vendredi 1 juillet 2011

Infernale bavarde


«- Alors comment ça va?
Attends un peu... donne-moi mon appareil acoustique, là, sur la table.»

J’ai apporté à ma mère une petite boîte avec 12 petites bouteilles de digestif, elle les apprécie énormément. «- Ah oui, c’est dans les aéroports qu’on trouve ces boîtes, n’est-ce pas?

Alors ta soeur est venue hier. Ses filles ont eu une fête à l’école, pour la fin de l’année. Clotilde avait trouvé une très jolie robe qui lui allait très bien et elle a voulu mettre des chaussures avec des talons hauts comme ça! Figure-toi qu’elle était tellement affairée à se faire belle qu’elle en a oublié ses clefs. Elle a dû appeler à 4h du matin, elle a réveillé toute la maison. Tout de même... Ah, ces jeunes! Elles sont impatientes d’avoir 18 ans, elles pensent qu’elles pourront alors tout faire.

Ta soeur est allée manger à Hermance avec sa famille et elle a rencontré les Sturzenegger qui étaient aussi de sortie, le dimanche. Mais comme son assiette était en train de refroidir, elle n’a pas eu le temps de bavarder très longtemps. Thierry était là aussi, avec sa famille, ta soeur a ainsi pu rencontrer sa femme. C’est bien que Thierry s’occupe de son père, c’est pas facile, cette situation..........

J’ai reçu plusieurs mails. Lida va devoir subir un IRM. Comme tu le sais, elle est Russe, quand j’allais chez eux, il y avait des icônes au mur, illuminées par des bougies. Une ambiance, une culture tellement différente. Je me souviens, ils avaient un magasin, c’était surtout sa mère qui s’en occupait, son père était souvent malade. Quand on a été évacué, en 1939, ils sont partis à Joutsa, comme nous, comme tous les gens du village1). J’avais 10 ans, alors je ne comprenais pas bien, mais elle ne venait pas à l’école, parce qu’elle était russe. Hein? Ah non! Elle parlait très bien le finnois. Non, ils avaient peur, d’ailleurs ils ont changé de nom, pour pas qu’on les repère. Ils avaient peur que les Russes exigent qu’ils soient rapatriés de l’autre côté de la frontière.

Et Erja alors! Sa fille s’est mis en tête de prendre un chien, tu te rends compte! Elle est allée le chercher dans un refuge à Neuchâtel. Comment? Je crois qu’elle connaissait les gens là-bas, enfin je ne sais pas. Et du coup, leur nounou a démissionné! Elle a peur des chiens, comme moi, et elle n’a pas supporté quand la bête lui a sauté dessus. Il est complètement fou et excité, ce chien. Franchement... quelle idée...

J’ai parlé à Olavi, son petit-fils va passer son diplôme de l’école de commerce. J’ai l’impression que, hier encore, c’était son fils qui terminait ses études. Comme les années passent! Il est allé faire un stage en Australie et il a rencontré une Autrichienne là-bas. Elle est à Tampere avec lui en ce moment, et ensuite, c’est lui qui ira en Autriche. Olavi va toujours voir Irja à l’hôpital. Il y va tous les jours et il y passe chaque fois trois heures. C’est tout de même formidable. Dire qu’elle ne le reconnaît même pas...

Oh! comme tu as de jolies sandales! Oh là là! J’ai toujours eu un faible pour les belles chaussures, mais je n’ai jamais pu en porter, mes pieds sont trop moches.
Ça faisait longtemps que je n’avais plus de nouvelles de Mme Benz ni de sa fille. Tu sais, elle a eu ses problèmes avec les yeux. Eh bien, Mme Benz m’a appelée l’autre jour, elle va se faire opérer de la cataracte. Jocelyne n’a toujours pas trouvé de travail, évidemment avec sa dépression, ça n’arrange pas les choses. Et Karine est venue à la soirée des parents avec Kevin, les deux parents auraient dû venir, mais j’ai l’impression que son mari est un bon-à-rien. En tous cas, il n’est pas venu, alors que l’école avait dit expressément que les deux parents devaient être présents. Il est sûrement intelligent, ce petit Kevin, il faudrait juste qu’il puisse se développer dans un contexte plus harmonieux.

Ta soeur a reçu une carte postale de votre cousine. Elle était allée à Rome pour fêter l’anniversaire de son frère. Oui, votre cousin. Comment? Oui, non, ton cousin a fêté ses 50 ans à Rome, ce n’était pas la bonne date, évidemment, et votre cousine a écrit une carte postale. Oh, elle n’a pas raconté grand-chose, mais c’est clair que sur une carte, il n’y a pas beaucoup de place.»

Et patati et patata et patati et patata et patati et patata etc...............
Et c’est pareil à chaque fois................
Et avec 50 ans d’expérience, ça va....................

Ce qui est extraordinaire, c’est qu’au cours d’une visite d’une heure et demie, j’ai réussi - sans faire le moindre effort - à ne rien dire de ce que je fais. Rien du tout. Rien de chez rien. Et quand je dis quelque mots, je dois les répéter, car en dépit de son appareil acoustique, ma mère ne m’entend pas.

Enfant, une de mes maîtresses d’école avait écrit dans mon carnet, sous la note de comportement (eh oui! à l’époque...!) «Infernale bavarde». Et pourtant, j’ai toujours été très sage et appliquée. Que dirait-elle de ma mère? Ce genre de logorrhée aiguë est toutefois compréhensible chez quelqu’un qui aime parler et qui n’a personne à qui bavarder de toute la semaine.

Ce conditionnement familial m’aide sans doute aussi dans mon travail: je ne fais que répéter ce que disent les autres, sans éprouver le besoin de m’épancher et de raconter ma vie. En revanche, je me rattrape dans ce blog ;-)


1) toute la population de la Carélie finlandaise a été évacuée vers le centre du pays en 1939, lors de l’avancée de l’Armée rouge.

1 commentaire:

fireatheart a dit…

J'ai pas réussi à lire le monologue de ta mère en entier. :/

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