dimanche 22 avril 2012

Ton chien une médaille aura...


... et à la sueur de ton front, tu l’obtiendras.
Voilà la devise de tout détenteur de chien à Genève. Etant devenue, bien malgré moi, la semi-maman d’une adorable chienne, j’ai tout loisir d’observer ce que cela représente d’avoir un animal de compagnie. C’est beaucoup d’amour, de plaisir et de moments amusants, mais c’est aussi beaucoup de contraintes, de soucis, de frais et d’emm... administratifs.

Commençons par le commencement. Adopter un chien à la SGPA  coûte 250 CHF, ce qui couvre les frais vétérinaires, les vaccins, la stérilisation et la puce ANIS , qui permettra de vous retrouver si vous étiez tenté d’abandonner votre chien sur une aire d’autoroute. Il faudra ensuite vous équiper d’une ou de plusieurs laisses, ainsi que d’un modèle pour la voiture, qui s’accroche comme une ceinture de sécurité; une ou de plusieurs gamelles, des jouets, une couverture ou un panier; de la nourriture et des friandises, bien évidemment. Si vous pensez qu’il vous suffit maintenant de jouer avec votre toutou, vous vous trompez lourdement! Si vous prenez un chien adulte, il aura certainement déjà appris à être propre et aura aussi acquis certains comportements corrects, mais il reste encore à créer le lien entre vous et la bête, pour qu’elle revienne quand on l’appelle, par exemple.
Viennent ensuite les démarches administratives. Les détenteurs de chiens doivent s’acquitter d’un impôt, ce qui est bien normal. Mais il ne suffit pas de payer et basta, ce serait trop simple. Tout chien et tout maître doivent suivre quatre cours d’éducation canine obligatoires, en vue d’obtenir l’attestation correspondante, qu’il vous faudra ensuite présenter pour obtenir la médaille qui prouvera que vous êtes en règle. Si votre chien pèse plus de 25 kg et/ou fait plus de 56 cm au garrot, vous devrez passer un TMC, le test de maîtrise et de comportement et passer à la caisse en conséquence. Ne reste plus alors qu’à trouver un éducateur canin, avec l’aide de google. Entre ceux qui ne répondent ni au téléphone ni aux e-mails, entre ceux qui vous disent: «Ah? Parce que vous voudriez suivre des cours?», ceux qui reçoivent leurs élèves les jours ouvrables pendant les heures de bureau.... ce n’est pas si simple que ça en a l’air. Nous avons fini par trouver une école pour chiens, les dimanche matins à 10h, en rase campagne, il faut donc impérativement avoir une voiture.



Nous avons réussi à faire les quatre cours dans le délai imparti, en dépit de plusieurs dimanches d’un froid polaire ou de pluies diluviennes. C’était très sympathique d’être en forêt, avec toute une ribambelle de chiens de toutes les tailles et de toutes les couleurs. L’ambiance était celle d’une cour d’école: les toutous se jaugent les uns les autres, il y a les petits et les grands, les timides, les fanfarons, les grandes gueules, les désobéissants, les premiers de classe et notre petite chérie, que nous couvions des yeux, en espérant qu’elle sera sage et qu’elle ne nous couvrira pas de honte. Le cours est ponctué de plusieurs récrés, au cours desquelles tout ce petit monde peut courir et jouer ensemble. On ne peut pas vraiment dire que nous ayions appris grand chose, étant donné qu’on nous disait de faire tel ou tel exercice et si notre chienne n’y arrivait pas, le moniteur nous disait: «il faudrait qu’elle reste à sa place» ou «il faudrait qu’elle revienne quand vous l’appelez». Certes. Notre choupette est relativement obéissante*), mais comme ça, tôt le matin, quand on n’a pas encore eu le temps de lui donner de grande balade d’une heure pour la défouler et qu’elle est entourée de plein de nouveaux copains, elle était trop distraite et excitée pour faire attention à nous. Toujours est-il que nous avons rempli notre devoir, 4 x 25 CHF + 30 CHF pour l’attestation, ne restait plus que le reste du chemin à parcourir, à savoir trouver la police municipale.



A nouveau, c’est google qui a volé à ma rescousse, car personne n’était capable de me dire où elle se trouvait. L’éducatrice canine habitant du côté français n’en n’avait pas la moindre idée, le réceptionniste à la police cantonale non plus. Ayant finalement trouvé leur site internet, j’y ai aussi trouvé la liste des documents à rassembler:
  1. la confirmation de l'enregistrement du chien à la banque de données ANIS (puce électronique);
  2. l'attestation d'assurance responsabilité civile spécifique pour "détenteur de chien";
  3. le certificat de vaccination, avec vaccin contre la rage obligatoire avec une protection vaccinale valide. ... ;
  4. l'attestation de suivi du cours théorique ou le justificatif de sa dispense délivré par le service de la consommation et des affaires vétérinaires (SCAV);
  5. l'attestation de suivi du cours pratique ou le justificatif de sa dispense fourni par le SCAV;
  6. la pièce d'identité du propriétaire.
A noter que si vous avez été détenteur d’un chien avant le 1er septembre 2008 et que vous arrivez à le prouver, vous serez dispensé de suivre le cours théorique. La médaille coûte 10 CHF et l’impôt proprement dit 107 CHF pour le premier chien (147,- pour le deuxième et 207,- dès le troisième). Les années suivantes, le bordereau pour l’impôt devrait arriver automatiquement par la poste, il ne sera plus nécessaire d’aller transporter tous ces documents au guichet de la police municipale.
Il ne reste plus qu’à penser à lui donner du vermifuge et de l’anti-tiques et à renouveler les vaccins le moment venu. Avoir un chien demande beaucoup de patience et de tolérance, il faut organiser sa vie autour de son compagnon, en sachant qu’il faut lui donner au moins quatre sorties par jour, non seulement pour lui permettre de faire ses commissions, la petite et la grande (penser à toujours avoir plusieurs sacs à crotte sur soi, ça peut servir), mais aussi pour sa santé mentale et son bien-être. Laisser un chien tout seul toute la journée dans un appartement est cruel et égoïste. Les chats supportent cela bien mieux, surtout s’ils sont à deux (ou trois).
En échange de tout ce travail, de tous ces frais et de tous ces efforts, on a un ami fidèle et sincère - un chien est incapable de mentir ou d’être hypocrite - et tout plein de léchouilles! Obsédés de l’hygiène s’abstenir...

Moi, tant qu'on me donne des bananes...
*) grâce à une série de cours d'éducation au clicker, l'objet d'un prochain texte


Voir aussi: Parlez-vous chien?

Loi genevoise sur les chiens

dimanche 1 avril 2012

Une ville en voie de disparition



Mon cinéma de quartier va probablement devoir fermer ses portes et disparaître, victime d’une hausse de loyer et de la nécessité de passer à la projection numérique. Il n’est ni le premier ni le dernier à subir la pression de la modernité qui avance à la façon d’un rouleau compresseur. Une kyrielle de cinémas a disparu ces dernières années et, le plus triste, c’est qu’il n’y a rien à la place, rien qu’une enseigne vide, pas même un kebab ou un Starbucks pour occuper les lieux et donner un peu de vie à nos rues.


rue de Chantepoulet

Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas aux cinémas. Deux restaurants Mövenpick, pourtant florissants, ont mis la clé sous la porte. L’un a été remplacé par un horloger de luxe, l’autre a été repris par un autre restaurant, mais qui n’a pas marché. Depuis environ deux ans, c’est une arcade borgne, vide et abandonnée. Les vitrines orphelines sont de plus en plus nombreuses en ville, les commerçants se faisant expulser ou partant d’eux-même quand on leur annonce que leur loyer va doubler, voire tripler. Seules les boutiques de luxe et les bijouteries peuvent dorénavant avoir pignon sur rue à Genève. 

rue de Chantepoulet

Dans mon quartier, ce sont des galeries d’art moderne qui occupent des espaces de création où l’air, l’intellect et des murs blancs immaculés se disputent des lieux qui ne sont généralement occupés que par une personne, assise seule derrière un ordinateur portable. Les postes de quartier ferment les unes après les autres, déplaçant leur services dans la boulangerie ou la pharmacie voisines. Les agences de voyage doivent avoir quelque chose de plus à offrir pour pouvoir régater avec internet. Le point de vente des CFF à la place Longemalle va fermer pour cause de triplement du loyer. Les clients auront le choix entre faire la queue pendant des heures à Cornavin ou acheter leur billet en ligne, pardi!


Fermé depuis une...

Les disquaires et les libraires tirent la langue, victimes des achats sur internet. Quant au vidéo-clubs, leurs jours sont comptés. Non seulement, il est très simple de télécharger gratuitement des films et des séries télé, mais les fournisseurs d’accès et les chaînes de télévision numérique proposent des films à commander d’un simple clic sur sa télécommande. On peut également louer des films pour 6,- via iTunes ou amazon, sans devoir quitter ses pantoufles.


... dizaine d'années

Les logements devenant de plus en plus inabordables, il devient tout simplement impossible pour le citoyen lambda, membre de la classe moyenne, de se loger, ni en ville ni à la campagne. Le centre ville ne sera bientôt occupé que par des bureaux, des banques, des bijouteries et des boutiques de grands couturiers. Ces gens-là font fonctionner les restaurants à midi et les bars après la fermeture des bureaux, mais c’est tout. Tout le reste pourra fermer et disparaître à jamais. Un restaurant de couscous a failli se faire déloger par une banque, qui s’était pourtant installée bien après, car les odeurs de cuisine les incommodaient. Quant au mythique Relais de l’Entrecôte, il a pu être sauvé un in extemis – mais pour combien de temps ? – grâce au tollé qu’a provoqué l’annonce de son expulsion.

ex-Au Paradoxe Perdu*), arcade vide depuis avril 2011

Nous vivons déjà dans le monde de 1984 de Georges Orwell pour ce qui est du fichage omniprésent de nos moindre faits et gestes. Notre visage est enregistré par d’innombrables caméras dans les lieux publics, tout paiement par carte laisse une trace, votre ordinateur sait tout ce que vous faites, votre téléphone mobile aussi. Nous allons bientôt vivre chacun calfeutré dans notre appartement et nous recevrons tout par internet, sur nos écrans télé, sur nos ordinateurs, nos smartphones et nos tablettes. Des frigos intelligents peuvent déjà vous signaler que vous allez être à court de lait ou de beurre, bientôt ils enverront automatiquement une commande en ligne au supermarché de votre choix. Nous pourrons vivre entièrement cloîtrés chez nous, ce qui nous permettra aussi d’être à l’abri de la délinquance urbaine. Qui va encore flâner dans des boutiques, alors qu’on peut tout commander moins cher sur internet ? Qui a encore besoin d’un épicier de quartier ? Les dépanneurs qui vendent des cigarettes et de l’alcool, même en pleine nuit, se portent en revanche très bien. 

Bd de Saint-Georges
Que faut-il penser d’une société où on peut acheter des bijoux et des robes de haute couture d’une part, des cigarettes et de l’alcool d’autre part, mais où les cinémas, les bistrots sympas, les librairies – en gros, toute activité commerciale normale - meurent à petit feu ; une ville où se déplacer, que ce soit en voiture ou en transports publics, devient un véritable parcours du combattant ; une ville dont la population active doit s’exiler dans le pays voisin, faute de logements abordables. Genève va bientôt ressembler à une ville fantôme dans laquelle les méga-riches se barricaderont dans des résidences sécurisées pendant qu'une faune interlope rôdera dans les rues. L’ambiance est indéniablement en train de changer et pas forcément pour le mieux.

Rue Paul-Bouchet
Voir aussi: Qui a tué le petit commerce?


*) actuellement au 23, rue des Bains, 1205 Genève / le magasin a fermé ses portes le 16.6.2015, mais continue d'exister sur internet www.auparadoxeperdu.com