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samedi 22 décembre 2012

L’aula du Collège de Saussure



Le collège de Saussure à Onex dispose d'un très bel auditorium. Comme je le disais dans mon précédent texte, le choix d’une salle de spectacles est lié à toute une série de contraintes. La salle et la scène doivent être suffisamment grandes, sans être trop chères. On préférerait un lieu au centre ville, mais à défaut de grives, on mange des merles et c’est ainsi qu'on est parfois contraint de choisir l’aula du Collège de Saussure. Il s’agit d’une salle pouvant accueillir jusqu’à 400 personnes et qui sert au collège jusqu’à 18h. Au-delà, il s’agit d’une infrastructure indépendante, avec des coulisses, des loges et une régie son et lumière.
En répétition
La salle est peu connue et difficile à trouver pour des gens peu aventureux et il vaut la peine de venir faire un repérage à l’avance. Le tram vous amène tout près (ligne 14, arrêt Les Esserts), mais ensuite, il faut cheminer dans l’obscurité sans jamais vraiment savoir si va dans la bonne direction. Si on vient en voiture, il y a un parking public au shopping Lancy Centre, mais qui ferme à 21h30. C’est aux organisateurs du spectacle de payer un garde pour qu’il reste ouvert jusqu’à la fin de la représentation, ce qui augmente le coût de la location de la salle de 25%.

Les infrastructures scéniques sont plutôt bonnes, mais il n’y a aucun moyen de communication entre les coulisses et les loges. La location d’un système de casque et de micro entre la régie-scène et les lumières, indispensable pour donner le feu vert aux comédiens/chanteurs/chef d’orchestre/autre, coûte 200,-. Il faut payer plus de 1000,- pour pouvoir utiliser les lumières de scène. Il faut ensuite obligatoirement rémunérer le technicien du collège, car il est interdit de faire venir son propre technicien-lumières. Ainsi, une salle qui est plutôt bon marché au départ finit par coûter une somme rondelette.

A la sueur de ton front.....

Il y a un assez vaste espace à l’extérieur, une sorte de lobby, qui permet de monter un bar, pour lequel il faut demander une autorisation, payante, cela va de soi. Il n’y a toutefois ni point d’eau, ni évier (pour vider les fonds de verre ou se laver les mains), il n’y a pas de frigo non plus. Autrement dit, il n’y a pas de bar ni de buvette, c’est le système camping. Il faut en outre impérativement tout débarrasser chaque soir, si on ne veut pas subir les conséquences du passage des collégiens le lendemain. Il est possible d'emprunter un frigo, mais il doit être déménagé, aller et retour, chaque soir de représentation.

Les lieux sont bien conçus pour accueillir des spectacles. Les places en amphitéâtre offrent une bonne visibilité de partout. Les coulisses sont assez grandes, il y a plusieurs séries de rideaux qui permettent de dissimuler ce qui doit rester caché. Il est aussi possible de passer de cour à jardin sans devoir trottiner derrière la scène. Les loges sont grandes, mais il n’y a que deux cabinets de toilette (1x hommes, 1x dames) et une seule douche, condamnée. L’aula a dû être construit dans les années 1970 et n’est pas exactement moderne. Il n’y a par exemple pas de monte-charge et on le sent passer quand il faut transporter les décors, les costumes et tous les accessoires dont on a besoin (réverbères, fausse neige, petites maisons, plateaux de victuailles en plastic, poêle ancien, hareng, table, chaises, lit, tapis, etc...). Il n’y a pas de réseau mobile non plus, ce qui est très fâcheux lorsque des camarades sont restés dehors...

En effet, pour des raisons de (fausse) sécurité, les portes se rabattent et ne s’ouvrent pas de l’extérieur. En théorie. Un soir de représentation, les loges ont été visitées par des indésirables, qui ont malheureusement fait une très bonne soirée. Les gens n’ont toujours pas compris que Genève est devenue la Cité du Crime et qu’il ne faut jamais avoir plus de 20,- en liquide sur soi, dans sa culotte de préférence. Certaines personnes ont perdu beaucoup d’argent pour avoir eu la naïveté de penser que les portes empêchaient les gens d’entrer. Les portes s’ouvrent très facilement à l’aide d’un simple couteau, d’autant plus si les serrures sont à moitié bourrées de papier journal (de très vieux journaux). Les voyous qui rôdent dans le quartier sont sans doute mieux renseignés que l’Office du tourisme s’agissant du programme culturel de l’aula. Ils ont également le chic pour repérer les bleus qui ne se méfieront pas. Les voitures stationnées devant l’aula sont des proies faciles, il ne faut surtout rien laisser de visible sur les banquettes.


Si les spectacles ne font pas salle comble, c'est sans doute parce que le site n'est pas au centre ville, que le lieu est peu connu et pas commode à trouver. Il n’y a que les irréductibles culturophiles pour braver la neige et l’obscurité. 

Il convient de préciser que, de nos jours, des vols ont lieu partout et dans tous les vestiaires, y compris dans les piscines publiques. Soyez prudents!

vendredi 7 décembre 2012

Comment organiser un spectacle



Monter un spectacle est une véritable entreprise, dans laquelle il ne faut pas se lancer en ayant des papillons plein les yeux. Cela demande beaucoup d’argent, de la patience et tout un savoir-faire administratif en sus des aptitudes artistiques, cela va de soi.


Il faut commencer par trouver la salle qui convient, ni trop grande ni trop petite et surtout pas trop chère. La scène doit être suffisamment grande pour le spectacle envisagé, il doit y avoir la place pour un orchestre allant de 5 instruments et un piano à un ensemble de 18 musiciens selon le cas. Il doit y avoir des coulisses et des loges, ce qui n’était pas le cas de l’Alhambra de Genève, actuellement en rénovation. Evidemment, c’était avant tout un cinéma.  Ce sera certainement une salle superbe lors de sa réouverture, mais elle sera probablement hors de prix.


Il faut ensuite auditionner les chanteurs solistes, qui doivent être des professionnels confirmés, mais pas trop connus, car autrement leur cachet risque de peser trop lourd sur le budget. Il faut surtout trouver un chef d’orchestre compétent et capable, ce qui ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. En effet, on dirait qu’il ne fait qu’agiter les bras, mais tout repose sur lui, car il donne les départs non seulement aux musiciens, mais aussi aux solistes et aux choristes. Tout le monde doit avoir un coin d’œil sur lui, mais sans en avoir l’air.


Une fois qu’on sait quel spectacle on monte, où, à quelles dates et avec quels artistes, il ne reste plus qu’à trouver des sponsors. Les temps sont durs pour tout le monde et les entreprises ne veulent apposer leur logo que sur des valeurs sûres et des manifestations de grande visibilité. Les demandes de soutien doivent parvenir à la bonne addresse avant un délai bien précis, qu’il faut chercher sur les sites internet des mécènes potentiels. La Migros-pour-cent-culturel est un bienfaiteur très généreux. Elle offre généralement son service de billetterie, ce qui n’est pas négligeable. D’autres sources de revenus sont les annonces dans le programme, les consommations au bar pendant l’entracte et, bien sûr, la vente de billets. La Ville de Genève offre parfois l'affichage, ce qui est un coup de pouce appréciable.


Du côté des dépenses, ce ne sont pas les occasions de payer qui manquent. Il faut débourser pour la location de la salle, l’impression d’affiches et de flyers, les décors, les costumes…. Il faut vérifier auprès de la SUISA s'il y a des droits d'auteur à verser. Viennent ensuite toutes les assurances. A partir du moment où il faut rémunérer des chanteurs et des musiciens, on passe à un rapport employeur-salarié, avec toutes les charges que cela représente. Il faut déclarer les artistes à l’AVS et payer les cotisations sur leurs cachets. Il faut contracter une assurance accidents, ainsi qu’une assurance RC. En effet, l’Etat, qui loue certaines salles, n’a pas de RC couvrant les spectateurs au cas où gradin s’écroulerait, par exemple. Il peut encore y avoir d'autres coûts imprévus, comme par exemple un parking ouvert tard le soir pour les spectateurs. Sans possibilité de se garer, le public hésitera à se déplacer.


Quant à la salle proprement dite, il faut pouvoir définir exactement ses besoins :  faut-il un piano,  un ou plusieurs micros, des projecteurs vidéo ou encore une régie son et lumière. Pour pouvoir utiliser de vraies flammes sur scène, des bougies par exemple, il faut prévoir la présence – payante, cela va de soi – d’un pompier. C’est pourquoi les bougies sont généralement factices, de loin, on n’y voit que du feu, c’est le cas de le dire.

Il faut ensuite demander l’autorisation d’organiser une buvette. Ladite demande doit être adressée au Service du Commerce, dont la réponse doit parvenir aux organisateurs trente jours ouvrables avant le début de la manifestation. Toute source de revenus doit être dûment encadrée par les services de l'Etat.


La date de la première s’approchant à grand pas, il faut commencer à faire de la promotion et faire connaître le spectacle. De nombreuses petites mains s’affairent alors à distribuer des flyers devant les salles de concert et à coller des affiches dans les commerces et les restaurants. On parvient parfois à obtenir des interviews à la radio, un article dans la presse locale ou encore plusieurs petits encadrés dans diverses gazettes de quartier. Le courrier électronique aux amis et connaissances, ainsi que facebook viennent compléter les efforts de relations publiques.

Ne reste plus qu’à espérer que le Département de l’urbanisme ne décide pas de restreindre, de suspendre ou d’annuler la location sans indemnité en cas de justes motifs (besoins scolaires, travaux, manifestation officielle), comme il en aurait le droit. Ne reste plus qu’à espérer que le spectacle ne dépassera pas 93 décibels par intervalles de 60 minutes, car autrement, les organisateurs s'exposent à des sanctions pénales (ce genre de règlement ne semble pas s’appliquer aux festivités du Nouvel an organisées par la Ville). Ne reste plus qu’à espérer que le public sera au rendez-vous et qu’il viendra nombreux. Ne reste plus qu’à espérer qu’il n’y aura pas de boulette majeure sur scène et qu’aucun des solistes ne soit aphone ou souffrant, si on n'a pas les moyens d'avoir des doublures.

La RéBUlique veille sur nous...
Ne reste plus qu'à croiser les doigts pour que de généreux mécènes soient charmés par la prestation scénique… cela permet d’aborder de nouveaux projets avec plus de sérénité.

vendredi 2 novembre 2012

Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ?


Voilà la question que les gens me posent avec la régularité d’un métronome. Pas moyen d’y échapper. "J’ai glissé dans la cuisine" est devenu mon mantra, que je répète cinq à dix fois par jour depuis dix jours. Pour casser la monotonie, je dis parfois: "j’ai glissé" ou encore: "je me suis cassé le bras". En effet, si je me contente de répondre : "je me suis cassé la figure", on me demandera : "Et c’est cassé ?", alors que j’ai un plâtre et le bras en bandoulière. Oui, c’est cassé. J’ai un plâtre.

Mais comment t’as fait ça ?



Deux fractures de rien du tout, le radius et le cubitus, et ma vie est chamboulée. Je prends ma douche en faisant le salut hitlérien du bras gauche. Je porte des manches courtes et j’évite les chaussures à lacets. J’ai acheté du pain en tranches. J’ai pris l’abonnement des transports publics pour un mois, étant donné que je ne peux plus circuler ni à vélo, ni en scooter ni en voiture. Ça me permet d’apprendre enfin le nouveau réseau des tpg, au prix de quelques égarements. Tous mes pots, que ce soit de miel, de cornichons ou de crème pour la peau ne sont fermés qu’à moitié. Mes genoux et mes dents, le coude aussi parfois, remplaçent avantageusement le bras que je n’ai plus.

Mais que vous est-il arrivé ?
 
On me traite comme une princesse, on m’aide à enfiler mon manteau, on me propose de l’aide pour ceci, pour cela. On me tient la porte. Je vais bien plus souvent au restaurant – je choisis de la moussaka ou des rigatonis pour bras droit – et je me nourris essentiellement de sandwiches, de yaourts et de ramequins, ainsi que de fruits. Pour me consoler, je suis allée me faire faire une beauté des mains et me faire vernir les ongles.

Bébé hurleur en option
Ohlàlà ! Q’est-ce que tu t’es fait ? C’est arrivé comment ?

J’ai eu de la chance dans la malchance : c’est arrivé un week-end, j’avais le temps d’aller patienter aux urgences. C’est le bras gauche qui est cassé, si ça avait été le droit, ma vie serait autrement plus compliquée.

Comment tu t’es fait ça ? C’est arrivé quand ? Ça te fait mal ?

Les techniques de plâtrage ont bien évolué depuis la dernière fois que je me suis fracturé quelque chose. Le plâtre provisoire est en effet un gros machin blanc encombrant et disgracieux. On vous le remplace ensuite par un bandage enduit d’une résine qui polymérise, c-à-d qui durcit au contact de l’air et de l’eau. On peut en choisir la couleur. C’est léger mais néanmois solide. Un véritable gant de haute couture, quasiment un accessoire de mode.

Oh ! Tu t’es fait quoi ? C’est cassé ?

Alors non, je ne suis pas allée skier ni faire de la varappe. Je ne suis pas tombée de cheval ni de mon vélo. Je n’ai pas été mordue par un pitbull, je ne me suis pas coincé le bras dans la porte de l’ascenseur. Je n’ai pas serré la pogne à Jean-Claude van Damme et je n’ai pas fait de karaté. Je n’ai pas tricoté trop fort et, apparemment, je n’ai même pas d’ostéoporose. Mais je recours à des stratégies d’évitement, pour ne pas croiser des gens dont je sais qu’ils vont me demander ce qui m’est arrivé et comment je me suis fait ça.

Mais qu’est-ce qui t’es arrivé ? T’as fait ça comment ?

Alors puisque ça passionne les foules, je vais tout vous raconter. En visite chez ma mère, j’ai glissé sur une petite flaque d’eau insignifiante sur le carrelage de sa cuisine. La chute a été très violente, dans une bande dessinée, j’aurais eu des chandelles qui dansent autour de la tête. Par réflexe, je me suis rattrappée sur mon bras gauche qui – oui – s’est cassé en deux endroits. Heureusement, d’ailleurs, car autrement, c’était probablement le col du fémur qui dégustait.

Ne venez pas me dire que ce texte est sans intérêt, il y a déjà environ cent personnes qui pensent le contraire et, pendant les deux semaines à venir, j’en escompte une deuxième centaine. Dans mon travail, on a une nouvelle série de collègues à chaque nouvelle réunion, ça met régulièrement le compteur à zéro.

Encore deux à quatre semaines à tirer. Il viendra bien un moment où tout le monde sera au courant.
J’ai glissé, je suis tombée, je me suis cassé le bras.
Je suis tombée, je me suis cassé le bras en glissant dans la cuisine.
Je me suis cassé le bras, oui, en deux endroits. J’ai glissé et puis je suis tombée.
Quatre à six semaines.
J’ai glissé dans la cuisine. Je me suis cassé le bras.

Pierre Richard - La moutarde me monte au nez
Evidemment que les gens sont gentils et attentionnés, mon état leur fait de la peine, c’est sympa et ça me réchauffe bien sûr le cœur. Je pense toutefois que je ferai l’effort de brider ma curiosité la prochaine fois que je verrai quelqu’un avec un membre dans le plâtre. En effet, pourquoi a-t-on besoin de savoir comment c’est arrivé ? Pour éviter que ça ne nous arrive ? Mais c’est impossible. Par principe, j’évite de glisser, fût-ce dans la cuisine ou ailleurs et voyez donc si ça m’a servi à quelque chose.

Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

La deux centième personne qui me demandera comment je me suis fait ça gagnera un trente-trois tours de Tino Rossi. Voilà qui devrait refroidir les ardeurs.

Un malheureux effet collatéral de mon état est que je ne peux pas applaudir. Ça m’a empêché de participer à la catharsis générale au terme de la symphonie Manfred deTchaïkovski. Les musiciens de l’orchestre n’auront bien sûr ni vu ni entendu que je m’abstenais, mais pour moi, la frustration a été intense.
Le Victoria Hall
Ce texte a été entièrement écrit d’une main, la droite, heureusement.

Non, ça ne me fait pas mal


Quatre à six semaines


Oui, je suis droitière, heureusement
...

J’ai glissé dans la cuisine, oui, bêtement


etc…..

jeudi 18 octobre 2012

Une mésaventure apicole





Suite à un article paru dans un journal, présentant un jeune apiculteur qui voulait créer sa propre société et qui avait de la peine à trouver des crédits bancaires, j’ai décidé de me lancer dans l’aventure, en sachant bien qu’elle risquait d’être hasardeuse. Les banques ne sont pas méfiantes pour rien et, contrairement à moi, elles ont l’expérience de ce genre d’affaires commerciales. Pour ma part, j’ai estimé que plutôt que de soutenir une coopérative de femmes boliviennes, je pourrais tout aussi bien offrir du micro-crédit à quelqu’un du terroir.

Le contrat sur dix ans prévoyait que j’achète une ruche pour 542,-. En échange, je recevrais 50% de la récolte de ma ruche ou l’équivalent en produits dérivés (gelée royale, savonnettes....) ou sous forme d’argent, le produit de la vente de mon miel. On me ferait également parvenir un rapport trimestriel sur la vie de ma ruche et son bon fonctionnement. Je n’ai reçu aucun rapport trimestriel, mais bon... ce n’était pas trop grave et j’avais d’autres chats à fouetter. Venu le mois de septembre, je commençais à me dire que cela commençait à être le moment que j’obtienne quelque chose, ne serait-ce qu’un signe de vie du jeune homme courageux qui se lançait tout seul comme un grand dans l’apiculture.




Ce n’est que parce que je l’ai croisé par hasard un beau jour - au festival Biubstock, je faisais Nez Rouge et lui faisait les Samaritains, Genève est un village - et que j’en ai profité pour m’enquérir de mon investissement que j’apprends que l’année a été très mauvaise et qu’il n’y avait pas eu de récolte. Pas de récolte du tout, donc, car si la récolte avait été faible, j’aurais dû en recevoir 50%, comme prévu dans le contrat. On me promet une lettre expliquant la situation, ainsi qu’un bon de crédit de 60,- en guise de compensation. Quinze jours plus tard, toujours rien. On m’explique que la lettre est en cours de réécriture parce qu’il y a eu des problèmes.... Je me suis dit que ce jeune homme n’était sans doute pas très doué pour le secrétariat, qu’il était peut-être un peu désorganisé et inexpérimenté. J’attends néanmoins l’arrivée de la commande que j’avais passée avec mon bon de crédit, à savoir quatre pots de miel de 250g. Je ne reçois évidemment rien: Ah oui, on a eu des problèmes et nous sommes en rupture de stock de pots. Ça commence à paraître sérieusement foireux et une petite sonnette d’alarme s’allume dans un coin de ma tête. Des pots, j’en aurais eu, moi, étant donné que cela fait huit mois que je les collectionne, j’en ai plein la cave. La livraison tarde encore... je finis par découvrir qu’elle avait été déposée au mauvais endroit et que la marchandise était bien chère: mon crédit était entièrement épuisé, 1kg de miel pour 60,-.

C’est alors que la moutarde a commencé à me monter au nez. D’autant plus que ce n’était pas la première fois que je me trouvais démunie face à une transaction commerciale qui tournait en ma défaveur. Ni le Service du Commerce, ni le Département de l’agriculture ne peuvent m’aider: mon problème relève du droit privé. Ah. Sur les marchés, les gardes municipaux vérifient sans doute que les marchands ne dépassent pas les lignes prévues pour leur stand et qu’ils n’offrent pas le verre de l’amitié non plus , quant à l’activité commerciale des marchands, tout le monde s’en fout. Le SCAV vérifie la qualité mais pas la quantité. Une médiation par le biais de la Chambre de Commerce et d’industrie me coûterait 600,- pour le lancement de la procédure, puis un taux horaire entre 200 et 500,-. Autant oublier. Une fois de plus, je me suis rendu compte qu’il est très difficile pour le consommateur de se défendre. Que soit à la FRC ou dans une permanence juridique, on vous dira, en gros, que vous ne pouvez rien faire à moins d’actionner les tribunaux, ce qui vous coûtera trois fois plus cher que la mise que vous êtes en train de perdre face à quelqu’un de peu scrupuleux. Mais alors que faire?






Les associations professionnelles vous diront qu’elles ne fournissent pas de renseignements sur leurs membres et si vos interlocuteurs n’en sont pas membres, il n’y a aucune information à obtenir de toute manière. Comme cette fois-là où un tapissier décorateur m’a rendu une copie en échange d’un fauteuil ancien: c’est moi qu’on a fait passer pour une calomniatrice. C’était ma parole contre la sienne et comment prouver l’échange? C’est tout simplement impossible.

Une autre fois, j’ai fait réparer une pendule ancienne par un horloger qui affichait «Réparation de pendules anciennes» dans sa vitrine. Il a remplacé le mécanisme ancien par un moderne et m’a facturé le tout 900,- alors qu’il m’avait dit que ça ferait dans les 700,-. Là non plus, je n’ai rien pu faire. J’étais déjà bien contente de récupérer l’objet original, qui n’avait pas été remplacé par fac simile cette fois-ci. Un an plus tard, le mécanisme neuf est tombé en panne, soupir, gros soupir.

Si vous ne payez pas vos factures, vous aurez très rapidement les huissiers à votre porte. En revanche, le commerçant qui vous trompe sur la marchandise, qui vous roule, qui surfacture ou qui ne vous livre pas ce qu’il vous a promis peut dormir tranquille. C’est surtout l’impunité d’un comportement aussi grossièrement malhonnête qui me révolte et j’écris ce texte dans l’espoir que d’autres esprits optimistes, qui ont foi en la nature humaine, seront découragés de se lancer dans des aventures hasardeuses.



Alors en cas de transactions commerciales quelles qu’elles soient, prenez des renseignements sur l’artisan avec qui vous entendez travailler. Vérifiez s’il est membre de l’association professionnelle de sa branche, ce n’est pas une garantie absolue mais ça représente tout de même un certain gage de sérieux, d’expérience et de reconnaissance par ses pairs. Vérifiez s’il est inscrit au registre du commerce. Si vous confiez un objet à réparer, exigez un reçu. S’il s’agit d’un objet ancien, prenez une photo et faites signer la photo pour être sûr de récupérer exactement ce que vous avez donné. Si on vous donne une indication du prix à payer, exigez un devis par écrit. L’artisan n’a le droit de le dépasser que de 10%. Sans ce document, il pourra vous demander le double et vous n’aurez qu’à cracher au bassinet.

Et surtout, ôtez-vous de la tête ce préjugé idiot comme quoi en Suisse, les gens sont honnêtes! Il y a bien longtemps que ce n’est plus le cas.
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PS: mes problèmes avec l'apiculteur ont fini par se régler d'eux-mêmes... mais on ne m'y reprendra plus

dimanche 2 septembre 2012

The Summer Before the Dark, (L’été avant la nuit) de Doris Lessing

 
Synopsis : Au commencement de l’été 1973, une femme de 45 ans, épouse et mère de quatre enfants, est à un tournant de sa vie. Ses enfants quittent le foyer un à un, sa jeunesse prend fin et elle s’appprête à entrer dans l’âge mur. Une expérience professionnelle imprévue va venir tout bouleverser.

Dans ce roman, Doris Lessing explore les émotions d’une femme sur le point de franchir une étape importante de son existence. Le fil conducteur cherche sans doute à être féministe, à nous décrire une femme qui veut s’émanciper de son rôle d’épouse et de mère, mais chassez le naturel et il reviendra au triple galop. Voilà la conclusion à laquelle aboutit l’auteur.

Le mari de Kate Brown est médecin. Il voyage beaucoup et participe à de nombreux congrès. Dans un aéroport, il a fait la connaissance d’Alan Post, qui travaille dans l’univers fascinant des organisations internationales, Global Food en l’occurrence. Alors que Kate sert le café à ces messieurs, il apparaît que la prochaine conférence de ladite organisation est en grande difficulté : plusieurs traducteurs font défaut, pour diverses raisons (maladies, empêchements divers).  Chérie, ne voudrais-tu pas nous dépanner ? Le lecteur apprend alors que le père de la protagoniste était d’origine portugaise et que, dans sa jeunesse, Kate a passé une année auprès de son pépé à Lourenço Marques (actuellement Maputo). Il n’en faut pas plus pour qu’elle accepte ce travail. D’ailleurs, elle commencera dès le lendemain.

Que faut-il pour devenir interprète, selon Doris Lessing ? Avant tout, plusieurs années d’expérience dans le dévouement maternel et conjugal, car les délégués, dont le travail est harassant, ont besoin qu’on s’occupe d’eux et qu’on soit toujours à leur disposition, prête à les aider. La veille de son premier jour de travail, Mrs Michael Brown commence par faire la vaisselle et ranger la cuisine, après quoi elle relit le roman qu’elle a traduit, il y a fort longtemps, de portugais en anglais. Elle se remémore ensuite les bons moments passés avec son grand-père au Mozambique (Portuguese East Africa à l’époque). Une bonne nuit de sommeil et la voilà fin prête à traduire à grande vitesse de l’anglais, du français et de l’italien vers le portugais et inversément. On peut se demander comment se passe le « inversément » (and back again, dans l’original). Avoir passé une année au Mozambique, il y a plus de vingt ans de cela, lui donne la compétence nécessaire pour interpréter de l’anglais, du français et de l’italien vers le portugais, le tout simultanément, bien sûr ! L’auteur ne parle jamais que de traducteurs, le mot « interprète » n’apparaît qu’une seule fois, presque accidentellement.


Global Food est aux anges qu’elle ait bien voulu accepter de venir les sauver dans leur immense embarras. Les délégués reviennent dans la salle de réunion dès qu’ils apprennent que Kate Brown est arrivée. Elle est immédiatement très compétente dans son travail et les lusophones viennent tous la féliciter personnellement de son excellente maîtrise de la langue portugaise. Il faut ajouter que, quand elle était jeune, elle a dactylographié le manuscrit d’un ouvrage sur la culture du café, pour dépanner un ami, car elle est toujours prête à rendre service. Elle connaît ainsi parfaitement le sujet des délibérations de cette importante commission pour laquelle elle travaille maintenant. L’auteur nous dira d’ailleurs que Kate Brown est la seule traductrice dûment qualifiée pour ce travail, en portugais. Etant donné que c’est son premier jour de travail, elle est toute surprise de voir arriver une relève, au bout de deux heures : an incredibly short time !


La salle de réunion a d’immenses baies vitrées. On est bien là dans la fiction, étant donné que les architectes ont horreur de la lumière : les salles de réunion sont souvent borgnes, si possible en sous-sol et surtout sans fenêtres. Ou alors, s’il y a des fenêtres, il y aura aussi d’épais rideaux qu’on fermera pour mieux voir les Power Points dont on nous afflige jour après jour. Quant aux délégués, what an extraordinarily attractive lot they were ! Ils dégagent un air d’assurance, ils ont une autorité et une élégance naturelles, ils sont à l’aise dans cet univers un peu magique, en un mot, ils sont vibrionnants de puissance et de pouvoir.



Le roman donne alors une description assez exacte, il faut le reconnaître, du fonctionnement du système :


At each place around the table was machinery for receiving languages not one’s own translated into one’s own : sound transformed in its passages from speaker to hearer. By Kate, among others. There were switches, each one a door into a foreign tongue. There were headphones. In glass-walled cubicles at either end of the room were more switches, receiving apparatus, headphones. It would be Kate’s task to sit in one of these cubicles, to listen to speeches made in English, French and Italian, and to translate them as she listenend into Portuguese, which she would speak aloud into a transmitter connected with the ears of the Portuguese speakers – mostly Brazilian , who did not speak English, or who did, but preferred, nevertheless, their own tongue. She would be like a kind of machine herself: into her ears would flow one language, and from her mouth would flow another.
 A noter toutefois qu'ici les translators travaillent toujours seuls.

Très rapidement, les délégués se rendent compte que Mrs Michael Brown est non seulement une brillante interprète, mais qu’elle est une sorte de mère pour eux, une nounou, une main tendue, une oreille bienveillante. Ils accourent vers elle pour toutes sortes de bons conseils : quelle crème pour la peau leur conseillerait-elle ? Où trouver des spécialités anglaises ou du bon whisky ? Un bon restaurant ? Elle se rend compte qu’elle est devenue un perroquet fort habile (a skilled parrot) et qu’on l’apprécie énormément, car elle est toujours prête à dépanner et à donner un coup de main. Il lui faut cependant de nouveaux habits pour être admise dans le monde merveilleux et privilégié des grandes conférences internationales. Avant d’aller faire du shopping, elle demande combien elle sera payée et étouffe un cri lorsqu’elle entend le montant faramineux qu’on lui promet pour ses services. Elle gagnera presque autant que son mari neurologue, c’est dingue !



Kate Brown a un talent remarquable. Certaines personnes ont besoin de plusieurs semaines avant de parvenir à traduire ainsi, à grande vitesse (to translate at speed). Elle ne tarde d’ailleurs pas à être promue : elle sera responsable du bon déroulement des réunions, elle veillera à ce qu’il y ait des blocs de papier et des crayons dans la salle et que tout le monde ait de l’eau. En tant qu’épouse et mère, elle a l’habitude de gérer ce genre de choses. Elle est maintenant parfaitement à l’aise dans sa nouvelle vie, qu’elle trouve bien plus légère et insouciante que celle de femme au foyer. Elle a même l’impression de ne rien faire ! Ne pourrait-elle pas au moins donner un coup de main aux traducteurs ? Tout le monde autour d’elle est sympa, il n’y a jamais la moindre tension, les délégués qui gravitent dans ces sphères cosmopolites semblent n’avoir jamais souffert, jamais eu faim, jamais pleuré tout seuls dans le noir. Ils s’affrontent certes dans la salle de réunion, chacun devant défendre des intérêts nationaux, mais le reste du temps, ce n’est qu’amour et harmonie universelle.

Le contrat est court, un mois, tout au plus – de nos jours, cinq jours consécutifs, c’est carrément le Pérou ! On le lui prolonge, Global Food ne peut plus se passer d’elle. La nouvelle conférence aura lieu à Istanbul. Ahmed, un employé de l’hôtel, sera son homologue. Il est ravi qu’elle ait ce qui lui manque, à savoir l’italien et le portugais, car lui-même n’a que l’anglais, le français et l’allemand. A eux deux, ils vont veiller au bon déroulement de la réunion, que la salle soit en ordre et que tout le monde ait un bloc, un stylo et de l’eau. Kate Brown se tient assise dans une salle adjacente, au cas où on aurait besoin d’elle : elle sautera alors sur le micro et se mettra au service des délégués. Elle se décrit comme un perroquet maternant parlant couramment les langues (a fluent parrot with maternal inclinations). Elle se sent vaguement coupable, car elle trouve qu’elle gagne des sommes folles alors qu’elle ne fait vraiment pas grand-chose. Elle soupçonne d’ailleurs que tout ceci ne soit qu’une immense combine pour se remplir les poches: Nonsense, it was all nonsense ; this whole damned outfit, with its committees, its conferences, its eternal talk, talk, talk, was a great con trick ; it was a mechanism to earn a few hundred men and women incredible sums of money. C’est Doris Lessing qui parle, en 1973.

Doris Lessing
Tout comme Bruno Salvador chez John le Carré, Kate Brown est au centre de la conférence. Elle est le soleil autour duquel gravitent tous les participants venus des quatre coins de la planète. Mère universelle, elle dispense amour, soins et bienveillance. Son travail est si intense au plan humain, que la tête lui tourne, elle est comme enivrée. Doris Lessing se lance alors dans un délire autour des hôtesse de l’air qui sont, elles aussi, entourées d’hommes et de femmes qui sillonnent le monde pour aller d’une réunion à l’autre. Elles aussi dispensent de l’amour, elles aussi attirent tous les regards et sont des astres vers lesquels migre l’activité foisonnante et excitante des instances internationales. L’interprétation de conférence est à la fois un travail exigeant (this demanding work), mais aussi un job comme un autre (quite an ordinary sort of job after all). Pour l’auteur, employé d’hôtel polyglotte ou hôtesse de l’air sont des professions comparables : il y s’agit surtout de dorloter les gens.

Une fois la conférence d’Istanbul terminée, Kate Brown aide les délégués dans leurs préparatifs de départ, elle prend encore un rendez-vous chez le coiffeur pour une participante venue du Sierra Leone. Elle s’est fait plein d’amis et a maintenant des invitations à venir leur rendre visite dans le monde entier. Cette incursion dans la vie professionnelle a bouleversé sa vie : la voilà qui part en Espagne avec un homme bien plus jeune qu’elle. Les deux-tiers restants du roman nous la décrivent faisant la garde-malade auprès de son toy boy qui souffre d’un mal étrange. Elle lui tient la main, observe son moindre souffle, essaie de trouver un médecin. Son rôle d’épouse et de mère lui colle décidément à la peau, il ne sert à rien d’essayer de s’émanciper. Elle finit par revenir à Londres, loue une chambre chez des hippies, erre et délire. A la dernière ligne, elle s’éclipse discrètement pour retourner chez elle, chez son mari. Comme quoi, les choses finissent toujours par rentrer dans l’ordre.

A tous ceux qui ne connaissent pas ce métier : tout ceci n’est qu’un tissu de fariboles à dormir debout. Un fonctionnaire ne devient pas quelqu’un de fascinant du simple fait qu’il est international. Les âmes des délégués ne sont pas plus nobles que celles de l’humain lambda, bien au contraire. Les conférences ne servent pas toujours à sauver l’humanité. Il est exclu que nous maternions qui que ce soit, d’ailleurs comment Doris Lessing imagine-t-elle les interprètes masculins ? Jouent-ils les papas ? Nous ne sommes surtout pas au cœur de l’attention de tous, au contraire, le bon interprète est celui qu’on oublie, l’auditeur doit avoir l’impression d’entendre l’original en direct, sans bafouillements, sans cliquetis de bijoux, sans râclements de gorge, de froissements de papier ou de glouglous d’eau qu'on verse en travaillant.

Décidément, notre profession suscite bien des fantasmes fantasmagoriques.

L'interprète de conférence est un animal fantastique
The Summer Before The Dark, Vintage International, 1973 (ISBN 978-0-307-39062-2) - L'Été avant la nuit, Albin Michel, 1981 (Livre de poche, 1992, ISBN 2-226-01275-3).

Le chapitre intitulé Global Food est celui où il est question du métier d’interprète de conférence.

Doris Lessing  a obtenu le Prix Nobel de littérature en 2007.

mercredi 15 août 2012

Clichés de cinéma



Les films nous racontent des histoires selon un langage codé que nous avons tous appris à décrypter. Le style de narration a changé au fil des ans, le rythme aussi, mais certains clichés sont inoxydables, je pense même que cela nous manquerait s’ils venaient à disparaître. Dans les vieux films, on voyait toujours des unes de journaux qui défilent dans les rotatives ou alors qui s’affichent après avoir effectué plusieurs tours, comme pris dans un tourbillon. C’est sans doute Orson Welles et Citizen Kane qui ont lancé cette mode. De nos jours, on ne voit plus des pages de calendrier qui s’effeuillent, une à une, pour signifier le temps qui passe, on a trouvé d’autres astuces, comme l’arbre qui perd ses feuilles puis reverdit en accéléré. Imaginons ce que donnerait un film entièrement constitué de clichés et de codes bien connus :



Une ville, une rue, au loin, la Tour Eiffel : nous sommes à Paris.  Une voiture s’avance, le pare-brise absolument nickel, les frondaisons des arbres s’y reflètent si bien qu’on voit à peine les personnages qui se trouvent dans l’habitacle. Ladite voiture parvient à se garer, du premier coup, exactement devant la bonne porte. Un inspecteur de police, gros (donc sympathique) et afro-américain s’il s’agit d’un film américain, sonne à la porte. Les personnages officiels sonnent à la porte, les amis quant à eux frappent, même si la sonnette a déjà été inventée et qu’elle fonctionne. A l’intérieur, un écrivain au travail, soit sur une machine à écrire mécanique, soit sur un Apple (avez-vous remarqué que les ordinateurs sont toujours et ostensiblement des Mac ?). Il ôte ses lunettes, dont les verres sont parfaitement plats et d’une propreté chirurgicale, ouvre la porte tout grand, sans regarder par le judas, des fois que ce serait un tueur à la tronçonneuse. Il fait entrer le flic, personne ne referme la porte. Ils boivent du café dans des tasses vides, d’ailleurs ils n’avalent même pas.

Breakfast at Tiffany's
Après le départ de l’agent, l’écrivain prend une valise et y jette pêle-mêle tous les habits qui se trouvent dans ses tiroirs (quoique, ce sont en général les personnages féminins qui font ça). Avant de partir, il regarde une dernière fois par la fenêtre de sa chambre à coucher. Dans l’immeuble d’en-face, une femme est en train de se déshabiller sans tirer les rideaux. Il sort de son immeuble, un taxi passe immédiatement, il le hèle, monte et donne une adresse au chauffeur.  A l’arrivée, ils sort des billets au hasard de sa poche, par exemple 100 euros ou dollars, et n’attend pas qu’on lui rende la monnaie. Dans les films médiévaux, ce sera une bourse contenant le montant exact et ladite bourse sera offerte par la même occasion. Le personnage porte maintenant une valise vide. Il entre dans un bistrot, où il va directement à une table où l’attend une femme. Ils commandent à boire et s’en vont aussitôt que les boissons leur sont apportées. A nouveau, on laisse un billet ou quelques pièces sur la table, le montant exact, sans doute.

Ils vont chez la femme et font l’amour, debout dans la cuisine ou ailleurs, mais tout habillés et en coup de vent, surtout sans préliminaires. La femme confie a) une liasse de lettre reliées par un ruban (franchement : qui fait ça ???) ou b) une mallette contenant des billets de 1000 bien rangés. A ce moment-là, le téléphone sonne, le répondeur s’enclenche tout de suite et tout le monde, spectateurs inclus, entend le message. Ce n’est jamais la maman qui appelle pour demander si tu viens manger dimanche. Il doit partir d’urgence avec a) la liasse de lettres ou b) la mallette pleine de billets. Les deux personnages se séparent sur le quai d’une gare, ils se font tremper par une pluie diluvienne, mais peu importe, ils s’embrassent langoureusement. La femme dira peut-être I love you Daddy, figure obligée de tout film américain.

Décor de western à Almeria (1982)
Plus tard, ailleurs : deux personnages jouent aux échecs. Après deux ou trois échanges de répliques, l’un des deux joueurs dira : échec et mat. Ça ne rate jamais, je n’ai encore jamais vu de film où une partie d’échecs resterait inachevée. L’écrivain a été fait prisonnier, il est ligoté sur une chaise. Au lieu de l’abattre illico, le méchant lui explique par le menu toute l’intrigue, permettant ainsi au spectateur de comprendre comment fonctionnait le réseau de contrebande et comment les microfilms (tiens, voilà quelque chose qui a disparu de nos jours !) étaient dissimulés dans des dents creuses. Ce qui laisse le temps à notre héros de se défaire de ses liens, précisément une seconde avant que le faisceau de bâtons de dynamite n’explose ! Car nous avons pu suivre le défilement impitoyable du compte à rebours sur un chronomètre numérique.

Et cætera…. Vous avez sûrement, vous aussi, un téléphone sur votre table de chevet, pour les occasions où il sonne au milieu de la nuit, juste après votre orgasme. Aux Etats-Unis, ils n’ont toujours pas inventé les sacs de courses qui auraient des anses, non, ce seront toujours des sacs en papier kraft, toujours au nombre de deux et pleins à craquer, qui vous remplissent les mains et vous rendent complètement handicapé. Dans les films jusqu'aux années -60, quand un homme et une femme se détestent au début du film, on peut être relativement certain qu’ils vont tomber amoureux l’un de l’autre. Le héros peut recevoir 250 balles et rester en vie, à peine égratigné, à peine décoiffé. Dans les postes de police ou les bureaux de presse, on explique la mission à accomplir en marchant à toute berzingue dans des corridors bondés. 
Le Magnifique de Philippe de Broca (1973)
Un livre qui répertorie tous ces clichés est paru récemment 1). Des films comme le Magnifique, avec Belmondo, ou les parodies de OSS 117, avec Jean Dujardin, surfent avec délices sur tous ces lieux communs cinématographiques, de même que Woody Allen ne se prive pas de nous livrer un Paris, une Barcelone ou une Rome en forme d’image d’Epinal. Mais c’est bien pour cela qu’on va au cinéma : pour rêver et pour qu’on nous raconte des calembredaines ! Car la réalité vraie de la vie, on l’a tous les jours dans sa cuisine ou au bureau, c’est bien suffisant.


1)      Tous les clichés du cinéma : Répertoire malicieux des poncifs et invraisemblances du 7e Art, par Philippe Mignaval. Editions Fetjaine, 2012, ISBN-10: 2354253338

vendredi 27 juillet 2012

Le chien, adjuvant social

Photo J. Piroué
Depuis que mon ami a adopté un chienne à la SGPA, j’apprends plein de choses concernant les canidés, leur éducation, leur langage corporel, le parcours du combattant pour obtenir la médaille, j’ai même acquis le réflexe du sac-à-crotte dans toutes les poches (qui dépanne bien souvent, un peu comme les sachets dits hygiéniques, pour y mettre des trucs et des machins). J’ai aussi découvert ce que cela signifie d’être l’objet d’un amour aussi irrationnel qu’immodéré, d’être le centre de l’univers, le soleil, la lune et tout l’univers pour un petit être poilu qui parvient à s’extasier devant un lancer de bâton, un crouton de pain sec trouvé parterre ou un écureuil qui disparaît le long d’un tronc. 
Au fil de mes promenades canines, je fais toujours des rencontres. Je parle à des gens à qui je n’aurais jamais adressé la parole si je n’avais pas été accompagnée de ma petite copine à quatre pattes. Je retrouve souvent la même clique hétéroclite au Bois de la Bâtie, un grand parc qui a été légué à la ville de Genève à la condition expresse que les chiens puissent y batifoler en liberté. Un groupe de dames retraitées, des jeunes, des vieux, des gens bizarres ou pas, tous accompagnés de leur toutou d’amour. Nous observons attendris les jeux et les courses entre nos petits protégés et, l’air de rien, la conversation s’engage entre nous. Des bavardages inoffensifs, de type Café du Commerce, mais nous nous connaissons désormais et nous savons que nous retrouvons le petit groupe des habitués vers 16h30, tous les jours au même endroit. Sur le chemin du retour, j’ai croisé plusieurs fois un monsieur espagnol, de Galice, qui a des chiens de chasse au pays qui sont imbattables pour traquer le sanglier. Il m’a aussi raconté qu’il savait très bien imiter Luis Mariano, même qu’il s’est mis à chanter pour moi. Un autre, qui avait un chien d’eau, race que je ne connaissais pas encore, m’a raconté qu’il partait souvent au Sénégal parce qu’il travaille dans la pêche. Ça ne serait jamais arrivé si j’étais passée seule devant eux.

Au restaurant, la chienne provoque très souvent des contacts avec les tables voisines et c’est rarement pour cause de plaintes ou de craintes. Récemment en voyage, un couple de retraités à la table d’à-côté, au petit-déjeuner, nous a raconté qu’ils ont un berger allemand, mais qu’ils ne l’ont pas emmené avec eux. Nous nous trouvions à Descartes (Indre et Loire) et ils avaient fait le voyage de Nantes, car leurs enfants leur avaient offert des billets pour le spectacle des Bodins, qui raconte la vie d’autrefois à la ferme. C’était la première fois qu’ils partaient en vacances!! De Nantes à Descartes!! Ils nous ont aussi raconté qu’ils avaient eu un accident de voiture et qu’ils y ont perdu leur 4x4 qui n’avait que 34.000km!! Et patati et patata. Rien de tout cela ne serait arrivé si nous n’avions pas eu la chienne à nos pieds sous la table. Dans la même localité, une dame âgée, admirant ma choupette, se met à me raconter qu’elle avait aussi eu un chien autrefois, qu’il avait eu une néphrite, qu’il avait fallu l’opérer, mais que la pauvre bête n’avait pas supporté et qu’il avait fallu la piquer. «C’est un chagrin....! Mais un chagrin....!!!! Je n’en veux plus! C’est trop dur! Et mon mari qui est mort d’un cancer! Non, je ne veux plus d’animal, c’est trop de chagrin!» J’avais l’impression que la perte de son chien avait été un coup plus dur que le décès de son mari. Ou encore cette dame russe qui me sourit d'un air complice et attendri:
- Ya poutine!
- Vous?! Poutine?!
- Da! Ya poutine! me dit-elle en se penchant légèrement sur le côté, la main à l'horizontale à environ 70cm du sol.
- Oh! You also have a dog!
Je vais lui présenter l'objet de son admiration et elle sussurre:
- Bellissima!
Nous échangeons encore quelques borborygmes multilingues, après quoi elle me dit Au revoir! et je lui réponds Dasvidania! Je ne sais pas encore si chien se dit poutine en russe ou si elle a appelé son chien comme ça.


Par ailleurs, on entame quasi-systématiquement des conversations de nature sexuelle avec de parfaits inconnus: «C’est un mâle? Non, c’est une femelle. Alors ça va. Le mien, j’ai dû le faire castrer, depuis, il a pris du poids. Elle a ses chaleurs, elle est portante. Ah, la nôtre, elle est stérilisée, alors il n’y a aucun problème». Les chiens font connaissance en se reniflant le derrière, le devant, les côtés, les mâles font parfois mine de vouloir grimper et c’est reparti pour les considérations génitales. 

Les enfants sont toujours fascinés par les animaux. En général, ils regardent de loin, ils ont envie, mais n’osent pas. Les parents leur apprennent qu’il faut demander la permission, puis ils s’approchent très prudemment et touchent le dos de la bête du bout des doigts, n’en revenant pas de leur audace. En France, les chiens sont rigoureusement enfermés derrière des barrières ou tenus en laisse très serré. Lorsque nous croisons d’autres maîtres, ils tirent violemment sur le cou de leur animal pour éviter tout contact avec un congénère, ce qui ne cesse de nous surprendre. Ce n’est alors pas étonnant si les chiens sont méchants, aboient et mordent, nous en ferions autant si on nous refusait tout contact avec autrui.

Photo J. Piroué
Notre chienne est très sociable et très curieuse. Elle se précipite dès qu’elle voit un chat mais, une fois qu’elle est nez à nez avec une de ces drôles de bêtes qui fait le dos rond et la fusille du regard avec mépris, elle ne sait plus que faire et s’en va, toute penaude. Elle aimerait beaucoup courir après les écureuils aussi, mais c’est bien plus difficile. Au zoo de Beauval, elle a été absolument fascinée par les manchots et les ouistitis, elle aurait adoré pouvoir jouer avec eux. En revanche, elle était terrorisée par les gros tigres endormis, qui ressemblaient pourtant à de gros troncs. Elle n’en n’avait jamais vu et ne pouvait pas savoir ce que c’était, mais quelque chose comme une odeur de fauve devait se dégager de ces grosses bêtes, quelque chose qui annonçait un danger terrible.
Vivre et a fortiori voyager avec un chien est certes une contrainte, mais cela permet aussi de voir les choses sous un angle nouveau. Moi qui ai souvent voyagé seule, je constate que je suis perçue de façon très différente par les gens que je croise. Une femme seule est toujours considérée comme quelque chose d’un peu anormal - dans la salle à manger d’un hôtel, un enfant qui n’arrêtait pas de me dévisager a fini par demander à ses parents pourquoi la dame elle était toute seule - voire d’un peu menaçant - les épouses surveillent leur mari d’un oeil vigilant, on ne sait jamais. Accompagnée d’un chien, je redeviens quelque chose de normal, je corresponds à un moule connu et ça redevient plus rassurant pour tout le monde. Quand je serai vieille et moche, je pourrai sans doute circuler dans le monde sans faire peur aux gens. Sacrée consolation....