lundi 27 septembre 2010

Do you Dirndl ?


Il se trouve que j’ai eu l’occasion récemment de me rendre à Munich et le hasard a voulu que ce voyage tombe en plein Oktoberfest, la fête de la bière qui, comme son nom l’indique, à lieu en septembre. En réalité, ce festival se termine au premier week-end d’octobre et la date en a été avancée, afin de pouvoir profiter des belles journées de septembre.


On y fête la bière, mais en réalité, c’est surtout l’occasion pour tous de s’habiller en costume folklorique. Dès l’aéroport et dans le train de banlieue me conduisant en ville, j’étais entourée d’hommes portant des Lederhosen (culottes de cuir) et de femmes arborant de généreux décolletés sur de magnifiques robes fleuries. Il ne leur manquait que la douzaine de chopes de bière dans les mains. En ville, même topo. A croire que des rayons gamma s’étaient abattus sur Munich, transformant tout le monde en parfait Bavarois, costumés de la tête aux pieds.





La première fête de la bière célébrait les noces de Louis I de Bavière et de la princesse Thérèse, le 12 octobre 1810 ; c’est ensuite devenu une tradition qui fête cette année son bicentenaire. La fête comportait au départ des courses de chevaux et un premier revival des jeux olympiques, bien avant que le baron de Coubertin n’ait cette idée. La mode des costumes traditionnels n’a été lancée qu’en 1972, à l’occasion des Jeux Olympiques de Munich. Les hôtesses étaient vêtues de Dirndlkleid 1), même que l’une d’entre elles, une certaine Sylvia Sommerlath, a ainsi tapé dans l’œil du roi de Suède, devenant par la suite la future maman de la princesse Victoria, qui s’est mariée cette année.


La fête se déroule sur la Theresienwiese, un gigantesque terrain de foire, avec carrousels, trains fantôme, barbe à papa et, bien sûr, d’immenses halles où on mange et où on boit de la bière au litre. J’ai croisé des Ecossais en kilt, ainsi que des Suisses en chemise edelweiss*). A vue d’œil, la moitié des visiteurs porte le costume folklorique bavarois. L’ambiance est très détendue, bon enfant, sans aucune connotation nationaliste du style Deutschland über alles.



Selon un article de la Süddeutsche Zeitung, la mode du Dirdnl et des Lederhosen frappe toute l’Allemagne, de Munich à Hambourg, elle dure même toute l’année ! Il n’est pas du tout ridicule de se promener habillée comme une paysanne endimanchée au mois de mars à Dortmund. J’avais déjà remarqué cela en Autriche : les gens s’habillent volontiers en tenue traditionnelle, chapeaux à plumes, vestes et manteaux de type loden, avec des boutons en corne de cerf. Vivienne Westwood aurait même dit "Si toutes les femmes portaient des Dirndl, il n’y aurait plus de laideur".


On trouve des robes de toutes les couleurs pour une cinquantaine d’euros. On peut même acheter des soutien-gorges spéciaux pour Dirndlkleid, totalement rembourrés. En effet, le monde au balcon fait partie du costume. Si j’ai l’occasion de retourner à Munich fin septembre, chiche que je me lance !


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1) le mot Dirn signifie jeune paysanne, jeune fille, en y accolant le mot « robe », on obtient Dirdnlkleid. A noter que eine Dirne est une prostituée.

*) il se trouve aujourd'hui (2015)des gens qui affirment que la chemise edelweiss est raciste. En effet, il est raciste d'arborer des tenues typiquement suisses:
http://www.letemps.ch/suisse/2015/12/15/voile-autorise-ecole-chemise-edelweiss-devient-tenue-derange
http://fr.wikipedia.org/wiki/Oktoberfest
http://sz-magazin.sueddeutsche.de/texte/anzeigen/34719

mercredi 15 septembre 2010

La Finlande nouvelle est arrivée !



Le pays de mes ancêtres a bien changé depuis mon d’adolescence et mes trois années de lycée à Helsinki, dans les années -70. C’était l’époque de la finlandisation, l’Union soviétique était encore debout, l’islam n’était qu’une religion exotique dont on ne parlait jamais et les seuls étrangers à vivre là-bas étaient les diplomates qui y avaient été parachutés à leur corps défendant. Les seules personnes à parler le finnois étaient les autochtones et une idée répandue voulait que ce soit une langue impossible à apprendre.

Depuis lors, la planète a effectué une bonne trentaine de révolutions, à tel point que mes parents ne reconnaissent plus la terre qu’ils ont quittée il y a bientôt cinquante ans de cela. La Finlande est devenue cosmopolite, multiculturelle, branchée et cool. Elle est même devenue une destination touristique très courue et pas uniquement pour le folklore lapon. Mon récent vol Helsinki-Copenhague, sur Estonian Air, était plein comme un œuf, avec beaucoup de Japonais et d’Italiens, impossibles à ignorer tant ils faisaient de bruit et de moulinets avec les mains (les Italiens, donc). On entend désormais parler toutes les langues dans les rues d’Helsinki au mois d’août et les brochures touristiques sont même disponibles en russe, ce qui était parfaitement inconcevable avant 1989. Il devient difficile de distinguer les touristes de la population locale et on constate la présence d’une génération de secundos 1) qui parle couramment l’argot finnois, ce qui ne cesse de me surprendre et de m’amuser. Autrefois, la population était si parfaitement homogène que ça me donnait la claustrophobie. D’autant plus que ma différence sautait immédiatement aux yeux des autres : je suis certes finlandaise, j’ai le nom, le faciès et je parle la langue, mais… il y avait quelque chose qui clochait. Aujourd’hui, je me sens presque plus à l’aise quand je suis là-bas.

Lors de mon récent séjour en Finlande, j’ai mangé à deux reprises dans des restaurants népalais. J’aurais pu manger de la paella au renne au marché ou même du renne à la népalaise 2). Dans un effort pour être international, un bistrot proposait même des cannellonis à la maison ; ils mettent de l’ail et du fromage de chèvre partout, alors qu’autrefois, il ne connaissaient que le sel et le poivre et que la cuisine locale ne méritait pas vraiment le détour. Un article de journal relatait la difficulté de respecter le ramadan s’il tombait pendant les mois d’été en Finlande 3).
Dans mon hôtel, j’ai bavardé avec deux Chinois de Bruxelles qui découvraient l’Europe. Ils m’ont demandé ce que je pensais d’Helsinki. Séquence schizophrène : j’ai renoncé à leur expliquer que, étant plus ou moins du pays, mes impressions étaient un peu trop compliquées à exprimer. Very nice ! m’a offert la solution de facilité.

Le monde s’internationalise et se mondialise, à un tel point que même le coin le plus reculé d’Europe est devenu un creuset, un lieu de passage et de brassage. C’est pourquoi je continue de m’étonner et de m’exaspérer quand on me demande – pas plus tard qu’hier encore – comment se fait-il que je parle si bien le français. Dans l’esprit de bien des gens, s’il est normal que des Portugais ou des Chiliens parlent couramment le français ou que des Turcs parlent l’allemand sans accent, les Finlandais, eux, doivent vivre en Finlande, ne parler que le finnois, se déplacer en traineau, manger du renne en invitant le Père Noël à partager leur repas, boire beaucoup, être affligés par les moustiques et payer beaucoup d’impôts.

Quand diable les gens apprendront-ils à think outside the box ?


Lyophyllum shimeji , champignon pour gourmets japonais, dont on a découvert qu’il poussait en Finlande et en Suède et qui se vend 800€/kg. Est-ce là ce qui attire tant les Japonais ?
http://www.sciencedaily.com/releases/2010/06/100628075820.htm

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1) terme utilisé en Suisse pour désigner la deuxième génération d’immigrés ; sans aucune connotation péjorative, car ils sont très bien intégrés et réussissent mieux à l’école que les autochtones.
2) mais quelle est donc cette Népal Connection en Finlande ? On n’a pas de restaurants népalais, ici en Suisse !
3) le ramadan tombant un peu plus tôt chaque année, il tombera bientôt au mois de juin où il ne fait pas nuit du tout. L’islam est un phénomène si récent dans ce pays que la question ne s’est encore jamais posée.

dimanche 5 septembre 2010

Relais, pivots et retours (1)


Pour être interprète, il faut connaître au minimum une langue étrangère, pour interpréter, par exemple, d’anglais en français (anglais passif : langue qu’on écoute ; français actif : langue qu’on parle dans le micro). Mais avec cette combinaison linguistique là, on ne va pas bien loin. Tout change si on "fait le retour", c’est-à-dire que le même interprète travaille d’anglais en français et de français en anglais. Les vrais bilingues étant plutôt rares, une des deux langues est généralement une langue étrangère que l’interprète maîtrise assez bien pour trouver la bonne préposition et la bonne concordance des temps dans le feu de l’action. Passer d’une langue à l’autre nécessite en outre une souplesse cérébrale particulière, chaque langue ayant sa structure propre – et gare aux faux amis !

En général, les interprètes ont une langue dite A, leur langue maternelle, celle qu’ils parlent dans le micro, et plusieurs langues C, les langues passives qu’ils interprètent vers leur langue A. La langue dite B est une langue de retour (voir ci-dessus). Les combinaisons linguistiques disponibles sur un marché donné sont en général le résultat de l’offre et de la demande. Ainsi, à Genève, où sont situées de nombreuses organisations de la famille des Nations Unies, on trouvera plutôt les langues officielles de l’ONU (EN, FR, ES, RU, AR, ZH et DE pour le BIT*). Certains collègues ont aussi PT ou IT , ou d’autres langues encore.

Tous les interprètes ont l’anglais ou le français, mais que se passe-t-il quand un orateur dans la salle parle russe ou arabe ? Le cerveau humain ayant ses limites, il est impossible pour chaque interprète de maîtriser les six langues de l’ONU, dont le chinois et l’arabe, et encore moins les vingt-deux de l’Union européenne. C’est alors qu’intervient le système du "relais". Les équipes sont constituées de façon à avoir – en général dans la cabine EN et FR dans les organisations onusiennes – au moins un interprète qui comprend, par exemple, le russe. Ce collègue s’appelle le "pivot". Si un délégué dans la salle parle russe, les collègues qui ne comprennent pas cette langue régleront leur console de sorte à entendre ce que dit (par exemple) le collègue de la cabine anglaise, qui, lui, interprète de russe en anglais. Cela s’appelle "prendre le russe en relais sur la cabine anglaise". De même, lorsqu’un délégué parle espagnol, les collègues des autres cabines qui ne connaissent pas cette langue se brancheront sur la cabine dans laquelle se trouve le pivot pour l’espagnol et prendront l’espagnol en relais sur cette cabine-là. Si un délégué parle arabe ou chinois, ce sont alors les collègues des cabines chinoise et arabe qui font un retour, étant donné qu’aucun interprète – à part quelques phénomènes – n’a ces langues passives dans sa combinaison. Le retour de l’arabe ou du chinois se fait toujours vers le français ou l’anglais.


Ce système entraîne un léger retard, puisqu’au lieu d’interpréter directement, il y a une étape intermédiaire, le relais. On cherchera aussi à éviter les doubles relais, car cela ne fait qu’aggraver les retards et les risques d’erreur, chacun connaissant le principe du téléphone arabe ! C’est la raison pour laquelle les pivots doivent, de préférence, se trouver dans des cabines de langues courantes. Lorsque le délégué russe ou hispanophone a terminé son intervention, il faut quitter le canal du relais et régler à nouveau sa console sur "floor", c’est-à-dire le son dans la salle.

Il arrive parfois que le délégué qui s’exprime en espagnol, en arabe ou en portugais change soudain de langue. Il faut alors que le pivot dise dans le micro "en anglais" ou "en français" pour que les collègues qui le prennent en relais se rendent compte qu’on est passé à une autre langue. On évite ainsi que la cabine anglaise ou française ne retraduise vers l’anglais ou le français. Les collègues qui sont pivots ont une responsabilité particulière et un stress additionnel, car s’ils se trompent ou si quelque chose leur échappe, tous les autres qui le prennent en relais feront la même erreur ou la même omission. Dans une équipe d’interprètes, on veillera toujours à ce qu’il y ait deux pivots, pour répartir les risques, car il se peut que le collègue-pivot ait une soudaine quinte de toux ou qu’il soit sorti pour téléphoner ou satisfaire un besoin naturel.

Le pivot doit tout particulièrement veiller à parler clairement, bien terminer ses phrases, éviter de marmonner ou d’utiliser des termes rares ou des expressions idiomatiques que les collègues des autres cabines risquent de ne pas connaître. Il doit aussi éviter de laisser de grands silences, car cela déstabilise et inquiète ceux qui le prennent en relais.

Il m’est arrivé une fois qu’une déléguée suédoise, qui écoutait le canal français pour se faire son petit Berlitz pendant la conférence, me dise pendant la pause : "Mais comment faites-vous ? Vous connaissez toutes ces langues et même le chinois !" Autrement dit, le système fonctionne si bien que nos auditeurs – si tout va bien – n’y voient que du feu.

*) AR arabe ; DE allemand ; EN anglais ; ES espagnol ; FR français ; IT italien; PT portugais; RU russe ; ZH chinois

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Un prochain article portera sur le fonctionnement de l’interprétation dans les institutions européennes. Avec vingt-deux langues, on doit forcément compter sur le système des relais.

Texte paru dans la revue Hieronymus (septembre 2010) www.astti.ch


Console d'interprète : les + indiquent les canaux actifs, ceux où l'interprète est en train de travailler. Dans le cas présent, la cabine française se tait (0), car le délégué est en train de s'exprimer en français. Les cabines qui seraient en relais auraient le signe -, ce qui n'est pas le cas ici.