, le tout précédé de Lord ou Lady. Cela donne, par exemple : Doña Josefa Periquito de Riant-Mont, Lord Victor Pétolu de Belles-Roches ou encore Doña Herminia Tucho de Conde Jordana et Lord Henry Yorick de Faguillon.

Reste à voir si Albert et Charlene parviendront à monopoliser l’attention planétaire de la même manière. Le défi est de taille!

vendredi 29 avril 2011

Parlez-vous chien?


Vous rappelez-vous le bon Dr Doolittle, l’homme qui savait parler aux animaux ? C’est sans doute un des fantasmes éternels de l’homme que de parvenir à lire dans les pensées des bêtes qui lui sont proches. Savoir ce que mijote un grizzli ou un aigle nous intéresse certainement moins que de comprendre Médor ou Minet, dont la pensée est toutefois assez aisément accessibles. Pas exactement du Kierkegaard. J’ai connu des chiens qui comprenaient immédiatement des mots tels que promener, chocolat ou encore chat ; leur vocabulaire s’étend bien sûr aussi à Couché ! Platz ! ou Sit ! Les chats, quant à eux, comprennent peut-être l’humain mais n’en laissent rien paraître. Ah ? Je n’ai pas le droit de me faire les griffes sur le canapé ? Tiens… c’est nouveau::prend un air d’ennui blasé :: En revanche, ils savent très bien faire passer leurs revendications: miauler bruyamment devant la porte, fût-ce au milieu de la nuit, est un message que même le dernier des idiots comprendra sans peine.


Les chevaux saisissent très bien l’intonation de la voix humaine. J’ai vu des Japonais parler leur langue à leur monture pendant la leçon d’équitation et elle les comprenait sans doute mieux que moi. Il arrivait aussi que mon cheval se mette à galoper avant que je ne lui en donne l’ordre, uniquement parce que le professeur annonçait le changement d’allure à la lettre H1). Les chevaux savent aussi compter 60x60 : ils savent parfaitement quand la leçon touche à sa fin et à partir de ce moment, ils deviennent sourds comme des pots et n'entendent même plus le japonais.

Un ami vient d’adopter une jeune chienne à la SPA. Elle est très bien élevée, ne mendie pas à table, ne tire pas sur la laisse. Mais que peut-il bien se passer dans sa tête et comment diable lui expliquer ce qui se passe ? Dans un premier temps, elle a dû penser qu’on l’emmenait promener ou qu’on allait simplement quelque part. Mais comme la même personne semblait être à ses côtés de façon plutôt durable, elle a dû commencer à faire 1+1 et se dire que ça ne se passait pas comme d’habitude. Une première tentative de la laisser, ne serait-ce que 20 minutes à quelqu’un a été un véritable fiasco : elle a refusé d’avancer du moindre centimètre, tirant désespérément dans la direction de celui dont elle commençait à subodorer qu’il était son nouveau maître. Comment lui dire que papa va revenir ? Et ensuite, comment lui apprendre qu’il ne faut pas aboyer chaque fois qu’un inconnu passe près d’elle ? A la SPA, son univers était minuscule et voilà qu’elle découvre les vitrines, le bus, plein d’autres chiens, des odeurs et des couleurs entièrement nouvelles. Elle a bien essayé le regard implorant, façon S’il vous plaît, Madame ! quand nous étions à table et elle donne souvent la papatte, l’air de dire : Ecoute, j’ai quelque chose à te raconter, mais le dialogue humano-canin reste à un niveau très rudimentaire.


Les chiens ont des maîtres, les chats ont des serviteurs. L’homme leur apporte leur nourriture quotidienne. Le chien pense : cet homme trouve ma nourriture, il doit être dieu. Le chat pense : cet homme m’apporte de la nourriture, je dois être un dieu. Que les gens choisissent plutôt un chien ou plutôt un chat comme animal de compagnie en dit long sur leur personnalité. Les chats viennent souvent en multi-pack : soit on en a un, soit on en a douze ou quarante-sept. Mais que ce soit un chien, un (des) chat(s), des gerbilles ou des canaris, les animaux nous réchauffent le cœur et nous apportent quelque chose que les humains ne peuvent tout simplement pas offrir, à cause des convenances, à cause du qu’est-ce-qu’il-va-penser-si-je fais-ça, à cause de notre timidité et de nos inhibitions. Les animaux nous aiment sans complications, sans poser de questions, sans chantage émotionnel. Ils connaissent toutefois la jalousie et il n’est pas toujours facile de se refaire une vie de couple une fois qu’on a bâti une relation avec toutou ou minou.

Avoir un compagnon, qu’il ait deux ou quatre pattes, entraîne certaines contraintes mais apporte aussi beaucoup de joie et de plaisir. Etre seul, c’est être libre, mais c’est aussi être seul. Ma foi, on ne peut pas tout avoir.

2)

_________________________________________________
1)Des lettres au bord du manège servent de repères pour les figures à faire ou pour les changements de direction
2)
www.icanhascheezburger.com Le succès de ce site réside certainement dans le fait qu’il joue sur l’idée d’un dialogue avec les chats.
http://www.sgpa.ch/

et voici un minet qui sait très bien se faire comprendre!
http://www.youtube.com/watch?v=JhlfT-x6Ys0&feature=player_embedded

dimanche 17 avril 2011

La banalisation de la violence

Une affiche visible dans les rues de Genève ces jours est particulièrement dérangeante : on y voit une femme subissant un acte de torture, étouffée par une toile en plastique. Elle vante une pièce de Harold Pinter, l’Etau 1), d’après One For The Road. Selon Wikipedia, ladite pièce dénonce la violence de l’Etat, mais sans jamais la montrer ; seuls les dialogues des personnages y font allusion. Il semble cependant que de nos jours, pour attirer le chaland, il faut du sexe et/ou de la violence. Il faut la montrer explicitement, sinon le citoyen lambda risque de ne pas comprendre qu’on va lui offrir un moment de voyeurisme. Peut-être même qu’on assistera à un séance de simili-noyade dans une baignoire. Chic !



Un soir, en zappant, je suis tombée sur un vidéo clip d’une chanteuse qui s’appelle Gabriela Climi : Nothing Sweet About Me. On y voit cette jolie jeune femme, un peu boudeuse, qui pousse la chansonnette dans une cave plutôt sordide. Elle est entourée de ses musiciens et de six ou sept hommes attachés et baillonnés, l’un est scotché au sol, un autre est ligoté et suspendu par les pieds. Elle déverse une bouteille d’eau sur un de ces prisonniers qui a visiblement soif, l’air de le narguer. Et à la fin de la chanson, elle défait le crochet qui retient le bonhomme suspendu, ce qui équivaut à le tuer. Tout ça en chantant et en souriant à la caméra. Et ça fait un tube. Est-ce choquant ou est-ce que c’est moi qui suis hyper-sensible ? A noter aussi Disturbia de Rihanna : l’ambiance Hostel et Saw, esthétisée, glamourisée, fashion à mort 2).

Les films d’horreur et de torture sont librement disponibles dans les grands magasins et les locations de vidéos. Les scènes de torture sont de plus en plus courantes, voire inévitables dans les films policiers ou d’action (le récent Casino Royale, par exemple ou The Life of David Gale où, précisément, la victime a été tuée étouffée par un sac en plastique). Quand on allume la télé au hasard le soir, on tombe inévitablement sur un flingue dirigé sur la tempe de quelqu’un, une femme qui hurle, l’ambulance et la police, du sang partout, la morgue. Faut-il alors s’étonner que les écoliers se filment les uns les autres avec leurs téléphones mobiles pendant qu’ils tabassent ou violent leurs camarades de classe ?

Orange mécanique, le film de Stanley Kubrick, est sorti en 1972. Je l’ai vu en 1976, à 16 ans, ayant perdu le vote d’un trio d’amis, s’agissant du choix du film de la soirée. Je refusais de voir un film connu pour être hyper-violent. Il était d’ailleurs interdit aux moins de 16 ans à l’époque. Sa réputation n’était pas usurpée, mais bien que la violence dépeinte dans le film soit totalement gratuite, elle est néanmoins porteuse d’un message. Le film m’avait énormément marquée. Je l’ai revu récemment, 35 ans plus tard et sa violence est toujours aussi choquante et dérangeante. Ce qui a changé toutefois, c’est que j’ai pu l’acheter pour 10,- dans une solderie, sans le moindre avertissement en couverture. A l’époque, le film avait fait des émules en Angleterre, causant des morts, comme dans le film. Le réalisateur avait alors demandé que son film soit retiré des salles en Grande-Bretagne. Cette censure n’a pris fin qu’à la mort de Kubrick.








Il est d’ailleurs étrange qu’un film aussi désagréable soit aussi populaire. Même Hello Kitty s’y met. La musique de Purcell 3), adaptée au synthétiseur, est particulièrement puissante pour créer une ambiance d’angoisse et de malaise. Le personnage principal est parfaitement odieux, ses agissements immondes et impardonnables. Mon ami Wikipedia donne une explication intéressante quant au titre quelque peu étrange de cette œuvre. Orange Mécanique viendrait d'une vieille expression cockney : He’s as queer as a clockwork orange. D’autre part, Anthony Burgess, auteur du roman éponyme, a vécu en Malaisie où orang signifie homme (orang outan = l’homme des bois). L’homme mécanique est l’homme conditionné, manipulé.
Bon, maintenant il faut que je revoie le Dernier Tango à Paris pour mesurer la distance parcourue depuis les années -70 dans une autre catégorie. Je l’ai vu vers 18-19 ans, bien des années après sa sortie et je me suis mortellement ennuyée. Tout ça pour ça…

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Ce qui est amusant c'est que, s'agissant d'un film qui était d'anticipation à l'époque, on y voit: une minicassette, un magnétophone de type ReVox (c koi?) et un projecteur de diapositives!



1) Affiche pour la pièce "L'Étau, une histoire articulée autour de «Un pour la route» de Harold Pinter, une réflexion caustique, tantôt cruelle, tantôt sombre, sur les manipulations et les oppressions dont nous sommes ou pourrions être les victimes." Au théâtre des Grottes, du 12 avril au 1er mai 2011
2) Sur YouTube: Gabriela Climi, Sweet About Me et Rihanna, Disturbia
3) Music for the Funeral of Queen Mary

dimanche 3 avril 2011

Fêlures

Ma mère est veuve depuis un peu plus d’un an et, bien qu’ayant trouvé un nouveau modus vivendi, elle souffre malgré tout de solitude. C’est pourquoi elle a répondu à la petite annonce d’une jeune fille au pair allemande, pensant que celle-ci pourrait lui faire la conversation en guise de cours de langue, contre rémunération s’entend. L’au pair en question a répondu qu’elle avait déjà trouvé du travail. Cependant, peu de temps après, elle a repris contact avec ma mère, car elle n’avait plus où se loger. Ma mère lui a proposé une chambre, pensant que par la même occasion, elle aurait ainsi auprès d’elle quelqu’un qui pourrait l’aider avec de menues tâches, une présence rassurante.

Déjà, l’urgence dans laquelle la jeune fille avait besoin de se loger aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. La première drôle de surprise a été de découvrir qu'elle avait 41 ans. Elle voulait postuler pour un job au Salon de l’Auto, à la veille de l’ouverture de celui-ci et sans aucun moyen de locomotion pour s’y rendre. Ses prétendues recherches d’emploi aboutissaient toujours dans une impasse, car elle s’estimait sur- ou sous-qualifiée. Le principal problème était surtout qu’elle dormait quasiment toute la journée.

Petit à petit, il est devenu assez évident qu’elle avait trouvé une bonne planque chez ma mère, qui a regretté de lui avoir offert la chambre gratuitement. En effet, ma mère n’a pas besoin de toucher de loyer, mais elle peut confirmer que ce qui est gratuit est sans valeur aux yeux de la plupart des gens. Son "invitée" avait non seulement la chambre, mais aussi l’internet, la cuisinière et le lave-linge gratuit. Il a même fallu que je lui précise que les repas n’étaient pas inclus dans l’arrangement. Elle n’allait certainement pas être pressée de trouver une autre solution, car ses journées s’écoulaient, ma foi, fort agréablement: grasse matinée, puis copieux petit-déjeuner pendant une heure ou deux, après quoi elle se rendait à son cours de yoga ou à son cours de peinture sur porcelaine.

Il a fallu mettre le holà à cette situation avant qu’elle ne s’éternise ni ne pourrisse. L’incruste s’est montrée fort marrie, surprise et déçue d’apprendre qu’elle ne pouvait pas prendre racine. Pour se défendre, elle a même dit qu’il était normal qu’elle ne fasse rien pour ma mère, puisque ce genre de service est normalement rémunéré: puisqu’elle ne paie rien pour la chambre, il n’est que normal qu’elle ne travaille pas bénévolement non plus. Logique ! Elle a soudainement commencé avoir toutes sortes de jobs potentiels : l’école enfantine d’en-face l’aurait engagée au 1er avril, un hôtel de la place au 1er mai. Une famille de très bon niveau l’aurait engagée pour qu’elle les suive à Londres et à Paris et lui aurait envoyé son billet d’avion; elle devait partir le surlendemain de notre ultimatum, espérant ainsi grapiller encore deux nuitées de plus.

Aux dernières nouvelles, elle est toujours dans la bourgade où vit ma mère. Elle prend des cours d’improvisation théâtrale, ce qui est approprié quand on n’a ni revenu, ni logement, ni travail et qu’on a laissé sa veille voiture en panne chez son précédent employeur. Les courriers électroniques qu’elle m’a envoyés me permettent sérieusement de douter de sa santé mentale. Elle a l’intention d’écrire aux Prince des Pays-Bas, qu’elle trouve fort sympathique pour l'avoir vu à la télé, pour lui demander d’intervenir auprès d’Angela Merkel afin que celle-ci intercède en faveur de sa mère (qui doit avoir autour de 60 ans) pour lui permettre de faire l’apprentissage de fleuriste qui lui a été refusé dans sa jeunesse. La Chancelière est une femme très compréhensive qui, entre les élections perdues en faveur des Verts et la guerre en Libye, n’a sans doute pas encore assez d’autres chats à fouetter.

Bref, voici une femme ni jeune ni vieille, qui n’a plus toute sa tête, qui n’a pas de revenus et qui n’a certainement pas l’intention de chercher de travail (trop ennuyeux, trop fatigant, il faut se lever le matin et il faudrait renoncer aux cours de yoga, pffh !) et qui arrive à apitoyer les gens pour qu’ils la logent. Elle semble avoir des économies, peut-être que ses parents lui envoient de l’argent. Mystère et boule de gomme.

Elle a toutes ses possessions terrestres dans une multitude de sacs. Plus de voiture, pas de travail et une sérieuse fêlure entre les oreilles. Quand ses ressources seront taries, elle finira sans doute sur un banc, dans un parc, avec ses baluchons dans un caddie pour toute compagnie. Peut-être même qu’elle parcourra les rues en haranguant la foule de ses quatre vérités, comme le fait une femme dans les rues de Genève. Qui sont-ils, ces personnages qui vivent sous les ponts ou sur les trottoirs ? Il y en a plusieurs à Genève. Un Grison qui vivait dans un kiosque et qui a refusé le logement propre, chaud, aseptisé et solitaire que les services sociaux lui ont proposé ; le monsieur japonais du square derrière le monument Brunswick ; la dame française et son fils qui vivent dans les toilettes publiques vers les Halles de l’Ile ; le peintre africano-belge qui vivait sous la gare et qui a fini par être rapatrié en Belgique ; et combien d’autres encore. Je n’inclus pas dans ce groupe les djeuns à chiens, tatoués et piercés qui font la manche devant la Coop : ils ont sûrement une chaîne stéréo et une télé à écran plat qui les attend chez papa et maman. Ceux-là ne méritent qu’un coup de pied au cul, pardon my french ! Les Roms forment une catégorie à part aussi.
On a vite fait de se retrouver à la rue : on perd son emploi, on ne peut plus payer son loyer. On loge chez des amis, ça va pendant quelques semaines. Sans logement, impossible d’avoir des chemises repassées, d’être présentable pour les entretiens d’embauche qui sont de toute manière impitoyables, même si on a tout pour soi. On se décourage, on n’a plus l’énergie de prendre soin de son apparence. A partir de là, tout dégringole. On finit par perdre tout espoir, toute dignité, on cesse de lutter et, avec un peu de chance, l’Armée du Salut vous tend la main.

Quand j’étais plus jeune, j’avais parfois le fantasme de sauver un clochard, d’aider ceux dans le besoin. Ça peut certainement être gratifiant, si on arrive à sortir quelqu’un de la déchéance. Toutefois, ceux qui finissent dans la rue sont sans doute souvent responsables de leur sort, comme semble le prouver la jeune fille au pair dont il est question plus haut. Il est difficile de passer froidement devant les mendiants, mais à quoi sert-il de leur donner deux francs ? Ils achèteront des cigarettes et resteront sur le trottoir. Alors que faire ?