vendredi 2 décembre 2011

Hauch der Hydra – Helga Murauer


Synopsis : Sara Fazzan, interprète de conférence (cabine allemande avec l’italien en langue B et d’autres langues dans sa combinaison, comme l'anglais et le français, en train d’apprendre le portugais), entend par hasard des bribes de conversation entre deux Italiens qui envisagent d’assassiner un homme politique devenu gênant. Elle se trouve impliquée, bien malgré elle, dans une course poursuite impitoyable et doit constamment chercher à échapper à ceux qui lui veulent décidément beaucoup de mal. Le roman nous emmène dans différents lieux et nous décrit l’incroyable pouvoir de la mafia, ainsi que la dure vie des témoins protégés.
Contrairement au roman de John le Carré dont il était question dans le premier article de cette série, la profession d’interprète de conférence est décrite ici dans sa réalité, étant donné que l’auteur appartient elle-même à ce corps de métier. Cette histoire pourrait arriver à n’importe qui, mais notre travail nous donne sans doute plus souvent qu’à d’autres l’occasion d’entendre des choses qui devraient rester privées.

L’héroïne est, malgré elle, témoin d’un échange entre deux personnages qui trament de noirs desseins. Ce n’est toutefois pas en cabine, en sa qualité d’interprète, qu’elle entend ces propos, mais dans la salle de repos. La conférence pour laquelle elle travaille, un congrès syndical, se tient vraisemblablement dans un hôtel, en tous cas dans un lieu où des cabines mobiles auront été montées à titre provisoire. La salle de repos des interprètes aura, elle aussi, été bricolée à l’aide de rideaux et de paravents, ce qui explique de façon parfaitement vraisemblable les circonstances qui font démarrer cette aventure décoiffante.

La cathédrale de Florence

Les interprètes étant des personnes extrêmement mobiles, ils n’ont pas de bureaux, mais des pièces qui leur sont réservées, avec quelques fauteuils, quelques téléphones, éventuellement un ou plusieurs ordinateurs, un tableau d’affichage. C’est le lieu où on trouve un peu de silence, où on peut déposer son manteau ou sa valise, où on donne rendez-vous à des collègues. Ce genre de coin tranquille n’est généralement pas prévu dans les hôtels ou autres sites improvisés où les conférences peuvent avoir lieu. C’est pourquoi, dans ce roman, cet espace n’est délimité que par de fines cloisons.

L’auteur décrit de façon tout à fait réaliste le déroulement d’une réunion. Les interprètes sont à deux dans une cabine et font chacune à leur tour une demi-heure. La deuxième réunion où travaille l’héroïne est toutefois différente : il s’agit cette fois-ci de chuchotage, mais le vrai, pas la version cinéma. Il n’y a qu’un participant germanophone qui ne comprend pas l’italien. L’interprète se place à ses côtés et chuchote simultanément en allemand ce qui se dit en italien dans la salle. Lorsque le germanophone – un commissaire européen – prend la parole en allemand, elle prend des notes pour restituer ensuite le message en italien, par après, c’est-à-dire en consécutive. Les participants qui comprennent l’allemand rient lorsque le commissaire fait des plaisanteries, en revanche, les italophones qui dépendent de l’interprète ne rient que lorsque celle-ci répétera le message, en italien. Contrairement à Bruno Salvador 1), qui fixe une bouteille de Perrier et parle sur un ton monotone, Sara Fazzan s’adresse à son public et parle avec une intonation animée. Elle ne rendrait pas service à son commissaire allemand si elle ne le faisait pas.


On croit souvent que la consécutive est plus facile. En effet, la simultanée paraît tout simplement magique et surhumaine, un tour d’acrobatie impossible pour le commun des mortels. En réalité, la plupart des interprètes chevronnés préfèrent de loin la simultanée. Non seulement elle nous permet de nous cacher dans nos cabines, qui sont en général placées loin, au fond de la salle, mais la durée de mémorisation du message à transposer est bien plus courte. N’oubliez pas que nous répétons les idées de quelqu’un d’autre et lorsqu’il s’agit du décret-loi N° 4561/02 sur le droit hypothécaire luxembourgeois ou encore des limites maximales de résidus de ractopamine, on préfère évacuer ça le plus vite possible. En consécutive, nous sommes sous les feux de la rampe, avec plusieurs dizaines de paires d’yeux braqués sur nous. Il faut savoir parler en public, ne pas être perturbé par le trac et être capable de relire les notes qu’on a prises à la hâte, parfois debout dans l’obscurité, alors que l’orateur raconte en quatrième vitesse l’histoire du château dans lequel se déroule le dîner de gala.

Contrairement aux conférences en simultanée, avec cabines et écouteurs, les prestations de chuchotage et/ou consécutive peuvent se faire seuls, ce qui est le cas ici. Après avoir terminé le travail proprement dit, Sara Fazzan est encore priée de servir de truchement, tard le soir, entre le commissaire et quelques journalistes. Lorsque les conférences se déroulent dans des lieux isolés – belles villas sur le lac de Côme, châteaux, croisières ou autre – les interprètes sont généralement plutôt farouches et préfèrent décliner les invitations au dîner ou au cocktail 2). En effet, nous savons d’expérience que nous finissons souvent par devoir interpréter entre des convives ou alors répondre aux sempiternelles questions : « Mais comment faites-vous ? Et vous parlez combien de langues ? »

Cabines mobiles
C’est à l’occasion de ce contrat d’un jour en chuchotage que les choses commencent à se corser pour notre héroïne. Elle n’a qu’une envie : prendre la poudre d’escampette ! Mais c’est impossible. En supposant qu’elle trouve le moyen matériel de s’en aller de ce lieu isolé, son absence serait immédiatement remarquée. En effet, même en simultanée, où on nous ignore royalement – l’interprétation étant réalisée par le petit bouton qui se trouve sur le pupitre des délégués – si les interprètes sont absents ou qu’il y a un problème technique avec la sono, la réunion ne peut tout simplement pas commencer.

Nous suivons ensuite la protagoniste dans une réunion à Bruxelles, probablement à la Commission européenne. Un Italien s’exprime (mal) en français, mais lorsqu’il repasse à l’italien, c’est Sara qui se charge de l’interpréter. Il arrive très souvent que les orateurs passent d’une langue à l’autre ; les interprètes doivent alors se relayer s’il s’agit d’une langue que l’un ou l’autre ne connaît pas. Lorsque l’orateur parle sa langue maternelle – ici : l’italien – il s’exprime bien mieux, plus clairement, son débit est facile à suivre et à comprendre, donc plus agréable à interpréter et le message peut être fidèlement transposé. C’est ce que nous ne cessons de demander, mais, pour une raison mystérieuse, les délégués préfèrent tous s’exprimer en globish 3) ou en BSE 4) (Badly Spoken English). Ils pensent que cela va plus vite et qu’ainsi, tout le monde les comprendra mieux. S’ils savaient…. Lorsque c’est ensuite au tour d’un orateur germanophone de prendre la parole, Sara parvient enfin à échanger quelques mots avec sa collègue, puisque la cabine allemande n’a alors rien à interpréter.

Ponte Vecchio, Firenze
Notre héroïne doit constamment fuir, se cacher et se méfier de tous. Mais quand elle travaille, elle est si concentrée qu’elle parvient, pendant quelques instants, à oublier les mafieux qui sont à ses trousses. Son métier est idéal, car il lui permet de changer constamment de lieu, en fonction de ses différents engagements. Tout le monde associe la vie d’interprète aux voyages. Ce n’est certainement pas faux mais, même si le travail proprement dit reste toujours le même, la fréquence des voyages et le type de destination dépendront énormément du domicile de l’interprète et de sa combinaison linguistique. En effet, si vous êtes basé à Genève ou à Bruxelles, qui concentrent un grand nombre de réunions, il se pourrait bien que vous ne voyagiez jamais, surtout si vous n’avez que des langues banales. En revanche, si vous habitez à Vienne ou à Londres, vous aurez souvent à vous déplacer, surtout si vous avez le russe ou le suédois. Les collègues qui sont domiciliés en Afrique ou en Asie font couramment de très longs voyages et passent la majeure partie de leur vie ailleurs que chez eux.

Le roman commence dans la petite localité de Senigallia, en Italie, d’où nous partons pour Lisbonne, puis Bruxelles ; nous visiterons ensuite le lac de Côme, Florence, Paris, Salonique, Prague, Tenerife, Tuscania (Italie), Malte, Londres et pour finir : retour à la case Florence, domicile de l’héroïne. Le roman décrit la vie presque ordinaire d’une interprète de conférence. Ce qui m’a intriguée, c’est que Sara Fazzan ne semble pas être en possession d’un ordinateur portable ni d’un téléphone mobile, ce qui est parfaitement inconcevable de nos jours. L’autre chose invraisemblable, c’est la romance avec un commissaire européen, mais c’était sans doute nécessaire pour les besoins de l’intrigue. N’oublions pas qu’il s’agit d’une œuvre de fiction et toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite !

Hauch der Hydra, par Helga Murauer, Collection Bitter Böse, éditions ViaTerra
ISBN 978-3-941970-04-5
Le roman n'est pas encore traduit en français.

Texte paru dans la revue Hieronymus (www.astti.ch), décembre 2011
Texte paru dans Communicate (www.aiic.net) en avril 2013
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1) Le personnage du chant de la mission, de John le Carré
2) Dans le précédent article, j’écrivais qu’il n’y avait jamais de cocktails à la fin de la journée de travail. Cela peut bien sûr arriver, mais nous devons souvent y travailler (discours de bienvenue, etc.)
3) Global English
4) Egalement l’abréviation de Bovine Spongiform Encephalopathy

Voir aussi: Le Chant de la Mission de John le Carré et The Summer Before the Dark de Doris Lessing



Interview de l’auteur:

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’écrire ce roman? Ich habe wie viele Dolmetscher im Laufe meines Berufslebens gelegentlich kurze Gespräche, Bemerkungen etc. gehört, die unwissentlich bei offenem Mikrophon gemacht wurden und keineswegs einen öffentlichen Charakter hatten. Bei einer Plauderei mit Kolleginnen über diese Missgeschicke entstand die Idee, dies in einem Buch zusammen mit einigen wahren und vielen erfundenen Begebenheiten der italienischen Politik zu behandeln. Darüber hinaus wollte ich aber auch ein wenig über das Leben einer Konferenzdolmetscherin schreiben, die vorwiegend fern von ihrem Wohnort arbeitet - meine persönliche Erfahrung und natürlich auch die vieler Kolleginnen.

S’agit-il d’un premier roman? Qu’avez-vous écrit d’autre? Hauch der Hydra ist mein erster Roman. Ich habe außerdem einige Kurzkrimis in verschiedenen Anthologien und ein paar Essays und Reiseberichte in einer italienischen Zeitschrift veröffentlicht.

Dans quelle mesure est-ce autobiographique? Avez-vous entendu des choses que vous n’auriez pas dû entendre? L’héroïne a-t-elle la même combinaison linguistique que vous? Autobiografisch ist in meinem Text vor allem die Liebe zu den Sprachen, die Arbeit in der Kabine, die Reisen, die beschriebenen Orte, an denen ich auch gearbeitet habe. Wie Sara Fazzan lebte auch ich bis vor kurzem in Florenz, wohnte ebenfalls in der Altstadt und benutzte vor allem das Fahrrad als Transportmittel. Unsere Sprachkombination ist ebenfalls ähnlich, Portugiesisch habe ich aber nie gelernt. Sonst, glaube ich, ähneln wir uns nicht, außer natürlich das ganz unwillkürlich Persönliche, das beim Schaffen eines Charakters fast unvermeidlich mit einfließt.

Comment vos collègues ont-ils accueilli votre roman? Von meinen Kollegen habe ich viele sehr freundliche und positive Rückmeldungen bekommen, da sich wohl mehrere in Sara Fazzan wiedergefunden haben oder viele Parallelen zu ihrem Leben sahen.

Avez-vous d’autres projets littéraires? Zur Zeit arbeite ich an den letzten Kapiteln eines weiteren, ebenfalls politisch gefärbten Thrillers. Diesmal ist die Hauptfigur eine junge Geologin, die in Libyen in der Zeit von Gaddafis Machtergreifung für eine Erdölgesellschaft arbeitet. Es geht um Erdöl, Korruption, Wirtschaftsinteressen und wie Gaddafi seinen praktisch unblutigen Putsch vollbrachte, dazu kommt natürlich - wie könnte es anders sein - eine Liebesgeschichte, aber auch der Konflikt Israel/Palästina, der in den arabischen Ländern immer präsent war. Ich habe selbst sechs Jahre in Libyen gelebt und war auch zu jener Zeit in Tripolis.

Où peut-on se procurer votre roman? Hauch der Hydra kann bei www.amazon.de, direkt beim Verlag (www.viaterra-verlag.de) oder im Buchhandel bestellt werden.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Liebe Tiina,
der Artikel ist absolut super! Ich habe ihn nochmals mit großer Freude gelesen. Vielen herzlichen Dank, mein Buch zum Gegensand deines blogs genommen zu haben!
Auf bald!
Liebe Grüße
Helga

Anonyme a dit…

"Als ich im Frühling auf einer Dienstreise in Marokko im Bus von Rabbat nach Casablanca neben meiner Kollegin Helga Murauer sass, schrieb sie immer wieder in ein kleines schwarzes Notizbuch. Ich fragte sie, ob sie Tagebuch führe, wor- auf sie antwortete: „Ich schreibe Impressionen für mein nächstes Buch auf“.
Scharfsinnig schloss ich daraus, dass es bereits ein Buch geben müsse. Wieder zu Hause bestellte ich es mir: „Hauch der Hydra“. Ich verschlang es in zwei Tagen. Es ist spannend, gut geschrieben und bringt viele „Déjà-vu“ Erlebnisse.
Wenn Ihr auf der Suche nach einem Weihnachtsgeschenk für eine Kollegin seid, ist das Buch ideal. Nicht nur für Dolmetscherinnen, sondern auch für alle anderen Krimi-Fans. Hier zur Einstimmung eine kurze Zusammenfassung:
Sara Fazzan, eine junge Dolmetscherin, hört bei einem Einsatz wie zwei italienische Politiker sich über einen Lokalpolitiker aus Florenz unterhalten, der dann wenige Tage später tot in seinem Landhaus aufgefunden wird. Sara ist überzeugt, dass es sich um einen Auftragsmord handelt. Sie gerät in ein Räderwerk von Intrigen. Auf ihrer Flucht vor den Mördern reist sie quer durch Europa. Dabei verliebt sie sich auch noch in einen Kunden, von dem sie nicht sicher weiss, ob sie ihm trauen kann.
Helga Murauer ist gebürtige Österreicherin, lebte viele Jahre in Italien und arbeitet als freiberufliche Konferenzdolmetscherin und Übersetzerin.
Das Buch ist temporeich und spannend geschrieben und eignet sich vorzüglich als Lektüre an einem verschneiten Wintertag."
Pia Schell in: DüV Bulletin

Mamba a dit…

Super l'article ! Il donne très envie de lire le livre !

*s'empresse d'aller le commander*

Claire a dit…

Malheuresement je ne connais pas l'allemand... Est-ce que vous savez si le roman va etre traduit? Merci!

Tiina a dit…

Pour qu'un roman soit traduit, il faut qu'il atteigne déjà un certain tirage ou alors que l'auteur tombe sur un mécène très généreux. Ou qu'un(e) ami(e) le lui traduise à prix d'ami.

Il ne vous reste plus qu'à apprendre l'allemand ;-)

Pour d'autres idées de lectures en rapport avec l'interprétation de conférence: http://fr.wikipedia.org/wiki/Interprètes_de_conférence_de_fiction

Claire a dit…

Merci, c'est gentil! L'allemand, ça serait un peu problematique... Je commence le MA en septembre à Genève, alors je crois qu'il y aura assez de travail sans y ajouter l'allemand! :-)

La palestra per interpreti a dit…

Danke für den Hinweis und für den schönen Artikel!

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