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mercredi 15 août 2012

Clichés de cinéma



Les films nous racontent des histoires selon un langage codé que nous avons tous appris à décrypter. Le style de narration a changé au fil des ans, le rythme aussi, mais certains clichés sont inoxydables, je pense même que cela nous manquerait s’ils venaient à disparaître. Dans les vieux films, on voyait toujours des unes de journaux qui défilent dans les rotatives ou alors qui s’affichent après avoir effectué plusieurs tours, comme pris dans un tourbillon. C’est sans doute Orson Welles et Citizen Kane qui ont lancé cette mode. De nos jours, on ne voit plus des pages de calendrier qui s’effeuillent, une à une, pour signifier le temps qui passe, on a trouvé d’autres astuces, comme l’arbre qui perd ses feuilles puis reverdit en accéléré. Imaginons ce que donnerait un film entièrement constitué de clichés et de codes bien connus :



Une ville, une rue, au loin, la Tour Eiffel : nous sommes à Paris.  Une voiture s’avance, le pare-brise absolument nickel, les frondaisons des arbres s’y reflètent si bien qu’on voit à peine les personnages qui se trouvent dans l’habitacle. Ladite voiture parvient à se garer, du premier coup, exactement devant la bonne porte. Un inspecteur de police, gros (donc sympathique) et afro-américain s’il s’agit d’un film américain, sonne à la porte. Les personnages officiels sonnent à la porte, les amis quant à eux frappent, même si la sonnette a déjà été inventée et qu’elle fonctionne. A l’intérieur, un écrivain au travail, soit sur une machine à écrire mécanique, soit sur un Apple (avez-vous remarqué que les ordinateurs sont toujours et ostensiblement des Mac ?). Il ôte ses lunettes, dont les verres sont parfaitement plats et d’une propreté chirurgicale, ouvre la porte tout grand, sans regarder par le judas, des fois que ce serait un tueur à la tronçonneuse. Il fait entrer le flic, personne ne referme la porte. Ils boivent du café dans des tasses vides, d’ailleurs ils n’avalent même pas.

Breakfast at Tiffany's
Après le départ de l’agent, l’écrivain prend une valise et y jette pêle-mêle tous les habits qui se trouvent dans ses tiroirs (quoique, ce sont en général les personnages féminins qui font ça). Avant de partir, il regarde une dernière fois par la fenêtre de sa chambre à coucher. Dans l’immeuble d’en-face, une femme est en train de se déshabiller sans tirer les rideaux. Il sort de son immeuble, un taxi passe immédiatement, il le hèle, monte et donne une adresse au chauffeur.  A l’arrivée, ils sort des billets au hasard de sa poche, par exemple 100 euros ou dollars, et n’attend pas qu’on lui rende la monnaie. Dans les films médiévaux, ce sera une bourse contenant le montant exact et ladite bourse sera offerte par la même occasion. Le personnage porte maintenant une valise vide. Il entre dans un bistrot, où il va directement à une table où l’attend une femme. Ils commandent à boire et s’en vont aussitôt que les boissons leur sont apportées. A nouveau, on laisse un billet ou quelques pièces sur la table, le montant exact, sans doute.

Ils vont chez la femme et font l’amour, debout dans la cuisine ou ailleurs, mais tout habillés et en coup de vent, surtout sans préliminaires. La femme confie a) une liasse de lettre reliées par un ruban (franchement : qui fait ça ???) ou b) une mallette contenant des billets de 1000 bien rangés. A ce moment-là, le téléphone sonne, le répondeur s’enclenche tout de suite et tout le monde, spectateurs inclus, entend le message. Ce n’est jamais la maman qui appelle pour demander si tu viens manger dimanche. Il doit partir d’urgence avec a) la liasse de lettres ou b) la mallette pleine de billets. Les deux personnages se séparent sur le quai d’une gare, ils se font tremper par une pluie diluvienne, mais peu importe, ils s’embrassent langoureusement. La femme dira peut-être I love you Daddy, figure obligée de tout film américain.

Décor de western à Almeria (1982)
Plus tard, ailleurs : deux personnages jouent aux échecs. Après deux ou trois échanges de répliques, l’un des deux joueurs dira : échec et mat. Ça ne rate jamais, je n’ai encore jamais vu de film où une partie d’échecs resterait inachevée. L’écrivain a été fait prisonnier, il est ligoté sur une chaise. Au lieu de l’abattre illico, le méchant lui explique par le menu toute l’intrigue, permettant ainsi au spectateur de comprendre comment fonctionnait le réseau de contrebande et comment les microfilms (tiens, voilà quelque chose qui a disparu de nos jours !) étaient dissimulés dans des dents creuses. Ce qui laisse le temps à notre héros de se défaire de ses liens, précisément une seconde avant que le faisceau de bâtons de dynamite n’explose ! Car nous avons pu suivre le défilement impitoyable du compte à rebours sur un chronomètre numérique.

Et cætera…. Vous avez sûrement, vous aussi, un téléphone sur votre table de chevet, pour les occasions où il sonne au milieu de la nuit, juste après votre orgasme. Aux Etats-Unis, ils n’ont toujours pas inventé les sacs de courses qui auraient des anses, non, ce seront toujours des sacs en papier kraft, toujours au nombre de deux et pleins à craquer, qui vous remplissent les mains et vous rendent complètement handicapé. Dans les films jusqu'aux années -60, quand un homme et une femme se détestent au début du film, on peut être relativement certain qu’ils vont tomber amoureux l’un de l’autre. Le héros peut recevoir 250 balles et rester en vie, à peine égratigné, à peine décoiffé. Dans les postes de police ou les bureaux de presse, on explique la mission à accomplir en marchant à toute berzingue dans des corridors bondés. 
Le Magnifique de Philippe de Broca (1973)
Un livre qui répertorie tous ces clichés est paru récemment 1). Des films comme le Magnifique, avec Belmondo, ou les parodies de OSS 117, avec Jean Dujardin, surfent avec délices sur tous ces lieux communs cinématographiques, de même que Woody Allen ne se prive pas de nous livrer un Paris, une Barcelone ou une Rome en forme d’image d’Epinal. Mais c’est bien pour cela qu’on va au cinéma : pour rêver et pour qu’on nous raconte des calembredaines ! Car la réalité vraie de la vie, on l’a tous les jours dans sa cuisine ou au bureau, c’est bien suffisant.


1)      Tous les clichés du cinéma : Répertoire malicieux des poncifs et invraisemblances du 7e Art, par Philippe Mignaval. Editions Fetjaine, 2012, ISBN-10: 2354253338