jeudi 16 juin 2022

Un voisin bien encombrant

Février 1940, à 100 mètres des troupes soviétiques


Un Russe restera toujours un Russe, même si on le fait frire dans du beurre

Ryssä on ryssä vaikka voissa paistaisi -dicton finlandais


Le 24 février 2022, la Russie envoie ses troupes attaquer l’Ukraine, pour la libérer, la dénazifier. Le 30 novembre 1939, l’Union soviétique lance son attaque contre la Finlande, afin d’avancer ses lignes de défense contre l’Allemagne nazie, en dépit d’un pacte de non-agression signé en 1932. Ces deux événements parfaitement parallèles sont distants de 83 ans, mais l’histoire se répète d’une façon absolument effrayante. Les Nations Unies et l’Union européenne ont vu le jour au lendemain de la Seconde guerre mondiale dans l’espoir de faire régner la paix dans le monde et dire Plus jamais ça !. Ce projet aura tenu un peu moins d’un siècle dans le monde occidental, la guerre faisant rage partout ailleurs dans le monde ou presque.


L’opération spéciale russe en Ukraine est tout aussi illégale et injustifiée que l’était l’invasion soviétique en 1939. Dans les deux cas, une énorme puissance militaire attaque son frêle voisin, au prétexte de vouloir protéger sa sécurité et son intégrité territoriale. Les Finlandais ont résisté à des troupes quatre fois plus nombreuses que les leurs, l’asymétrie est certainement encore plus marquée pour les Ukrainiens, qui jouissent toutefois d’un énorme soutien occidental, ce n’était certainement pas le cas pour leurs frères nordiques. Ces petits pays ont l’avantage stratégique de connaître leur terrain, ils sont en outre animés d’une flamme patriotique et du besoin de défendre leur terre, leur famille, leur avenir, autrement dit leur survie en tant que peuple. Le courage et la ténacité des Ukrainiens ressemblent à ce qu’on appelle le « sisu » en Finlande, c’est-à-dire une force mentale d’airain, une détermination inébranlable et une persévérance tenace qui leur permettront de se tremper dans un lac gelé, d’affronter un ours ou de combattre les troupes soviétiques. Les Ukrainiens retranchés à Marioupol résistent encore et toujours à l’envahisseur … mais quelle est donc leur potion magique ?


Molotov bread basket
Au début de l’invasion russe, les Ukrainiens préparaient des cocktails Molotov pour accueillir ces invités indésirables. Cette arme du pauvre a été inventée pendant la Guerre civile d’Espagne, mais ce sont les Finlandais qui lui ont donné ce nom. En effet, Molotov était le Ministre des affaires étrangères soviétiques, qui prétendait venir en aide au peuple voisin en leur apportant de l’aide alimentaire - sous forme de blindés et de bombes. Déjà à l’époque, les Russes avaient cette étrange manie de déformer les faits. 

Dans les deux cas, les Russes/Soviétiques pensaient ne faire qu’une bouchée du petit pays à leur frontière. Dans les deux cas, ils se sont heurtés à un peuple uni comme un seul homme, femmes, grand-mères, enfants montant tous aux barricades. L’envahisseur a subi de lourdes pertes, aggravées par l’humiliation de l’échec. Les Ukrainiens reçoivent une aide massive de l’occident et les troupes du Troisième Reich sont venues secourir les Finlandais - de façon intéressée, cela va de soi. Les Russes obtiendront le résultat parfaitement opposé à celui escompté, comme aujourd’hui en Ukraine. Malheureusement pour la Finlande, leur alliance avec les forces nazies les mettra dans le camp des perdants au terme de la guerre. Non seulement ils ne bénéficieront pas du Plan Marshall, mais ils devront payer des réparations de guerre à l’Union soviétique. Ils devront également rester neutres et faire profil bas, ne jamais voter contre l’URSS à l’ONU, ne pas collaborer avec quoi que ce soit d’occidental. Cette indépendance-soumission portait le nom de finlandisation. Or la Finlande envisage maintenant de rejoindre l’OTAN, c’est bien la preuve qu’une page historique est en train de se tourner. 


Évacuation de civils de Carélie - mars 1940
Au lendemain du conflit, les Finlandais ont perdu 10% de leur territoire à l’URSS. Les populations vivant dans l’isthme de Carélie ont été évacuées vers le centre de la Finlande, ma mère était une de ces personnes déplacées. Toute sa vie, elle a gardé la nostalgie de son village, perdu à jamais. Terijoki, aujourd’hui Zelenogorsk, était - est toujours - un lieu de villégiature au bord de la Baltique, à une heure de train de Saint-Petersbourg (Léningrad à l’époque). A la chute de l’URSS, les Finlandais ont caressé l’espoir de récupérer leurs terres, mais en vain. Maintenant, ils craignent que leur gros voisin encombrant ne décide que le moment soit venu pour eux de retourner dans le giron de Mère Russie.


A l’heure où ces lignes sont écrites, nul ne peut prévoir l’issue de l’affrontement qui se déroule à nos portes, aux frontières de l’Union européenne. L’Ukraine perdra-t-elle, comme la Finlande, 10% de son territoire à l’est, sera-t-elle contrainte de céder le Donbass aux appétits insatiables de la Russie ? La Moldavie sera-t-elle la prochaine conquête de Poutine ? Prions pour que le conflit ne dure pas des décennies, comme c’était le cas en Afghanistan. 


L’Ukraine a son héros en la personne de Volodymyr Zelensky, la Finlande avait le maréchal Mannerheim, commandant en chef des forces finlandaises au cours des deux guerres mondiales. C’était un fin stratège militaire, qui a réussi à repousser l’ennemi tout en évitant les pertes humaines. Il est également parvenu à éviter toute persécution des juifs finlandais, malgré les pressions des nazis. Il a ensuite été président du pays de 1944 à 1946. À noter qu’il est décédé à Lausanne et qu’un monument à son honneur a été érigé à Territet, près de Montreux, au parc Mannerheim.


C'est vrai qu'on emporte avec soi son fardeau de soucis et de chagrins qui vous minent, mais s'il y a au monde un endroit pour trouver l'oubli, le calme et le repos, c'est bien la Suisse - Mannerheim

La plage de Terijoki, entre 1917 et 1939

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d'Hiver


https://www.blick.ch/fr/news/monde/lambassadeur-valtteri-hirvonen-pour-la-finlande-la-guerre-froide-na-jamais-pris-fin-id17512345.html 


Voir aussi : Le mémorial Mannerheim à Territet (Montreux)


Neue Zürcher Zeitung - mai 2022


Face à la Russie, la Finlande s’interroge sur son «talon d’Achille» démilitarisé

Tribune de Genève, juin 2022

Ses milliers d’îlots rocheux, ses paysages bucoliques... et sa zone démilitarisée sous l’oeil d’un consulat russe: dans l’archipel finlandais des îles Åland, toute présence militaire est impossible en vertu de traités avec la Russie remontant à plus de 160 ans.

La demande d’adhésion de la Finlande à l’Otan à la suite de l’invasion de l’Ukraine par Moscou a relancé le débat sur le statut militaire de cet archipel autonome de 30.000 habitants, niché en mer Baltique à mi-chemin entre la Suède et la Finlande.

«On a toujours pensé: qui voudrait nous attaquer quand nous n’avons rien qui ne mérite d’être capturé ?", explique à l’AFP Ulf Grüssner, un îlien de 81 ans. «Mais cela a changé avec la guerre de Poutine en Ukraine», confie ce retraité vivant à Mariehamn, le chef-lieu de l’archipel, qui a fêté jeudi un siècle de son autonomie. ….

Des armées se sont ainsi disputé le contrôle d’Åland pendant les deux guerres mondiales. «Pourquoi croire, alors que cela n’a jamais été le cas lorsqu’il y a eu des guerres en mer Baltique, que des troupes ne vont pas se précipiter pour contrôler Åland le plus vite possible?", plaide 

Dans ces îles jadis russes, la démilitarisation se fait au départ au détriment de la Russie tsariste, après un traité de 1856 suivant sa défaite lors de la guerre de Crimée. Après l’indépendance de la Finlande en 1917, l’archipel bien que suédophone tombe dans le giron de la nouvelle nation, avec toutefois un statut d’autonomie toujours en vigueur. Au terme de la Seconde guerre mondiale marquées par des années de guerre sanglante entre l’Union soviétique et la Finlande, la démilitarisation d’Åland se poursuit dans un nouveau traité de 1947, cette fois défavorable à Helsinki.

Emblème de l’oeil de Moscou, l’URSS ouvre en 1940 un consulat dans le bourg de Mariehamn, où flotte toujours le drapeau russe aujourd’hui. Depuis le début de la guerre en Ukraine, c’est là que, chaque jour, des habitants d’Åland viennent crier leur colère contre le président russe Vladimir Poutine et son invasion. … La Russie détient aussi une autre maison sur l’île, saisie à la famille d’Ulf Grüssner: son père était allemand et l’accord de 1947 prévoyait que toutes les biens allemands d’Åland deviennent propriété soviétique. «Ils ont donné trois jours à ma mère pour s’en aller», se souvient l’octogénaire, en montrant la maison délabrée dont l’accès est bloqué par une chaîne. En 2009, une partie de la propriété a été transférée directement au Kremlin. Ulf Grüssner redoute de voir l’ex-maison familiale et la démilitarisation servir de «prétexte» à une augmentation de la présence russe dans l’archipel. «C’est improbable, mais d’un autre côté ce n’est pas impossible», juge-t-il.





1 commentaire:

Anonyme a dit…

L'histoire de la Finlande est largement méconnue et ce billet aide à combler cette lacune.
Il m'a toujours semblé que ceux qui voulaient " comprendre Poutine" ne réalisent pas ce que ça signifie d'avoir un si immense voisin direct.
Oui, il faut comprendre, mais comprendre l'entier de la problématique, avec l'historique sur le temps long et toute la philosophie politique qui est restée assez constante : affirmer sa présence et sa préséance. Comprendre pour survivre.

Etre un petit pays signifie que l'on doit trouver des astuces et des stratégies pour affronter les grands. Si on compte sur la bienveillance dans un contexte géopolitique et d'enjeux économiques, on prend d'immenses risques.
C'est là que je vois une différence fondamentale entre la Suisse et la Finlande.
Ici, on pense que p.ex. l'UE doit s'adapter aux demandes de la Suisse parce que c'est la Suisse. Elle aurait droit à un statut exceptionnel de par sa nature même.
En Finlande, on se dit qu'il n'y a pas de traités sans côtés négatifs, pas de médailles sans revers. La vie n'est faite que de revers à surmonter ( sisu).
Et à la fin, il faut être capable de s'en sortir tout seul, parce qu'en fin de compte, jusqu'à présent, son seul prestige n'a pas suffi à lui valoir des soutiens.
En ça, l'adhésion à l'OTAN est quelque chose de fondamentalement nouveau.
L'expérience de l'UE a montré que la Finlande ( pays sans grandes ressources naturelles et à l'économie fragile) se retrouve à devoir payer pour des pays qui ne gèrent pas bien leur budget et qui ont un certain degré de corruption.
Je ne crois pas que les Finlandais pensent être sortis d'affaire, mais au moins auront-ils tout essayé pour empêcher l'encombrant voisin de déborder.

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