Les maladies peu connues sont des maladies mal comprises et le syndrome d’Asperger est de celles-là. Il s’agit d’une variante de l’autisme, qui se présente sous différentes formes et à des degrés divers. Elle se caractérise par une aptitude très marquée pour les langues, une intelligence particulière (capacité à se concentrer ou à se passionner pour un sujet donné) et un manque d’empathie entraînant l’incapacité à se faire des amis. La première fois que j’ai lu la description du profil d’un asperger, j’ai immédiatement reconnu mon père, trait pour trait.
Mon père a appris à lire tout seul, à l’âge de trois ou quatre ans. A force qu’on lui lise les légendes des grandes illustrations dans la Bible de famille, il a fini par faire des recoupements. Il a passé son bac en passant l’épreuve d’anglais à la place du suédois obligatoire, alors que son école n’offrait pas de cours d’anglais. Comment a-t-il fait, dans la Finlande des années -50, où il ne devait pas être facile de trouver des méthodes Assimil ou des revues en anglais, mystère… Pendant ses études à polytechnique, il gagnait quelques sous en traduisant le Reader’s Digest d’anglais en finnois. Il a obtenu un doctorat en physique, alors qu’il était orphelin de père, sa mère ayant élevé ses trois enfants avec une rente de veuve de pasteur dans une Finlande d’après-guerre n’ayant pas pu bénéficier du plan Marshall. En supposant qu’il ait eu une bourse, il aura néanmoins dû se contenter de très peu pour survivre pendant ses années d’études. Il était doué pour le dessin et la sculpture, il avait aussi un certain talent pour la musique, même s’il ne l’a jamais exploité. Il avait une facilité certaine avec les langues et un esprit scientifique à décorner les bœufs.
Mais le revers de la médaille de cet esprit hors normes était qu’il était particulièrement maladroit en relations humaines. Incapable de se faire des amis, car il avait toujours besoin de montrer qu’il était plus fort et plus intelligent qu’autrui. Il se passionnait pour plein de sujets, jusqu’à la véhémence, mais toute conversation était impossible, car il était toujours dans la confrontation et il avait toujours raison. Toujours. Adolescente, j’étais l’ennemi à abattre pour lui, il semblait ne pas comprendre que je n’étais qu’une enfant, sa fille de surcroît. Combien j’ai pu pleurer et souffrir avec ce père incapable d’être paternel, incapable de me protéger, de me servir de mentor, de tuteur, de modèle, en un mot : de père.
On ne saura jamais s’il souffrait ou non d’un syndrome d’Asperger. Il était très fier de son QI supérieur à la normale et n’aurait jamais accepté qu’on insinue qu’il était malade, voire fou. Ma mère aurait voulu une autopsie de son cerveau pour en avoir le cœur net, mais ça n’aurait évidemment servi à rien.
Si quelqu’un avait pu m’expliquer tout ça quand j’étais enfant, puis adolescente, je me serais épargné bien des larmes, bien des crises de rage, des portes claquées et des accès de haine. Alors si vous croisez des personnes certes talentueuses, notamment dans le rayon linguistique, mais incapables d’empathie et de sympathie, ne vous énervez pas, ne les détestez pas. Elles n’y peuvent rien et elles sont sans doute les premières à en souffrir. L’asperger ressemble à vous et moi, son problème ne saute pas aux yeux comme chez un autiste véritable.
Faute avouée est à moitié pardonnée. Défaut à moitié reconnu est à moitié accepté. Essayons de prendre les gens comme ils sont, on ne pourra jamais les changer.
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Syndrome nommé d’après Hans Asperger (1906-1980), psychiatre autrichien. Ses travaux, datant de 1943, n’ont toutefois pas retenu l’attention de la communauté scientifique, ayant été rédigés en allemand. Ils ont été redécouverts par Lorna Wing, en 1981, un an après la mort d’Asperger.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Asperger
http://fr.wikipedia.org/wiki/Hans_Asperger
A voir: Mary & Max, film d’animation de Adam Elliot
http://www.imdb.fr/title/tt0978762/combined
A lire: The Curious Incident of the Dog in the Night-Time de Mark Haddon
http://en.wikipedia.org/wiki/The_Curious_Incident_of_the_Dog_in_the_Night-Time
L’auteur nie toutefois avoir voulu décrire un asperger et n’est pas du tout expert en la matière. Ayant lu le livre, j’étais pourtant persuadée qu’il avait un enfant autiste ou asperger dans son entourage proche.
9 commentaires:
Bonsoir,
Je me permets juste une précision étant moi-même Aspie... nous ne sommes pas malades.. nous possédons juste un mode de fonctionnement différent et pour beaucoup d'entre nous des particularités sensorielles..
En effet, désolée de m'être mal exprimée. L'article wiki, citant Asperger, parle de différence plutôt que de maladie. J'écris d'ailleurs que les aspies sont comme tout le monde, que leur problème ne saute pas aux yeux.
En attendant, on appelle ça quand même un syndrome. Mon père n'était pas malade, il était même hyper-normal: marié, deux enfants, une belle carrière.... mais quelque chose clochait. D'où mon choix pour "maladie".
Vous avez donc été diagnostiqué(e), ce qui ne sera jamais le cas de personnes déjà adultes quand le syndrome a été identifié. Estimez-vous chanceux! Vous n'allez pas traverser la vie en passant pour quelqu'un de désagréable...
Si vous voulez continuer la discussion, écrivez-moi à granny.smith - at - hotmail.ch ;-)
Pourquoi pas continuer la discussion, c'est par l'échange que les choses avancent et que s'ouvrent les esprits..
la différence devrait toujours être source d'enrichissement, celà permettrait sans doutes que l'ignorance (je ne parle pas de vous :) )ne soit plus une arme redoutable...
concernant votre adresse mail faut il remplacer le "at" par @ ??
S'estimer heureuse d'avoir été diagnostiquée à 39 ans.. après un long combat personnel, une démarche toute aussi personnelle pour arriver enfin à être reconnue comme différente et non comme inadaptée (pour rester polie) ... des années d'incompréhension et d'enfermement.. non, non je ne m'estime pas heureuse de celà.. ni de l'ignorance du système Francais en matière d'autismes.. le diagnostique m'a simplement permis de mettre un nom sur ma différence et d'être "reconnue" puisque de nos jours tout passe par la reconnaissance.. pourvu que les apparences soient belles puisque on ne juge que par elles..
sorry, je suis très pointilleuse sur les mots, c'est que sans doutes ils m'ont déjà trop blessée.. et c'est aussi parce que comme tous aspie un mot est un mot et ne peut être remplacé par un autre.. d'ou nos difficultés de communication.. entre autres..
Votre père a semble t'il eu une vie "normale" j'en suis heureuse pour lui et pour vous...
Je me bats encore pour celà aujourd'hui.. non pour avoir une vie "normale" mais juste pour avoir le droit de vivre ma différence :)
A bientôt.. je pense que nos échanges pourraient être fort enrichissants pour l'une comme pour l'autre..
ps : ne voyez aucune agressivité dans mes messages.. comme votre père on me targue souvent d'être agressive ou désagréable mais il n'en est rien, au contraire j'ai soif d'apprendre et de découvertes :)
il faut en effet remplacer at par @ , j'ai écrit comme ça pour éviter les spams. Je ne donne pas ma vraie adresse pour ne pas être envahie de messages obscènes ou autres déchets...
A bientôt?
J'aime beaucoup la photo d'en-tête.
Sinon, j'ai appris des choses... jusque dans les commentaires. ;)
Chère Tiina,
Encore un texte original, intéressant et inattendu! C'est l'ouverture aux 4 vents de choses biens personnelles et l'occasion de discuter ouvertement d'aspects de notre vie que l'on cache souvent.
La capacité à absorber et à régurgiter des langues étrangères exige de fait une grande sensibilité, et va souvent de pair avec l'incompréhension des personnes monolingues et monoculturelles: le polyglotte brise allègrement les frontières linguistiques et s'adapte à l'étranger jusque dans sa pensée. C'est ce que ne font pas les gens "normaux", ceux qui restent dans une seule sphère linguistique (je pourrais rajouter: cognitive...). Très rapidement, cette personne, Aspie donc, se crée un monde, une perception, une construction, non partageables avec les "monos", ceux qui ne se sont investis psychiquement que dans un seul mode d'expression, car la brebis saute-barrière ne peut plus communiquer avec les moutons qui n'ont jamais brouté qu'une seule prairie. L'incompréhension règne et les quiproquos deviennent très douloureux.
Est-ce donc inéluctable? L'esprit humain est-il ainsi limité que l'on ne peut pas en même temps être champion en maths, physique, langues, psychologie appliquée et relations publiques? Montrer/recevoir de la tendresse OU calculer des fonctions intégrales dérivées, l'un OU l'autre, pas les deux, malheureusement...
JM
Bonjour, juste une petite question: Comment avez vous réussi à vous construire en tant que femme sans cette présence paternelle (alors même que physiquement il était présent...)? j'ai 23 ans. (mon frere a le syndrome d'aspie).
Et par ailleurs, il a une réussite tout aussi exceptionelle que celle de votre propre pere, avec pour autant tout autant de difficulté de communication avec les personnes qui l'entourent.
Merci de votre réponse
Bonjour,
Je ne sais pas si j'ai réussi à me construire en tant que femme, étant donné que je n'ai jamais réussi à avoir de relation de longue durée avec un homme, ayant sans doute complètement raté mon Oedipe (voir: http://tiina-gva.blogspot.com/2011/05/bridget-jones-cest-moi.html). Vers 40 ans, j'ai simplement accepté que je n'avais pas de père au sens classique du terme et j'en ai enfin fait mon deuil. C'est difficile et triste, mais pas impossible. Si votre frère est conscient de sa différence et qu'il est d'accord de faire un effort pour s'en sortir, il y a de l'espoir! Bonne chance!
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